Les vins féminins des châteaux
de la Meuse namuroise

L' âme du vin wallon (4/6)

La production de vin en Wallonie se développe de manière importante ces dernières années. Des appellations ont vu le jour et chaque année de nouveaux hectares de vignes entrent en production. Des nouveaux domaines apparaissent. Du vigneron amateur qui a démarré avec quelques pieds de vignes au fond de son jardin aux producteurs ambitieux, les vins wallons sont sortis du registre de l’anecdote amusante. Le vin c’est une région, c’est un terroir, en Wallonie comme ailleurs dans le monde. Derrière ces vins wallons, il y a des femmes, des hommes, des équipes, il y a des gens. Ils sont passionnés, c’est un hobby, c’est un métier, certains sont très ambitieux. Qu’est-ce qui les a inspirés, qu’est-ce qui les guide ? Quelle est l’âme du vin wallon ?

Le château de Bioul à Bioul

Les coteaux de Meuse, de Dinant à Andenne en passant par Namur, constituent, au même titre que leur prolongement en province de Liège, le berceau historique du vignoble wallon. Tombé en désuétude, il renaît de plus belle depuis quelques années grâce au travail acharné de vignerons passionnés, surtout des vigneronnes, en fait.

Vanessa Wyckmans-Vaxelaire en constitue un bel exemple. Elle aurait pu rester tranquillement à Bruxelles, avec son mari entrepreneur. Mais l’appel de la campagne était trop fort. Il y a un peu plus de dix ans, Vanessa et Andy plaquent tout et s’installent à Bioul. "J’ai suivi des cours du soir de fermière à la fédération des jeunes agriculteurs. C’était sympa, tous les élèves avaient quinze ans de moins que moi, se souvient la pétillante vigneronne. Avec Andy, on cherchait un projet lié à la nature. Cela aurait pu être du houblon ou des cabanes dans les arbres. Mais il y avait le château." Un château n’appelle-t-il pas naturellement à la culture de la vigne ?

Le château de Bioul a été acquis en 1906 par son aïeul François Vaxelaire, fondateur des magasins Bon Marché (le fameux « BM » du groupe GB-Inno-BM). Pour y parvenir, on quitte la chaussée qui relie Namur à Dinant à hauteur d’Annevoie. La route grimpe. Sur la gauche, on laisse les Jardins d’Annevoie et on parvient rapidement à Bioul, dernière étape de la vallée de la Meuse avant le plateau de Mettet. Au centre du charmant village, la place… Vaxelaire et le château.

Autour de celui-ci, le couple plante, à partir de 2009, cinq parcelles sur un sol schisteux propice à la culture de la vigne. "Le schiste apporte de la minéralité au vin et il emmagasine la chaleur." Autour et entre les rangs de vignes, la nature a gardé ses droits : abeilles, fleurs sauvages,... Au total, une dizaine d’hectares de cépages blancs (muscaris, solaris, etc.) et rouges (cabaret noir, pinotin, etc.). Ici, point de pinot noir ou de chardonnay. Vanessa et son mari délaissent les cépages stars internationaux et travaillent des cépages d’origine allemande ou suisse, adaptés au climat belge et qui nécessitent moins de traitements.

Dans le même esprit, ils choisissent de tirer parti de la fraîcheur du climat et, avec leur maître de chai française Mélanie et leur chef de culture Johan, féru de biodynamie, ils réalisent des vins dotés d’une belle vivacité. "On ne fait pas de vins techniques. Nous voulons mettre en valeur l’acidité du vin." Ils y réussissent plutôt bien. On en veut pour preuve la cuvée Mossiat, un blanc élégant aux notes de fleurs blanches réalisé à partir du cépage bronner. C’est le préféré de Vanessa Vaxelaire, qui confesse également un penchant pour les bulles. Sans doute parce que les bulles sont synonymes de fête et que la fête, Vanessa et Andy aiment ça. Des vignerons qui bossent sérieusement, sans se prendre au sérieux, comme en atteste leur prestation en fantômes déjantés dans le petit film projeté dans le parcours interactif aménagé dans le château.

Il paraît que sur une raie aux câpres, le Mossiat est à tomber par terre. On veut bien le croire. On goûtera peut-être ça un jour, au Resto du chai, aménagé au sein du château.

Le château Bon Baron

Lustin

De Bioul à Yvoir, à vol d’oiseau, il y a à peine une dizaine de kilomètres et un fleuve à traverser. C’est sur l’autre rive de la Meuse, à Lustin, en direction de Dinant et de la France, que le Château Bon Baron est installé. En fait, de château, il n’y en a point. C’est plutôt un petit manoir, que Jeannette et Piotr ont acquis au début des années 2000.

Amoureux de la région, ce couple de hollandais venu des environs d’Eindhoven, souhaitait y implanter une chambre d’hôtes. Pour pouvoir servir leur propre vin à leurs invités, ils y plantèrent quelques vignes. Mais rapidement, la production devint trop grande et Jeannette et Piotr, avec le sens des affaires qu’ils ont développé à la tête de leur société de ressources humaines qui compta plusieurs centaines de collaborateurs, se mirent à vendre les surplus à des restaurants ou des privés. La demande se fit de plus en plus forte, ils replantèrent des vignes, cédèrent leur entreprise aux Pays-Bas et s’installèrent définitivement à Lustin.

