Souriez, vous êtes filmés!

Ces policiers qui veillent sur vous sans même que vous ne le sachiez

Credit: Marie Russillo

Vous ne les voyez peut-être pas, mais elles sont bien là. Environ 400 caméras filment, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, le moindre de vos pas dans les rues de la ville de Bruxelles. De quoi vous sentir épiés? Pas forcément. Car si elles enregistrent constamment, les images ne sont pas pour autant visionnées par la police de la capitale. De quoi effrayer les voleurs? Certainement. Derrière ces caméras, se cachent en effet plusieurs agents. Du vol à la tire à l’accident mortel, les délits qu’ils ont résolus grâce à ces précieux enregistrements sont nombreux. “Ce n’est pas tous les jours facile. Le sang qui gicle, la violence,... Ce sont parfois des images très difficiles à regarder, mais il faut le faire”. Reportage au commissariat de Bruxelles-Capitale, où l’on traque les malfrats derrière un écran.

Fenêtre virtuelle sur ville

Il pleut des cordes en ce mardi matin. Une odeur de café chaud embaume le commissariat de Bruxelles-Capitale. Les bureaux sont déjà presque tous remplis. “Mieux vaut être ici que dehors”, ironise un policier. Le bâtiment assez vétuste, aux couleurs sobres, s’élève sur plusieurs étages. “C’est au dernier que nous nous rendons”, explique Jean-Paul Dreze, commissaire de police qui s'occupe de la visite. Sous les combles, se cache le “dispatching”. C’est là que les agents s’activent, au son du téléphone et face aux vidéos de surveillance, pour diriger les policiers sur le terrain vers des personnes en détresse ou simplement sur le lieu d’une infraction. Au total, six équipes de sept personnes se succèdent pour assurer un suivi constant de la situation sur le terrain couvrant l’entièreté de Bruxelles-Ville. Ici, on parle français et néerlandais. L’ambiance est détendue même si le travail est pesant. En sous-effectif, les policiers doivent souvent enchaîner des horaires compliqués, sans prendre le temps de souffler. “Ils travaillent de sept à dix-neuf heures, de douze à vingt-deux heures ou encore de dix-neuf à sept heures, détaille l'inspecteur principal Van Liefferinge. Ils ont normalement droit à des jours de repos, mais ils doivent souvent faire l’impasse sur ces derniers”. Les pauses pendant leurs shifts ? Elles ne sont pas nombreuses. Des emballages de nourriture en tout genre s’amoncellent d’ailleurs sur les bureaux des policiers, optant pour des collations rapides. 

 Face aux policiers, des touristes déambulent dans plusieurs rues de la capitale, des parents prennent le chemin du travail après avoir déposé leurs enfants à l’école. Une fenêtre? Non, des télévisions sur lesquelles défilent les enregistrements en temps réel des caméras placées aux quatre coins de Bruxelles. Plusieurs écrans viennent ainsi donner au mur du “dispatching” un véritable air de tour de contrôle. Les policiers ne s’y attardent pourtant pas plus que ça. “Ce n’est pas utile de regarder ce qu’il se passe en temps réel, explique l’inspecteur. Les policiers vont y jeter un oeil que si un problème éclate et qu’ils sont prévenus”. Dans ces cas-là, le temps est précieux et “rapidité” est le maître-mot. Une fois que les agents ont pris connaissance des faits et qu’ils ont vu exactement ce qu’il se passait sur les caméras, ils peuvent envoyer l’équipe adéquate sur le terrain. 

Credit: Marie Russillo

Au dispatching, il faut avoir l’estomac bien accroché

Credit: Marie Russillo

Pour illustrer ses propos,  l'inspecteur principal Van Liefferinge nous montre quelques enregistrements de délits auxquels les policiers ont été confrontés ces dernières années. 

Sur l’un d’eux, un piéton est heurté par une voiture le long du parc Maximilien. Les images montrent à quel point la situation peut vite s’envenimer. Alors qu’une équipe de police arrive sur le terrain, elle se retrouve entourée par un groupe de migrants sortant des buissons. “C’est là que nous sommes très utiles, décrète le policier. Comme nous avons été avertis de l’accident et que nous avons envoyé les agents sur le terrain, nous continuons à suivre en temps réel l’évolution de la situation”. En l’occurrence, dans ce cas-ci, des renforts étaient nécessaires. 

