Membre de l'ombre de Sharia4Belgium et fervent recruteur

Qui est le premier djihadiste belge

Considérée comme l'une des plaques tournantes du djihadisme européen, la Belgique a vu naître celui que l'on pense être l'un des tout premiers djihadistes occidentaux, Nabil Kasmi. Ce jeune Anversois a rejoint le front syrien dès les prémices du conflit. Membre éminent de Sharia4Belgium, il a orchestré d'une main de maître le recrutement d'autres combattants belges qui ont marché dans ses pas peu après son départ. Mais si son histoire fait écho à celle de nombreux autres jeunes djihadistes, elle illustre surtout de façon inédite la mainmise du réseau terroriste international sur la révolte populaire qui a éclaté en Syrie ainsi que l’appropriation, notamment par Al Qaida, d'un conflit qui lui a permis de relancer les hostilités envers l’Occident.

Pour la série “Il était une fois”, LaLibre.be vous décrit le parcours et l'influence de Nabil Kasmi.

Dans l'ombre de Fouad Belkacem

Nabil Kasmi est né à Borgerhout dans la province d’Anvers le 28 décembre 1990. S’il est encore jeune au moment de sa radicalisation, il n’en devient pas moins une des personnes les plus importantes dans le réseau djihadiste belge, dès mars 2010. C’est à ce moment que voit le jour à Anvers l’organisation djihadiste salafiste Sharia4Belgium, peu avant les élections législatives. Son emblématique leader, Fouad Belkacem, désormais sous les verrous, marque les esprits par ses nombreuses prises de position extrêmes et ses prêches publiques. Bien qu’agissant dans l’ombre, Nabil Kasmi n’en est pas moins omniprésent au sein de l’organisation. Un rapport portant sur les combattants belges partis en Syrie a été rédigé par Pieter Van Ostaeyen, doctorant à la KULeuven et spécialiste du conflit syrien, et Guy Van Vlierden, journaliste à Het Laatste Nieuws. Il y est précisé que Kasmi occupe une place de choix au sein de Sharia4Belgium. Les connexions qu’entretient le jeune Anversois avec des membres importants de la communauté djihadiste internationale attestent du rôle d’émissaire qu’a joué Kasmi au sein de l’organisation salafiste.

Un profil au nom du djihadiste sur le réseau social Facebook laisse croire ainsi que l’homme est en liaison avec un très large réseau d’organisations terroristes. Bien qu’il n’affiche que douze amis et qu’il n’a plus été utilisé depuis 2015, le compte de Kasmi a permis aux enquêteurs de faire le lien entre Sharia4Belgium et des mouvances islamistes issues de pas moins de 40 pays. Les autorités ont relevé des contacts avec la branche somalienne d’Al Qaida, al-Shabab, le parti turc de Recep Tayip Erdogan (AKP) et bien d’autres encore.

Nabil Kasmi

Nabil Kasmi

Fouad Belkacem (Copyright: Belga)

Fouad Belkacem (Copyright: Belga)

Un poids lourd sur la scène internationale

Copyright: Pieter Van Ostaeyen & Guy Van Vlierden

Copyright: Pieter Van Ostaeyen & Guy Van Vlierden

Une relation sort surtout du lot: celle qu’entretient Kasmi avec le Britannique Omar Bakri, mentor d’Anjem Choudhary, lui-même fondateur de la mouvance islamiste britannique Islam4UK. Le Belge, qui se faisait appeler Abu Bakr, aurait rendu visite à Omar Bakri au Liban en novembre 2011 si l’on en croit un cliché publié par Bakri lui-même sur le réseau social Facebook. Cette rencontre constitue probablement un moment essentiel pour comprendre le départ de Kasmi vers la Syrie puisque Bakri est le premier Européen à avoir appelé ses congénères à prendre les armes pour aller aider la population syrienne.

