Sophie Dutordoir

La CEO qui porte le poids de la survie de la SNCB

Deux ans de mandat

En décembre 2016, le gouvernement fédéral s'accorde sur le nom du successeur de Jo Cornu, CEO de la SNCB, alors démissionnaire depuis plusieurs mois. La nouvelle patronne de la SNCB, ce véritable mastodonte public, est étiquetée CD&V. Gantoise, parfaite bilingue, diplômée de philologie romane, ancienne collaboratrice de Wilfried Martens… Avant d'être rappelée pour relever le défi d'une SNCB tombée en désuétude aux yeux des navetteurs, l'ex-CEO d'Electrabel (elle y a passé 24 ans) avait surpris tout le monde en faisant ce que les grands patrons ne font jamais : tout plaquer. Pressentie pour prendre la tête de Bpost, Sophie Dutordoir ouvre Poppeia, une épicerie fine à Overijse, dont les connaisseurs disent que ça sentait l'Italie, l'été dans un saladier et la convivialité.

Poppeia se voulait comme une petite entreprise familiale. © Alexis Haulot

Poppeia se voulait comme une petite entreprise familiale. © Alexis Haulot

En janvier 2017, cette aventure familiale touche à sa fin. Poppeia ferme ses portes et est repris par un couple de Flamands. Dans ses déclarations futures, on comprendra que Sophie Dutordoir n'avait rien demandé. Déjà marqué dans ses fonctions précédentes, c'est l'attrait pour la mission de service public et le sens de la collectivité qui la convaincront. Elle hérite d'une entreprise complexe, décrite un jour par François Bellot, son ministre de tutelle, comme un endroit où "un chat ne retrouverait pas ses petits".

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Le 16 décembre 2016, le gouvernement fait part de sa décision à la presse. © Virgnie Lefour / BELGA

Le 16 décembre 2016, le gouvernement fait part de sa décision à la presse. © Virgnie Lefour / BELGA

Le 7 mars 2016, Sophie Dutordoir entame son mandat. Sept jours plus tard, elle est au Parlement pour présenter les grandes lignes du plan de transport 2017-2020 de l'entreprise ferroviaire déjà approuvé sous l'ère Cornu, son prédecesseur. Un plan "ambitieux", décrit-elle, qui engage la SNCB à augmenter son offre de trains de 5,1 % sur la période couverte par ce plan. La nouvelle CEO en profite pour rappeler qu'il s'agit là d'un exploit, vu l'amputation de 5,4 % de la dotation fédérale en quatre ans. Un contexte budgétaire qui fait alors déjà hurler les syndicats, arguant qu'il est impossible de "faire plus avec moins". Jusqu'à ce jour, Sophie Dutordoir aborde la situation sous un autre angle : impossible n'est pas français, pour reprendre l'expression, grâce à "une meilleure utilisation des moyens".

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Pendant plusieurs mois, on n'entend plus parler d'elle. Dans les rédactions, on s'interroge : mais que fait Sophie Dutordoir ? Il faudra attendre huit mois pour le savoir.

"Sophie est à la SNCB ce qu'une mère juive est à son fils"

François Bellot (MR), a succédé à Jacqueline Galant en 2016. Quelques mois plus tard, Sophie Dutordoir prend la place de Jo Cornu à la tête de la SNCB. © Jean-Luc Flémal

François Bellot (MR), a succédé à Jacqueline Galant en 2016. Quelques mois plus tard, Sophie Dutordoir prend la place de Jo Cornu à la tête de la SNCB. © Jean-Luc Flémal

Son mandat débute par une tournée patronale dans les dépôts, les ateliers, les gares pour faire connaissance avec le personnel de sa (pas si) petite entreprise. Enfin, en novembre 2017, la patronne de la SNCB se présente devant la commission Infrastructure du Parlement, à qui elle réserve sa première grande allocution.

Ce que tout le monde retient de cette présentation, c’est la manière dont Sophie Dutordoir dégomme au bazooka une culture d’entreprise “presque militaire” qui a tendance à faire toujours “plus la même chose”. Rigueur insuffisante, absence de priorisation, environnement informatique obsolète, pas de gestion des budgets, pas de management des ressources humaines, pas d’orientation client, communication défaillante – voire inexistante – entre les différents services… À l’entendre, ça ne fait pas rêver.