Le vignoble s’est étendu à Yvoir et, surtout à l’entrée de Dinant. C’est là que les vignerons hollandais ont planté une grande parcelle, baptisée Divo Nanto, l’ancien nom celtique de Dinant, qui signifie vallée divine. En bordure du fleuve, sur un terroir d’argile et de calcaire qui a attiré les exploitants de carrière, de marbre notamment, Jeannette et Piotr ont planté pas moins de quatorze cépages différents, rouges et blancs en alternance. Se balader aux côtés de Jeannette dans les rangs constitue un moment amusant et terriblement instructif. Botanique, géologie, chimie,... Jeannette semble maîtriser tous les aspects du métier de vigneron. Elle vous décrit un par un les cépages, évoque les vertus des fleurs sauvages qui poussent entre les rangs ("les mauvaises herbes, cela n’existe pas !"), vous montre la ligne de démarcation entre le haut de la parcelle, qui sera vendangé plus tôt que le bas, où le froid a tendance à stagner et à ralentir la maturation des raisins.

Jeannette se souvient qu’au début de Bon Baron, des membres de la noblesse lui ont fait quelques remarques. "Je ne suis pas noble, dit-elle. Certains avaient du mal à accepter qu’on utilise ce nom. Mais c’est celui qui était gravé sur une pierre dans notre maison à Lustin."

Cette pierre trône désormais dans le chai installé sur le zoning industriel de Sorinnes (Dinant). Il n’a pas le charme d’un château, mais on pourra y observer les surprenantes peintures de Piotr, qui trônent dans la salle de dégustation ou autour des fûts de chêne remplis du précieux breuvage.

""Je ne suis pas noble.
Certains avaient du mal à accepter qu’on utilise ce nom."

C’est là en effet une des caractéristiques des vins élaborés par Jeannette : ils portent souvent la marque d’un élevage en bois, qui fait probablement beaucoup dans leur succès. Le pinot noir de 2015 en est un bel exemple. "On peut encore le garder dix ans", assure Jeannette. Son acolon (un autre cépage rouge originaire d’Allemagne), aux puissants arômes de cassis et de mûres, accompagne, paraît-il, à merveille les viandes fumées ou le chocolat noir. Il est délicieux. Quant à son cabernet dorsa (lui aussi allemand), Brussels Airlines vient d’en commander pour les servir sur ses vols. "Pour profiter d’un vin en avion, il faut qu’il soit particulièrement expressif", commente Jeannette. La Bonne Baronne et ses vins en ont à revendre, de l’expression.

Vignandenne

Andenne

Tournons maintenant le dos à Dinant et à la France et suivons la Meuse vers Liège et les Pays-Bas, pour une dernière halte en terres namuroises, à Andenne. Déjà présente dans la région au XVIe siècle, la vigne y vit aujourd’hui une renaissance, grâce à l’investissement de quelques passionnés. Parmi eux, Guy Durieux, vigneron depuis 1990 dans le village de Seilles et qui préside Vignandenne, une ASBL créée en 2017 et qui vise à développer une viticulture locale.

Autour d’un verre de pinot noir 2013 de sa propre confection, qui tient encore très bien la route, il nous accueille sur le vignoble d’un de ses camarades vignerons, Michel D’Harveng, notaire de son état et heureux propriétaire d’une parcelle orientée plein sud, à Landenne, à quelques centaines de mètres de la E42, qui trace grosso modo la frontière entre la Hesbaye et le Condroz, explique Benoît Haag, une autre des chevilles ouvrières de l’association.

C’est là, sur un sol de limon et de schiste, dans une ancienne zone forestière balayée par un fort vent ce jour là, que Michel D’Harveng a planté, en 2018, un premier hectare d’un cépage suisse résistant au mildiou, à l’oïdium et aux autres maladies de la vigne que nos contrées humides connaissent bien. Son nom : divico, qui est celui d’un résistant helvète à l’envahisseur romain. Un deuxième hectare, d’un autre cépage suisse, a suivi.

"Je me suis lancé ce défi d’arriver à produire moi-même un vin, de le servir à mes amis et d’attendre leur réaction."

La première cuvée, expérimentale, sera pour cet automne. « Mais le gel de printemps a emporté 60 % des raisins. » Les choses devraient devenir plus sérieuses l’an prochain.Michel D’Harveng, Guy Durieux, Benoît Haag et leurs associés ne manquent pas de projets : création d’une coopérative afin de partager les investissements et les expériences, aménagement d’un chai, d’un restaurant (où l’on servirait leurs vins) et d’un laboratoire dans un ancien bâtiment industriel à Thon-Samson, etc. « Même si des Suédois se sont déjà montrés intéressés, l’objectif n’est pas de vendre du vin au bout du monde, contextualise Michel D’Harveng, mais d’alimenter les circuits locaux. » Mais que diable un notaire bien installé s’est-il lancé dans cette galère de produire du vin à Andenne, au point de passer ses nuits de printemps à allumer des feux près des vignes pour (tenter de) les protéger du gel ? « Durant ma jeunesse, je vivais trois mois par an en Bourgogne, dans la maison de vacances familiale. Je me suis lancé ce défi d’arriver à produire moi-même un vin, de le servir à mes amis et d’attendre leur réaction. C’est sûr, on ne va pas s’enrichir avec nos vignes. Et on doute quand on voit le gel qui détruit tout. Il faut de la passion. » Les vignerons andennais ne semblent pas en manquer. Ni de plaisir à partager les expériences, les anecdotes et… les bonnes bouteilles.