Selon Van Ostaeyen et Van Vlierden, “il y a peu de doute sur le fait que Kasmi soit celui qui ait aidé Omar Bakri à recruter des combattants occidentaux pour rejoindre les rangs des forces rebelles en Syrie”. Qui plus est, ce lien inébranlable entre les deux hommes a été attesté par l’un des djihadistes revenus en Belgique, Jejoen Bontinck. Il a ainsi affirmé que “Kasmi pouvait appeler Bakri à n’importe quelle heure”. Ce dernier a raconté aux enquêteurs qu’un jour, alors qu’il avait une discussion avec Kasmi au sujet des préservatifs, l’Anversois a immédiatement téléphoné à Bakri pour obtenir réponses à ses questions.

Mais si son réseau est aussi développé, c’est essentiellement parce que Nabil Kasmi voyage énormément. En effet, entre ses débuts au sein du mouvement Sharia4Belgium en mars 2010 et son départ définitif pour la Syrie en 2012, le djihadiste belge se rend déjà sur place en passant notamment par la Turquie, l’Egypte et le Liban. Selon les autorités belges, son premier voyage en Syrie daterait du mois d’avril 2012. Cependant, deux sources de Pieter Van Ostaeyen, qui connaissent bien le jeune homme, estiment qu’il s’y est rendu “bien avant le début du conflit”. Le Belge aurait ainsi visité la ville syrienne de Homs dès 2011.

Omar Bakri (Copyright: Belga)

Omar Bakri (Copyright: Belga)

Jejoen Bontinck (Copyright: Belga)

Jejoen Bontinck (Copyright: Belga)

Des rangs d'Al Qaida à ceux de l'Etat islamique

Copyright: Reporters

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Nabil Kasmi a donc bel et bien été l’un des premiers Belges à rejoindre la Syrie. Mais il a aussi été à l’origine de nombreux autres départs qui ont suivi. Peu après le 20 août 2012, alors qu’il quitte définitivement notre pays, il orchestre le voyage d’au moins cinq membres de Sharia4Belgium qui finiront par le rejoindre au sein des rangs de Jabhat al-Nosra, la branche d’Al Qaida en Syrie: Brahim Bali, Yasmina Zamrouni, Azdine Tahiri, Ahmed Daoudi et Soufiane Mezroui.

Selon Van Ostaeyen et Van Vlierden, le plus ironique dans l’histoire de Nabil Kasmi est que bien qu’il ait été un influent membre d’Al Qaida, oeuvrant au recrutement de “soldats” occidentaux avant même l’irruption du conflit syrien, il choisisse finalement de rejoindre l’Etat islamique. Laissant derrière lui plusieurs années de lutte acharnée pour la mouvance djihadiste qui l’avait initialement recruté. Ces affirmations tiennent en réalité plus du postulat, se basant notamment sur les témoignages des quelques combattants revenus sur le territoire belge et ayant accepté de parler aux autorités. C’est également grâce à ces sources que les chercheurs peuvent présumer de la position actuelle du djihadiste belge et établir qu’il est vraisemblablement toujours vivant.

L’histoire et le parcours de Nabil Kasmi ont permis aux enquêteurs et chercheurs de parvenir à une conclusion essentielle concernant le conflit syrien: il n’a peut-être pas été le simple fruit d’une révolte populaire. En effet, si l’on en croit les activités de l’Anversois, des groupes terroristes tels qu’Al Qaida auraient semé le trouble dans la région avant l’éclatement de la révolte. Selon Van Ostaeyen et Van Vlierden, l’intérêt porté par le mouvement djihadiste ne concernait pas tant la population syrienne qui se soulevait face à une dictature violente que l’opportunité qu’offrait cette révolution de ramener, sur le devant de la scène, le djihad. Le cri de désespoir des Syriens s’est transformé en un signal de départ pour ces groupuscules terroristes, annonçant le début d’une guerre sans merci livrée à l’Occident qui n’a à ce jour toujours pas pris fin.

Copyright: Reporters

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