Les députés sont médusés par son franc-parler et saluent son enthousiasme, tout en se demandant comment fera la Gantoise pour réussir, là où ses prédécesseurs ont échoué. Deux ans plus tard, cette question est toujours d'actualité.

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De tous nos interlocuteurs, personne n’envie la CEO : réformer la culture d’entreprise de la SNCB n’est pas une mince affaire. “Comme dans les autres entreprises publiques historiques qui n’ont pas encore dû se battre avec la concurrence, il y a une forme de paresse à la SNCB. Il y a peu ou pas de place pour des initiatives, des idées nouvelles. Les chemins de fer sont très riches mais écrasés par le poids d’une culture d’entreprise dépassée dans un monde moderne et digitalisé”, décrit un responsable hiérarchique. "Sophie est une authentique réformiste. La question, c'est de savoir si ses réformes vont marcher. Et pour ça, il faut lui laisser du temps. Elle est tirée vers le bas par le très lourd passé industriel des chemins de fer, qui est un héritage difficile à faire bouger. La SNCB est un système d'une complexité inouïe, soumis à une forte pression – légitime ! - tant de la société que du politique, et qui a pris un retard monstrueux par rapport à d'autres entreprises", complète un collègue.

Confrontée à de fortes réticences en interne, Sophie Dutordoir tisse pas à pas une vision à long terme, clé d’un meilleur service orienté vers le client, en désignant des responsables, en changeant les modalités de recrutement, en fixant des budgets et des priorités, en s’attaquant aux accidents de travail, en misant sur l’information (en interne et en externe).

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Les deux gros cailloux dans sa chaussure : la ponctualité et la communication vers les voyageurs. “Au niveau de la communication, on reste un peu sur notre faim. Il y a une volonté de faire des efforts mais dans les faits, il y a beaucoup d’incohérence en fonction des canaux de communication utilisés. Il y a trop de canaux de communication, ce qui crée une confusion. Or, avoir une information précise, c’est primordial pour les navetteurs”, défend Gianni Tabbone, président de l’association Navetteurs.be.

En 2002, la SNCB envoie des SMS pour prévénir les usagers des retards de trains © Olivier Pirard

En 2002, la SNCB envoie des SMS pour prévénir les usagers des retards de trains © Olivier Pirard

Aujourd'hui, la SNCB indique régulièrement les retards sur Twitter. © JC Guillaume

Aujourd'hui, la SNCB indique régulièrement les retards sur Twitter. © JC Guillaume

Quant à l’objectif de ponctualité, mis à mal par la fiabilité de l’infrastructure et du matériel roulant (qui ont tous deux souffert d’un sous-investissement chronique), “il est loin d’être atteint”. Depuis 2015, elle est en baisse, passant de 90,9 % cette année-là à 87,2 % en 2018.

Des chiffres qui “restent dans la moyenne" se défendent la SNCB et Infrabel. “Aujourd’hui, ni la SNCB, ni Infrabel ne peuvent se satisfaire de ces 87 %. Nous souhaitons tous que cela s’améliore, parce que la ponctualité a un impact direct sur la satisfaction du client”, concédait la CEO fin 2018, au Parlement encore une fois. La CEO ambitionne de réduire de 10 % les retards liés à la SNCB dès cette année. On sent poindre l’impatience : “il est temps de devenir une entreprise orientée client”, répète-t-elle, comme en novembre 2017, aux députés.

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Un climat social apaisé mais...

Des grèves intersectorielles ont encore lieu contre la politique du gouvernement fédéral mais les grèves en interne se raréfient depuis 2016 à la SNCB. © Thierry Roge / BELGA

Des grèves intersectorielles ont encore lieu contre la politique du gouvernement fédéral mais les grèves en interne se raréfient depuis 2016 à la SNCB. © Thierry Roge / BELGA

En deux ans, la CEO de la SNCB a acquis une popularité que personne ne conteste. Enfin, presque. Car les changements qu’elle opère ne font pas l’unanimité.

“Sophie n’est pas très appréciée par le management. Dans certains départements, elle a placé des gens qui sont de bons gestionnaires mais qui connaissent mal le ferroviaire. Résultat, des personnes très compétentes sont parties. C’est un vrai problème”, confie une source bien informée.

