Plongée dans
l’esthétique
du quotidien


À l’institut Bruno Lussato, à Bruxelles, 
la co-fondatrice des lieux,
Marina Fédier croit au rôle de la culture pour vivre mieux. La Libre Explore vous y invite à une expérience, la fabrication du beau à la japonaise.

© Jean-Christophe Guillaume

© Jean-Christophe Guillaume


Marina Fédier.
Portrait d'une femme de culture

Co-fondatrice de l'Institut bruxellois Lussato

© JC Guillaume

© JC Guillaume

La culture n’est pas un luxe, c’est une nécessité, surtout à notre époque, qui est une époque de grands bouleversements”. Tous les cinquante ans, il y a des changements, et tous les 500 ans il y a des bouleversements. Comme on a pu dire, “avant Jésus-Christ” et “après Jésus-Christ”, on peut désormais dire “avant l’informatique” et “après l’informatique”.

Marina Fédier, devant le mur de masques de sa collection japonaise, dans les murs de l'institut Lussato. © Jean Christophe Guillaume

Marina Fédier, devant le mur de masques de sa collection japonaise, dans les murs de l'institut Lussato. © Jean Christophe Guillaume

Marina Fédier martèle son idée, avec assurance mais douceur, assise, de trois quart, dans le grand canapé crème du salon de l’institut Lussato.Marina Fédier est la maîtresse de cette maison aux lignes ciselées, de style pré-Bauhaus posée dans la verdure uccloise. Elle vit dans ces murs signés de l’architecte Antoine Pompe, une partie de l’année, partageant son autre moitié de vie remplie, avec Paris.

Elle est l’instigatrice, avec son frère Bruno Lussato, de l’institut qui porte son nom à lui. Et d’aussi loin qu’elle se souvienne, Marina et son frère Bruno ont toujours eu une passion pour la culture. “Quand nous étions petits, nous allions en vacances, en Italie, et je me souviens que je passais mes vacances avec Botticelli. On allait, mon frère et moi, dans les églises, les musées : j’avais cette passion pour l’art.

"J’étais enfant, mais je me souviens, je me disais : “Ah, si j’avais pu connaître Botticelli”… 
Marina Fédier, cofondatrice de l'institut Bruno Lussato

"Et puis, je me suis dit qu’il existait des artistes vivants !”Marina Fédier s’engage alors dans des études qui lui donnent l’occasion de travailler dans un centre culturel et artistique, à Paris. “À 18 ans, je connaissais Salvador Dali, Henry Moore… J’ai eu la chance de côtoyer beaucoup d’artistes et je peux vous dire que cela m’a plus appris que mes études encore… Car nous avons besoin de pouvoir décoder le monde”. Une philosophie qu’elle fait sienne avec son frère, engagé, pourtant, dans un monde moins directement lié à la culture.

Une culture de l’humain

Dans les années 80 en effet, son frère Bruno Lussato, éminent professeur de management au CNAM à Paris, à et l’université de Pennsylvanie, enseigne une nouvelle forme de management fondée sur la compréhension du facteur humain.

Il perçoit que la culture est une composante supplémentaire au rôle du manager. “Mon frère travaillait comme consultant à l’époque pour Auchan et Rhône-Poulenc notamment. Je me souviens, avant d’aller donner un séminaire de management Rhône-Poulenc au Japon, on commençait par parler de la culture ; on faisait un zoom sur les idéogrammes. Et, en comprenant les idéogrammes, on avait une vision holistique de la pensée japonaise”. (NdlR, une vision holistique de l’être humain tient compte de ses dimensions mentale, sociale, culturelle, et spirituelle).

Marina Fédier tourne, lentement dans sa main, sa tasse de thé en raku, cette faïence brute japonaise ; elle souligne la beauté de l’objet en prenant le temps de le regarder ; puis reprend : “Mon frère était un génie, ou tout le moins, il était génial. C’était en tout cas un visionnaire”.
Bruno Lussato met en effet au cœur de sa démarche managériale le sens du lien, qui nous relie tous. Il écrit, en 1989, Le défi culturel, dans lequel il fait la part belle à la nécessité de la compréhension globale du monde pour qui le dirige.

