ROANOKE

Le mystère de la colonie disparue

C’était la première colonie anglaise d’Amérique... jusqu'à ce qu'elle disparaisse. 118 hommes, femmes et enfants se sont “volatilisés” en 1590, ne laissant derrière eux qu’un mot gravé sur un arbre : CROATOAN.

Plus de 400 ans plus tard, l'évènement, qui a nourri les légendes urbaines les plus abracadabrantes, reste un des plus grands mystères de l’histoire américaine. 

Premières expéditions

Nous sommes à la fin du 16e siècle. Depuis les découvertes de Christophe Colomb et d’Amerigo Vespucci, la conquête de l’Amérique fait rage. Les pays européens se livrent une bataille sans merci dans cette course coloniale où les Espagnols sont en tête de peloton. La reine Elisabeth Ire, ennemie jurée de Philippe II d'Espagne, ne l’entend pas de cette oreille. Essayant de propulser l’Angleterre sur le devant de la scène commerciale (et coloniale), elle autorise deux expéditions financées par Sir Walter Raleigh à destination de l’Amérique. 

La première, en 1584, est une mission de reconnaissance. Les navigateurs y rencontrent les tribus Secotan et Croatoan qui envoient deux de leurs membres, Wanchese et Manteo, comme émissaires en Angleterre. Cette mission est une telle réussite que la reine proclame Sir Walter Raleigh gouverneur de la nouvelle terre qu’elle prénomme Virginia, et autorise une nouvelle expédition l’année suivante.

En 1585, un contingent entièrement masculin mené par Ralph Lane arrive à Roanoke. Cette expédition a pour but de défier publiquement les revendications de l’Espagne, avec qui les tensions ont atteint leur paroxysme.

Mais la mission tourne vite au vinaigre lorsque les quelque 600 colons anglais se font des ennemis parmi les tribus locales en assassinant le chef des Secotan, Wingina. Ne pouvant plus compter sur la générosité des locaux, leur situation dégringole vite. Certains, s'aventurant près des autochtones dans l'espoir de trouver à manger, sont même assassinés.

Affamés et affaiblis, les survivants sont secourus et ramenés chez eux moins d'un an plus tard. La mission est un échec.

La reine Élisabeth Ire

La reine Élisabeth Ire

Le roi Philippe II d'Espagne

Le roi Philippe II d'Espagne

Sir Walter Raleigh

Sir Walter Raleigh

Malgré cela, l’attrait de l’inconnu est stimulé en Angleterre par les colons de retour avec des curiosités telles que le tabac et les pommes de terre.

Il n'en faudra pas plus pour convaincre la reine, qui y voit des intérêts commerciaux. En 1587, une troisième expédition est organisée, toujours sous la houlette de Raleigh. Elle installera la colonie de Roanoke.

Raleigh's first pipe in England

Walter Raleigh fumant du tabac importé d'Amérique

Walter Raleigh fumant du tabac importé d'Amérique

La colonie de Roanoke

John White, membre des deux expéditions précédentes, est cette fois-ci nommé gouverneur de la colonie et de ses 117 futurs habitants qui, pour la première fois, sont des familles. À bord se trouve sa fille enceinte, Eleanor Dare. Elle donnera naissance au premier enfant anglais né en Amérique.

Chaque famille doit recevoir au moins 500 hectares de terres, offerts par la Couronne pour les convaincre de s'installer en Virginie. 

L'île de Roanoke n’étant plus sans danger pour les colons anglais, White prévoit plutôt de s’amarrer dans la baie de Chesapeake où il cherchera un nouveau site d’installation. Mais c’est sans compter la cupidité de l’équipage, qui trouve bien plus d’intérêt à rapiner dans les Caraïbes qu'à naviguer sur des voies d'eau “sans valeur”.

Le 22 juillet 1587, les nouveaux colons sont donc forcés de débarquer là où la colonie précédente s'était établie. Le lendemain matin, ils partent à la recherche du site de la colonie de Lane dans l'espoir d'y rencontrer quelques compatriotes. Malheureusement, ils se retrouvent face à une scène de désolation. Tout a été détruit ou pillé. Personne n'a survécu, et des ossements gisent toujours au sol.