Mais si tout s’est bien fini pour l’automobiliste et la personne blessée, il arrive que l’intervention prenne une tout autre tournure. “Sur celle-ci, c’est un accident mortel”, explique le policier, passant à la vidéo suivante. Des images difficiles à regarder mais auxquelles les agents sont visiblement habitués. En effet, chaque jour, sont gérées par le dispatching pas moins de 500 à 600 interventions. “Cela va du simple véhicule mal garé à de violentes bagarres ou encore à des délits de fuite”, détaille un policier. S’ils ne sont pas tout le temps amenés à utiliser les caméras de surveillance, elles sont tout de même d’une grande aide dans de nombreux cas. “Souvent, une image vaut mieux que 1000 mots, ajoute M. Van Liefferinge. Les vidéos nous permettent de démêler le vrai du faux”.

Credit: Marie Russillo
Credit: Marie Russillo

L'oeil de l'inspecteur Verhaegen

Credit: Marie Russillo

Même son de cloche du côté d’un autre service où sont utilisées ces précieuses caméras. Le bureau est occupé par deux policiers, dont un seul y travaille à temps plein. L’inspecteur Verhaegen s’occupe de résoudre des enquêtes grâce aux vidéos de surveillance. Pour cela, le policier a accès aux fichiers de la police mais peut également aller réclamer les images enregistrées par des caméras de particuliers. “Cela fait quatre ans que je fais ça”, déclare fièrement le policier qui s’occupe d’environ une cinquantaine de dossiers par mois. L’inspecteur reçoit des formulaires de demandes de saisie d’images, indiquant l’endroit précis où a eu lieu le délit signalé par la personne, le moment des faits et les spécificités de la victime (afin de lui permettre de la reconnaître sur les vidéos). De là, il se lance dans son enquête, s’armant du plus d’images possibles sur lesquelles pourrait figurer le malfrat. Sa mission? Retrouver son identité dans les plus brefs délais.  

 L’homme a déjà tout vu. “Je me souviens de cette fois où j’ai passé de longues minutes à regarder une vidéo où il ne se passait rien et puis tout à coup, un étudiant surgit et montre son derrière”, raconte hilare celui qui faisait autrefois partie de la brigade à vélo. Mais si l’inspecteur Verhaegen a déjà connu de bonnes parties de rigolades, il a également rencontré des moments compliqués. “Une fois, des jeunes ont déclenché une énorme bagarre avec des policiers, rapporte-t-il. Ce n’était pas facile de voir mes collègues en difficulté, essayer de s’extirper de là, et ne rien pouvoir faire”.

Credit: Marie Russillo

Le centre-ville bruxellois, terrain fertile pour les malfrats ?

Des images violentes que l’inspecteur Verhaegen préférerait ne pas avoir à regarder. “Ce n’est pas tous les jours facile, voir le sang qui gicle”, regrette-t-il. Malheureusement, cela fait partie de ses tâches. Celles-ci lui sont toutefois souvent facilitées par la grande coopération dont font preuve les particuliers. “Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des gens donnent volontiers les vidéos de surveillance de leur porche ou de leur magasin”, salue le policier.

Pour ne pas déranger les commerçants, l’inspecteur a pris l’habitude de leur rendre visite dans la matinée, “pour éviter le rush”. Dans de nombreux établissements de la capitale, il est d’ailleurs bien connu. “Je dois me rendre presque toutes les semaines dans certains débits de boisson du centre”, explique ainsi le policier, racontant même s’y être fait des “amis” qui se réjouissent presque de sa venue. 

L’homme est toutefois bien conscient d’avoir une quantité de travail plus importante que ses collègues d’autres commissariats bruxellois. “Le centre-ville de la capitale est un lieu de fête très touristique, on a beaucoup plus de plaintes”, estime-t-il. Car, oui, parfois ce métier laisse un goût amer dans la bouche du policier, qui déplore l’imprudence des uns et la capacité des autres à en abuser. “Si les gens avait déjà plus conscience du danger qui rôde et faisaient preuve de plus de vigilance, de nombreuses affaires n’auraient jamais été ouvertes, souffle-t-il. Conscient qu’il existera toujours des abus, le policier ne compte cependant pas baisser les bras et compte bien continuer à garder un oeil sur ses précieuses caméras.