Silence on double

Dans les coulisses d'un studio de doublage de film

Vous les entendez partout, dans tous vos films et vos séries préférés. Pourtant, vous ne soupçonnez jamais leur existence. Leur rôle se fait dans l’ombre. Celle d’un studio de doublage. Bienvenue dans l’univers des voix françaises des comédiens internationaux.


L’endroit est cosy, l'atmosphère feutrée. Seule une petite lumière de bureau et le grand écran éclairent le studio qui ressemble à une cave aménagée en salle de cinéma. L’ambiance est studieuse mais décontractée, en contraste total avec la scène qui se déroule en même temps sur l’écran : une enquête trépidante au cœur de Jérusalem. Comme sur un tournage, le directeur artistique demande le silence. Mais ici pas de caméra, seulement un micro. Dans le confort de ce studio bruxellois, la voix française se glisse en une phrase dans la peau d’un agent du Mossad sous pression, sa voix épousant la bouche de l’acteur. Le spectateur, lui, n’y verra que du feu. C’est la magie du doublage.

Rec'n'roll

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Dans ce quartier résidentiel de Schaerbeek, personne ne soupçonnerait que derrière cette façade banale de maison se cache un studio de doublage.

Pourtant, chez Rec n’ roll, des centaines de films et séries provenant du monde entier sont doublés en version française chaque année. Ce jour-là, c’est la série américano-israélienne Our Boys qui est au centre de l’attention. Ce nouveau projet de la chaîne américaine HBO (qui a produit Game of Thrones) et Channel 12, racheté en France par Canal+, fait déjà polémique avant même sa sortie. Et pour cause, la série revient sur des événements de 2014, lorsqu’un jeune palestinien est kidnappé à Jérusalem peu de temps après le meurtre de trois soldats israéliens.

Un retour dans une affaire controversée qui n’est pas du goût de tous puisque le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a tenté de faire arrêter la série qu’il estime “antipatriotique”. En vain, pour le plus grand plaisir des téléspectateurs.

Le choix des voix

Pour la scène traitée, il n’y a que trois personnes dans le studio: le comédien, un ingénieur du son qui gère l’aspect technique et Daniel Nicodème, le directeur artistique sur ce projet. Son rôle est de diriger le comédien pour que son intonation colle parfaitement à celle de l’acteur. Il donne des indications sur le contexte de la scène ou la personnalité du personnage pour que la voix française soit la plus ressemblante possible à l’originale. Le comédien refait la scène autant de fois que nécessaire jusqu’à satisfaction du directeur artistique. C’est lui également qui est chargé de sélectionner les doublures.

Pour chaque film ou série, les voix françaises sont choisies par casting. Pour se faire, la chaîne ou la production isolent trois ou quatre rôles importants dans des scènes clés. Si c’est le directeur artistique qui propose les voix, c’est bien la chaîne ou la production qui a le dernier mot.

“Certaines chaînes comme TF1 commencent à bien connaître les comédiens belges. Ils ont leurs fichiers donc c’est eux qui choisissent les acteurs ou alors demandent une proposition de voix plutôt qu’un casting. Alors là on leur envoie des maquettes”, précise Daniel.

Des détails insoupçonnables par le spectateur

La séance de doublage se poursuit dans la pénombre du studio. Viens alors un dialogue entre deux agents du Mossad. Les deux comédiens-doubleurs ne se renvoient jamais la réplique. Le premier double toutes ses apparitions d’une traite, sans avoir aucun interlocuteur. C’est ensuite au tour de l’autre. Les deux voix seront juxtaposées au montage. Pour ce qui est des bruits, ils ne sont pas tous doublés. Il y a ce qu’on appelle dans le métier une “bande inter” sur laquelle sont placées les musiques, les bruitages, parfois des ambiances, des réactions ou des soupirs. La série Our Boys est un peu particulière car seules les parties en hébreux sont traduites. Les parties en arabe sont laissées en version originales sous-titrées, dans une volonté des producteurs de mettre le spectateur à la place des Israéliens et lui faire comprendre que les Palestiniens sont des étrangers.

Ce serait absurde de doubler les chants hébreux ou religieux palestiniens. C’est une série plus documentaire qui se base sur des faits historiques donc on respecte le travail original”. L’ingénieur du son peut décider de faire doubler certains bruits pour que le raccord soit meilleur. Mais tout ça dépend également du budget et du temps alloués par les producteurs. “Pour des films Disney par exemple, les parties chantées vont être doublées par le comédien s’il est apte à le faire, sinon elles seront doublées par un chanteur ou une chanteuse, dirigé(e)s par un directeur artistique.

Pour les rôles courts qui n'apparaissent que très peu à l’écran, des “sessions d’ambiance” sont organisées lors desquelles cinq ou six comédiens sont convoqués pour doubler les petites apparitions, les ambiances de foules, les bruitages de gens qui parlent dans un restaurant, etc.