Carte des environs de Roanoke par John White

Carte des environs de Roanoke par John White

Naturellement, les Indiens Secotan n'avaient ni oublié l'attaque de Lane sur leur village, ni pardonné le meurtre de leur chef en 1585. Il y avait donc peu d’espoir pour ces nouveaux colons d'établir un partenariat pacifique.

Mais le gouverneur ne réalise la gravité des tensions que lorsque George Howe, son bras droit, est tué sur une plage. Il tente alors de désamorcer la situation par le biais de Manteo, l'émissaire des Croatoan.

Les Croatoan, avec qui les relations étaient restées amicales, acceptent que les nouveaux colons s'installent sur l'île de Roanoke et leur promettent une protection vis-à-vis des autres tribus.

Pendant quelques semaines, tout semble aller pour le mieux dans cette nouvelle colonie. Les Anglais et les autochtones vivent ensemble, paisiblement.

Le gouverneur White, peintre et cartographe, profite de ces semaines de calme pour peindre diverses scènes de vie indienne. Il arrive également à créer des cartes, très précises pour l'époque, qui serviront pour de nombreuses expéditions jusqu'au XVIIIe siècle.

Neil Macgregor, ancien directeur du British Museum qui héberge cette riche collection iconographique, a écrit à son sujet : "L'importance significative des voyages de Raleigh en Virginie pour l'histoire et la culture du monde moderne est souvent oubliée ou sous-estimée."

Naissance de Virginia

Le 18 août 1587, la fille du gouverneur John White, Eleanor, donne naissance à une petite fille. Elle la nommera Virginia. Elle sera le premier enfant anglais né et baptisé en Amérique et deviendra un réel symbole aux États-Unis.

Photo de reconstitution

Photo de reconstitution

Départ de John White

Central School, Bathurst Street, Tasmania 1900s

Central School, Bathurst Street, Tasmania 1900s

L'insouciance est de courte durée à Roanoke. Les ressources s'amenuisent et les Indiens sont de moins en moins disposés à nourrir les colons, voyant leurs propres ressources s'étioler.

Dans un élan de désespoir, la colonie demande à John White de retourner en Angleterre pour demander de l'aide à la reine et ravitailler le navire.

Le 27 août 1587, John White met le cap sur le Vieux Continent, ne sachant guère que ce sera la dernière fois qu'il verra les 118 colons, dont sa fille et sa petite-fille.

Au même moment, en Angleterre, des informations sur la mobilisation de l'Armada espagnole pour une prochaine attaque sur Londres arrivent aux oreilles de la reine Elizabeth Ire, qui interdit à tout navire de quitter le pays afin qu'il puisse participer à la bataille à venir.

White arrive à Londres en novembre 1587 et se retrouve tout de suite réquisitionné dans l'effort de guerre.

Pendant l'hiver, l'explorateur Grenville obtient enfin une dérogation pour mener une flotte dans les Caraïbes afin d'attaquer les Espagnols, et White est autorisé à l'accompagner dans un navire de ravitaillement.

La flotte doit être lancée en mars 1588, mais des vents défavorables la maintiennent au port jusqu'à ce que Grenville reçoive de nouveau l'ordre de rester pour défendre l'Angleterre. 

Par chance, deux des plus petits navires de la flotte de Grenville sont jugés inaptes au combat, et White est autorisé à les conduire à Roanoke.  

La flotte part le 22 avril, mais les capitaines anglais tentent de nouveau de capturer plusieurs navires espagnols, ce qui ralentit considérablement l'expédition.

Le 6 mai, ils sont attaqués par des pirates français près du Maroc. Une trentaine de membres d'équipage sont tués et les provisions destinées à Roanoke sont pillées, forçant les marins à rebrousser chemin, bredouilles.

