Pour qui votent les Français de Belgique...

... et pourquoi cette différence avec le résultat en France ?

De nombreux ressortissants français ont voté lors de la présidentielle de 2017 à Brussels Expo.

De nombreux ressortissants français ont voté lors de la présidentielle de 2017 à Brussels Expo.

Ce dossier a été rédigé par Pauline Denys et Emma Druelles, deux étudiantes de l’ULB, dans le cadre de leur cursus universitaire.

Les 10 et 24 avril 2022, les Français sont appelés à élire le futur Président de la République. Cela signifie que, dans quelques semaines, les ressortissants français en Belgique seront eux aussi attendus aux urnes à Bruxelles. En 2017, leur vote différait des résultats du scrutin en France.

L’occasion de se replonger près de cinq ans en arrière pour analyser la façon dont ils ont voté en 2017.

Les Français de Belgique, ces bons élèves

Des personnes font la queue pour assister à un meeting du candidat du PS français Benoît Hamon, le 21 mars 2017, à Bruxelles

Des personnes font la queue pour assister à un meeting du candidat du PS français Benoît Hamon, le 21 mars 2017, à Bruxelles

"J’ai toujours voté. Je le vois comme une chance." Juliette Rousselet est une Bordelaise de 52 ans, arrivée à Liège en 1997. Cela fait donc 24 ans qu’elle vit en Belgique et y vote. En 2017, elle n’a donc pas manqué de se rendre aux urnes en Belgique. Et elle n’est pas la seule: sur les presque 83 000 citoyens français inscrits sur les listes électorales en Belgique en 2017, un peu plus de 46 000 personnes ont participé au scrutin.

Ce qui fait de la Belgique le deuxième pays, parmi les onze pays qui comptent le plus de ressortissants français, où le taux de participation (56,6%) des Français à l’étranger est le plus élevé en 2017, après le Luxembourg (61,18%).

Pour Caroline Close, chercheuse et professeure en science politique à l’ULB, plusieurs hypothèses permettent d’expliquer pourquoi le taux de participation en Belgique est un des plus élevés. Premièrement, la proximité géographique, culturelle et linguistique peut jouer un rôle important : "Dans les médias nationaux, on parle de l’élection française. On s’intéresse aussi à ceux qui sont plus proches, géographiquement et culturellement de nous." Bruno Jean-Etienne, secrétaire général de l’association Français de Belgique-ADFE, le confirme. "Quand il y a des élections présidentielles, la Belgique vit les élections par procuration.Toute la Belgique regarde le débat entre les deux candidats." Il s’agit donc pour lui d’un climat favorable qui peut encourager les électeurs à se rendre aux urnes.

On pourrait faire l’hypothèse qu’il y a une espèce de socialisation aux normes participatives du pays d’accueil
Caroline Close, professeure en science politique

Une autre hypothèse est le comportement électoral du pays dans lequel les ressortissants vivent : "Si on part du principe que les ressortissants français sont socialisés et immergés parmi les nationaux qui vont très régulièrement voter, comme les Suisses par exemple, ça peut avoir un impact sur leur propre motivation à aller voter", précise Caroline Close. De plus, le vote est obligatoire en Belgique et au Luxembourg, ce qui peut favoriser une culture du vote même chez les ressortissants français. Au contraire, dans des pays comme le Canada et les Etats-Unis, les taux de participation au sein de la population sont plus faibles. "On pourrait faire l’hypothèse qu’il y a une espèce de socialisation aux normes participatives du pays d’accueil", résume Caroline Close.

Pour Léonard, 25 ans, cela va même plus loin que ça. "En tant qu’étranger, je n’ai pas le droit de voter en Belgique, donc il faut bien que ma voix se fasse entendre quelque part." Ce Français originaire de la région parisienne est arrivé à Bruxelles en 2005 avec ses parents. Après des études au lycée français et à l’université en Belgique, il est désormais ingénieur dans la capitale. En 2017, il participait à ses premières élections. Tout comme la Bordelaise Juliette, il considère que c’est important de voter. "Même si j’habite en Belgique, j’ai pour but de revenir en France et je m’intéresse à la façon dont le pays est géré."

