SE TRANSFORMER POUR SURVIVRE

Le défi de l'industrie wallonne

La sidérurgie liégeoise et carolo, Caterpillar Gosselies, Royal Boch, Durobor, les Cristalleries du Val-Saint-Lambert, les Forges de Clabecq et tant d'autres : quand on évoque l'industrie wallonne ces dernières années, c'est le plus souvent à l'occasion de drames, qu'il s'agisse de fermetures d'usines ou de lourdes restructurations.

En Wallonie, mais aussi dans le monde occidental, les facteurs parfois combinés de la mondialisation, d'une conjoncture économique morose, de contraintes environnementales toujours plus strictes, d'une incapacité à se renouveler et d'une gestion dictée par de pures considérations financières ont conduit l'industrie au bord du précipice.

Est-elle d'ailleurs considérée comme morte ? En tout cas, le mot "industrie" est totalement absent du texte rendu public le 26 juin dernier et qui reprend les grands axes de la déclaration de politique gouvernementale du possible futur gouvernement wallon PS et Écolo.

Dans ce contexte de désindustrialisation, comment l'industrie manufacturière wallonne peut-elle rester rentable et compétitive, en un mot : survivre ? En se transformant.

Sept entreprises, de secteurs d'activité aussi différents que le verre, la chimie, les pièces automobiles, le recyclage des déchets, la fabrication de machines ou de robots pour l'industrie, nous ont ouvert leurs portes. Elles ont toutes fait le choix gagnant de l'innovation, qu'elle soit technologique, de gestion, à visée environnementale ou qu'elle concerne la relocalisation d'activités. Il y aura aussi le récit d'un échec, une histoire aussi singulière qu’emblématique.

Ces défis de transformations n'ont pas été faciles à relever mais ces entreprises prouvent qu'avec de la volonté et de l'audace, l'industrie a un avenir en Wallonie.

Reporters

La relocalisation

BEA : Aller simple Chine-Seraing

Dans un monde globalisé où tout s’accélère, même le leader européen de son secteur doit poursuivre ses efforts pour ne pas se faire rattraper par la concurrence. Une société liégeoise l’a bien compris et a décidé de rapatrier une activité d’assemblage qu’elle sous-traitait en Chine. Un gros défi à relever sur le plan financier et industriel mais qui s’est avéré payant.

"Vous allez n'importe où dans le monde, vous trouverez nos produits." Pierre-Yves Guidi, le directeur opérationnel de BEA, a raison et il peut être fier de la réussite de son entreprise, dont les détecteurs laser, radar ou micro-ondes équipent transports publics, supermarchés, gares, aéroports, stations de métro, musées, bâtiments industriels, parkings, péages autoroutiers sur les cinq continents. La société liégeoise fabrique 8 millions de composants électroniques par mois et de 1 à 1,5 million de détecteurs par an. Petite frustration, peut-être : le logo de BEA n'apparaît jamais sur les détecteurs qu’ils conçoivent.

Si le succès est au rendez-vous, c'est avant tout grâce à Fernand Van Genechten, le fondateur visionnaire de BEA. Il y a plusieurs décennies, ce Liégeois a cru en la technologie du micro-ondes pour ouvrir et fermer automatiquement les portes. On l'utilise encore de nos jours et BEA s'en est fait une spécialité.

Avoir toujours un coup d’avance

Un coup d'avance sur la concurrence qu'il a fallu maintenir et cultiver, comme il y a une dizaine d'années quand BEA a anticipé une norme européenne de sécurisation des machines et adapté ses produits en conséquence. "Nous devons toujours faire de la veille technologique afin de ne pas être court-circuités par un concurrent, pour rester à la pointe et être les plus innovants. Il y a des technologies nouvelles qui arrivent aujourd'hui très rapidement sur le marché et on doit être sûr de les maîtriser", explique Thierry Adam, marketing manager Europe de BEA.

Le monde évolue, l'entreprise suit le mouvement. Elle produit désormais des systèmes de comptage de personnes et de classification des véhicules. "Le marché du comptage de personnes est en plein boom depuis dix ans et on y utilise principalement des caméras. Elles ont des avantages mais aussi un inconvénient : elles sont dépendantes de la luminosité. La technologie laser que nous utilisons est indépendante de son environnement (météo, jour/nuit). On est parti de cet avantage pour adresser un nouveau marché", indique Thierry Adam. En 2019, le big data et les objets connectés sont au cœur de toutes les attentions et l'un des axes d'innovation de l'entreprise.

En rapatriant une activité d'assemblage, BEA y gagne en service aux clients, temps de livraison et flexibilité.

En rapatriant une activité d'assemblage, BEA y gagne en service aux clients, temps de livraison et flexibilité.

Relocaliser mais en automatisant

Pour rester au top, BEA investit logiquement, un maximum et depuis toujours, dans la recherche et développement. Une cinquantaine de personnes travaillent au département R/D. Leur recrutement se fait par une habile politique d'accueil de stagiaires venant des écoles d'ingénieurs de la région. Ces cerveaux font "la force de l'entreprise" mais une entreprise industrielle, c'est aussi des bras. Ces bras, comme tant d'autres sociétés, BEA est allée en partie les chercher à l'étranger. Elle achetait toutes ses cartes électroniques à un fabricant chinois "de qualité". Il y a cinq ans, le management a envisagé la possibilité de rapatrier à Liège l'assemblage des composants de circuits imprimés, en automatisant la tâche. "Pendant trois ans, on a eu une réflexion en profondeur car on parlait d'un gros investissement et qu'on ne maîtrisait pas le processus de fabrication", se souvient Thierry Adam. "On a aussi discuté des avantages et des inconvénients de le faire", ajoute Pierre-Yves Guidi.

Ce qui a fait pencher la balance en faveur du "oui" ? "On est dans un monde où la rapidité de service, la customisation deviennent de plus en plus importantes", soulignent le directeur et le manager. "Si votre logistique est complètement à l'autre bout du monde, surtout pour une société de notre taille, c'est difficile à gérer. Et entre le moment où l'on envoyait nos données en Chine, qu'ils fabriquaient les prototypes et qu'on les récupérait, il s'écoulait de quatre à six mois. Un autre atout, c'est la flexibilité dans la customisation. Si vous voulez mettre des leds de couleurs différentes sur vos produits, vous allez devoir vous adresser à des fournisseurs différents et cela complique la gestion des stocks. Alors que si vous avez la main sur le processus de fabrication, vous customisez au dernier moment, en fonction de la demande. Et puis, il y a la flexibilité vis-à-vis de nos clients. Les commandes peuvent changer. On a un délai de livraison d'une semaine donc on doit être capable de réagir en fonction des quantités et des modèles. Si les cartes viennent de Chine, logistiquement parlant, c'est complexe."

“On n’a jamais autant investi”

Une fois l'actionnaire (facilement) convaincu de relocaliser cette production, une ancienne imprimerie a été louée à Seraing pour accueillir les nouvelles machines high-tech, arrivées fin 2017. Elles placent les composants sur la carte, les collent puis les soudent avec précision et contrôlent la qualité du travail en fin de parcours. Un appel à candidatures a été lancé en interne pour trouver la dizaine d'ouvriers et de techniciens spécialistes désireux de travailler sur la ligne, moyennant une formation.

Une dizaine de travailleurs de BEA se sont portés volontaires pour travailler sur la nouvelle ligne de production . Ils ont été remplacés à leurs précédents postes par autant de nouvelles personnes.

Une dizaine de travailleurs de BEA se sont portés volontaires pour travailler sur la nouvelle ligne de production . Ils ont été remplacés à leurs précédents postes par autant de nouvelles personnes.

Les volontaires n'ont pas manqué et le même nombre de personnes a été engagé pour pourvoir à leurs postes laissés vacants. Thierry Adam et Pierre-Yves Guidi ne nous donneront pas le montant de l'investissement consenti par BEA sur fonds propres pour financer la ligne mais ils le qualifient d'"exceptionnel, on n'a jamais autant investi".