John White regagne l'Angleterre, embourbée dans une guerre navale d'une violence inouïe. Il se retrouve de nouveau mobilisé, cette fois-ci jusqu'en 1590.

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Lorsque le gouverneur revient enfin dans sa colonie, le 18 août 1590, jour du troisième anniversaire de sa petite-fille, il n'y trouve aucune trace des Anglais, à l'exception d'un mot gravé sur la palissade du village. "Croatoan". 

Croatoan était l’île située à 80 kilomètres au sud de Roanoke, où habitait la tribu éponyme avec qui la colonie avait développé de bonnes relations.

White est alors convaincu que les Croatoan ont accueilli les colons abandonnés à leur sort. Avant son départ, il était convenu que les Anglais laisseraient un symbole indiquant leur destination, ou une croix pattée s'ils avaient été forcés de quitter les lieux par les autochtones.

Mais une fois arrivé à Croatan, John White ne trouve personne. Il constate que les maisons ont été démantelées et que tout ce qui pouvait être transporté a été pris. Plusieurs grandes malles ont été déterrées et pillées. Aucun des bateaux de la colonie n'est retrouvé.

L’équipage revient dormir dans son navire ce soir-là, en attendant de retourner à Croatoan le lendemain. Mais dans la nuit, le câble de l'ancre se rompt.

La mission de recherche ne peut pas continuer au vu du risque considérable de naufrage. Les marins proposent alors à White de passer l'hiver dans les Caraïbes et de retourner à Croatoan au printemps 1591.

Ce plan échoue lorsque des vents violents empêchent le navire de s'amarrer à l'endroit convenu. L'équipage est de nouveau contraint de mettre le cap sur l'Angleterre, et y arrive le 24 octobre 1590.

Des siècles de recherche

Depuis, de nombreuses expéditions ont tenté de retrouver cette première colonie, en vain.

En 1595, Sir Walter Raleigh prétend même partir à la recherche des colons disparus, alors qu’il veut naviguer pour découvrir d’autres terres à revendiquer. Sa flotte traverse Roanoke et Croatoan sans s’arrêter, prétextant des conditions défavorables.

D’autres explorateurs comme John Smith, John Lawson ou Samuel Purchas tentent l’aventure aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les deux premiers trouvent des reliques de vie anglaise dans des villages indiens et l’un d’eux écrit même qu’il a rencontré des Indiens avec des traits européens. Samuel Purchas, fermement opposé aux Indiens, clame quant à lui qu’un chef de tribu lui a raconté avoir assassiné les colons peu après le départ de John White.

Aujourd'hui, le mystère n’est toujours pas élucidé, mais il existe un certain nombre de théories.

La plus largement acceptée est qu'ils ont trouvé refuge auprès des tribus indiennes locales, et se sont assimilés aux autochtones. D’autres garantissent qu’ils ont été tués par les Indiens, de plus en plus hostiles à leur présence.

Des fouilles organisées annuellement dans la zone où la colonie avait été établie ont déterré des objets anglais au milieu d’autres artefacts indiens, mais il est difficile de les dater avec certitude.

Postérité et folklore

Malgré les recherches scientifiques en cours, le mystère continue de créer la controverse et de nourrir le folklore. Beaucoup sont convaincus que le sort des colons ne peut être expliqué que par des faits paranormaux, et le mot gravé sur la palissade fait toujours l'objet de vives discussions.

Ces théories nourrissent aussi la culture populaire, qui ne cesse de décliner l'histoire de la colonie disparue en livres, films et séries fantastiques.

Stephen King en a fait une mini-série télévisée à succès en 1999, qui a contribué à populariser les théories paranormales. Et la série American Horror Story, diffusée sur Netflix, a ravivé l'engouement en 2016 en plaçant au centre de l'une de ses saisons la fameuse colonie disparue.

Les lieux de disparition des Anglais se sont même transformés en attraction touristique, où il est aujourd'hui possible de louer des vêtements typiques du XVIe siècle pour s'y promener, de visiter le fort abandonné, voire de dormir dans un hôtel "hanté par les colons".