Quand les USA internaient leurs propres ressortissants parce qu'ils avaient "le visage de l'ennemi"

Dorothea Lange (Wikipedia)

Dorothea Lange (Wikipedia)

Dorothea Lange (Wikipedia)

Franklin Delano Roosevelt est resté douze ans au pouvoir. Exactement comme Hitler, de 1933 à 1945. Son premier mandat a commencé avec le New Deal, le programme socio-économique qui a remis sur pied l'Amérique après le krach de 1929. Son dernier, entamé peu de temps avant sa mort, a vu la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début de l'hégémonie américaine. Surnommé "FDR", le 32e président des États-Unis aura fait de son pays non seulement une puissance économique, mais aussi puissance nucléaire.

Mais, revers de la médaille, il est aussi l'homme responsable de l’internement de 120.000 Nippo-Américains. Sans droit à un procès, en raison de leur ascendance japonaise, des civils, dont deux tiers ont la nationalité américaine, ont été déplacés et entassés dans des camps des plus rudimentaires. Et ce, pendant plusieurs années.

Reporters

Pearl Harbor: une infamie qui condamna les Nippo-Américains

C’est l’attaque japonaise surprise, le 7 décembre 1941, de Pearl Harbor, localisée à Hawaii, et connue pour être la plus grande base navale américaine, qui a été l'élément catalyseur. Provoquant 2403 décès et 1178 blessés, dont la moitié des pertes devait se compter à bord d’un cuirassé sombrant en 9 minutes, l’assaut nippon engendra un traumatisme indélébile pour des Etats-unis qui refusaient de s’engager dans le second conflit mondial.

Alors que la guerre sévit en Europe et en Asie, la puissance industrielle a opté pour un isolationnisme sur mesure, s’autorisant la vente d’armement à la Chine envahie par l’Empire nippon, et l’adoption d’embargos contre un Japon vorace s’accaparant l’Asie.

Honnissant ce "jour d’infamie", le réveil patriotique en toile de fond, FDR déclara alors la guerre au Japon. Et, par le jeu des alliances, les hostilités se propagèrent à l’Allemagne et l’Italie.

Franklin Roosevelt signe la déclaration de guerre contre le Japon le 8 décembre 1941.

Franklin Roosevelt signe la déclaration de guerre contre le Japon le 8 décembre 1941.

"Parce qu’ils ont le visage de l’ennemi"

Redoutant l’espionnage et le sabotage, alors que la côte ouest américaine comptait plus de 120.000 Nippo-Américains, pour la plupart à Los Angeles, le FBI, administré par le redoutable J. Edgar Hoover (photo, ci-dessus), procède alors à l’arrestation de plus d’un millier de personnes de la communauté. "Parce qu’ils ont le visage de l’ennemi", et en raison de leurs activités estimées influentes, de leur profession, ils sont soupçonnés d’intégrer une "5e colonne". Parmi les cibles : aussi bien des hommes d’affaires, des pêcheurs, des religieux, des professeurs d’arts martiaux, de langue, ou des éditeurs de journaux. Sous les yeux de leurs proches interloqués, malgré les protestations de ceux qui invoquent le respect de leurs droits, ils sont arrêtés sans savoir pourquoi, pour aller où ni pour combien de temps. Les regards des voisins, des amis, trahissent alors la suspicion et la peur : si on les emmène, murmure-t-on, c’est qu’il doit y avoir une raison.

L’incident de Niihau, où 3 Nippo-Américains d’Hawaii secourent un pilote japonais de retour de l’attaque de Pearl Harbor, consolide alors la thèse de leurs perpétuels détracteurs, des propagandistes hyperactifs de San Francisco pour lesquels "les Japonais ethniques sont totalement inassimilables et restent loyaux à l’empereur".

Un internement discriminatoire légal ?

Amplifiées par les propos hystériques d’officiels relayés par la presse, des rumeurs d’attaques de la côte ouest par le Japon alimentent alors un climat anxiogène. Le député Leland Ford appelle à la déportation et à l’incarcération des Nippo-Américains "dans des camps de concentration".