Parmi la base, la perception est différente. On dit de la CEO qu’elle ne siège pas dans une tour de verre, qu’elle répond vite aux mails qui lui sont adressés (ne serait-ce que pour en accuser bonne réception), qu’elle brise la glace en partageant des frites avec ses collègues. Son principal défaut est sa principale qualité : sur tous les fronts, elle veut tout savoir et tout contrôler. “Sophie est à la SNCB ce qu’une mère juive est à son fils”, dépeint un proche collaborateur.

Auprès du personnel roulant, un épisode est particulièrement resté dans les mémoires : le lancement d'une campagne anti-agression contre les accompagnateurs de train, trop régulièrement victimes de violences verbales ou physiques.

La campagne de sensibilisation sur les violences dont sont victimes les accompagnateurs de train a touché ceux-ci. © Didier Bauweraerts

La campagne de sensibilisation sur les violences dont sont victimes les accompagnateurs de train a touché ceux-ci. © Didier Bauweraerts

La SNCB avait alors demandé aux navetteurs d'afficher leur soutien aux agents en utilisant le hashtag #StopAgressionSNCB et en collant des post-it sur les vitres des trains.

En renouant le dialogue, la patronne contourne les syndicats

La patronne contraste avec son prédécesseur, Jo Cornu, qui n’a pas laissé que de bons souvenirs derrière lui. “Cornu était un pur financier, il n’était pas là pour gérer des hommes. Ni des syndicats. Sophie Dutordoir est beaucoup plus proche des gens, beaucoup plus accessible”, admet Marianne Lerouge, de la CSC-Transcom.

“Entre elle et Cornu, il y a un monde de différence. Elle est franche, honnête, humaine et n’a pas sa langue dans sa poche. Elle dit les choses comme elles sont et est très à l’écoute des demandes des voyageurs et des associations qui les représentent. Vu de l’extérieur, j’ai l’impression qu’elle a beaucoup de considération pour son personnel. Le climat social a l’air plus apaisé. Il n'y a plus de mépris par rapport aux cheminots comme c'était le cas avant”, ajoute Gianni Tabbone, président de Navetteurs.be. Vrai : en 2017, le personnel de la SNCB n’a interrompu le travail que pendant deux jours. C’est largement en dessous des 24 arrêts de travail comptabilisés en 2016, 15 en 2015 et 18 en 2014.

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En outre, fin 2018, HR Rail, l'employeur juridique des chemins de fer, a organisé les premières élections sociales, qui constituait une étape importante dans le processus de restauration de la confiance. L'entrée en vigueur du service minimum (terme préféré par les syndicats au "service garanti" du monde politique), décriée par les syndicats et redoutée par les navetteurs, s'est finalement bien passée.

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D’aveu de syndicaliste, Sophie Dutordoir n’est pas pour rien dans le retour de la paix sociale. “Le fait que le gouvernement démissionnaire a dû mettre de côté le dossier des pensions (qui concernaient entre autres les cheminots) n’est évidemment pas anodin. Mais Sophie a le sens du dialogue social, elle a clairement joué un rôle positif. Le climat social reste toutefois suspendu aux décisions qui seront prises quand les dossiers sensibles, comme le futur accord social ou la libéralisation, vont revenir sur la table”, indique Pierre Lejeune, président de la CGSP-Cheminots.

Lequel note qu’en jouant les directrices sympas, Sophie Dutordoir contourne les organisations syndicales. “Elle veut que tout le monde l’appelle Sophie, elle demande aux cheminots de la contacter directement. Résultat : ils lui écrivent tous les jours, elle va prendre des informations partout pour agir mais elle ne revient pas vers nous. En traitant chacun individuellement, elle contourne les syndicats. Ce n’est pas la bonne manière de faire aux chemins de fer. Et c’est pareil pour les restructurations ! En ce moment, la direction Transports est réorganisée et comme chaque fois, on doit vraiment insister pour être impliqués. Sophie a du caractère et c’est très bien parce qu’il en faut pour diriger les chemins de fer. C’est comme qui dirait une main de fer dans un gant de velours. Mais si elle n’a pas l’adhésion du personnel pour faire ses réformes, elle ne va jamais y arriver. Et pour cela, il faut qu’on travaille ensemble. Même les cadres sont perdus en ce moment à cause de ces successions de réformes. On a besoin de stabilité pour mettre les changements qu’elle veut en place”, défend-il.