L'entreprise ne communique pas le montant qu'elle a investi pour acheter les nouvelles machines mais indique que c'est l'investissement le plus important qu'elle a jamais consenti. - Sur la photo, on peut voir une sorte d'imprimante qui vient déposer les composants électroniques sur les circuits imprimés.

L'entreprise ne communique pas le montant qu'elle a investi pour acheter les nouvelles machines mais indique que c'est l'investissement le plus important qu'elle a jamais consenti. - Sur la photo, on peut voir une sorte d'imprimante qui vient déposer les composants électroniques sur les circuits imprimés.

Le grand saut de la relocalisation s'est opéré en janvier 2018 et il est couronné de succès. "Le gain financier est difficile à estimer car le bénéfice touche plutôt au service, à la connaissance, au temps de livraison et de mise sur le marché d'un produit, à l'optimisation des cartes. Ce sont des aspects de plus en plus critiques. Quand on développe un produit de A à Z, on essaie de réduire le temps entre le prototype, la première série et la production de masse. Et on a clairement gagné du temps", estime Pierre-Yves Guidi. "Cette relocalisation, on l'a découvert, nous permet de mieux gérer nos stocks de composants, d'optimiser les designs de cartes, de tester nos prototypes sur la ligne et donc de les valider plus rapidement", mentionne Thierry Adam.

BEA sous-traite toujours certaines activités de manufacture en Chine. Pourrait-elle un jour les rapatrier en Belgique ? "Pour l'instant, nous n'avons pas le besoin d'investir dans de nouvelles lignes de création de cartes. Mais, dans cinq ans ou dix ans, si on évolue comme on l'espère, peut-être", répond le marketing manager.

JTEKT Torsen : La nécessaire relocalisation

JTEKT Torsen est une entreprise qui travaille pour un secteur "capricieux", celui de l’automobile haut de gamme. Après avoir traversé une crise qui a fait chuter son chiffre d’affaires, l’entreprise a décidé de se réinventer et de relocaliser son activité en Belgique, afin de rester à la pointe et survivre.

L’entreprise JTEKT Torsen s’est spécialisée dans la production de pièces automobiles particulières : les différentiels. Ces pièces permettent de distribuer une vitesse de rotation différente sur les roues selon le terrain et l’angle de trajectoire. Par exemple, dans un virage serré à droite, les roues de gauche devront parcourir plus de distance que celles en intérieur de virage. Elles tourneront donc plus vite. Le rôle des différentiels permet alors d’adapter la vitesse de rotation et de garantir fiabilité et stabilité aux voitures.

L'entreprise est spécialisée dans les différentiels mais réalise aussi des pièces et engrenages de précision.

L'entreprise est spécialisée dans les différentiels mais réalise aussi des pièces et engrenages de précision.

Pourquoi relocaliser ?

Pour Nicolas Poulet, product development manager, "la relocalisation, c'était pour stabiliser l'emploi car on a eu une baisse du chiffre d'affaires ces dernières années. Pour compenser, on devait éviter d’acheter certains composants à l’étranger. On a donc réinternalisé l’usinage des pièces. C’est ce qui nous a permis de rester sur le site de Strépy-Bracquegnies, de ramener de la valeur ajoutée et de conserver tout notre staff". Il ajoute que ce processus s’est fait aussi parce qu’à l’époque, l’entreprise ne parvenait pas à honorer toutes ses commandes à temps. Gérer la production en Wallonie permet donc d’être plus flexible face à la demande du marché. Une demande exigeante d’ailleurs, car JTEKT Torsen fournit principalement des pièces pour le haut de gamme, comme pour Audi, son principal client. Mais l’entreprise fournit aussi des pièces pour Renault, Toyota, Fiat, Subaru…

Les lignes de production sont plus flexibles que par le passé et permettent de créer des pièces différentes sans changer de machines. Sur la photo, le nettoyage d'une pièce en fin de ligne.

Les lignes de production sont plus flexibles que par le passé et permettent de créer des pièces différentes sans changer de machines. Sur la photo, le nettoyage d'une pièce en fin de ligne.

Un marché de niche

Si JTEKT Torsen a dû se réinventer pour survivre, elle profite aussi de sa spécialisation poussée, puisque ses clients représentent une niche. "On a peu de concurrence, et c’est la chance qu’on a. Mais on continue en permanence à développer nos produits. On a dû revoir nos modes de conception, de fabrication. Le marché ne fait que bouger", dit Nicolas Poulet. "C’est important de garder nos chiffres dans le vert par rapport à notre maison-mère, le groupe japonais JTEKT. On a réussi à se relever après la baisse des commandes et donc pérenniser le site en Belgique. La cerise sur le gâteau, c'est que le groupe japonais nous fait confiance et qu'on peut fabriquer des composants pour lui, à destination du Japon. C'est une belle reconnaissance."

Un différentiel en vue ouverte, exposé dans les bureaux de JTEKT Torsen.

Un différentiel en vue ouverte, exposé dans les bureaux de JTEKT Torsen.

Si les avantages de la relocalisation sont difficilement chiffrables, les responsables de l’entreprise expliquent que la gestion de la production, des stocks, du procédé de fabrication est plus simple et plus efficace depuis la relocalisation. Le développement et l’adaptation de l’activité sont plus aisés aussi, sans oublier que l’emploi a pu être maintenu aux alentours de 190 personnes, qui sont, pour beaucoup, en formation permanente afin de développer leurs compétences.

Le défi de la voiture électrique

La voiture électrique semble être l’avenir de l’automobile. Les constructeurs le prennent en compte et JTEKT Torsen se doit de le faire. Pourtant, la voiture électrique représente de prime abord une sorte de menace pour l’entreprise. Pourquoi ? Simplement parce que, sur une voiture électrique, chaque roue dépend d’un moteur indépendant. Ce qui n’est pas le cas sur les voitures thermiques classiques. Plus besoin de différentiels, a priori. Mais les responsables de JTEKT Torsen affirment que sur le haut de gamme, aussi bien pour des raisons de sécurité que de confort, leurs produits ont un intérêt. Le défi pour l’entreprise est donc de s’adapter à l’évolution du secteur et à la demande, tout en promouvant sa technologie.

En deux mots : anticiper et innover. Un passage obligé pour conserver l’activité économique sur le sol wallon.

L'économie circulaire

Comet Traitements : Le rêve de l’alchimiste

Il ne faut pas se mentir : recycler à 100% tout ce qui est produit et réutiliser tous les déchets est impossible, même si les chercheurs essaient de s’approcher au plus près de ce graal.

L’un des soucis majeurs aujourd’hui reste la gestion des flux de déchets, car tout ce qui est recyclable ne finit pas par être recyclé. C’est là qu’entre en jeu une entreprise comme Comet Traitements. Son taux de valorisation des déchets peut atteindre plus de 97%, rien que ça.

Le recyclage peut sembler paradoxal. Pour l’inciter, il faut que les déchets soient suffisamment nombreux pour que des industriels y voient un intérêt. Pour qu’ils puissent devenir une sorte de nouvelle "matière première", bon marché et suffisamment abondante. Dans le même temps, on essaie de limiter les déchets au maximum. Heureusement d’ailleurs…

Ce sont donc des déchets valorisables qu’il faut "trouver". Autrement dit, des déchets rentables, car si créer avec du "neuf" devait rester moins cher pour les fabricants et les industriels, alors la filière du recyclage ne sera pas assez intéressante et ne pourra subsister. La gestion et la transformation des déchets sont donc un point crucial pour le futur de l’industrie en Wallonie.
L’objectif de Comet Traitements, une filiale du groupe Comet actif dans le négoce de métaux et dérivés, est de rentabiliser au maximum les déchets. Sa spécialité est le recyclage de voitures, d’électroménager, de pneus, de résidus de broyages, etc.

