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Louvain-La-Neuve - La ville qui avait tout, sauf un cimetière

« Le charme désuet d’une station de sports d’hiver ringarde », « un village artificiel rempli de privilégiés », « un dédale de rues sans aucune logique »... Louvain-la-Neuve a ses détracteurs, étudiants et habitants, qui critiquent son architecture surprenante, reflet d’une époque où les ardoises Eternit et la moquette du sol au plafond avaient la cote.

Mais qui aurait pu imaginer à l’aube des années 70 qu’une ville nouvelle verrait le jour au beau milieu des champs de betteraves brabançons? Et que, en 40 ans, elle passerait d’une centaine d’habitants à plus de 10.000 « Néo-Louvanistes »? C’est pourtant le destin qu’a connu Louvain-la-Neuve, une cité née de l’imagination d’urbanistes et d’architectes parfois fantasques guidés par un visionnaire, le professeur Michel Woitrin.

40 ans après la mise en service de la ligne SNCB LLN-Ottignies, 30 ans après la visite du pape Jean-Paul II et au seuil de nouveaux défis, LaLibre.be vous raconte le destin de Louvain-la-Neuve, la ville qui avait tout… sauf un cimetière.

Une tranche d’histoire à découvrir en textes et témoignages vidéo inédits.

Nous sommes en 1968. Les tensions communautaires entre francophones et Flamands ont atteint leur climax à Louvain. Cette année-là, l’université catholique et la katholiek universiteit se séparent officiellement. Chassée des terres de Leuven, l’UCL doit trouver un nouveau refuge.

En coulisses, cela fait plusieurs années déjà qu’on se prépare à un tel scénario. Dans l’ombre, un certain Michel Woitrin prospecte tous azimuts. Sur ordre du recteur Mgr Massaux, il cherche un lieu propice à l’implantation d’une ville nouvelle. Dans un premier temps, le coeur de M. Woitrin penche plutôt pour Wavre et ses environs. Problème: les propriétaires des terrains visés s’y opposent, tandis qu’ici et là on s’inquiète de la proximité géographique avec Leuven (25 kilomètres à peine…).

Heureusement, les candidats ne manquent pas. En 1962 déjà, Yves du Monceau, bourgmestre d’Ottignies, envoie une lettre à l’UCL pour offrir des terrains proches d’Ottignies. Le mayeur a de nombreux atouts dans sa manche: un projet d’autoroute à proximité, une gare avec ligne directe vers Bruxelles, des terrains à prix abordables… C’est donc à côté de cette commune, sur un plateau venteux de 900 hectares, que l’UCL posera ses valises. Il faut faire vite: la première rentrée académique sur le sol de Louvain-la-Neuve est prévue pour septembre 1972.

Mais comment construire une ville à partir de rien? Pour se faire une idée, rien de tel que de voyager! C’est ce que fait Michel Woitrin dès 1963. En 1967, il rencontre Victor Gruen. Cet urbaniste américain de renom, à l’origine du premier centre commercial de banlieue en 1954, voit grand. Trop grand sans doute:

« En 1967, [Victor Gruen] est prêt à nous procurer un document essentiel qui fera gagner des années à la réalisation du projet de Louvain-la-Neuve. Il s’agit d’une programmation urbaine chiffrée de l’ensemble d’une ville normale et universitaire de 50.000 habitants. Il y décrit le nombre de personnes, de mètres carrés pour chaque fonction universitaire et urbaine, avec le coût au mètre carré. Il va jusqu’à détailler le nombre de mètres carrés de prison nécessaire dans une ville de ce type-là et à en donner le coût. » Michel Woitrin dans la revue « Louvain » - octobre 2005

Une prison… et aussi un métro. Michel Woitrin reverra progressivement les ambitions de Gruen à la baisse et s’offrira plutôt les services de Raymond Lemaire. Ce dernier, désigné directeur général du groupe « Urbanisme et Architecture » chargé d’imaginer la ville nouvelle, trouvera la bonne formule.

« [Raymond Lemaire] n'était pas architecte, mais par sa grande érudition et sa curiosité aiguisée pour les cités du passé, il avait la trempe d'un urbaniste qui avait aussi tout de suite compris, comme enseignant et proche des jeunes de son époque - sous les pavés, la plage s'agitait... - que le transfert de l'université ne pourrait réussir que si on installait l'UCL dans une ville et pas sur un campus. » « Le Soir » - 16 août 1997

Peu à peu, la cité se dessine, avec une certitude: il ne s’agira pas d’un campus à l’américaine, coupé du monde. Michel Woitrin voit sa ville comme un « brasier d’âme », un « milieu stimulant » où étudiants, professeurs, chercheurs et habitants se côtoient.

Le centre, lui, s’étendra sur une gigantesque « dalle » de 39 cm d’épaisseur. L’idée de construire une ville “à étages”, où les piétons et les véhicules sont séparés, n’est pas neuve. La preuve avec ce croquis de ville idéale dessiné par Léonard de Vinci :

En 1970, Louvain-la-Neuve se dote d’un plan directeur. Une série de « commandements » qui serviront de ligne directrice pendant de nombreuses années.