Profiter du momentum climatique

Pour autant, les syndicats ne digèrent toujours pas le fait de devoir faire plus avec moins. "À la commission ponctualité (en janvier 2019, NdlR), on s'attendait qu'elle demande plus de moyens", note Marianne Lerouge. Au Parlement, la CEO de la SCNB - ni son homologue d'Infrabel - n'a en effet pas demandé "plus de sous", pour reprendre ses mots, à son actionnaire principal, l'État.

Une erreur, juge la présidente de la CSC-Transcom. "Il faut exiger des moyens du monde politique. Et elle ne l'a pas fait, en disant qu'elle pouvait très bien continuer à gérer l'entreprise avec une enveloppe budgétaire restreinte. Car ce manque, financier et humain, fait que tout se dégrade. C'est regrettable : le débat sur le climat grandit et elle n'a pas saisi cette occasion alors que le contexte était favorable."

"Ce qu'elle veut et doit faire, c'est que la SNCB soit vue comme une solution, pas comme un problème"

© Alexis Haulot

© Alexis Haulot

Changer l'entreprise pour attirer les voyageurs

Le changement de cap opéré par Sophie Dutordoir n’est pas anodin. Réformer la culture d’entreprise n’est pas nécessaire qu’en interne : ce qui se passe à la SNCB rayonne dans la société. “Le défi consiste à créer une nouvelle culture de l’entreprise dans l’intérêt de l’entreprise elle-même, mais aussi dans celui de la collectivité. Le transport ferroviaire occupe une place centrale dans la mobilité, laquelle exerce une influence considérable sur l’ensemble de la population. Parce qu’il ne représente que 8 % dans les déplacements entre le domicile et le lieu de travail, le rail ne peut pas garantir une mobilité durable”, avançait ainsi la capitaine Dutordoir, au Parlement en 2017.

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Et à l’heure où le nombre de voyageurs ne cesse d’augmenter, où le débat sur le climat – et in extenso, sur le rôle des transports en commun – occupe l’espace public, le comportement de la SNCB déterminera celui de ses navetteurs. Sophie Dutodoir semble l'avoir compris. "En fait, c'est simple. Ce qu'elle veut faire, ce qu'elle doit faire, c'est que la SNCB soit vue comme une solution et non plus comme un problème", résume une source officielle.

2023, la date butoir

Sophie Dutordoir voit la date de la libéralisation du rail arriver. Un poids que n'avaient pas ses prédécesseurs. © Jean-Luc Flémal

Sophie Dutordoir voit la date de la libéralisation du rail arriver. Un poids que n'avaient pas ses prédécesseurs. © Jean-Luc Flémal

"Ce qui se joue aujourd'hui, c'est la survie du personnel"

La situation du microcosme des chemins de fer est à replacer dans un contexte plus large : celui de la libéralisation du rail. D'ici 2023, les décideurs politiques devront trancher entre deux scénario : l'ouverture totale du marché à la concurrence ou l'attribution directe à l'opérateur historique pour une période de dix ans (jusqu'en 2033).

En effet, l'Europe a prévu que les États puissent choisir cette deuxième option, assortie de conditions. À ce stade, c'est la solution privilégiée par François Bellot (MR), ministre de tutelle de la SNCB. Au prochain gouvernement de décider s'il suivra cette ligne ou pas.

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D'ici là, Sophie Dutordoir prêche - logiquement - pour sa chapelle et souhaite que la mission de service public soit attribuée à la SNCB. Elle a déjà appelé le pouvoir politique à se positionner rapidement sur la question. "La SNCB devra prouver qu'elle est la société la plus performante selon certains critères. On ne les connaît pas exactement. Ce qui revient souvent, c'est la ponctualité, l'accessibilité aux personnes à mobilité réduite, l'absentéisme dans l'entreprise, l'équilibre financier, la dette et la diminution de la dette", avance Marianne Lerouge, de la CSC-Transcom.

Voilà le défi devant lequel se trouve la CEO : pour obtenir ce contrat sur dix ans, il faut absolument que l'entreprise s'améliore. Et vite. "C'est un besoin vital : si elle ne répond pas à ces critères, elle n'obtiendra pas le marché. Ce qui se joue aujourd'hui, c'est la survie de la boîte et son personnel. Sophie Dutordoir en est consciente, même si elle adopte une stratégie qu'on ne partage pas. Pour le moment, elle restructure à tour de bras pour être prête pour la libéralisation. De notre côté, on a l'impression qu'on recommence encore et encore les mêmes choses. On sépare les directions, puis on les fusionne, puis on les re-sépare et on les re-fusionne. Or, jusqu'ici, la restructuration permanente n'a pas mené à une performance particulière. Et honnêtement, les agents n'y comprennent plus rien et n'en peuvent plus", décortique-t-elle.

