«On sait que la suppression des centres fermés,
c'est pas pour demain»

Le 10 mars 2019, des manifestants s'apprêtent à marcher depuis le centre de Liège jusqu'au centre fermé de Vottem, situé à 3,5 kilomètres et ouvert 20 ans plus tôt. © Sarah Freres

Le 10 mars 2019, des manifestants s'apprêtent à marcher depuis le centre de Liège jusqu'au centre fermé de Vottem, situé à 3,5 kilomètres et ouvert 20 ans plus tôt. © Sarah Freres

Vottem en chiffres*

En moyenne, 1000 personnes y sont enfermées chaque année. Depuis 2006, il n'y a plus de femmes à Vottem. En 16 ans, 575 y ont été détenues.

Selon une réponse parlementaire de l'ex ministre de l'Intérieur, Jan Jambon (N-VA), le coût de la détention s'y élève à 158 euros par jour et par personne en 2017. Cela comprend les dépenses de fonctionnement, la rémunération du personnel et l'amortissement des bâtiments.

Entre 1999 et 2017, 146 nationalités sont passées par ce centre. Les deux nationalités les plus représentées sont les Marocains et les Algériens.

Sur cette même période, 43,2 % des résidents du centre ont été rapatriés (dont 2,3 % de manière volontaire), 20,1% ont été transférés dans un autre centre fermé ou en prison et 36,7 % ont été libérés. Parmi cette dernière catégorie (7 923 personnes sur 19 891) : 178 ont obtenu des papiers, 40 ont été prises en charge par des organisations s'occupant des victimes de la traite d'êtres humains, 1 665 ont été libérées, 5 287 ont été relaxées avec un ordre de quitter le territoire, 119 se sont évadées.

*NDLR : Ces statistiques sont reprises dans un récent rapport du Collectif de Résistance Aux Centres Pour Étrangers (CRACPE). Les statistiques officielles de l'Office des Étrangers ne font pas la distinction entre les différentes centres fermés. Certains rapports annuels des centres fermés, dont celui de Vottem, ont été rendus publics mais pas tous. Il est donc difficile d'avoir une image exacte et complète de la vie interne des centres.

Le 9 mars 1999, le centre fermé de Vottem accueille ses premiers résidents. L’un est Moldave, l’autre est Ukrainien. Quelque 2000 personnes protestent le soir même. Deux ans plus tôt, en 1997, le Collectif de Résistance Aux Centres Pour Étrangers (CRACPE) est fondé. Pendant la construction du centre, décidée par le gouvernement Dehaene I (coalition PS, CVP, PSC et SP) après les législatives de 1991, la rue Visé-Voie est rebaptisée “rue du camp de la honte”.

Les premières manifestations sont organisées avant l'ouverture du centre.

Les premières manifestations sont organisées avant l'ouverture du centre.

Pour France Arets, porte-parole du CRACPE, la multiplication des centres fermés en Belgique (seul celui de Melsbroek, aujourd’hui appelé le Caricole, existait avant 1992) constitue à l’époque une réponse aux discours de l’extrême-droite qui fait une percée historique le “dimanche noir” de 1991.

Vingt ans plus tard, le centre de Vottem est toujours le seul de Wallonie. Mais cela pourrait bientôt changer. Le Masterplan centres fermés de Theo Francken (N-VA), ex-secrétaire d’État à l’Asile et la Migration a été adopté sous cette législature pour doubler la capacité de détention. Trois nouveaux centres doivent être érigés, à Holsbeek (Louvain), à Zandvliet (Anvers) et à Jumet (Charleroi). En juillet 2018, l’arrêté royal permettant l’enfermement de familles avec enfants dans une aile spéciale du 127bis est publié au Moniteur Belge.

Le centre fermé de Vottem est celui devant lequel les manifestations sont les plus fréquentes.

Le centre fermé de Vottem est celui devant lequel les manifestations sont les plus fréquentes.

Réunis à Liège pour manifester à l’occasion du vingtième anniversaire du centre fermé de Vottem, des militants font valoir leurs revendications, que le CRACPE va répercuter auprès des partis politiques en vue des élections : organiser une nouvelle campagne de régularisation des sans-papiers (comme en 1999 et 2009), stopper la construction des nouveaux centres et supprimer ceux qui existent déjà.

Certains portent des gilets jaunes, d'autres des gilets de sauvetage. Il y a des jeunes anti-fascistes, des personnes plus âgées chrétiennes, des sans-papiers et des anciens sans-papiers, des enfants.

Tous jugent la volonté actuelle d’intensifier la politique de détention et d’expulsion inacceptable. Paradoxalement, ils ne se découragent pas. “J’étais dans un état de choc quand le gouvernement a pris la décision de construire Vottem, se souvient Didier, un manifestant de la première heure. La colère était énorme et a été décuplée suite au décès de Semira Adamu. Vingt ans plus tard, je ne m’y suis toujours pas habitué. Chaque année, on manifeste en mars ou en avril. Depuis dix ans, on organise une veillée de Noël. Chaque samedi, 50 fois par an, on est une petite dizaine à aller devant les portes du centre. On prend un mégaphone pour communiquer nos numéros de téléphone aux détenus et leur montrer notre soutien.”