Si l’on ne prend que l’exemple des voitures, réussir à les recycler reste un exploit. Métaux, plastiques chargés (mélangés à d’autres matières) ou non, bois, verre, huiles… Les matières sont nombreuses et souvent mélangées entre elles. Un véritable casse-tête technologique.

Limiter les "déchets ultimes"

Comme la spécialité de Comet touche surtout au métal, c’est après le broyage des véhicules que l’entreprise met son savoir-faire en œuvre pour réutiliser ce qui est récupérable et ainsi réduire au maximum le recours aux centres techniques d’enfouissement, où les déchets ultimes finissent par être entassés.

Parmi les pistes communément admises pour limiter les déchets, on trouve l’éco-conception. Mise en avant par plusieurs industriels depuis des années, elle consiste à penser les objets en prenant en compte  leur fin de vie, leur recyclage. Mais le concept semble montrer certaines limites, selon Pierre-François Bareel, le CEO de Comet Traitements.

"Tout n’est pas à jeter dans l’éco-conception, mais il faut forcer l'économie circulaire à s’axer sur la demande de matières, à ce que la fabrication de nouveaux équipements se fasse en intégrant des matériaux recyclés dès le début.", ajoute-t-il. Il ne faut pas seulement penser à leur recyclage…

Pierre-François Bareel, le CEO de Comet Traitements, vise un taux de valorisation des déchets le plus haut possible.

Pierre-François Bareel, le CEO de Comet Traitements, vise un taux de valorisation des déchets le plus haut possible.

"Tant qu'on n'aura pas compris ça, on ne fera pas d'économie circulaire. Si l'Europe fabrique des frigos éco-conçus mais qu'on en achète de l'étranger qui ne le sont pas, ça n’ira pas. On ne peut pas avoir une ligne de recyclage pour les frigos éco-conçus et une ligne pour les autres. Partir du principe que tout ce qui est actuellement envoyé à l’incinération sera recyclé, c’est une bonne chose, mais on va augmenter l'offre de déchets alors que la demande (pour les matières secondaires, NdlR) sera trop faible", note Pierre-François Bareel. Il faut donc agir sur la demande. Et cela passe par une volonté politique, en plus d’une conscientisation de la population, selon le CEO. En résumé, demander aux citoyens de faire le tri est une chose mais valoriser les déchets et les rendre "rentables" en est une autre.

Booster la valorisation 

L’objectif de Comet Traitements est d’avoir un taux de valorisation le plus élevé possible. Mais encore une fois, il faut nuancer : valoriser au maximum les déchets qui restent en Belgique, c’est bien, mais c’est insuffisant si la plupart des déchets finissent à l’étranger.

"On recycle environ 150.000 véhicules par an en Belgique, pourtant il y en a entre 500.000 et 550.000 qui sont immatriculés dans la même période", précise le CEO de Comet Traitements. "Une bonne partie des véhicules est tout bonnement envoyée à l’étranger, où ceux-ci finissent leur vie dans des conditions beaucoup moins contrôlées."

Pierre-François Bareel s’exprime aussi sur les limites du recyclage, car on ne peut pas recréer indéfiniment. Ce qui est recyclé est destiné à une autre filière d'activités que celle d’origine la plupart du temps. Par exemple, si on recycle une barquette de biscuits en plastique, on ne pourra pas réutiliser ce plastique récupéré pour refaire des barquettes, il faut trouver une autre utilisation. Il y a une fin dans cette boucle du recyclage.

Pour sa part, Comet Traitements récupère les métaux par électromagnétisme (aimants) pour les ferreux, par des procédés plus complexes pour les non-ferreux. Idem pour les plastiques. Plastiques chargés, plastiques bromés (anti-feu), souvent très critiqués pour leur nocivité potentielle,… la tâche n’est pas aisée.

Une fois tout cela effectué, l’entreprise arrive à traiter les résidus de broyages… pour en faire du carburant. C’est le projet "Phoenix". Grâce à un procédé complexe, l’entreprise produit un carburant qu'elle seule utilise mais qui lui permet de récupérer l’énergie emmagasinée dans ces résidus de matériaux. Un pas de plus vers l’économie circulaire.

Au final, Comet Traitements arrive à un taux de valorisation élevé des déchets. Et c’est en se montrant parmi les meilleurs élèves européens que l’entreprise compte promouvoir l’industrie wallonne et réduire son impact sur l’environnement.

Prayon : Quand la chimie doit se verdir

Quand on est un gros acteur de l’industrie chimique en Wallonie et qu’on n’a pas la volonté de délocaliser ses activités sous des cieux plus cléments en matière de normes environnementales, il faut mettre toutes ses capacités d’innovation en action pour conserver son permis d’exploiter et rester rentable. Prayon en est l’illustration depuis des décennies.

L'industrie chimique est par nature polluante. Personne ne le niera, pas même les gestionnaires de l'usine Prayon. Même s'ils le voulaient, ils ne pourraient pas le cacher. Un seul coup d’œil aux installations et aux habitations des alentours immédiats suffit à ne laisser aucune place au doute. Elles sont recouvertes d'une inamovible pellicule blanchâtre, plus ou moins épaisse, qui leur donnent un aspect lunaire. Le fluor. Un des produits que l'on traite à Prayon, en plus de l'acide sulfurique, du phosphate, du soufre, de l'ammoniac et d'un solvant.

Prayon, un groupe qui a choisi de maintenir sa production en Europe occidentale, là où les contraintes législatives environnementales sont parmi les plus strictes au monde. Ce choix de ne pas délocaliser a été largement influencé par l'arrivée dans l'actionnariat, en 1981, d'un acteur public, la Société régionale d'investissement de Wallonie (SRIW), qui détient 50% des parts.

"La SRIW a une vision très claire de ce qu'il faut faire avec Prayon : conserver en Wallonie un tissu industriel, qui est nécessaire et structurant dans une économie. Sans cet actionnaire, la stratégie du groupe aurait été différente. Le plus simple pour nous, c'est d'aller produire au Maroc ou vers l'Est, en ne gardant ici que de la recherche et développement, avec des emplois de cadres bien rémunérés. Mais ce n'est pas notre objectif. Nous sommes un gros employeur local et nous faisons vivre 1200 familles ouvrières. Maintenir la production, c'est une création de valeur ajoutée pour la région", explique Philippe Bertin, membre du comité de direction, directeur des ressources humaines, de la qualité, de la sécurité et de l'environnement de Prayon Engis.

Prayon, on fabrique de l'acide sulfurique. Ce procédé génère de la vapeur. Elle est canalisée, réinjectée pour alimenter certains outils du site et même transformée en partie en électricité.

Prayon, on fabrique de l'acide sulfurique. Ce procédé génère de la vapeur. Elle est canalisée, réinjectée pour alimenter certains outils du site et même transformée en partie en électricité.

Toujours anticiper les normes

Les activités de l'usine (ou plutôt des usines puisque huit s'enchaînent sur le site) génèrent des poussières, des émanations de fluor, de solvant et d'acide phosphorique qui se dispersent dans l'air ou qui sont rejetées dans la Meuse bordant le site. A des taux réglementaires et contrôlés, bien sûr. L'entreprise n'a d'autre choix que de les respecter afin de ne pas perdre son permis d'exploiter. Mais plutôt que d'être mise devant le fait accompli, Prayon affirme préférer prendre les devants. "Le but n'est pas de combattre les normes. Il faut toujours les anticiper et réfléchir à comment transformer l'entreprise. Nous devons aussi anticiper la manière dont la société civile avance et les besoins du consommateur final", souligne Philippe Bertin. Inutile de préciser qu'une rigoureuse veille informationnelle est mise en place à Prayon afin de se tenir au courant des futures exigences européennes.