Les travaux de Luc et les trains de Sophie

À gauche, Sophie Dutordoir, CEO de la SNCB. À droite, Luc Lallemand, CEO d'Infrabel, le gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire. © Filip De Smet / BELGA

À gauche, Sophie Dutordoir, CEO de la SNCB. À droite, Luc Lallemand, CEO d'Infrabel, le gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire. © Filip De Smet / BELGA

Janvier 2019, au Parlement toujours. Cette fois, Sophie Dutordoir est aux côtés de Luc Lallemand, CEO d'Infrabel, et de leurs collaborateurs respectifs. Au programme : la ponctualité des trains. La présidente de la commission Infrastructure, Karine Lalieux (PS), salue la présentation commune des deux entreprises, signe que le dialogue entre elles va dans la bonne direction. Tour à tour, chacun présente les résultats de ponctualité, qui n'atteignent ni les attentes des voyageurs ni les exigences du gouvernement fédéral, et les actions pour l'améliorer sur le court et le long terme.

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On the record, personne n'en disconvient : Infrabel et SNCB doivent travailler main dans la main et éviter de se renvoyer la responsabilité des retards. Les statistiques officielles mettent d'ailleurs celle-ci en avant. En 2018, 41,5 % des retards étaient imputables à des tiers (personnes sur les voies, heurts, météo, etc.), 30,7 % à la SNCB et 23,6 % à Infrabel.

Face à ces chiffres, les associations de navetteurs répondent que les deux entreprises ont bon dos de toujours mettre en avant les causes tiers. En 2017, Sophie Dutordoir avait quant à elle parfaitement résumé la pensée du navetteur : "Le client n’en a rien à foutre de savoir qui est responsable, il veut que son train fonctionne". Voilà qui était dit.

Off the record, on avance que ces mots n'ont pas été suivis d'actes. "Les tensions entre les deux entreprises sont maximales. La SNCB insiste systématiquement quand un train est retardé ou supprimé à cause d'Infrabel. Ça se remarque jusque dans la communication vers les voyageurs", commente une source officielle.

Un exemple pas si anodin que ça : le 26 novembre 2018, un communiqué de presse de la SNCB portant sur l'adaptation des horaires du plan de transport (à partir du 9 décembre) est envoyé aux rédactions. La SNCB y "déplore" avec insistance les "nombreux travaux menés par Infrabel contraignant la SNCB à devoir, sur plusieurs tronçons, supprimer certains parcours". Le communiqué est pour le moins paradoxal : la SNCB n'ignore pas l'importance de ces travaux, dont certains sont dédiés à la relance du - ô combien attendu - RER.

Le matin de l'audition des CEO d'Infrabel et de la SNCB, les syndicats pointaient du doigt, en commission, le manque de collaboration et de communication entre Infrabel et la SNCB. © Thierry Roge / BELGA

Le matin de l'audition des CEO d'Infrabel et de la SNCB, les syndicats pointaient du doigt, en commission, le manque de collaboration et de communication entre Infrabel et la SNCB. © Thierry Roge / BELGA

Au Parlement, il se dit que la gestion des travaux laisse à désirer. La mauvaise planification des sillons pendant les travaux est critiquée et questionnée. "Une infrastructure sans trains, ça n'a pas de sens. Et des trains sans infrastructure, ça n'est pas possible", avance Ann Billiau, directrice du Trafic management d'Infrabel.

Devant les parlementaires, un triangle est représenté, sur un Powerpoint. Il montre l'équilibre à trouver entre trois variables pour ne pas trop impacter les voyageurs : le service des trains, la ponctualité et les travaux. "Quand on fait des travaux, il est impossible de rouler comme s’il n’y avait pas de travaux. Il faut couper au moins une, sinon les deux voies. Cela a un impact sur l’offre de la SNCB pour ses voyageurs. Il faut trouver le bon équilibre: quand on accorde trop d’importance à l’un, les deux autres sont impactés. On travaille avec la SNCB pour trouver ce juste équilibre. Mais nous voulons modifier la façon dont nous planifions les travaux. Il faut d’abord déterminer la capacité qui reste à disposition, puis convenir avec l’opérateur de l’offre qui reste en place, pour être certain qu’elle sera respectée. Ça ne sert à rien de faire des promesses qu’on ne peut pas tenir ", rappelle-t-elle.