Mon frère disait qu’un manager cultivé est plus performant qu’un qui ne l’est pas. Et, qu’a-t-on fait ? Nous avons mis la culture à disposition, car la culture sensibilise à la beauté".
Marina Fédier, soeur de Bruno Lussato

"Et quand on est sensible à la beauté et à la créativité, cela ouvre à l’intuition”.
À la fin des 90’s, Marina Fédier et Bruno Lussato sont en quête d’un lieu où pourrait s’exprimer leur envie de partage de la culture. En France, leur volonté d’ouvrir un institut culturel n’est pas suivie par les pouvoirs publics, malgré le fait qu’ils possèdent tous deux une collection magistrale d’objets japonais Mingei qui les ont touchés, au cours de leurs pérégrinations à la galerie Visconti à Paris. “Nous avions une collection ; et nous avions la conviction de l’utilité de partager les savoirs”. De les faire connaître, et de les relier. “Comme on peut relier Wagner et le management. Ou la physique quantique et la spiritualité – car, dans l’infiniment petit de la physique quantique, on comprend beaucoup de choses”.

Décoder, relier, transmettre

De nos jours, Marina Fédier n’a rien cédé à cette philosophie des origines. Elle reprend où elle avait commencé son propos : “Vous savez, la pilule informatique a bouleversé tout notre système. Et dans le monde qui se met en place, il est indispensable, toujours et encore, de décoder ce qui nous entoure. C’est ainsi que mon idée demeure la même, qui peut se résumer en trois mots qui caractérisent notre institut : décoder, relier, et transmettre”.C’est ainsi, fort logiquement, qu’elle ouvrira les portes de sa maison dans un mois, aux lecteurs de La Libre.

Sa collection Mingei, composée d’objets de la maison issus de la culture japonaise, rappelle que le beau n’est pas seulement une vue de l’esprit, il est une affaire très sérieuse du quotidien.

Entrez dans la maison au mil objets insolites. ©JC Guillaume

Entrez dans la maison au mil objets insolites. ©JC Guillaume

© Jean-Christophe Guillaume

© Jean-Christophe Guillaume

Le juge des enfers dans sa vitrine, un objet Mingei. ©JC Guillaume

Le juge des enfers dans sa vitrine, un objet Mingei. ©JC Guillaume

Observer la beauté à travers sa quotidienneté faite objet invite à faire la paix avec la réalité. La percevoir avec raison et sensibilité, c’est savoir regarder sa beauté, même triviale.

À quoi sert cet objet ?

A la découverte d'une certaine esthétique nipponne.

Jean Christophe Guillaume

Jean Christophe Guillaume

Le chasseur de mauvais rêves

Le tsutsugaki à prêter ! © JC Guillaume

Le tsutsugaki à prêter ! © JC Guillaume

Parmi les centaines d’objets qui parsèment l’intérieur chaleureux de la maison Lussato-Fédier, un objet recouvert de curieux animaux, mi-éléphant mi-dragon, et qui vous regardent avec un air sévère. Ce sont des baku, créatures chimériques issues du folklore chinois et qui sont du genre à avaler les cauchemars… “Je vous le prête d’ailleurs, si vous avez des nuits agitées”, propose gentiment Marina Fédier. Ce tsutsugaki est un textile japonais qui servait initialement de couvre-lit.

Autant dire que c’est un objet typique du quotidien. Mais, au Japon, rien n’est jamais fait au hasard. Et d’abord, que veut dire tsutsugaki ? C’est une technique de teinture de textiles à l’indigo, “tsutsu” signifie tube et “gaki”, le dessin. La technique utilise de la pâte de riz apposée sur un tissu à l’aide d’une douille (le tsutsu). Le tissu est ensuite passé à la teinture indigo pour colorer le textile, puis rincé. Une fois nettoyés, les motifs blancs issus de la réserve non teintée surgissent, comme par magie, de l’indigo. 

Cette technique a aussi été utilisée pour des vêtements journaliers ou encore pour l’uniforme des pompiers, rappelant comme l’objet usuel, au Japon, doit être fait avec attention.