"La Cité Ardente a toujours été une ville de résistance"

Depuis 1999, le noyau dur des militants a obtenu quelques victoires : les femmes et les enfants n’y sont plus enfermés depuis 2006, sa capacité n’a pas été agrandie et la population est de plus en plus sensibilisée. “La prise de conscience est beaucoup plus large aujourd’hui. Je pense que c’est notamment dû à l’action de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. Malgré tout, on sait que la suppression des centres, ce n’est pas pour demain. Moi, j’y crois... Mais il faudra une mobilisation européenne pour que ça avance”, avance France Arets.

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Consciente que la disparition totale des centres de détention relève de l'utopie, cette militante n'en démord pas. Pour elle, les supprimer permettrait de mieux lutter contre le dumping social et l'exploitation des personnes en séjour irrégulier, forcées de travailler en noir. Quid des criminels étrangers condamnés pour des crimes ou des délits ? "Si ces personnes purgent une peine de prison, si elles paient leur dette envers la société, je ne vois pas pourquoi il faut absolument les rapatrier. Pour moi, les mettre en centre fermé après la prison, c'est une double peine".

France Arets sait que la suppression des centres fermés est utopique. © Sarah Freres

France Arets sait que la suppression des centres fermés est utopique. © Sarah Freres

“La résistance ne faiblit pas, même si on sait qu’on ne va pas gagner à court-terme. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à nous rejoindre”, note Didier en se tournant vers Sibylle Gioe, une avocate qui a empêché le rapatriement des Soudanais en 2017.

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“Tu avais failli faire tomber le gouvernement !”, dit-il en la regardant. “N’exagérons rien”, rétorque Sibylle, qui manifestait déjà devant les portes de Vottem avec sa maman quand elle était petite.

Didier et Sibylle manifestent à Vottem depuis des années. © Sarah Freres

Didier et Sibylle manifestent à Vottem depuis des années. © Sarah Freres

Comme Sibylle, Solange et Dominique contestent l’existence même des centres fermés et joue sur la terminologie. “Ces endroits sont pires que des prisons, c’est insupportable ! Quand on vient manifester devant le centre, les détenus sont déplacés de l’autre côté pour ne pas nous entendre”, s’exclame Dominique. “Ce sont des zones de non-droit où des gens sont enfermés pour des raisons administratives et non pas pénales", explique Didier. "Quand on voit les 70 points du Vlaams Blok, on y est. La politique actuelle est un indicateur de la droitisation de la politique migratoire”, surenchérit Sibylle.

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La forte mobilisation, qui ne faiblit pas depuis 20 ans, est-elle une spécificité liégeoise ? "La Cité Ardente a toujours été une ville de résistance", sourit Robin Bronlet, avocat et bénévole dans la toute fraîche section locale de la Ligue des Droits Humains. "Ça tient aussi au fait que Vottem est facilement accessible. Les centres en Flandre, ou même celui de Steenokkerzeel, sont quasiment inatteignables en transports en commun".

Les Liégeois se sont mobilisés spontanément après des suicides au centre de Vottem. Selon le CRACPE, cinq décès - dont trois suicides - y sont survenus depuis 2008. © Sarah Freres

Les Liégeois se sont mobilisés spontanément après des suicides au centre de Vottem. Selon le CRACPE, cinq décès - dont trois suicides - y sont survenus depuis 2008. © Sarah Freres

"Les partis politiques doivent se positionner"

Les critiques des militants anti-Vottem ne visent pas que la droite. La gauche aussi a sa part de responsabilité. Sur l’espace Tivoli, près de la place Saint-Lambert, des militants du PTB et d’Ecolo se greffent à la foule. “On veut que les partis qui disent être à nos côtés se mobilisent vraiment. Et surtout, qu’ils se positionnent ! Le PS liégeois est pour la régularisation des sans-papiers et la suppression des centres fermés. Mais au niveau national, les socialistes sont timides”, décortique France Arets.

Entre la place du marché et la place Saint-Lambert, les manifestants sont rejoints par des membres du PTB et d'Ecolo. © Sarah Freres

Entre la place du marché et la place Saint-Lambert, les manifestants sont rejoints par des membres du PTB et d'Ecolo. © Sarah Freres

Et de préciser, avant de se mettre en marche sous la pluie, que la CRACPE interpellera prochainement Elio Di Rupo (PS) et Paul Magnette (PS) pour clarifier la position de leur parti sur les centres fermés. Bourgmestre de Charleroi, le second vient d’introduire un recours contre la construction du futur centre fermé de Jumet. “Oui, c’est bon signe. Mais en même temps, c’est sous le gouvernement Di Rupo que Maggie De Block a instauré l’aile sécurisée dans le centre de Vottem…”, épingle la porte-parole.

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