Les interventions de chaque comédien sont espacées pour que les spectateurs ne puissent pas reconnaître leurs voix.

La traduction, tâche délicate mais primordiale

C’est l’étape cruciale du doublage, qui se fait avant même l’entrée en studio. L’adaptation doit essayer de respecter ce qui se dit d’une part mais aussi le rythme d’autre part. Il faut détecter ce qui se voit au parler : les labiales, les grandes ouvertures, les débuts et fin de phrases. L’adaptation se doit donc de respecter le sens, mais aussi le flux de paroles, le niveau de langage du personnage et toutes les données techniques pour que ce soit synchrone. Tout ça est fait en amont. Lorsque le comédien arrive en studio, il découvre le texte.

“Il y a une vingtaine d’années, on donnait le texte aux comédiens avant, mais ils perdaient en spontanéité et interprétaient à leur manière à force de le répéter, puisque c’est avant tout des comédiens eux même. Alors que ce qui est essentiel dans le doublage c’est de se caler sur ce qu’on voit et de rentrer dans une imitation de l’acteur qui est à l’écran.” nous confie Daniel Nicodème.

La base du métier: écouter et reproduire

Daniel Nicodème est lui-même comédien de formation mais sa longue carrière dans le doublage l’a amené à la direction artistique. Il n’est pourtant pas nécessaire d’être comédien pour devenir doubleur, même si c’est la plupart du temps le cas. “Je peux donner l’exemple de Patrick Béthune qui est décédé il n’y a pas longtemps. C’était un doubleur français, la voix de Robert Redford, Russell Crowe et de Jack Bauer. Il n’était pas du tout comédien, il était antiquaire. Un jour quelqu’un lui qu’il avait une belle voix et qu’il devrait faire du doublage et c’est comme ça qu’il a commencé. Certains sont chanteurs, musiciens, ingénieurs du son, parce qu’ils ont une bonne oreille et une bonne écoute. C’est la base du métier, écouter et reproduire. Ce n’est pas un métier de micro, mais de comédie”.

Il n’y a pas de vraie formation pour devenir doubleur, certaines écoles organisent des stages ou certaines personnes du métier donnent des ateliers de formation pour les comédiens, mais c’est à leurs frais. Tout le monde n’attrape pas le “truc” du doublage. Danièle Nicodème, lui, organise des stages ou des cours à l’IAD ou au conservatoire de Mons.

La concurrence belge

Beaucoup de projets internationaux sont doublés en Belgique. Tout simplement parce que les comédiens belges sont moins chers que leurs voisins français mais également parce qu’ils sont réputés pour faire du travail de qualité.
“Il y a d’autres endroits où l’on fait du doublage français : à Barcelone, en Afrique du Nord… mais ce qui fait la force de la Belgique, c’est qu’on fait du travail de qualité pour moins cher”, avoue le directeur artistique.

L’occasion pour lui d’aborder un autre problème qui touche le marché du doublage belge : l’arrivée des plateformes de SVOD. La concurrence entre les services amène les doubleurs à travailler toujours plus vite et souvent à moindre coût. “C’est ce qui est arrivé avec les débuts de Netflix. Ils se foutaient complètement de la qualité du doublage et les faisaient faire en Afrique avec des accents pas possibles. Certains ont même été moqués. Ils sont revenus sur leur décision mais ça a mis du temps.”

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Netflix ou Amazon Prime Vidéo ont également compliqué les choses d’une autre manière. La crainte des fuites a donné naissance à une paranoïa qui oblige les studios à s’équiper en termes de sécurité, ce qui coûte extrêmement cher et n’est pas supportable pour les plus petites infrastructures en Belgique. Certains distributeurs sont particulièrement inquiets des transmissions par internet et demandent donc au studio du matériel de sécurité très coûteux qui doivent être renouvelés régulièrement à mesure que les techniques évoluent. Certains studios n’ont par exemple pas décroché des contrats avec Sony faute de pouvoir assurer la sécurité des données. Mais malgré tout, pour Daniel Nicodème, le doublage belge a encore de beaux jours devant lui.

Le cas des enfants

Dans les années soixante ou septante, les voix d’enfants étaient doublées par des femmes. Aujourd’hui ce sont des jeunes comédiens en herbe qui doublent les enfants à l’écran. Selon leur âge, le directeur artistique doit travailler différemment. “Le cas le plus compliqué est les enfants de sept ou huit ans car ils commencent à savoir lire les sous titres et donc ont tendance à jouer plus faux”.

Souvent avec les enfants il faut travailler phrase par phrase, leur donner l'intonation. Ils répètent alors par cœur. Quand ils débutent, le directeur artistique leur donne une tape sur l’épaule au moment où ils doivent commencer à parler. “Certains attrapent vite le truc, et font presque ça mieux que les adultes car ils sont plus spontanés”.