"Mon souhait, c'est que Dieu amène quelque chose pour que je reste dans mon village"

Au Niger, le réchauffement climatique accentue l'exode rural. Un voyage qui n'est jamais entrepris de gaïeté de coeur. Ce voyage de presse a été réalisé en partenariat avec Caritas International Belgique et financé par le projet européen Mind, pour la sensibilisation et l’éducation au développement. L’indépendance rédactionnelle est garantie.

Au Niger, le réchauffement climatique accentue l'exode rural. Un voyage qui n'est jamais entrepris de gaïeté de coeur. Ce voyage de presse a été réalisé en partenariat avec Caritas International Belgique et financé par le projet européen Mind, pour la sensibilisation et l’éducation au développement. L’indépendance rédactionnelle est garantie.

Dans le village de Toudou Kemila, situé dans la commune peule et touarègue de Droum, au sud du Niger, il est temps de migrer. Les récoltes sont terminées, la faim commence à se faire sentir. Depuis un mois, il ne reste presque plus rien, si ce n’est de l’arachide. “On ignore pour combien de temps encore, avance Moussa Kemila, le chef du village. Aujourd’hui, la pluie ne vient plus à temps et s’arrête plus tôt que prévu. La fertilité des sols n’est plus ce qu’elle était, le désert avance. Nous n’avons plus assez de vivres pour nourrir les animaux. Et les villageois. Il y a trop de bouches à nourrir.”

D’après Alajimati Kana, un ancien âgé de 75 ans, la migration était autrefois un phénomène rare. “Il y avait quelques exceptions. Mais la règle, c’est qu’on restait toujours ici”, note-t-il, emmitouflé dans son turban blanc. “Tout a changé il y a 40 ans, à cause de l’insécurité alimentaire, de la sécheresse et du manque d’opportunités. C’est toujours le cas aujourd’hui.”



Un exode devenu culturel

Les Nigériens sont peu équipés pour faire face aux aléas climatiques dont ils sont tributaires pour travailler dans les champs. Ainsi, au fil des années et des sécheresses, la migration circulaire s’est imposée comme stratégie de survie. Ici, on parle d’exode.

En période de soudure (c’est-à-dire le moment entre l’épuisement de la dernière récolte et le début de la prochaine), qui s’allonge de plus en plus, son impact n’est pas anodin. Les hommes quittent les villages pour subvenir aux besoins de leur famille. Au Nigéria, en Algérie, en Libye, au Bénin. Comme agents de gardiennage, comme transporteurs d’eau.

À Toudou Kemila, les stocks de céréales sont vides. © Sarah Freres

À Toudou Kemila, les stocks de céréales sont vides. © Sarah Freres

Par conséquent, le rendement des champs, délaissés, est moindre à leur retour. “L’exode a commencé à se généraliser après la sécheresse de 1984 au Sahel, situe Souley Kabirou, professeur à l’université de Zinder et spécialiste des zones rurales. Depuis, c’est devenu culturel. Et pour casser cette culture, il faut créer des opportunités sur place, assurer la sécurité alimentaire pour permettre aux gens de rester chez eux. Une des solutions serait d’intensifier le maraîchage. On pourrait faire en sorte d’organiser les communautés entre elles pour développer l’économie circulaire et les coopératives. Sur la commune de Droum (qui regroupe 64 villages, NdlR), un village pourrait produire des laitues et des tomates, un autre des pommes de terre, un autre des oignons, etc. Ce qui est fait pour l’instant est loin d’être suffisant. Les projets existant sont embryonnaires.”

À Adjekoria, la banque alimentaire permet de nourrir cinq villages. Elle est désormais gérée par une coopérative, en partenariat avec la mairie. © Sarah Freres

À Adjekoria, la banque alimentaire permet de nourrir cinq villages. Elle est désormais gérée par une coopérative, en partenariat avec la mairie. © Sarah Freres

À Koudou Saley, l’agriculture en demi-lune permet de récupérer les terres agricoles dégradées ou inexploitées. À Dirgouna et Adjekoria, les banques céréalières ont mis un terme à la malnutrition des enfants. À Toudou Kemila, l’élevage des chèvres a donné plus d’autonomie aux femmes. Et si ces projets, financés par Caritas International Belgique et mis sur pied par Caritas Développement Niger (Cadev), sont tous salués par les communautés locales, leur pérennité n’est pas nécessairement garantie. Et l’État peine visiblement à se substituer à l’aide d’ONG dépendantes de leurs donateurs.

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"Le travail de la terre joue un rôle crucial dans la lutte contre l’exode"



À Roumbouki, Amina, Mariama, Saoude, Baraka et Batoula confirment que le développement de projets locaux réduit l’exode rural. “Nous avons appris à lutter contre la malnutrition des enfants. Nous ne savions pas qu’il ne faut pas mélanger le lait maternel avec de l’eau, nous avons appris à faire de la bouillie végétale, à filtrer l’eau et à avoir une meilleure hygiène corporelle pour garder la santé. Avant ce projet, les femmes partaient aussi en exode. Mais il faut que nous puissions développer d’autres choses pour trouver de quoi occuper nos maris. Nous n’aimons pas quand ils partent, ça casse le ménage”, explique Amina.

L'exode a perturbé la dynamique au sein du couple, selon plusieurs femmes. © Sarah Freres

L'exode a perturbé la dynamique au sein du couple, selon plusieurs femmes. © Sarah Freres

Grâce à un programme baptisé EMMO (pour Emporwement dans un Monde en Mouvement), une centaine de villageois, hommes et femmes confondus, promeuvent la sécurité alimentaire et nutritionnelle, en dépit des épreuves imposées par le réchauffement climatique.