Comme toute entreprise chimique, Prayon émet des rejets dans l'air et dans l'eau mais elle réduit ses émissions polluantes au maximum, anticipant même les normes européennes.

Comme toute entreprise chimique, Prayon émet des rejets dans l'air et dans l'eau mais elle réduit ses émissions polluantes au maximum, anticipant même les normes européennes.

Des règles toujours plus sévères, des consommateurs de plus en plus sensibilisés à la protection de l'environnement et des voisins qu'il faut ménager, c'est la première étape de la survie. Le département R/D de l'entreprise, qui existe depuis plus d'un siècle, et des sous-traitants sont mis à contribution pour trouver des solutions techniques.

"Sur volonté de la direction, on a investi plusieurs centaines de milliers d'euros ces dernières années pour diminuer l'impact de nos activités. La cuve d'attaque n'arrêtait pas de fumer en continu. On l'a alors fermée de manière extrêmement étanche avec un inox très coûteux. Avant, on n'arrivait pas à respirer ici", fait valoir Yves de Froidmont, responsable du P2, l'usine qui produit l'acide phosphorique. "Le traitement des gaz est complexe car on doit réhabiliter une installation qui n'avait pas été pensée pour ça. On a fait d'énormes progrès sur l'acide phosphorique déversé en Meuse : les rejets ont été divisés par dix en vingt ans."

"Nos rejets d'acide phosphorique en Meuse ont été divisés par dix en vingt ans", signale Yves de Froidmont, responsable de l'usine P2 de Prayon dans laquelle on fabrique cet acide.

"Nos rejets d'acide phosphorique en Meuse ont été divisés par dix en vingt ans", signale Yves de Froidmont, responsable de l'usine P2 de Prayon dans laquelle on fabrique cet acide.

De très gros investissements

Et pour diminuer ceux de fluor, les gaz sont lavés, le fluor étant soluble dans l'eau. Les gouttelettes sont ensuite centrifugées afin qu'elles ne se dispersent pas. Un gros projet de modernisation des équipements de l'usine d'extraction par solvant, l'étape de purification de l'acide phosphorique, est également en cours. Il en coûtera 10 millions d'euros à Prayon pour limiter davantage ses rejets d'acide phosphorique et de solvant en Meuse.

La note est salée. Comment ne pas y perdre sa chemise ? Eh bien, en faisant notamment des économies. Il s'avère que ces économies permettent de faire d'une pierre deux coups car les mesures prises ont aussi une portée écologique. Idéalement situé entre le fleuve et le rail, Prayon mise sur le multimodal pour le transport de ses marchandises. En partie par contrainte, car les volumes de roche de phosphate à acheminer sont trop importants que pour se faire par camions, mais le gain de temps est net. Quant au transport d'ammoniac et de soufre liquide par rail ou lieu de la route, il permet à Prayon d'économiser 5 à 6% sur ses coûts. L'entreprise possède d'ailleurs son propre bateau.

Afin de couvrir au maximum les besoins immenses en électricité, une centrale de cogénération a été installée il y a 10 ans. "On fabrique de l'acide sulfurique et ce procédé génère de la vapeur. Elle est répartie sur le site via des tuyaux et couvre 75% de nos besoins en vapeur. Une partie est aussi transformée en électricité via une turbine, produisant environ la moitié de ce que nous consommons. Depuis un an, les toits sont équipés de 3000 m² de panneaux solaires. Prayon est autonome en électricité à 65-70%", signale Michel Weber, le directeur de production. "Prayon mise sur les technologies durables parce que c'est une nécessité mais aussi une opportunité. On transforme ces menaces en avantage concurrentiel. Si on veut survivre, on n'a pas le choix."

Plus aucun déchet ultime de phosphate

Autre solution : la valorisation des sous-produits et résidus. Prayon n'a plus aucun déchet ultime de phosphate, c'est-à-dire un résidu non recyclable. Le concentré d'impuretés issu du processus de purification de la matière est valorisé en interne pour en faire un fertilisant et le fluor extrait de l'acide phosphorique part au site de Puurs qui s'en sert comme matière première.

Le phosphate est lavé dans cette énorme machine et c'est là que le gypse est séparé du reste de la matière. Grâce à un procédé unique, Prayon peut le vendre et a survécu à ses concurrents.

Le phosphate est lavé dans cette énorme machine et c'est là que le gypse est séparé du reste de la matière. Grâce à un procédé unique, Prayon peut le vendre et a survécu à ses concurrents.

Mais la plus rentable et emblématique valorisation d'un sous-produit de Prayon, celle qui lui a de plus permis de devenir le leader mondial dans son domaine, date d'une époque où les considérations environnementales et la notion d'économie circulaire étaient quasiment inexistantes. Nous sommes en 1974. Knauf, une entreprise qui fabrique des enduits et des plaques de plâtre, vient s'installer en face de Prayon, sur l'autre rive de la Meuse. Il ne s'agit pas d'une coïncidence.

Win-win

Les deux sociétés ont conclu un accord qui a conditionné le choix d'implantation de Knauf. "Nous sommes l'un des derniers producteurs d'acide phosphorique en Europe. Depuis 30 ans, les sites de production européens ont dû fermer leurs portes car ils n'arrivaient pas à commercialiser leur sulfate de calcium, appelé aussi gypse, qui est un coproduit de la production d'acide phosphorique. Pour une tonne d'acide phosphorique produit, on fait cinq tonnes de gypse. Ses qualités chimiques et sa composition faisaient qu'il n'y avait pas d'utilisation possible. Le gypse s'empilait et on a fait fermer ces usines pour des raisons environnementales. Nous avons réussi à trouver un débouché, grâce à la qualité de notre matière première et à la technologie brevetée Prayon, qui date des années 1960-1970. Nous avons vendu ce procédé à la moitié des producteurs dans le monde et nous continuons à le vendre", détaille Denis Leruth, senior project manager. Knauf récupère ce gypse, qui est transporté par une passerelle construite au dessus de la Meuse pour relier les deux entreprises, et le transforme en plaques de gyproc. "Knauf s'est installé ici parce que nous y étions et c'est devenu la plus grosse usine de plâtre à projeter de son groupe. Et nous, nous sommes encore là car ils sont venus", mentionne Yves de Froidmont. Encore et toujours une question de survie.

En 1974, l'entreprise Knauf, qui produit des plaques de gyproc, s'est installée en face de Prayon. Une coïncidence ? Pas du tout. Plutôt un acte délibéré pour un partenariat gagnant des deux côtés.

En 1974, l'entreprise Knauf, qui produit des plaques de gyproc, s'est installée en face de Prayon. Une coïncidence ? Pas du tout. Plutôt un acte délibéré pour un partenariat gagnant des deux côtés.

Les nouveaux modes de gestion

Eutomation & Scansys : Les patrons qui ne veulent plus l'être

Et si on supprimait la structure pyramidale, au profit d’une gestion basée sur le management participatif et l’intelligence collective ? C’est l’idée développée depuis trois ans dans une petite entreprise de la Communauté germanophone. Et ça marche. Les problèmes humains et industriels sont résolus à la vitesse de l’éclair, le bien-être au travail semble être la norme et le concept attire les postulants aux emplois vacants.

C'est l'histoire peu banale de deux patrons qui vous racontent, avec une bonne humeur communicative, qu’ils travaillent activement à faire disparaître leur propre job et qu’ils en sont ravis. Cette manœuvre part d'une idée à la fois généreuse et stratégique. Généreuse car elle fait la part belle à la confiance faite aux travailleurs, et stratégique puisqu'elle vise à davantage d'efficacité. Comme le dit Pascal Rampen, plant manager à Eutomation & Scansys, "qui, finalement, maîtrise le mieux son poste de travail qu'un opérateur ? Pas celui qui est assis trois étages plus haut et qui passe dire bonjour une fois par semaine pendant cinq minutes".

