Les nouveaux aventuriers du chocolat made in Belgium

Le Belge est toujours aussi friand de chocolat. Il en mange six kilos par an, selon le bureau d’études de marché Euromonitor. Le Belge mange-t-il du chocolat belge pour autant ? Il y reste en tout cas très attaché.

A l’export, le made in Belgium a fait vendre non seulement des produits mais aussi des sociétés comme Côte d'Or. Chocolat Jacques, autre marque bien connue qui fit un “détour” par Continental Food, Stollwerck-Sprengel et Barry Callebaut, a réatterri en Belgique dans le giron du groupe Baronie en 2011. Les chocolats Meurisse ont également signé leur retour en Belgique puisque la marque a été rachetée par deux arrière-arrière-arrrière-petits-fils du fondateur… au groupe américain Mondelez International.

À côté des gros acteurs du secteur, il y a aussi ceux qui visent un marché de niche. Et ils sont nombreux. 

Nous vous proposons de partir la découverte de quelques-uns, parmi beaucoup d’autres, de ces nouveaux aventuriers du chocolat. Belge, évidemment !

Meurisse

La marque belge, délaissée par le propriétaire de Côte d’Or, est de retour dans le cercle familial

La plus ancienne marque de chocolat belge, fondée par Alphonse Meurisse en 1845, renaît grâce à ses descendants. “Il y a quasiment deux ans jour pour jour, mon frère et moi avons racheté la marque”, se souvient le CEO, Henry Van Vyve, arrière-arrière-arrière petit-fils du fondateur, un Montois d’origine qui avait lancé la première usine de chocolaterie à Anvers. L’idée lui en est venue lors d’un repas de famille. “Mon père n’a jamais travaillé dans l’usine, mais il y allait régulièrement étant enfant.” C’est donc l’histoire familiale que se réapproprient les deux frères.

Les négociations avec Mondelez, la multinationale alors propriétaire de Meurisse, mais aussi des Biscuits Lu, de Côte d’Or et de Milka, n’ont pas été longues. L’offre du jeune duo – dont le montant reste secret – a rapidement été acceptée par le groupe américain qui lui cède l’ensemble des droits intellectuels de la marque belge, à savoir les recettes, le packaging et le dépôt des marques à travers les différents marchés. Mais fortement amoindrie par rapport à ce qu’elle était dans les années 1970. Dans le giron américain, Meurisse est en effet devenue une marque dormante dès les années 2000 puisque certaines recettes phares, qui se vendaient très bien, comme les Big Nuts et Zero, passent sous la bannière Côte d’Or. Elles ne peuvent donc pas être relancées par les deux frères.

Éthique et bio

Conscients qu’ils rachètent 175 ans d’histoire, Henry et Clément Van Vyve veulent écrire un nouveau chapitre. “On souhaite moderniser la marque tout en conservant des éléments du passé”, explique le CEO. Sur le nouveau packaging par exemple on retrouve des éléments qui avaient déjà été utilisés auparavant comme la typographie et le perroquet. Issue du commerce équitable et de l’agriculture biologique, la marque souhaite s’inscrire dans le durable et l’éthique. “Ce n’est qu’un début, on veut innover dans le domaine”, explique Henry Van Vyve qui souligne que les emballages sont 100 % recyclables et la pellicule protégeant le chocolat est compostable.

Henry et Clément Van Vyve, arrière-arrière-arrière petits-fils du fondateur

Henry et Clément Van Vyve, arrière-arrière-arrière petits-fils du fondateur

Henry et Clément Van Vyve, arrière-arrière-arrière petits-fils du fondateur

Meurisse propose pour le moment huit recettes différentes (cinq de chocolat noir et trois au lait). “Une neuvième est en route pour janvier”, confie le CEO. “On utilise plus de cacao et moins de sucre qu’auparavant.”

L’entreprise n’a pas encore de point de vente, le chocolat est donc à ce stade principalement vendu en ligne ainsi que dans des épiceries fines et magasins bio comme Färm. Dans un futur proche, Meurisse a pour objectif d’être distribué dans l’Horeca. “Je crois très fort à l’association entre le chocolat et des moments de plaisir autour d’un café ou à l’hôtel.”

En attendant, Meurisse développe des collaborations exclusives, notamment avec les magasins Bellerose pour qui une recette spéciale pourrait être créée. Malgré un contexte actuel incertain, l’ambition est là pour cette nouvelle génération qui souhaite faire revenir la marque sur le marché belge.