Enfin, la taille du pays peut être un autre critère : aux Etats-Unis et au Canada, en chiffres absolus, il y a beaucoup de ressortissants français, plus qu’en Belgique, en Suisse et au Luxembourg, mais ils sont dispersés sur le territoire. La densité de réseau peut donc y être moins forte. "L’acte d’aller voter, c’est aussi le résultat d’une socialisation, de l’intégration des personnes dans des réseaux où on parle de politique, où chacun pousse les autres à participer", explique Caroline Close. "Je crois que c’est plutôt une question de dispersion et d’éloignement géographique à l’intérieur de ces territoires qui peut avoir un impact sur la participation."

En 2020, 109 885 personnes étaient inscrites en Belgique sur le registre des Français établis hors de France.

A travers le monde, elle est le quatrième pays après la Suisse, les Etats-Unis et l’Angleterre qui compte le plus d’inscrits sur ce registre. Il est important de noter que l’inscription est simplement recommandée par le service consulaire à tout Français résidant hors de France pour une période de plus de six mois. Elle n’est donc pas obligatoire. Cependant, elle est nécessaire dans certains cas, comme pour faciliter la demande de documents d’identité ou demander une bourse pour les enfants scolarisés dans un établissement scolaire français hors de France. Mais elle est surtout indispensable pour le recensement et le vote aux élections présidentielles, européennes, législatives, consulaires et pour les référendums.

Pour plus d’informations: Consulat Général de France à Bruxelles

Les différences avec le résultat en France

Le vote des Français en Belgique lors du premier tour en 2017 se distinguait sensiblement du vote général.

En effet, Emmanuel Macron (La République En Marche) arrivait en tête de ce scrutin dans les deux cas de figure, mais séduisait davantage les votants français en Belgique. L’écart était important puisqu’il attegnait presque 12 points.

La deuxième position du vote général revenait à la candidate du Front national, désormais Rassemblement national, Marine Le Pen, alors que les Français votant en Belgique ne la plaçaient qu’en cinquième position. Comment expliquer cette différence significative?

Pour la chercheuse Caroline Close, il n’y a rien d’étonnant dans cette disparité. "La grande différence réside dans le vote pour les deux candidats opposés sur le clivage gagnant-perdant de la mondialisation : Emmanuel Macron et Marine Le Pen." Emmanuel Macron avait, entre autres, tourné sa campagne autour de l’enjeu européen et de celui de la globalisation, ce qui a pu séduire les Français installés en Belgique.

Bruno Jean-Etienne, secrétaire général de l’association Français de Belgique-ADFE constate que le sentiment pro-européen est fort. "En Belgique, surtout à Bruxelles, de nombreux ressortissants gravitent autour de l’Union européenne, par leur emploi dans les institutions ou par les lobbyings." Et si ces personnes ne travaillent pas en lien étroit avec les institutions européennes, "il est fortement possible qu’elles soient socialisées parmi une population qui est acquise à la cause européenne", explique Caroline Close.

Au-delà de l’ancrage européen, il y a la question sociologique. "Je vais simplifier mais les électeurs de Marine Le Pen sont d’un niveau socio-économique plus faible", poursuit Caroline Close. "Ce ne sont pas des électeurs qui parlent spécifiquement plusieurs langues. Ce n’est pas un profil d’électeur qui peut se permettre d’aller travailler à l’étranger par exemple. Ce sont les perdants de la mondialisation. Vous n’allez donc pas retrouver sociologiquement ce profil-là parmi les expatriés français, en tout cas très peu."