"Qui maîtrise le mieux son poste de travail qu'un opérateur ? Pas le patron qui reste dans son bureau", souligne Pascal Rampen, plant manager d'Eutomation & Scansys.

"Qui maîtrise le mieux son poste de travail qu'un opérateur ? Pas le patron qui reste dans son bureau", souligne Pascal Rampen, plant manager d'Eutomation & Scansys.

Avec Jan Peelaerts, le directeur de l'entreprise, il met en place depuis trois ans un système de gouvernance basé sur le management participatif et l'intelligence collective, où la gestion pyramidale est progressivement supprimée. Cette nouvelle organisation s'inspire de l'holacratie, un modèle conçu aux États-Unis au début des années 2000. L'entreprise est vue comme un corps humain, divisé en petites entités ("cercles") autonomes, formés généralement de travailleurs exerçant des métiers similaires. On y gère par la discussion les problèmes ("tensions") rencontrés, qu'ils soient d'ordre interpersonnels ou opérationnels.

La règle est que, pour chaque problème épinglé, des propositions de solutions doivent être formulées et avalisées par le groupe. Elles sont ensuite relayées aux autres cercles par un coordinateur, jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise. La parole constructive et bienveillante, les interactions entre les membres du personnel et la responsabilisation de chacun sont donc au cœur de ce projet, qui prendra encore deux ou trois ans avant d'être pleinement mise en œuvre à Eutomation & Scansys.

Les achats de matériel d'usinage sont désormais faits par les techniciens, qui savent exactement ce qui leur faut, et non plus par les commerciaux de l'entreprise.

Les achats de matériel d'usinage sont désormais faits par les techniciens, qui savent exactement ce qui leur faut, et non plus par les commerciaux de l'entreprise.

Virage à 180°

L'idée de cette véritable révolution a germé en 2015, trois ans après le rachat par Jan Peelaerts de 75% des parts d'Eutomation & Scansys au groupe néerlandais Manders. "On s'est retrouvé un peu démuni quand cette scission s'est faite car on n'avait pas vraiment de stratégie, de politique salariale, de description de fonctions. On a dû tout créer car on ne voulait pas poursuivre de la même manière que les Néerlandais. On était déjà bien avancés dans la recréation d'une structure pyramidale et puis, on a pris un virage à 180°", explique Pascal Rampen.

"On se demandait où l'on voulait aller. On voulait faire des machines vraiment axées sur le futur, intégrant des nouvelles technologies, rester au top à ce niveau mais aussi être tourné vers l'avenir pour notre personnel. On a commencé à regarder des films, à lire des livres sur la gestion participative. On a engagé un coach et c'est lui qui nous a parlé de l'holacratie", poursuit Jan Peelaerts. "Plus on creusait la question, plus on s'est dit que c'était pour nous. Avant, pas mal de responsabilités étaient concentrées sur une seule tête. Non seulement ce type de personnes est difficile à recruter mais leur charge de travail est tellement importante que ce n'est pas simple à gérer. La structure hiérarchique est aussi un peu has been. Quand on parle avec les gens et qu'on voit le peu qui sont épanouis dans leur travail, c'est une catastrophe. Et puis, on s'est rendu compte que le personnel connaît souvent mieux que nous l'entreprise et ses besoins. Alors, on a foncé vers la gestion participative."

Si le groupe Manders n'a pas objecté au choix de cette gestion innovante, comment le personnel d'Eutomation & Scansys a-t-il réagi ? "Le retour a été plutôt positif. Au début, c'était encore flou dans leur tête mais ils voyaient qu'on avait au moins une vision pour l'entreprise. La plupart étaient ouverts au changement et attendaient de voir ce que ça allait donner", se souvient Jan Peelaerts.

Travailler dans une entreprise qui n'aura bientôt plus de patron ? "Ca peut être une bonne chose car on devra gérer les problèmes et trouver les solutions entre collègues", répond Cédric Cremer, technicien à Eutomation & Scansys.

Travailler dans une entreprise qui n'aura bientôt plus de patron ? "Ca peut être une bonne chose car on devra gérer les problèmes et trouver les solutions entre collègues", répond Cédric Cremer, technicien à Eutomation & Scansys.

Effet pervers et demandes démesurées

Tout ne se déroule toutefois pas sans heurts. Les travailleurs de la génération des baby-boomers, habitués à ce qu'on leur dise quoi faire, ont plus de mal à adopter le système. Pour d'autres, la difficulté, c'est de s'ouvrir aux collègues afin de mieux communiquer. "On a constaté un effet pervers. La première chose que quasiment tous les travailleurs ont fait quand les cercles ont été créés, c'est de dire que le leur était très bien mais pas les autres. Les cercles bâtissaient des tours pour se protéger alors qu'on voulait une collaboration. On a dû expliquer que chacun devait intervenir sur son environnement de travail et pas sur celui des autres", précise Pascal Rampen. "Et puis, quand on lâche la bride, les gens sont parfois comme des enfants. On nous formulait par exemple des réclamations aux coûts exorbitants pour de nouvelles machines qui amélioreraient la performance. On demandait alors de prouver la pertinence de la demande, via un plan coût-amortissement."

Mais une fois la période de découverte et d'adaptation passée, les bénéfices du management participatif se sont fait sentir. Un opérateur de ligne a été invité par Pascal Rampen à l'accompagner à la foire commerciale de Hanovre afin d'acheter la machine dont il avait fait la demande. "Aujourd'hui, les achats d'usinage ne sont plus faits par le service achats mais par un technicien qui sait exactement quelle pièce, de quelle qualité et à quel prix l'acheter chez quel fournisseur", indique Jan Peelaerts. "En un an, les travailleurs ont réglé eux-mêmes 975 tensions. On n'aurait jamais pu y arriver car on n'aurait peut-être pas été conscient du problème ou trouvé la bonne solution", résume Pascal Rampen.

“Notre travail est valorisé”

Le personnel participe au recrutement des nouveaux travailleurs, ce qui permet probablement d'éliminer des candidats s'avérant au final peu compétents ou qui ne seraient pas taillés pour l'auto-gestion. Les deux managers en sont d'ailleurs persuadés : leur système attire et retient au sein de l'entreprise des postulants, souvent jeunes et aux profils très recherchés dans l’industrie. Élodie Dosquet, 30 ans, ingénieur en software, a été engagée il y a trois ans à Eutomation & Scansys, juste quand le management participatif venait d'être mis en place.

"Ça a été un critère de choix pour moi. Ce qui me séduit ? Être plus responsable. Notre travail est valorisé. J'ai l'impression d'être plus investie dans ce que je fais. On a le droit de dire ce qu'on pense et les décisions sont prises en groupe. Je suis sûre que les gens de ma génération sont sensibles à ce changement de gouvernance. Ce n'est plus les sous qu'on veut, c'est le bien-être au travail avant tout et ce système y contribue", dit-elle.

Élodie Dosquet, ingénieur en software, a été engagée à Eutomation au moment où la gestion participative a été mise en place et cela a été un critère de choix d'entreprise pour la jeune femme.

Élodie Dosquet, ingénieur en software, a été engagée à Eutomation au moment où la gestion participative a été mise en place et cela a été un critère de choix d'entreprise pour la jeune femme.

Les retombées économiques pour l'entreprise semblent difficiles à chiffrer. "La mise en place coûte beaucoup d'argent : quand les gens sont en réunion ou en formation, ils doivent s'arrêter de travailler", souligne Pascal Rampen. "Mais quelqu'un qui est content de son emploi, qui travaille dans de meilleures conditions va peut-être être plus productif. On y croit mais ça prend du temps", ajoute Jan Peelaerts.