Millésime Chocolat 

De la fève à la tablette

Un historien de l’art spécialisé dans l’art du XXe siècle, fan d’Alechinsky, et torréfacteur de cacao. Un profil peu courant que celui de Jean-Christophe Hubert (45 ans) qui fonde avec son épouse Isabelle, Millésime Chocolat à Liège en 2017. Ils se lancent avec 18 tablettes joliment habillées vendues dans une vingtaine de boutiques en Wallonie. Que Jean-Christophe Hubert travaille de la fève à la tablette (bean to bar). Un an plus tard, la tablette Madagascar 2017 praliné lacté 55 % remporte un award aux International Chocolate Awards (d’autres récompenses ont suivi depuis) et Millésime Chocolat entre dans le guide Gault&Millau des meilleurs chocolatiers de Belgique et du Luxembourg 2019.

Aujourd’hui, l’assortiment s’est élargi à 50 produits (dont 24 tablettes) vendus dans plus de 1 000 points de vente (dont 400 environ en Belgique). "Nous sommes aussi passés au bio et fair trade à 100 %", explique Jean-Christophe Hubert. "Nos produits sont donc vendus en épiceries fines conventionnelles mais aussi dans le réseau bio, et ce, dans tout le pays." 70% de la production part à l’export. D’abord en France, devant le Japon, les États-Unis, l’Angleterre et l’Europe (un accord de distribution vient d’être conclu en Hongrie et en Bulgarie). En 2019, le chiffre d’affaires s’est élevé à 1,2 million. "Nous avons multiplié le chiffre de 2018 par trois !"

Jean-Christophe Hubert, chocolatier mais aussi responsable de la collection Miro de Spa

Jean-Christophe Hubert, chocolatier mais aussi responsable de la collection Miro de Spa

Entre-temps, l’atelier, alias la manufacture, a déménagé à Seraing et se déploie désormais sur 1 000 m². "En capacité maximale, on peut y produire 500 kg de chocolat brut par jour", indique le responsable qui cumule toujours son activité chocolat avec celle de commissaire d’expositions indépendant.

Le boom des cadeaux d’entreprises

Lors du premier confinement, "dans l’incertitude, nous avons fermé pendant un mois", raconte Jean-Christophe Hubert. "Mais sur l’année, le résultat sera positif dans nos projections. Même si en tant que jeune chocolatier, il n’est pas si aisé de faire ces projections." Il nuance : "Nous créons aussi des chocolats de consommation courante, ce qui fait que nous sommes moins liés aux fêtes que ne peuvent l’être d’autres chocolatiers qui ont été perturbés par le confinement démarrant peu avant Pâques et maintenant avant la Saint-Nicolas et la fin de l’année." En outre, "le fait que nous travaillons en bean to bar et en bio à 100 % suscite beaucoup de demandes au-delà de nos frontières." Par contre, "ce qui va nous coûter le plus, c’est l’annulation des salons et rencontres internationales. Cela devrait ralentir notre progression à l’international en 2021."

Pour l’heure, les chiffres d’octobre et novembre ont été deux fois meilleurs qu’à la même période l’an dernier. "Et nous sommes très sollicités pour des cadeaux de fin d’année par des entreprises qui cherchent à acheter plus local, bio et traçable. C’est simple, on fait x 20 pour les coffrets de fin d’année", conclut l’enthousiaste chocolatier.

Goût Fou

Un commencement en pleine crise sanitaire

Pour moi, le chocolat, c’est ma vie. J’aime expérimenter. Je cherche toujours les frontières du chocolat”, nous explique le sourire aux lèvres et pleine d’une passion communicative Justine Lanoo. Elle et son compagnon Niels Segers, 30 ans tous les deux, font partie de cette nouvelle génération de jeunes talents du chocolat made in Belgium. Ensemble, ils ont donné naissance il y a quelques mois à Goût Fou, une boutique-atelier qui a déjà gagné ses lettres de noblesse à Zele (province de Flandre Orientale).

La meilleure praline de Belgique

Ce jeune couple a déjà, il est vrai, quelques belles références à son actif. Notamment celle d’avoir été désigné, en octobre dernier, Découverte de l’année 2021 du guide Gault&Millau consacré aux plus fins chocolatiers du pays. Mais aussi la victoire au concours de la meilleure praline de Belgique en 2018.

Cela ne s’invente pas, la rencontre entre Niels Segers et Justine Lanoo a eu lieu à l’académie du… chocolat. Chef pâtissier de formation, le premier a consolidé son expérience auprès de Debaere à Bruxelles et Burie à Anvers et donne des cours d’hôtellerie à Gand. La seconde, après une formation dans les Beaux-Arts (vidéo), a travaillé chez Joost Arijs à Gand et puis dans l’académie du chocolat de Callebout.