Au centre, le fameux uniforme de pompier nippon. © JC Guillaume

Au centre, le fameux uniforme de pompier nippon. © JC Guillaume

Le petit démon espiègle

Voici le petit chouchou de Marina Fédier. “Et qu’est-ce qu’il a pu voyager, celui-là !” Cette statuette en bois est ce qu’on appelle un “oni”, une petite créature qui fait partie du folklore japonais, de la même famille que les démons, les diables et les petits ogres.

Ces personnages sont particulièrement présents dans les arts populaires japonais, au théâtre, et dans les livres aussi. Ils sont souvent habillés comme des humains, bien qu’ils n’en soient pas. Pour brouiller les pistes et faire les hypocrites, ils revêtent une robe de prêtre, comme s’ils étaient prêts à une offrande à un temple : les oni sont de gentils menteurs qui ne manquent pas d’humour.

Cette curieuse tête qui vous fixe

La collection Lussato-Fédier se compose d’une somme assez impressionnante de masques qui vous regardent avec des grands yeux, des masques d’époques et de significations différentes.

À commencer par cet exemplaire en bois clair, et aux dents longues, qui servait au rituel du tsuina, qui a plus de 500 ans. Toujours pratiqué dans certaines régions du Japon, le tsuina est un rituel bouddhiste à vocation chamanique.

Un masque Tsuina .© Jean-Christophe Guillaume

Un masque Tsuina .© Jean-Christophe Guillaume

On s’explique : la veille du nouvel An, le chamane portait ce masque effrayant dans le but de chasser les mauvais esprits du lieu, responsables de possibles calamités à venir. La pratique n’a pas tout à fait disparu, encore fêtée au sanctuaire de Yoshida à Kyoto.

Autre ambiance, autre destinée : ce masque de batô, avec un très gros nez ! Et destiné aux danseurs de gagaku, l’une des plus anciennes danses de cour japonaise…

Un masque batô. © Jean-Christophe Guillaume

Un masque batô. © Jean-Christophe Guillaume

De bonnes joues, de bon augure

On ne pourra qu’être attiré par le visage poupin de cette dodue poupée gosho-ningyoGosho-ningyo signifie en japonais “poupées du palais impérial”. Selon la règle établie par le shogunat Tokugawa, les seigneurs devaient passer une année sur deux en résidence à Edo (aujourd’hui Tokyo). À travers cet objet-cadeau, les aristocrates invités à la cour cherchaient à rendre hommage à leur empereur : ces figurines au visage bien nourri devaient apporter de bonnes augures à celui qui le recevait. L’objet, qui fait partie de la collection Fédier-Lussato, a une particularité : il est composé de cheveux humains et fait d’une porcelaine fine. Chose étonnante, l’objet a traversé le temps sans connaître d’accident malheureux, malgré sa taille volumineuse. Ce bébé en porcelaine plantureux ne fait pas loin de 40 cm de haut.

À l’agenda de La Libre Explore

Le 12 mars, à 13h30, La Libre Explore vous donne rendez-vous à l’Institut Bruno Lussato, à Uccle.

L’institut bruxellois ouvre aux lecteurs de La Libre dans une formule inédite. Marina Fédier, cofondatrice de l’Institut Bruno Lussato, invite les lecteurs de La Libre à une après-midi exclusive, qui s’entamera avec une visite guidée des pièces phares de la collection de l’institut.
Une collection orientée autour de l’esthétique japonaise.

Pour entrer un peu plus avant dans les gestes du quotidien, les lecteurs de La Libre seront invités à une double expérience. Se tester à l’art décoratif de l’ikebana.
Et puis, dans un second temps,
relever ses manches et se faire artiste du papier en compagnie d’un maître origamiste.
Une causerie, axée sur les enjeux que doit défendre un institut culturel en 2020, aura lieu entre Marina Fédier, cofondatrice de l’institut Bruno Lussato, et Aurore Vaucelle, animatrice de La Libre Explore. Cliquez ici pour tout savoir et vous inscrire à l’événement .