La grande différence réside dans le vote pour les deux candidats opposés sur le clivage gagnant-perdant de la mondialisation
Caroline Close

Ni Juliette, ni Léonard, ainsi que la majorité de votants français sollicités pour cet article ne se reconnaissent dans l’électorat de Marine Le Pen. Ils partagent tous un profil de personnes hautement diplômées et ont en majorité soutenu Emmanuel Macron en 2017. Ce n’est pourtant pas le cas d’Anne-Claude, arrivée à Bruxelles il y a plus de dix ans. Elle a voté pour Marine Le Pen lors du premier tour de 2017. Cette quinquagénaire, originaire de la région lyonnaise, dit ne pas avoir voté par adhésion. "J’ai voulu envoyer un message, marquer un coup d’arrêt aux progressions politiques qui n’ont plus le sens de l’Etat." Elle est consciente que son vote ne reflète pas l’électorat moyen des Français en Belgique et surtout en Région bruxelloise. "Beaucoup de Français bobos, qui ont le portefeuille très à droite, sont satisfaits d’Emmanuel Macron et ils ne veulent surtout pas d’extrêmes." Selon elle, ils se complaisent dans un consensus européen, mais ce sont des Français déconnectés des réalités.

François Fillon (Les Républicains), tout comme Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise) ont connu des résultats similaires : "François Fillon a défendu des positions plus tranchées sur des questions migratoires et culturelles. Il est plus dans une posture conservatrice, mais il défend aussi plutôt les gagnants de la libéralisation économique. Donc, ce n’est pas un protectionniste", explique Caroline Close. "Jean-Luc Mélenchon, c’est tout l’inverse. Il a critiqué l’Europe. Pas pour les aspects culturels, mais plutôt pour les aspects socio-économiques. C’est l’Europe des libéraux, l’Europe des lobbys. Donc, je pense qu’ils peuvent chacun convaincre autant les Français de l’intérieur que les Français expatriés en Belgique."

Le candidat du parti socialiste Benoît Hamon, quant à lui, a comptabilisé près de 4 points de plus auprès des votants en Belgique. "Il était aussi un candidat pro-européen", explique Caroline Close. "Et si on part du postulat qu’il y a beaucoup de Français à Bruxelles, au niveau politique, la région est plutôt au centre, centre-gauche, au niveau francophone en tout cas, ce qui correspond plus ou moins à la position d’un Benoît Hamon."

2022 : de grandes interrogations

Peut-on s’attendre à des disparités similaires en 2022 ?

Pour Caroline Close, c’est impossible de le dire tant qu’on ne connaît pas tous les candidats. Le graphique de 2017 montre qu’au premier tour, cinq candidats se détachaient. "C’était déjà beaucoup pour un premier tour." La candidate de la droite républicaine est désormais connue. Mais Valérie Pécresse sera-t-elle faire suffisamment la différence face à Macron? A l’extrême droite, Marine Le Pen et Eric Zemmour sont tous deux désormais candidats aussi. Mais qu’en est-il à gauche? L’espoir s’amenuise de jour en jour pour qu’il y ait encore une vraie réflexion du camp général de la gauche et qu’il soutienne plus globalement le candidat qui dans les sondages se détachera comme candidat favori du centre-gauche. Ni Yannick Jadot, vainqueur de la primaire écologiste en septembre dernier, ni Jean-Luc Mélenchon de la France Insoumise, ni la candidate socialiste Anne Hidalgo n'ont souhaité participer à la primaire populaire. C'est finalement Christiane Taubira qui en est sortie vainqueur. Elle a appelé les autres candidats à la rejoindre, mais cette victoire risque d'aboutir de fait à une candidature de plus à gauche, les autres principaux candidats refusant de reconnaître toute légitimité à cette consultation populaire.

