Ordinateur quantique, voyageur de l'intime

Dans le monde de l'infiniment petit existent des lois qui révolutionnent notre approche de l'informatique. Ce monde, c'est celui de la physique quantique. Pour un objet encore incertain, l'ordinateur quantique.

Un cube de verre. 2 mètres 75 sur 2 mètres 75. À l’intérieur, un cylindre noir et brillant. Un design très poussé pour un produit obscur. Une machine à la limite de la théorie aux potentialités énormes. Cet objet, c’est un ordinateur quantique intégré, présenté par IBM en janvier 2019. Son nom, le Q System One.

Ce nouveau type d’ordinateur est d’abord un rêve de physicien. Depuis vingt-cinq ans, c’est le moteur d’une course effrénée à la technologie. Le Graal des grandes industries de l’information. IBM, Google, D-Wave, Intel. Une armée de scientifiques à la recherche du paradigme qui chamboulera l’informatique du 21ème siècle.

L’annonce d’IBM secoue le monde de la tech. Un coup de communication selon certains. Une avancée importante pour d’autres. Et personne n’est d’accord. En attendant, le produit est là. Pas nécessairement destiné à la commercialisation, mais plutôt à rester dans les locaux de l’entreprise.

L’ordinateur quantique, entre promesse et réalité. Mais c’est quoi au juste ?

Aux confins du minuscule

La physique quantique observe l’intime de la matière, scrute la beauté de l’infiniment petit, voyage dans les territoires subatomiques. C’est la promesse d’une régate à contre-intuition, loin de l’évidence, de ce que les yeux ne cessent de contempler.

Dans un ordinateur quantique, il n’y a pas de phénomène quantique à proprement parler. La machine s’inspire des logiques de cette partie de la physique. Pour comprendre son fonctionnement, il faut revenir sur deux caractéristiques propres au monde quantique.

La physique classique s’occupe de l’échelle macroscopique. Ses lois s’appliquent aux objets de grande taille, d’une planète à une balle de tennis en passant par la voiture du voisin. Mais lorsque l’on réduit le scope, que l’on dépasse l’atome, on atterrit dans un monde extrêmement petit. Les lois y sont différentes. Elles obéissent à la logique de la physique quantique. Ici, on jongle avec des photons, des électrons, des particules. Et ce monde du minuscule surprend qui s’y intéresse.

La première idée qui bouscule l’intuition s’appelle la superposition. Dans le monde physique classique, un objet possède un état particulier. Il a une vitesse, une position. La voiture est dans le garage, lavée avec soin le dimanche. Mais quand il s’agit d’une particule, d’un objet quantique, ça se complique. Celui-ci peut compiler différents états qui lui sont propres. Un électron peut avancer à différentes vitesses ou être à plusieurs endroits simultanément. Quand une particule se déplace d’un point à un autre, elle va le faire en empruntant tous les chemins possibles.

C’est ce qu’il se passe dans un ordinateur quantique. Alors que l’informatique classique opère dans un ordre séquentiel, sa version quantique réalise tous les calculs simultanément. Comme la particule qui va explorer tous les chemins possibles pour aller d’un point à un autre, le système quantique va calculer toutes les solutions possibles à un problème en même temps.

IBM Research

L'ordinateur quantique d'IBM

L'ordinateur quantique d'IBM

Téléportation immédiate

Le principe de superposition augmente considérablement la vitesse d’exécution des algorithmes informatiques. Mais ce n’est pas la seule caractéristique du monde quantique dont s’inspire l’ordinateur du futur. Le deuxième principe s’appelle l’intrication quantique.

Le principe est simple mais intimement contre-intuitif. Dans le monde de l’infiniment petit, deux objets peuvent être liés. Un lien si fort qu’ils partagent le même état quand ils sont mesurés. Et ce, peu importe la distance qui les sépare. Le record actuel est celui d’une équipe de scientifiques chinois. Ils ont réussi à envoyer de l’information du Tibet à un satellite à travers deux particules quantiques intriquées. L’information ne s’est pas copiée de la Terre à l’objet en orbite. Elle s’est téléportée.

Alors, on est loin des images de la science-fiction. Pas de portail à la Star Trek, pas de cheminée à la Harry Potter. Ici, il s’agit de deux objets quantiques partageant un lien si particulier que leur état est le même et évolue en même temps.

Avec l’intrication et la superposition, l’ordinateur quantique a les armes nécessaires pour transformer profondément l’informatique. Mais, ces phénomènes ne se déroulent pas n’importe où. Ils ont lieu dans des systèmes particuliers. Ils sont abrités dans ce que l’on appelle un Qubit.