“On va peut-être ouvrir une friterie”

Pascal Rampen et Jan Peelaerts sont encore les managers d'Eutomation & Scansys, ne serait-ce que pour exercer un rôle de représentation de l'entreprise à l'extérieur (ce dont ils se passeraient bien, disent-ils) ou pour donner les grands axes de développement, mais ils n'interviennent plus dans la gestion quotidienne. "Dans un monde idéal, on ne devrait plus être là. Si on perd notre emploi, ce sera une réussite", lance Jan Peelaerts tout sourire.

Jan Peelaerts est encore techniquement le patron d'Eutomation & Scansys mais il estime que si son fonction disparaît, "ce sera une réussite".

Jan Peelaerts est encore techniquement le patron d'Eutomation & Scansys mais il estime que si son fonction disparaît, "ce sera une réussite".

"On va peut-être ouvrir une friterie. [rires] Il y a cinq ans, supprimer mon poste aurait été excessivement difficile et celui de Jan une catastrophe. Quand je vais partir à la pension dans cinq ans, l'entreprise n'en souffrira pas du tout car on a commencé à répartir, à diluer les compétences et les responsabilités. Si quelqu'un s'en va, il est beaucoup moins difficile à remplacer. La perspective que mon poste disparaisse ne me stresse pas du tout", conclut Pascal Rampen.

Difrenotech : L’espoir d’un monde du travail plus juste

Trois ouvriers et une cadre liégeois qui avaient perdu leur emploi à cause d’une délocalisation ont tenté une expérience singulière en Wallonie. Fin 2017, ils ont monté une coopérative industrielle, la première et à ce jour seule de son genre. Ces hommes et cette femme ont voulu reprendre leur destin en main, grâce à ce modèle entrepreneurial dans lequel les travailleurs sont mis au cœur du processus décisionnel et de gestion. Malgré tous leurs efforts, le projet s’est soldé par un échec.

Ils ont cru pouvoir battre le système qui leur avait fait mettre un genou à terre. Ils ont cru pouvoir changer les règles du jeu afin de maîtriser leur sort. Ils y ont mis tout leur temps, leur énergie et leur argent. Mais la loi du marché les a rattrapés. Plus cruel encore, c'est la même multinationale qui avait décidé de délocaliser leur ancienne entreprise, point de départ de cette aventure, qui a signé l'arrêt de mort du projet de Francisco Gomez, Bernardo Delangel, Marshal Lin et Francesco Deiana. Un projet baptisé Difrenotech, qui aurait été la première coopérative industrielle de Wallonie.

Issu de l'immigration espagnole laborieuse, Francisco Gomez, 55 ans, se décrit comme "un homme de gauche. C'est dans mes gènes. J'ai toujours été révolté face à l'injustice". C'est donc tout naturellement que l'homme, embauché comme mécanicien à Truck Technic, une entreprise du zoning des Hauts-Sarts spécialisée dans les systèmes de freinage pour poids-lourds, y crée la toute première délégation syndicale, sous la bannière de la FGTB. C'était au moment du rachat de Truck Technic par la multinationale américaine Meritor. "Une délégation syndicale, c'était au cas où Meritor déciderait de se barrer", évoque Francisco Gomez. Nous sommes en 2008. Sans le savoir, il avait vu juste.

De gauche à droite : Francisco Gomez, Marshal Lin, Francesco Deiana et Bernardo Delangel, les quatre travailleurs de Truck Technic qui ont tenté l'aventure de la coopérative industrielle Difrenotech.

De gauche à droite : Francisco Gomez, Marshal Lin, Francesco Deiana et Bernardo Delangel, les quatre travailleurs de Truck Technic qui ont tenté l'aventure de la coopérative industrielle Difrenotech.

Le 30 juin 2016, Meritor annonce son intention de délocaliser l'usine de Milmort en Tchéquie afin de diminuer ses coûts. La procédure Renault de licenciement collectif se passe mal. Les alternatives syndicales à la délocalisation sont "balayées". Francisco Gomez propose alors à ses soixante collègues de mener une action ultime et rarissime en Belgique : une occupation jour et nuit de l'usine. Elle va durer 58 jours, au terme desquels les travailleurs obtiennent une reprise des négociations. Un accord social est conclu mais la délocalisation ne peut pas être empêchée.

Se lancer ? “On n’en est pas capables.”

Pendant l'occupation, un ex-syndicaliste de la FGTB devenu attaché de cabinet du ministre wallon de l’Économie de l'époque, Jean-Claude Marcourt (PS), se rend sur place. Le ministre vient d'ouvrir la possibilité légale de constituer une coopérative industrielle et il faut trouver des candidats intéressés. "Il m'explique grossièrement ce qu'est une scop (société à gestion coopérative et participative, NdlR). Je n'en avais jamais entendu parler. Il me dit : 'Il y a un potentiel énorme ici. Si vous vous lanciez ?'. Je lui réponds : 'On n'en est pas capables et c'est compliqué'", raconte Francisco Gomez.

Mais, intrigué, il prend ses renseignements et réalise que ce concept est proche de l'idéologie qu'il défend. "Notre manifeste syndical dit que les ouvriers doivent se réapproprier les outils de travail, pour ne pas être exploités et que les profits n'aillent pas aux actionnaires. La coopérative, pour moi, c'est ça. Une autogestion avec un homme, une voix, chacun apportant sa part de capital. Cela permet de réinvestir dans l'entreprise et de recréer de l'emploi. Avec une autogestion couplée à une banque de travailleurs dans laquelle on met l'argent généré, les salaires et qui réinvestit dans d'autres projets de scop, on peut détruire le système capitaliste. Cette idée me parle car, dans le monde du travail, je vois le mal-être, l'exploitation. On prend le pognon et on fout le camp sans se soucier des familles qu'il y a derrière."

Tout est à construire

Francisco Gomez convainc trois de ses collègues de Truck Technic, la cadre Marshal Lin, les ouvriers Bernardo Delangel et Francesco Deiana, de monter à bord. Tout est à construire puisque, contrairement à la France, il n'existe pas de coopératives industrielles en Wallonie desquelles s'inspirer. Il faut d'abord définir le type d'activité. Ce sera celle que Meritor avait développée à Truck Technic et qu'ils connaissent sur le bout des doigts : le reconditionnement des différentiels de poids lourds, ainsi que des kits de réparation pour pièces mécaniques de camions. Il faut trouver un local (il sera loué au père de Marshal Lin, qui fait construire un bâtiment dans le zoning), établir un business plan (travailler sur de petits volumes de production, récupérer les anciens petits clients belges et européens de Meritor, les offrir un service personnalisé et livrer plus rapidement qu'un grand groupe), définir un règlement d'ordre intérieur, créer un conseil d'administration... Le processus se fait avec l'aide d'une agence conseil en économie sociale.

Les quatre coopérateurs mettent de leur poche un quart du capital de départ, en tout 54.000 euros puisés dans leur prime de licenciement (l’équivalent de sept mois de salaire chacun) et via un micro-crédit. Le reste du financement provient de la Société d'investissement du bassin liégeois, de l'outil public Sowecsom (partenaire financier de projets d'économie sociale et de coopératives) et d'une quinzaine de coopérateurs privés.

L’argent file entre leurs doigts

Des machines de Meritor sont rachetées aux enchères et la coopérative Difrenotech est constituée le 22 décembre 2017, un an après l'occupation de Truck Technic. Mais les problèmes s'accumulent. La construction du bâtiment prend plus de temps que prévu, retardant les raccordements à l'eau, au gaz et à l'électricité. L'argent public et privé tarde à venir car les deux parties attendent les garanties apportées par l'autre. Dans ces conditions, impossible de lancer une quelconque activité. "Tous les mois, on sortait 20.000 euros en salaires et cotisations sociales pour n'en rentrer que 6 ou 7000. Quand les fonds sont arrivés en août 2018, on s'est dit qu'on pouvait enfin commencer à prospecter les clients. Avant cela, si on nous passait commande, on n'avait pas d'argent pour démarrer la production", souligne Francisco Gomez.