Commandements

  • 1 Mélange harmonieux de bâtiments académiques, logements, commerces, services...
  • 2 Un piétonnier dont le rayon ne dépasse pas 1.100 m, ce qui permet de rejoindre le centre de la ville à pieds en 10 minutes maximum.
  • 3 Une ville divisée en différents quartiers sous forme de « trèfle à cinq feuilles ».
  • 4 Un campus universitaire, mais pas seulement. La ville doit être attractive avec la possibilité de pratiquer des activités culturelles ou sportives.

Les premiers habitants, le temps des utopies

Début 1969, des ouvriers creusent les fondations du premier bâtiment qui abritera un cyclotron, un accélérateur de particules. Petit à petit, les habitants arrivent. Parmi eux, Mathilde Renaut qui accompagne son mari chargé par l’université de superviser les travaux naissants. Toujours résidente de Louvain-la-Neuve, après une pause dans les Antilles, elle se souvient:

Le 2 février 1971, le roi Baudouin en personne se rend à Louvain-la-Neuve pour poser la première pierre de la ville. En 1972, le transfert des facultés démarre, à commencer par celles de sciences. Dans ce qui n’est encore qu’un mikado géant, étudiants et habitants apprivoisent la cité rêvée par les architectes. Non sans heurts. Ainsi, Paul Thielen, arrivé très tôt sur le site, regrette encore aujourd’hui que « les habitants aient été obligés de vivre dans les utopies des urbanistes et des architectes »:

Au fil des années, la recette imaginée par Michel Woitrin et ses équipes séduit malgré tout. Louvain-la-Neuve grandit comme prévu, perchée sur sa dalle de béton d’une superficie de 11,8 ha. En 40 ans, la cité aura vécu plusieurs mues: dans les années 80-90, la ville stagne et il faudra attendre l’arrivée de nouveaux projets (cinéma, salle de spectacle, grand centre commercial) pour que le campus trouve un nouveau souffle.

Aujourd’hui, Louvain-la-Neuve, malgré son coût du logement élevé, attire de nouveaux habitants. D’un peu moins de 700 résidants dans les années 70, on est passé à 10.970 personnes domiciliées en 2014. Une population qui se diversifie. Car le site compte toujours plus d’habitants non étudiants... et de personnes âgées qui apprécient les infrastructures de cette « ville à la campagne ».

Jean-Luc Roland

Interview

Trois questions à Jean-Luc Roland (Ecolo), bourgmestre d’Ottignies-Louvain-la-Neuve depuis 2000

Après plus de 40 ans d’existence, quels sont les grands projets à venir pour le site de Louvain-la-Neuve?

Ce qui a été réalisé fin 2013, c’est la modification du plan de secteur pour permettre à 30 ha de passer en zone habitable. A terme, on prévoit un nouveau quartier avec 1.500 logements pour environ 4.000 habitants supplémentaires. Ensuite, il y a le centre commercial de l’Esplanade. Des permis d’urbanisme devraient arriver pour permettre son extension. L’idée est d’augmenter de 60% la surface commerciale. Enfin, il y a le parking RER de 2.500 places pour les navetteurs. Même s’il y a des reports réguliers pour la mise en service du RER, des navetteurs venant de l’autoroute pourront prendre le train dès que ce parking sera opérationnel. Pour l’instant, aux heures de pointe, on compte trois trains par heure. Ce n’est en effet pas très attractif… Mais avec le RER, on s’attend à passer à 4 ou 5 liaisons aux heures de pointe.

Malgré tout, Louvain-la-Neuve reste une ville chère difficilement abordable pour les jeunes...

On constate que des jeunes terminent leurs études et que, même avec des salaires normaux de début de carrière, ils ne savent pas se loger dans la commune. C’est un vrai problème. C’est pourquoi le logement est notre priorité. Nous voulons faire en sorte qu’il y ait davantage de logements publics sur le territoire communal. Et nous sommes déjà une des communes du Brabant Wallon qui compte le plus de logements publics! Il y a six mois, nous avons d’ailleurs inauguré 52 nouveaux logements publics basse énergie.

Louvain-la-Neuve prend de plus en plus d’importance sur Ottignies en termes commercial, économique… Pensez-vous qu’il faudrait scinder les deux communes?

Je suis pour créer des ponts, pas des barrières. Entre Ottignies et Louvain-la-Neuve, il y bien sûr de grandes différences. Louvain-la-Neuve est une ville nouvelle en plein développement. Ça n’a pas toujours été le cas! Pendant une quinzaine d’années, ça a été très stagnant. Et puis Louvain-la-Neuve ville nouvelle, certes... mais certains quartiers commencent à vieillir. Certains bâtiments ont été construits à la va-vite dans les années 70, dans des conditions d’isolation sommaires. L’université doit donc faire un travail important pour mettre à certains endroits ne fut-ce que des doubles vitrages. En somme, on est dans des dynamiques de villes qui commencent à faire des maladies de jeunesse et de vieillesse, que ce soit à Ottignies ou à Louvain-la-Neuve. Je ne dirais pas pour autant que les deux parties de l’entité vont se ressembler davantage, mais je constate que les appréhensions initiales entre les habitants des deux communes sont tombées.