“Au départ, nous avions l’intention de créer juste un webshop. Mais ensuite, notre idée a évolué et nous voulions créer un atelier ouvert avec un coin magasin où il est possible d’acheter nos produits mais où les gens peuvent aussi voir, à travers les vitres, comment nous travaillons en tant que chocolatier. Nous voulions aussi montrer aux gens qu’être chocolatier reste encore aujourd’hui un vrai métier artisanal”, ajoute-t-elle. C’est chose faite donc depuis mai dernier à Zele. Leur atelier-boutique a vu le jour le 15 mai dernier… en pleine période de Covid. De quoi décourager la clientèle ? “Pas du tout, nous explique Justine Lanoo. Avec cette crise du Covid, les gens sont désireux d’acheter des produits locaux auprès de petits entrepreneurs. Beaucoup de monde est venu voir comment nous fabriquons nos créations. C’est aussi une attraction dans les temps difficiles que nous traversons”.

Bientôt aussi en Wallonie?

Dans les rayons, on retrouve un large assortiment de pralines mais aussi des barres dessert, des mellowcakes (caramel, framboise, praliné, fruits de la passion…), des crèmes brûlées ou des tartes au citron. “Notre clientèle recherche à la fois des choses nouvelles, du fait maison mais veut aussi retrouver le souvenir du vrai chocolat”, ajoute-t-elle. Depuis la mi-mai, 500 kilos de pralines ont été vendus, de même que 100 kg d’orangettes maison ou encore 4 000 mellowcakes et 400 pièces de saison pour les fêtes des mères, des pères ou Saint-Nicolas.

Malgré des premiers mois très prometteurs, le tandem entend bien rester les pieds sur terre et conserver cette approche artisanale. “Nous n’avons pas l’intention de devenir une enseigne avec beaucoup de points de vente”, nous explique encore Justine Lanoo. Non sans préciser que cela ne lui déplairait pas de voir une deuxième boutique-atelier voir le jour en Wallonie…

Euphrasie Mbamba 

Retour aux sources du cacao

Élue “meilleur chocolatier” Wallonie par le Guide des chocolatiers 2019 du Gault&Millau, Euphrasie Mbamba s’est lancée dans l’aventure du chocolat il y a quelques années seulement. D’abord seule dans sa cuisine, puis en suivant des cours du soir au Cefor à Namur – “J’ai arrêté après un an, ça n’allait pas assez vite” –, avant de s’offrir une formation coûteuse chez Callebaut, puis chez des chocolatiers français.

En 2014, cette traductrice allemand-anglais qui bossait pour une filiale de la Commission européenne ouvre enfin sa première boutique à Schaltin, dans le Condroz – où elle suit son mari, originaire de la région et lassé de Bruxelles. Sigoji, contraction des prénoms de ses deux fils Simeo et Hugo, et de la baie de goji (utilisée dans sa première praline), est né. Le succès est rapidement au rendez-vous et la jeune femme déménage à Ciney, avant d’ouvrir un second point de vente à Rochefort.

Souvenirs d’enfance

Un sacré bout de chemin pour cette chocolatière de 43 ans d’origine camerounaise. “Je dis toujours que je suis comme Obélix : le chocolat, je suis tombée dedans”, sourit-elle. Jusqu’à l’âge de 10 ans, Euphrasie Mbamba a en effet grandi chez ses grands-parents, cacaoculteurs au Cameroun. “Je connaissais bien les fèves ; je jouais avec. Je connaissais la matière première, mais pas le produit fini. Le chocolat est une invention occidentale. En Afrique, on utilise la pâte de cacao, qu’on mange en salé, mais pas en sucré, mais aussi les fèves et la chair fraîche des cabosses. En Afrique, le chocolat existe, mais c’est un produit de luxe. Mon grand-père n’aurait jamais pu m’en offrir. Au village, on ne savait même pas ce qu’était le chocolat…”, se souvient-elle. C’est en rejoignant sa mère en Belgique, à 16 ans, qu’elle découvre le chocolat et comprend le lien avec les fèves de son grand-père…“Quand je mange un chocolat à 70 % de cacao, cela me renvoie à la plantation de mon grand-père, où les maisons étaient en terre battue. Quand il pleuvait, il se dégageait une odeur très particulière ; on avait envie de manger cette terre ! Quand je croque dans du chocolat noir, je retrouve vraiment le parfum de mon enfance”, confie-t-elle avec nostalgie.

Une chocolatière engagée

Euphrasie Mbamba est l’une des rares femmes à percer dans l’univers du chocolat, avec par exemple Hilde Devolder à Gand ou Mina Apostolidis à Rhode-Saint-Genèse. “C’est vrai que ça bouge un peu. Il y a beaucoup de petites artisanes, mais ce sont toujours les hommes les plus connus malheureusement, comme chez les chefs”, se désole la chocolatière.

Son autre grande fierté, c’est évidemment d’être une chocolatière africaine. “Je suis très fière d’être l’une des pionnières. Aujourd’hui, il y en a une au Canada et une en France. Au Salon du Chocolat, j’ai aussi rencontré un jeune Camerounais qui s’est lancé près de Charleroi. Je suis aussi une jeune femme qui s’est lancée au Cameroun : Hakam Chocolate.”