Le chef du FBI s'y oppose, estimant avoir déjà pris les mesures de sécurité adéquates. La Première Dame Eleanor Roosevelt, militante contre le racisme et pour les droits civils, proteste également contre cette déclaration.

Pourtant, le 19 février 1942, soit 74 jours après Pearl Harbor, le président américain signe le décret 9066 désignant des zones militaires d’où certaines personnes seront exclues.

Bien que cette mesure ne spécifie pas l’origine ethnique des personnes ciblées, 120.000 individus d’origine japonaise, contre 1.000 individus d’ascendance italienne et allemande, sont affectés.
A la suite des pouvoirs législatif et exécutif, la Cour Suprême défend à son tour la constitutionnalité du décret, le justifiant par une nécessité d’ordre public.

Parqués dans ghettos isolés
Ignorant leur destination finale, embarqués dans des trains aux vitres opaques, les déplacés n’ont pu emporter que le strict nécessaire: ils sont contraints d’abandonner emplois et habitations, lesquelles sont au mieux bradées à la va-vite. On les dissémine à travers 10 camps surpeuplés, cernés de barbelés, de gardes armés, sur des territoires désertiques et reculés.

Au sein des camps, l’intimité est réduite à néant, les murs intérieurs n’atteignent pas le plafond et des familles de 6 personnes sont confinées dans des baraques de 6 mètres sur 7.

On leur appose un matricule et, malgré les hivers rigoureux et les étés étouffants, colonisés par la poussière, les internés s’appliquent à mener un semblant de vie normale. S’alimentant à partir de ces terres arides, ils travaillent, étudient, bâtissent des écoles et des hôpitaux. Religion et loisirs leur apportent quelque réconfort.

Des précédents racistes

Derrière le prétexte de la guerre pour justifier ces internements "préventifs", un racisme anti-asiatique ancien et tenace prévalait. C’est en effet dès la fin du XIXe siècle que, faisant écho aux fermiers jalousant ces migrants économiques, un arsenal juridique fut déployé. Pour commencer, l’obtention de la nationalité par naturalisation, exclusivement réservée aux blancs et aux noirs, est refusée aux asiatiques. Seuls les enfants nés sur le territoire, en vertu du droit constitutionnel, peuvent donc l’acquérir. Il y a aussi l’interdiction de posséder des terres, des biens immobiliers ou que les enfants fréquentent les écoles des blancs. D’un autre côté, on leur reproche de ne pas "s’assimiler".

Où on reparle de patriotisme

Obsédées par la démonstration patriotique, mais surtout en manque de bras pour la guerre, les autorités adressent un "questionnaire de loyauté" aux internés. Il leur est demandé de choisir entre la loyauté à l’Empereur ou de combattre pour la démocratie américaine qui, faut-il le souligner, les emprisonne au mépris de leurs droits civils. En mal de légitimation, certains, au prix de leur vie, rallient alors des bataillons et seront par la suite reconnus parmi les plus décorés. Pour les récalcitrants, une seule destination: un camp de haute sécurité.

Un militaire nippo-américain.

Un militaire nippo-américain.

Une reconnaissance tardive

C’est au début de 1945 que les premiers internés sont autorisés à quitter le camp. Mais il faudra patienter près de 50 ans pour que l’injustice soit officiellement reconnue. Ce sont les Nippo-Américains qui, regroupés en associations et armés de persévérance, recourent alors aux pouvoirs judiciaire et législatif qui, antérieurement, leur avaient tourné le dos.

En 1983, une commission spéciale publie le "Personal Justice Denied" qui compile 750 témoignages, et fait part "des préjugés raciaux, de l’hystérie de guerre et de l’échec du leadership politique". Contraint par une majorité d’élus démocrates, le Président Reagan signe alors le Civil Liberties Act de 1988. Celui-ci édicte que chaque ancien interné en vie, de nationalité américaine ou résident permanent légal, recevra 20.000 dollars, distribués en 1990. Un geste tardif qui ne peut réparer, mais qui est novateur au regard des autres communautés discriminées dans ce pays d’immigrations.

Photos: Reporters - Ronald Reagan Library - Droits réservés