Absente à la relance des travaux du RER fin février 2019, Sophie Dutordoir a critiqué la suppression de trains générés par les travaux pour ce même RER dans une vidéo diffusée à l'inauguration. © Juan Godbille / BELGA

Absente à la relance des travaux du RER fin février 2019, Sophie Dutordoir a critiqué la suppression de trains générés par les travaux pour ce même RER dans une vidéo diffusée à l'inauguration. © Juan Godbille / BELGA

D'après plusieurs sources, l'attitude de la SNCB à l'égard de sa société sœur a commencé à changer après l'arrivée de Sophie Dutordoir. "En interne, l'ambiance entre les équipes est bonne. Mais ce n'est pas l'impression qui transparaît en externe. Je ne sais pas pourquoi la SNCB tape toujours sur ce clou : si la ponctualité est mauvaise, ce n'est pas nous, c'est eux. Chez Infrabel, on ne fait pas les malins avec ça. On sait bien que la ponctualité est mauvaise. Pas besoin d'en rajouter une couche...", avance-t-on chez le gestionnaire de l'infrastructure.

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En commission Infrastructures, une phrase n'a d'ailleurs pas échappé aux observateurs présents dans l'assemblée. Toujours dans le débat sur la planification des travaux, Sophie Dutordoir se tourne vers son homologue d'Infrabel et lâche "les travaux de Luc". "Voilà où on en est aujourd'hui : si les trains de Sophie ne sont pas à l'heure, c'est la faute aux travaux de Luc. C'est tellement dommage de communiquer de la sorte. Tout le monde aurait plus intérêt à travailler ensemble", regrette également un membre haut placé dans la hiérarchie.

D'après Infrabel, les travaux sont planifiés, le plus possible, la nuit ou durant les week-ends. © Jean-Luc Flémal

D'après Infrabel, les travaux sont planifiés, le plus possible, la nuit ou durant les week-ends. © Jean-Luc Flémal

Chez Infrabel, certains ont mal digéré le manque de réaction de la direction du gestionnaire de l'infrastructure, qui se laisserait un peu trop facilement marcher sur les pieds. Les critiques se sont toutefois fait une raison : jeter de l'huile sur le feu ne servirait à rien, si ce n'est à ternir l'image des entreprises auprès des navetteurs. "Il faut être miséricordieux quand on porte des responsabilités sociales, intellectuelles et sociétales. La CEO veut être la première de classe et parfois, son ego lui joue des tours. Un jour, elle comprendra que pointer l'autre du doigt est contre-productif, juge un cadre des chemins de fer. Elle doit répondre, contrairement à Infrabel, à la logique B to C, business to consumer. Les clients d'Infrabel sont les opérateurs ferroviaires, ceux de la SNCB sont les usagers. C'est une différence majeure qui n'excuse pas le comportement parfois hostile de la SNCB mais qui peut en tout cas l'expliquer."

"Une entente de façade"

L'épisode susmentionné n'est pas non plus passé inaperçu auprès des associations de navetteurs. "La SNCB a attendu la dernière minute pour annoncer des suppressions de trains. Résultat : les voyageurs ont été pris au dépourvu. Or, la SNCB savait depuis longtemps que ces travaux allaient avoir lieu et aurait pu communiquer plus en amont. Et si on prend un peu de distance, il est clair qu'Infrabel a choisi la moins mauvaise solution pour les navetteurs. Ils ont calculé leurs plages horaires pour impacter la ponctualité le moins possible. Pour moi, la bonne entente qu'on annonce entre la SNCB et Infrabel est une entente de façade. Depuis leur séparation en deux entités, ça n'a jamais vraiment existé. Et les tensions sont plus visibles aujourd'hui", observe Gianni Tabbone, président de l'association Navetteurs.be.

Selon Marianne Lerouge de la CSC-Transcom, le regain de tensions peut aussi s'expliquer par le contexte de libéralisation du rail. "La SNCB évolue dans ce cadre-là mais pas Infrabel, qui ne sera pas libéralisée et n'est donc pas menacée par cette deadline de 2023. Ça peut expliquer le fait que la SNCB montre les dents. Et plus cette date approche, plus leurs relations vont se tendre", note-t-elle.