Mais la grande question concernant les Français de Belgique est la suivante : que vont faire les soutiens à Macron de 2017 ? Caroline Close pense qu’il était porteur de beaucoup d’espoir à l’époque : "Il incarnait une vague libérale au sens culturel mais aussi économique en France. D’habitude, le libéralisme est incarné à droite au niveau économique et à gauche au niveau culturel. Là, il essaye de mixer les deux. C’est ce qui a pu convaincre les Français en Belgique et ailleurs".

C’est effectivement ce qui a convaincu Juliette et Léonard. Ils apporteront d’ailleurs à nouveau leur soutien à Emmanuel Macron en 2022. Pour Juliette, il incarne un "compromis", qui la satisfait et elle pense qu’en cinq ans, il n’a pas encore pu faire ses preuves. Léonard estime, quant à lui, qu’il a beaucoup été critiqué mais qu’il "ose prendre des décisions qui ne sont pas populaires, mais nécessaires".

Mais les autres expatriés vont-ils continuer à le soutenir ? "Pendant son mandat, il est allé grappiller de plus en plus de voix conservatrices avec une position plus ferme sur la migration, sur certains enjeux, il est moins libéral, au sens culturel du terme, que comme il se présentait au départ", explique Caroline Close. "Donc que vont faire ces électeurs ?" 2022 apportera la réponse…

Comment voter depuis la Belgique en 2022 ?

Liste électorale consulaire

Pour pouvoir voter depuis la Belgique les 10 et 24 avril prochains, il faut être inscrit sur la liste électorale consulaire. Il est possible de le faire directement au consulat situé Boulevard du Régent, 42 à Bruxelles ou en ligne sur le site officiel de l’administration française.

Avec la réforme du répertoire électoral, il n’est désormais plus possible d’être à la fois inscrit sur la liste électorale consulaire et sur la liste d’une commune française. Il faut donc faire un choix.

Depuis 2019, il est possible de s’inscrire jusqu’à 6 semaines avant le premier tour, soit début mars pour les élections de 2022.

Contrairement à la France, et en raison des réductions de coût, le consulat n’envoie pas de carte électorale. Ainsi, il suffit de se rendre dans un bureau de vote muni de sa carte d’identité pour voter en Belgique.

Bureaux de vote

Une fois inscrit sur la liste électorale consulaire, un bureau de vote est attribué. Chaque bureau ne peut pas proposer plus de 1000 places pour être dans la légalité. Ainsi à chaque élection, il faut mettre en place 85 bureaux de vote à travers la Belgique : "C’est un vrai tracas administratif, d’autant plus aujourd’hui avec les règles sanitaires en place", confie Bruno Jean-Etienne, secrétaire général de l’association Français de Belgique-ADFE.

Il y aura ainsi une douzaine de centres de votes, notamment dans les écoles avec plusieurs bureaux. Le plus gros centre sera situé au Heysel, à Bruxelles, et comptera environ 50 bureaux pour attirer à la fois les Français qui habitent dans les communes de Bruxelles mais aussi ceux qui résident dans le Brabant flamand.

Vote en ligne

Si le vote en ligne est possible, il ne concerne que les élections législatives. En effet, en raison de la possible fraude et de l’importance de l'élection présidentielle, la méthode classique de se déplacer en bureaux de votes est pour l’instant, l’unique possibilité.

Procuration

Pour le vote par procuration, il faut également se rendre au consulat. Il suffit de remplir le "formulaire CERFA de demande de vote par procuration" en ligne, de l’imprimer et ensuite de l’apporter au consulat pour le signer devant l’autorité consulaire. Un Français inscrit sur les listes consulaires peut ainsi donner le nom d’un voisin ou d’un ami résidant en Belgique, mais s’il est toujours inscrit sur les listes électorales de sa commune en France, il devra donner le nom d’un proche résidant en France. "À chaque élection présidentielle, on a
des gens qui jusqu’au dernier jour viendront s’inscrire ou faire procuration car les gens sont très motivés pour voter"
, affirme Bruno Jean-Etienne.