Un piège à ions, une variante de l'ordinateur quantique

Un piège à ions, une variante de l'ordinateur quantique

Serge Haroche, Prix Nobel de physique 2012 pour son travail sur le Qubit avec David Wineland

Serge Haroche, Prix Nobel de physique 2012 pour son travail sur le Qubit avec David Wineland

Le Qubit à l’isolement

Le plus petit élément de l’informatique classique s’appelle le bit. C’est un objet qui prend une valeur de 0 ou de 1 en fonction du signal électrique qu’on lui envoie. Cette information binaire va servir de base au fonctionnement des algorithmes d’un ordinateur. Tout part d’une de ces valeurs.

Le bit a son équivalent quantique, le Qubit. Cet élément a le même rôle : être la base du système informatique et de ses calculs. Mais l’avantage du Qubit est qu’il profite à la fois de la superposition et de l’intrication. Il est capable de prendre toutes les valeurs de 0 et de 1 simultanément. Et donc, de dépasser le calcul séquentiel pour emprunter tous les chemins possibles en une fois. Grâce à l’intrication, sa puissance devient exponentielle, puisqu’il peut être relié à d’autres qui vont calculer en même temps.

L’ordinateur quantique promet une surpuissance algorithmique. Mais pas tout de suite, parce que d’énormes verrous technologiques subsistent. Le principal prend le nom de décohérence.

La décohérence, c’est un phénomène qui s’attaque à la superposition. Le moment où la superposition disparaît, où l’objet quantique se fige dans un état particulier. La voiture de mon voisin est dans son garage, mais elle est soit sale, soit propre. Dans des conditions expérimentales, la décohérence modifie le système quantique quand il entre en contact avec le monde extérieur.

L’ordinateur d’IBM comprend un cube de verre isolant, doublé d’un système de refroidissement qui permet aux Qubits d’évoluer dans un environnement à -273°C. Le tout, pour éviter la décohérence et la perte de la superposition. L’ennemi numéro 1 de l’ordinateur quantique.

Mais ce n’est pas la seule force à combattre. La physique quantique subit aussi les limites qui la sépare de la physique classique. Il est très difficile d’augmenter la taille des objets quantiques sans perdre les effets de ses lois. L’échelle est importante car il existe une réelle séparation entre les deux branches de la physique. L’idée d’une théorie totale agite toujours les cerveaux des scientifiques. La réconciliation de l’infiniment petit et de l’infiniment grand.

Quand le futur inspire le présent

Un ordinateur quantique est donc capable de déclencher des calculs massivement parallèles. Et, grâce à l’intrication, plus il y a de Qubits, plus le phénomène est puissant. Mais ce nombre est encore assez limité. L’ordinateur d’IBM n’est composé que de 20 systèmes quantiques. Augmenter la quantité de Qubits est un des enjeux de l’informatique quantique, comme sa miniaturisation. Le Q System One prend une place considérable. Un éléphant ultra-rapide.

L'installation de l'ordinateur quantique d'IBM

L'installation de l'ordinateur quantique d'IBM

Les secteurs à qui va profiter le développement de l’informatique quantique sont directement liés à cette information. Un géant américain comme Google a un intérêt tout particulier dans la technologie. Retrouver à une vitesse incroyable de l’information dans une base de données géante. Un autre secteur, la cryptographie. L’ordinateur quantique est capable de mettre en œuvre des algorithmes qui mettraient à mal les techniques cryptographiques actuelles. Aujourd’hui, le secteur se prépare à son arrivée et à la révolution qu’il pourrait engendrer. L’intérêt d’un autre géant des USA n’a rien d’étonnant : l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA). Et l’on peut encore citer le monde de la finance, celui de la médecine. Autant d’industries et de services qui nécessitent une puissance de calcul faramineuse. Pour simuler, pour apprendre.

Mais, il faudra encore un peu de temps pour développer toutes ces applications technologiques. Les plus optimistes parlent de quinze à vingt ans. En attendant, la communication d’une grande entreprise comme IBM est importante. L’espoir du quantique lui offre un moyen de renouveler sa production et son développement. Dans un monde où les dinosaures de l’information sont de plus en plus dépassés. Les applications futures de cette technologie inspirent directement le présent. Il s’adapte, se prépare. Comme si demain devenait la cause d’aujourd’hui. L’ordinateur quantique, la révolution qui veille.

Texte : Victor Huon
Photos : Belga / IBM Research