Hommes et femmes cultivent des légumes. Le terrain des femmes est protégé par un grillage. © Sarah Freres

Hommes et femmes cultivent des légumes. Le terrain des femmes est protégé par un grillage. © Sarah Freres

Et tentent d’entraîner les plus jeunes tentés de voyager dans ce projet maraîcher. “Le travail de la terre joue un rôle crucial dans la lutte contre l’exode, affirme Hamza Manzo, chef du site de maraîchage. En dehors de la période morte, nous parvenons à cultiver des choux, des tomates, des poivrons, des oignons, des patates douces, des salades, des carottes et des pommes de terre. Nous avons beaucoup de terrains et nous aimerions pouvoir y travailler toute l’année. Mais pour l’instant, ce n’est possible que pendant trois mois. C’était plus facile quand la pluie durait plus longtemps, même si on était moins organisés.”

Hamza Manzo supervise le travail champêtre. © Sarah Freres

Hamza Manzo supervise le travail champêtre. © Sarah Freres

Se faufilant entre des grappes de mil et de sorgho, Issou Hama, un producteur, abonde. “Nous avons un problème pour irriguer les terres. Tout doit se faire à la main avec une épuisette. Ce serait plus facile si on avait des pompes. Nous manquons aussi d’outils, de charrettes et de charrues. Ça, c’est le problème des hommes. Mais le manque d’outillage touche aussi les femmes, qui doivent piller le mil pour le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner avec un mortier. Ça prend des heures, elles sont exténuées. Je pense que la situation est beaucoup plus compliquée pour elles parce qu’elles n’ont pas de revenus. Elles aimeraient vendre des galettes et des condiments, extraire de l’huile d’arachide, fabriquer des cosmétiques... Mais les possibilités sont encore trop limitées.”

Le mil constitue une des base de l'alimentation. © Sarah Freres

Le mil constitue une des base de l'alimentation. © Sarah Freres

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Un désir d'autonomie

Ici comme ailleurs, l’exode des hommes soulève la question de l’émancipation des femmes. À Koudou Saley, alors que le village se rassemble pour procéder aux présentations d’usage, la représentante des femmes se lève et entame un discours enflammé, avant même que le chef du village n’ait pris la parole. “Les femmes ont besoin d’opportunités ! Les hommes nous laissent seules et nous ne pouvons rester là, à attendre que l’argent tombe du ciel. Nous devons pouvoir prendre soin de nous. Il faut faire quelque chose !”, s’élance-t-elle, torse bombé, mains vissées sur les hanches.

Quand la saison sèche arrive à Toudou Kelima, “pour les hommes, c’est sauve-qui-peut. Nous devons nous débrouiller seules... Mais nous sommes plus libres aussi”, explique Mariama. Les envies de ses voisines tournent autour de la lutte contre la pauvreté et le chômage, l’achat de bics et de cahiers pour leurs enfants, un meilleur accès à l’eau.

Plusieurs femmes du village ont reçu des chèvres. © Sarah Freres

Plusieurs femmes du village ont reçu des chèvres. © Sarah Freres

Mais surtout, continuer à apprendre à lire et écrire. “Combattre l’illettrisme, c’est une des meilleures choses qui nous soient arrivées. On ose plus donner notre opinion”, sourit une autre Mariama, en prenant la pose devant les murs craquelés de sa case, sur lesquelles elle a écrit des chiffres et quelques lettres de l’alphabet latin.

Les femmes du village apprennent à lire et écrire depuis un an et demi. © Sarah Freres

Les femmes du village apprennent à lire et écrire depuis un an et demi. © Sarah Freres

Aïcha, récemment divorcée, partira bientôt à Zinder, la ville la plus proche, pour mendier, faire la vaisselle ou le ménage là où elle le pourra. Hadisa aussi, peut-être, selon les montants envoyés par son mari. “Si j’avais suffisamment d’argent, j’irai en Libye, même si je sais que c’est très dangereux.”

Des hommes contraints au départ

Dans les coins de brousse orphelins de projets de développement durable, l’exode est partout. À Makéra, chaque homme est déjà parti, revenu et reparti, dont la grande majorité vers les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest. Assis en demi-cercle, ils sont unanimes : bien sûr, ils préféreraient rester.

Mais le manque de travail après la culture des terres ou l’épuisement trop rapide des récoltes ne leur laisse guère le choix. “Après les travaux champêtres, je suis parti au Cameroun pendant deux ans. À l’étranger, on te fait sentir que tu n’es pas chez toi et il faut payer à chaque frontière. C’est mieux de rester au pays et de trouver un petit job. Mais depuis mon retour, je ne trouve rien. Si ça ne change pas, je vais devoir repartir”, raconte Bassiri Hissa, rentré il y a deux mois.

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Maman Lawan, époux de deux femmes et père de huit enfants, s’est rendu à deux reprises au Gabon, via le Nigéria. “Chaque fois, j’y suis resté deux ans. Deux ans pendant lesquels je n’ai pas vu grandir mes enfants et où je dormais dans la rue. J’ai été coiffeur traditionnel et j’ai fait des manucures pour envoyer de l’argent à la maison.”

Prévisible d’année en année, le voyage n’est jamais entrepris de gaieté de coeur. “J’ai vécu comme un SDF du lever au coucher du soleil au Nigéria. Et les voyages coûtent de plus en plus cher à cause de la multiplication des départs. La première fois j’ai payé 45 000 francs CFA, la deuxième 50 000, la troisième 60 000. J’en ai tellement fait que je n’ai plus besoin de passeur. L’année passée, je suis parti avec huit autres personnes du village. Mon souhait, c’est que Dieu amène quelque chose pour que je reste dans mon village”, assène Yayamena Sara.