L'occupation de Truck Technic, fin 2016, a duré 58 jours et c'est pendant cette période que l'idée de créer une coopérative a germé.

L'occupation de Truck Technic, fin 2016, a duré 58 jours et c'est pendant cette période que l'idée de créer une coopérative a germé.

Les coopérateurs découvrent qu'ils vont avoir beaucoup de mal à se faire une place sur ce marché. "Meritor avait cassé les prix des différentiels reconditionnés, à 1400 euros grâce à leur délocalisation en Tchéquie. On n'aurait pas pu se payer avec un prix pareil. Le nôtre, c'était entre 2300 et 2400 euros, le prix de Meritor en 2016. On s'est rendu compte aussi qu'on ne vend pas de pièces réparées en Belgique. Le marché, c'est surtout du leasing ou du neuf. Et en plus, Meritor avait fait signer à ses clients des contrats d'exclusivité."

Francisco Gomez (au centre) était président de la délégation FGTB à Truck Technic et chef de fronde contre la multinationale Meritor qui a délocalisé l'entreprise en Tchéquie.

Francisco Gomez (au centre) était président de la délégation FGTB à Truck Technic et chef de fronde contre la multinationale Meritor qui a délocalisé l'entreprise en Tchéquie.

On arrête tout avant la faillite

Ils font face à un mur. Difrenotech produira et vendra tout de même quelques pièces, sous-traitera un temps pour une entreprise locale. Un plan B industriel puis un plan C seront imaginés, y compris travailler pour leur bourreau Meritor, sans états d'âme. Rien n'y fera. La coopérative engloutit du capital tel un puits sans fond. En décembre 2018, avant d'avoir à se déclarer en faillite, les quatre coopérateurs décident de débrancher la prise. "Ça n'a pas fonctionné parce qu'on a démarré sans carnet de commandes ni clients qui s'engagent à commander. Pour monter une coopérative industrielle, c'est essentiel. Ce que Meritor a fait ne nous ciblait pas et c'était de bonne guerre. C'est la règle du marché", juge, sans amertume, Francisco Gomez.

Aujourd'hui, Francisco Gomez, Bernardo Delangel, Marshal Lin et Francesco Deiana continuent à rembourser leurs dettes. Marshal Lin et les deux ouvriers ont retrouvé du travail. Francisco Gomez s'occupe et a des projets professionnels. Avec le recul, il estime que le projet Difrenotech est quand même "une réussite. Le système d'auto-gestion est viable. Si une autre entreprise, avec un bon plan financier, veut démarrer sur ce modèle, ça peut fonctionner mais il faudra améliorer le décret wallon qui encadre les coopératives".

Francisco Gomez avait rêvé d'un monde du travail juste, humain, solidaire, tout en étant rémunérateur. Il avait rêvé de développer l'emploi local et même de créer un réseau de coopératives industrielles dans le zoning des Hauts-Sarts. Ces rêves n'ont pas été balayés par l'échec de Difrenotech car, si c'était à refaire, "bien sûr que je le referais !".

Photo: Michel Tonneau
Photo: Michel Tonneau

La technologie de pointe

Socabelec : La chance et l'audace

"Socabelec", pour "société de câblage électrique". C’est le nom d’origine de l’entreprise, mais ça s’arrête là. Socabelec s’est tellement éloignée de son activité de base que le nom n’est qu’un rescapé du temps qui passe. Aujourd’hui, l’entreprise a su se réinventer, un peu par hasard, aussi par audace, dans la robotisation. Et le fait d’être à la pointe lui permet de rester en Wallonie. Délocaliser à l’étranger ? "Jamais !"

La "Silice Valley", c’est comme ça que Marco Veri, le CEO de Socabelec, aime décrire la région où est implantée son entreprise, dans la "vallée de la silice", le bassin historique de l’industrie du verre en Wallonie, à Ham-sur-Sambre. Et si l’on devait résumer l’histoire de son entreprise, on pourrait dire que c’est une succession de crises. Mais elles n’ont jamais mis la PME à terre complètement. L’entreprise s’est même élevée, jusqu’à devenir numéro 1 dans son domaine, selon son CEO.

Quel domaine ? La création de robots spécialisés - les swabbing robots - dans la pulvérisation d’huile pour les moules de bouteilles en verre. Heineken et Absolut Vodka sont des exemples parmi d’autres de marques qui produisent leurs bouteilles grâce à des robots de Socabelec.

Enfin, si la majorité du chiffre d’affaires ne provient pas de cette activité, mais plutôt du service d’entretien et de création d’armoires électriques destinées aux secteurs tertiaire et industriel, c’est là que Socabelec a su se réinventer.

Marco Veri, le CEO de Socabelec, expliquant les détails techniques à prendre en compte lors de la création de bouteilles en verre, une spécialisation récente pour son entreprise.

Marco Veri, le CEO de Socabelec, expliquant les détails techniques à prendre en compte lors de la création de bouteilles en verre, une spécialisation récente pour son entreprise.

Un peu par hasard...

"En 2011, on a été contacté par erreur par une entreprise aux Pays-Bas qui produit les bouteilles de Heineken pour le grand export. Ils voulaient développer un robot qui n'existait pas sur le marché, qui permettrait de faire la lubrification au vol", explique Marco Veri. Un robot qui permet de huiler les moules où seront formées les bouteilles sans devoir arrêter la ligne de production. L’intérêt ? Aller plus vite, tout en évitant la casse.

"Ils ont interrogé les grands constructeurs de robots et tous ont refusé car ce n'était pas leur core business ; ils ne savaient pas faire ça. Et puis l’un de nos fournisseurs, des Japonais, leur ont indiqué par hasard Socabelec : 'Si quelqu'un sait faire ça’, c'est eux, ont-ils dit. Pour eux, du verre creux ou du verre plat (ce qu’on faisait), c'était la même chose", raconte Marco Veri, le sourire aux lèvres.

"J'ai répondu qu'on donnerait une réponse le lendemain. On a réfléchi et on leur a dit qu'on serait capable de faire ce robot. Ils ne nous ont pas crus car ils ont vu qu'on n'y connaissait rien en fabrication de bouteilles. Ce qu'on ne savait pas, c'est que plein de gens avaient déjà essayé depuis des années de mettre au point ce type de robot. Et tous avaient échoué."

Et pourtant, "de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace", c’est ce qui a sauvé Socabelec. Ils se sont lancés dans l’aventure, ont investi, ont négocié, beaucoup négocié… et ont réussi. Depuis, Marco Veri, le CEO qui était entré dans la boîte en 1987 en tant qu’ingénieur, est fier de son entreprise.

Pourtant, ce n’était pas gagné. L’une des plus grosses crises était d’ailleurs la perte d’un gros client, Caterpillar, qui vivait une période difficile. C’est arrivé en 2009, quelques années avant la fermeture définitive du site de Gosselies.

En 2015, Socabelec a même dû être soumise à une procédure de réorganisation judiciaire pour éviter la faillite.

Et là, Marco Veri remercie la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW) et la Sogepa (le bras financier de la Région wallonne) pour le soutien financier apporté par ces fonds d’investissements publics pendant cette période. C’est aussi pour cela qu’il refuse toute idée de délocalisation, car ces aides ont permis à Socabelec de garder la tête hors de l’eau avant de développer ses activités et de retrouver un rythme de croisière.

"Le rôle de la SRIW n’est pas de soutenir les canards boiteux, mais si la Région wallonne avait refusé de voter favorablement le plan d’apurement de nos dettes, c’était terminé. La Wallonie, au travers de ses outils de financement locaux, a un rôle important dans l'économie wallonne et il ne faut surtout pas supprimer cette capacité-là. Depuis 2014, la Région n'a plus rien à voir avec le développement de notre robot mais elle nous a soutenus quand on avait besoin de finances", ajoute Marco Veri.

