« C'est ce mardi matin, à 9 heures, que s'ouvrent les débats d'une des plus grosses affaires d'assises qui aient défrayé la chronique belge depuis des années : les jurés de Liège vont juger la veuve Becker, accusée, comme on le sait, d'avoir empoisonné onze personnes et tenté d'en empoisonner cinq autres », pouvait-on lire dans La Libre Belgique le 7 juin 1938.
Courageuse, persévérante, travailleuse, frivole... C'est ainsi que son entourage la décrivait. Mais comment un individu né dans un entourage croyant et « aimant leurs semblables » constitué de« braves gens » peut un jour devenir un monstre ? C'est ce qu'a tenté de comprendre Elisabeth Lange, auteure du livre Veuve Becker, La première serial killer. Une question à laquelle même les psychiatres d'aujourd'hui, comme le Dr. Samuel Leistedt, peinent parfois à répondre.
En 1920, dans un contexte euphorique et d’optimisme d’après-guerre, les femmes vivent leur première période d’émancipation. Marie Becker en profite pour ouvrir un magasin de vêtements. Elle imite à la perfection les dernières tendances et se fait vite un nom.
En 1928, elle rencontre Maximilien Hody. Un gigolo qui se dit fou amoureux d’elle. Dans ses bras, elle oublie la crise et les conflits avec sabelle-famille.
La crise de 1929 fait des ravages. Le magasin est déserté de ses habituées. Marie se fait dès lors engager comme couturière à la journée par des dames de la bourgeoisie liégeoise. « Elle prend le repas de midi à la table familiale. C’est ce qu’on pourrait appeler une femme de confiance », décrit Elisabeth Lange dans son livre.
En 1933, son mari Charles s'éteint doucement d’un cancer. Le médecin lui prescrit quelques gouttes de digitaline encore utilisée aujourd’hui pour apaiser la tachycardie.
Le procès se déroule du 7 juin au 8 juillet 1938. Ce véritable feuilleton judiciaire amène chaque jour une foule de plus en plus compacte à la cour d’assises de Liège.
Contre toute attente, elle nie les faits. Elle se présente droite, cynique et de mauvaise volonté. Elle ment sur les événements avérés et va jusqu’à prétendre que les 300 témoins ayant défilé à la barre sont eux-mêmes des menteurs. « Vous croyez ce témoin ? Il ment et il a des raisons de mentir ! » (La Libre Belgique, 12 juin 1938).
Le premier collège d’experts
Pour la première fois de l’histoire de la justice belge, l’instruction rassemble un collège d’experts pluridisciplinaires afin d’établir si la digitaline (dont la tueuse s’était procurée 17 flacons) était bien la cause de la mort. Problème : seule madame Lange possède des traces du poison dans ses viscères.
Les scientifiques réalisent dès lors des essais sur des animaux, des personnes mortes dans des accidents et exhument un homme s’étant suicidé à l’aide du médicament.
Enfin, le juge demande au jury de sentir une boisson mélangée au poison. L’objectif : voir s’il est possible de déceler le poison à l’odorat.
L’avis des experts est unanime : la digitaline est l’arme du crime. L’empoisonneuse du siècle a beau nier, les preuves s’accumulent contre elle.
Le 17 juin 1938, La Libre Belgique revient sur les déclarations de la veille : « La responsabilité de l'accusée est entière, déclarent les médecins psychiatres ».
Mais pourquoi tue-t-elle ? Elisabeth Lange évoque une raison rationnelle. « La seule réponse qu’on puisse fournir est répugnante, totalement insoutenable. Elle supprime ses semblables par opportunisme, pour se sortir d’un imbroglio de difficultés de tous ordres où elle s’est engouffrée. »
Reportage
Les spécialistes tentent depuis longtemps de comprendre le processus psychologique et les déclencheurs de ces comportements hors du commun. Des actes odieux, répétés, calculés, froids. Qui sont ces criminels ? Samuel Leistedt, professeur de médecine (ULB et UMons) et psychiatre au CRP Les Marronniers de Tournai, nous éclaire sur le profil des serial killers.
Quel est le profil des tueurs en série ?
85% des tueurs en série ne sont pas des malades mentaux. C’est une fausse croyance. Ils sont animés par des motivations plus rationnelles. Ce peut être l'argent pour les femmes et le sexe pour les hommes par exemple.
Selon vous, de quel groupe faisait partie Marie Becker ? Etait-elle malade ?
Je ne sais pas si elle souffrait d’une pathologie. Mais ce qu’il faut préciser, c’est qu’elle a été reconnue lors de son procès responsable de ses actes et non malade. En effet, elle a été emprisonnée et pas internée.
Quel est, en particulier, le profil des femmes tueuses en série ?
En général, ces individus présentent des troubles de la personnalité de type narcissique et borderline. Elles peuvent également parfois avoir des crises d'hystérie. Tout cela à des degrés différents.
De plus, les statistiques montrent que souvent, mais pas toujours, elles proviennent de milieux difficiles. Quand je dis « difficiles », je parle de manière large. Cela peut être au niveau socio-économique ou familial. Une personne de la classe moyenne qui subit de la négligence ou de la maltraitance peut devenir un(e)serial killer.
Le poison est-il une arme de prédilection des femmes ?
Oui, c’est globalement une technique statistiquement assez caractéristique des tueuses en série. Elles l'utilisent principalement pour des motivations rationnelles comme l’argent ou pour des raisons politiques, en particulier dans le secteur du renseignement. Elles ont une dimension moins violente que les hommes.
Ces derniers, au contraire, utilisent le poison pour neutraliser leurs victimes, pas pour les tuer.
Dans quel état d’esprit se trouve le tueur lorsqu’il tue ?
Généralement, le profil typique se situe dans le contrôle, la préparation de l’acte. Les tueurs en série choisissent leur victime, la connaissent. Ils sont assez obsessionnels et minutieux. Il n’y a pas de place pour le hasard. Pour eux, la victime est un objet. Elle est complètement déshumanisée et devient un objet de satisfaction.
Un tueur en série peut-il réintégrer la société ?
Dans le cas des malades mentaux strictes (soit deux cas sur dix), la médecine peut faire beaucoup de choses. On peut parler rémission de la maladie, de diminution de la dangerosité, mais pas de guérison.
Pour la majorité des tueurs en série qui ont des motivations rationnelles, c’est plus discutable. Statistiquement, ils ont un taux de récidive très élevé. Il existe, et c’est un avis personnel, des gens qu’on ne pourra jamais resocialiser et réintégrer à la société. Mais la Belgique ne prévoit pas ce cas de figure étant donné que la perpétuité n’existe pas en soi dans la justice belge. Les gens peuvent sortir au bout d’un certain nombre d’années. Mais pour moi, il y a des gens qu’on ne peut pas réhabiliter.
Bibliographie
Veuve Becker, La première serial-killer, Elisabeth Lange, Edition de l’Arbre, 2011, France
Marie-Alexandrine Petitjean. Veuve Becker (Belgique, 1879-1942), Elisabeth Lange, Éditions Jourdan, 2006
Les grandes affaires criminelles de Belgique, Liliane Schraûwen, Edition De Borée, 2014