Cette identité africaine ne se borne pas chez la jeune femme à la fabrication du chocolat, elle se retrouve aussi dans son travail avec les producteurs. Mme Mbamba fait ainsi partie des Chocolatiers engagés, un réseau d’une trentaine de chocolatiers français (dont Euphrasie Mbamba est la seule Belge) lancé il y a quelques mois. Ils s’engagent à rémunérer les cacaoculteurs au juste prix, grâce à la création de plantations coopératives au Cameroun, où les producteurs reçoivent également une formation professionnelle aux bonnes pratiques agricoles.

Comme pour tous les commerçants, l’année a été très difficile pour Sigoji. “En ce moment, la situation est morose. On ne se sait pas où on va aller ; on essaye de limiter la casse… Il n’y a pas assez de monde en magasin pour conserver tout le personnel”, confie Euphrasie Mbamba, qui a jonglé avec le chômage Covid et les mi-temps pour éviter de licencier l’un de ses neuf employés. “Nous, les chocolatiers, on fait la moitié de notre bénéfice à Pâques (où on a perdu 20-30 % de notre chiffre d’affaires) et en fin d’année. C’est très difficile. D’autant que ce ne sont pas seulement les particuliers qui manquent ; ce sont aussi les cadeaux de sociétés qui ne se font pas…”

Les chocolats d’Edouard

… à l’Orval

À 13 ans, il est passionné par la cuisine. Fils de fermier, il apprécie “évidemment les bons produits, matières premières et ingrédients.” À 17 ans, il s’oriente vers les desserts et atterrit finalement dans le chocolat. Edouard Bechoux, son double diplôme d’hôtellerie et de boulangerie-pâtisserie-chocolaterie en poche, fait d’abord ses armes auprès des grands noms du secteur en Belgique : Wittamer, Debailleul ou Marcolini, avant de s’expatrier en Italie pendant 7 ans où il accumule les expériences auprès d’entreprises renommées. Notamment Caffe Gilli à Florence.

Fin 2004, il ouvre avec son épouse et son beau-frère Les chocolats d’Edouard à Florenville. Il est originaire de Chassepierre, non loin de là. Il vend des chocolats, mais aussi des pâtisseries et des glaces, un peu de salé aussi, dans son tea-room (à l’instar de ce qui se fait en Italie) dont la grande baie vitrée permet de plonger dans son atelier. “Et voir que tout est fait ici.” 

“Nous ne faisons pas encore de bean to bar car je pense que Florenville est trop petite”, précise-t-il. “Comme Bocuse qui va chercher ses produits chez un bon boucher ou poissonnier, nous avons opté pour de bons fournisseurs de chocolat qui font des collections uniquement pour les artisans. Belcolade essentiellement, mais nous ne prenons que les origines : Vietnam, Ouganda, Equateur. Du chocolat éthique (cacao trace), sans travail des enfants.” Les ventes de chocolats constituent 50 % de son chiffre d’affaires.

Dans l’édition 2021 du Gault&Millau des meilleurs chocolatiers de Belgique et du Luxembourg, on épingle notamment sa praline Orval, “un mélange de 80 % d’Ouganda et de 71 % d’Equateur avec l’amertume de la bière d’Orval.

“Décembre sera compliqué”

Les produits d’Edouard sont également vendus dans 12 autres points de vente, des grandes surfaces “aux mains d’indépendants qui travaillent en direct avec des producteurs locaux.”

Toujours consultant et multipliant les projets (il a créé sa SPRLU en 2017), il a par exemple fait une démonstration bière-chocolat au pavillon belge de l’Expo universelle de Milan en 2015. Pendant le premier confinement, Edouard Bechoux a dû fermer le tea-room mais a gardé le magasin ouvert. “Le personnel était au chômage économique et j’ai vendu seul les stocks.” 

Et le chiffre d’affaires était en baisse de 60 à 70 % par rapport à la même période l’an dernier. Tour à tour commercial ou livreur, il a voulu “recréer du business” aussi, en vendant des tiramisus et des mousses au chocolat dans les points de vente. Et le tea-room qui, à nouveau fermé, est “transformé en un grand magasin de chocolat.”

Le mois de juillet a été bon, les mois d’août et de septembre ont été “les meilleurs depuis l’ouverture” grâce à la réouverture du tea-room et la présence de nombreux Belges en vacances dans la région. Noël, qui est d’habitude la plus grosse période de vente devant Pâques, arrive. “Mais décembre sera compliqué cette année car le tea-room restera fermé”, prévoit-il.

Textes : Anne Masset, Camille Delannois, Hubert Heyrendt, Vincent Slits
Photo : Julien Lanoo, Michel Tonneau, Millésime Chocolat, Meurisse, Les chocolats d'Edouard, Sigoji