Les swabbing robots prêts pour l'expédition.

Les swabbing robots prêts pour l'expédition.

"Jackpot !"

C’est en traversant ces difficultés financières que Socabelec a réussi à sortir son épingle du jeu, même si quelques mauvaises expériences avec des clients potentiels qui lui ont fait faux bond ont parfois quelque peu cassé les espoirs.

Il y a bien un concurrent, moins cher, mais qui n’est pas doté de la même technologie. Et vu le rendement atteint grâce aux robots de Socabelec, les clients ne rechignent pas à payer presque 50% plus cher, soit environ 340.000 euros par swabbing robot et toute la structure qui va de pair.

"On va équiper la plus grosse usine de fabrication de bouteilles du monde, à Elton, en Angleterre. Ils ont treize machines, douze sections par machine et quatorze cycles par minute. Ça fait 700 bouteilles à la minute", mentionne Marco Veri. "On a fait breveter nos machines, cette fois", dit-il. Car l’entreprise n’avait jamais protégé ses inventions par le passé. Une erreur qui lui a coûté cher car les concurrents ne se gênaient pas pour les copier. Protéger sa technologie est primordial et Socabelec l’a compris. Surtout lorsqu’on sait, par exemple, que l’un des premiers tests de machine pour développer le swabbing robot avait coûté pas moins de 50.000 euros pour 10 minutes d’expérimentation.

"On est les meilleurs au niveau mondial. Si on n'est pas numéro 1, ça ne sert à rien. Tous les clients sont satisfaits de nos robots. On développe les ventes mais aussi désormais en parallèle un système de service après-vente, de pièces de rechange, une assistance à la réparation 24h/24 n'importe où dans le monde, et on engage des jeunes", lance fièrement Marco Veri.

L’histoire de Socabelec est pleine de rebondissements. Elle a subi en partie la crise industrielle wallonne et la méfiance de certains lorsqu’elle était au pied du mur. Mais finalement, en se diversifiant, elle a pu s’ouvrir à de nouveaux horizons. Le CEO a même essayé de développer ses activités sur tous les continents. Parfois c’est une réussite, comme au Kenya, parfois un échec, comme au Brésil. Parfois encore, c’est simplement avorté, comme en Inde, où le CEO a estimé ne pas pouvoir obtenir ce qu’il voulait.

Treize des trente-six travailleurs que compte désormais l’entreprise travaillent sur le swabbing robot. Quarante-neuf de ces robots sont installés dans le monde et une trentaine d’autres devraient l’être dans les douze prochains mois. Quant à l’avenir, sûr de son produit phare, Marco Veri mise sur la vente de 3500 à 4000 machines dans les prochaines années.

Optimiste ? Non, "95% du marché est devant nous", dit d’un air convaincu Marco Veri. Il a obtenu que le logo Socabelec soit visible sur les bouteilles de bières fabriquées en Asie grâce à son robot. Un gage de publicité, de notoriété et de confiance pour ses futurs clients… Vous avez dit malin ?

AGC : Le passé et l’avenir

L’entreprise AGC fait partie des acteurs historiques de l’industrie wallonne, ou en tout cas de ses héritiers, puisque la société-mère du groupe est désormais japonaise, Asahi Glass Co. Mais AGC Glass Europe, anciennement Glaverbel, trouve ses racines plus loin dans le passé. Aujourd’hui, c’est grâce à l’innovation qu’elle compte rester sur le territoire wallon. En particulier grâce à un type de verre isolant de nouvelle génération. Une sorte de double vitrage séparé par une couche de vide.

"Si on remplaçait tous les simples vitrages et les doubles vitrages obsolètes par notre technologie, on pourrait accomplir 10% des objectifs climatiques et de réduction d'émissions de gaz à effet de serre que s'est fixés la Région wallonne", dit d’emblée Pierre Carleer, responsable technique de Fineo.

Fineo, la technologie dont il est question, est en fait une sorte de double vitrage mais les deux feuilles de verres ne sont séparées que par une couche ultra-fine de vide. L’absence d’air permet donc une isolation sonore mais surtout thermique pour une épaisseur de vitre beaucoup plus faible que ce que le double vitrage propose aujourd’hui. Et le gain, en termes d’isolation, vaut au moins celui du triple vitrage, selon Pierre Carleer.

En s'approchant suffisamment des vitres Fineo, on peut apercevoir les petits piliers noirs qui empêchent les deux feuilles de verre de se rejoindre.

En s'approchant suffisamment des vitres Fineo, on peut apercevoir les petits piliers noirs qui empêchent les deux feuilles de verre de se rejoindre.

De plus, AGC met sur place un service - en collaboration avec la Région wallonne - qui permet de changer les vitres d’un bâtiment sans devoir changer les châssis: Renowindow. Un avantage pour les vieilles bâtisses et autres bâtiments qui veulent garder leur authenticité.

Bref, Fineo est une technologie sur laquelle AGC compte pour rester leader sur le marché du verre et s’afficher comme une entreprise innovante dans son domaine.  Le vide entre deux parois n’est pas une invention récente, mais AGC pousse le procédé jusqu’à obtenir un vide d’une épaisseur d’un micron (un dixième de millimètre). "L’épaisseur d’une feuille de papier", précise Pierre Carleer. C’est pour cela que les deux vitrages sont séparés par de tout petits piliers noirs, visibles si on s’approche suffisamment des vitres. De la sorte, ils permettent que le vide se maintienne et que les deux parties ne se rejoignent pas.

"Ce produit est probablement la rupture technologique qu'on a connue avec l'arrivée du double vitrage. Pas seulement au regard du caractère isolant mais aussi à celui de la combinaison de ses qualités : finesse, légèreté et isolation", affirme Pierre Carleer.

Innover et créer de l’emploi

Le but pour toute entreprise est de développer son activité, cela va de soi. Innover a un coût, mais l’impact sur l’emploi est positif, avant même de tirer les bénéfices financiers.

Chez AGC Glass Europe, une quinzaine de personnes travaillent pour la production du verre Fineo, contre une petite centaine pour les verres à couches en général et pas loin de 3000 personnes en Belgique pour alimenter le marché européen.

"Pour la ligne de production, machines et ensemble du hall compris, on a fait un peu moins de 10 millions d'euros d'investissement. Je remercie le top management pour cela car on prend un risque économique et industriel en se lançant dans le projet Fineo. Mais on y croit tellement qu'on était prêt à le prendre", déclare Pierre Carleer.

AGC, dont les clients étaient exclusivement des industriels,, se tourne même vers le grand public désormais. "Fineo ne sera pas proposé comme produit de grande consommation, on ne pourra pas en acheter au Brico. Mais il sera accessible soit par Renowindow en Wallonie soit, pour l'Europe, via des partenaires spécifiques qui le placeront selon nos recommandations, ce qui nous permet d'assurer la qualité du service aux clients. C'est un produit qu'on fait sur demande. Un Fineo produit est un Fineo commandé", conclut Pierre Carleer.

AGC a donc su prendre des risques afin de se montrer innovant, ce qui a permis de conserver et même développer son activité en Wallonie.

Remerciements

Nous tenons à remercier les personnes suivantes, sans qui la réalisation de ce travail n’aurait pas été possible : Dominique Demonté, Patrick Slaets et l’équipe d’Agoria, Christel Lerebourg et Nicolas Baudoux pour leur assistance technique et créative, les photographes et vidéastes Michel Tonneau (photos Eutomation é Scansys), Olivier Papegnies (photos BEA) et Juliette Bruynseels pour leurs ajouts.

Un merci tout particulier aux managers, responsables de la communication et membres du personnel des entreprises que nous avons visitées, qui nous ont ouvert leurs portes et donné de leur temps.