Le Brabant vigneron

L'âme du vin wallon (2/6)

La production de vin en Wallonie se développe de manière importante ces dernières années. Des appellations ont vu le jour et chaque année de nouveaux hectares de vignes entrent en production. Des nouveaux domaines apparaissent. Du vigneron amateur qui a démarré avec quelques pieds de vignes au fond de son jardin aux producteurs ambitieux, les vins wallons sont sortis du registre de l’anecdote amusante. Le vin c’est une région, c’est un terroir, en Wallonie comme ailleurs dans le monde. Derrière ces vins wallons, il y a des femmes, des hommes, des équipes, il y a des gens. Ils sont passionnés, c’est un hobby, c’est un métier, certains sont très ambitieux. Qu’est-ce qui les a inspiré, qu’est-ce qui les guide ? Quelle est l’âme du vin wallon ?

Villers-la-Vigne

Villers-la-Ville

Villers-la-Ville, Brabant wallon, un vendredi matin de juillet, le ciel est menaçant, mais la pluie ne tombera pas. Dans un clos appartenant à l’abbaye, un vignoble de 1 000 pieds. Son nom : Villers-la-Vigne, c’est facile mais c’est bien vu. Le projet démarré en 1990 est l’affaire d’une confrérie (près de 300 membres) composée de bénévoles. Ils sont deux, ce jour-là, pour parler avec passion de ce vin qu’ils produisent chaque année. Christophe Waterkeyn, le président de la confrérie et Nicola Di Fabrizio, l’un des administrateurs expliquent d’entrée de jeu : “Nous avons copié les moines. Il y a des traces écrites qui prouvent qu’un vignoble existait ici il y a fort longtemps”. Nos interlocuteurs ne sont pas des moines, tous deux ingénieurs de haut vol “mais c’est un hasard”, nous assurent-ils. Ils ont surtout une passion pour le vin en général – ils organisent chaque année un voyage œnologique –, pour leurs vignes et leurs vins et un vrai sens de l’accueil.

En accord avec l’Abbaye, la confrérie exploite l’endroit où règnent “la convivialité et l’amitié. Les 308 membres de notre confrérie sont invités à travailler ici un samedi matin sur deux. Viennent ceux qui veulent et ces jours-là, chacun a le droit d’avoir un verre de notre vin”. Comme la production reste anecdotique (un petit millier de bouteilles, les bonnes années), il est nécessaire de gérer le stock avec parcimonie. “Pour ouvrir une bouteille, il faut l’accord du conseil d’administration”. Visiblement ce matin-là, ils l’ont eue. Leur cuvée 2017 à base de régent (cépage interspécifique), vinifié en macération carbonique, “comme un beaujolais nouveau”, disent-ils, est surprenant et a un goût de “revenez-y”. Peut-être aussi parce qu’il est partagé avec chaleur dans un lieu improbable et magique qui ne laissera insensible aucun amateur de vin. Mais ce il n’est pas réservé aux seuls initiés. “Nous organisons des visites du vignoble et nous le faisons goûter. Pour 7 euros, vous visitez le vignoble et vous pouvez boire un verre. Il y a aussi le billet combiné avec la visite de l’abbaye”. Rien que pour rencontrer nos deux guides du jour et boire un verre en leur compagnie, la visite vaut le détour. Bientôt, un vignoble conservatoire présentant les anciens cépages plantés en Belgique verra le jour, juste à côté du vignoble. Et si vous n’avez pas peur de grimper quelques marches, deux promontoires en bois vous attendent au-dessus du clos pour admirer ce clos, certifié bio depuis 2008 et biodynamique depuis 2018 et où nombre de vignerons wallons sont venus chercher conseil et même se former.

Vignoble du château de Bousval

Bousval

Ce midi-là, au moment de partir, la pluie n’est toujours pas tombée, le moment était étonnant et c’est à regret que l’on se quitte. Direction Bousval à travers les paysages typiques et apaisés de cette partie du Brabant wallon. Des champs à perte de vue, des fermes à larges granges et surtout, le calme.

Pour accéder au chai et au vignoble du château de Bousval créé par Michel Verhaeghe de Naeyer, il faut emprunter un improbable et étroit chemin forestier. “Il y a des vignes par là ?” se demande-t-on avant d’arriver devant un portail. Il n’y a pas de doute lorsqu’il s’ouvre, nous sommes arrivés. Après avoir progressé au milieu des vignes, apparaît alors un chai ultramoderne qui épouse le relief du paysage. Nous sommes dans un endroit coupé du monde et du temps, si ce n’est celui qui permet au raisin d’atteindre sa maturité. Le maître des lieux nous accueille en compagnie de ses chiens. La balade au milieu des vignes, sur des terres, où par le passé, poussait du blé vaut le détour. Nous croisons même un lièvre, emblème du domaine. “Lorsque j’ai fait le constat que ces terres agricoles étaient fatiguées à force de culture, nous avons mis la terre au repos pendant deux ans et puis nous avons planté des vignes”, explique Michel Verhaege de Nayer l’artisan de cette reconversion. Ici on a fait le choix des cépages traditionnels bourguignons et champenois, chardonnay et pinot noir. “Le projet devait être en équilibre avec la nature, la faune, la flore, le village et la famille. Je voulais faire du bon vin, pas de la quantité”.

" Le projet devait être en équilibre avec la nature, la faune, la flore, le village et la famille. Je voulais faire du bon vin, pas de la quantité"

Michel Verhaege de Nayer

Les 60 premières bouteilles sortiront en 2016. “Il était trop acide. En 2017 malgré le gel tardif et les maladies, nous avons produit 12 fois plus de vin qu’en 2016 avec un beau nez de chardonnay mais encore un peu trop vert. 2018 était fantastique et 2019 est une belle année aussi”. Les rendements progressent bien et le chai devient déjà trop petit. Michel Verhaege de Nayer est un homme heureux. Son vin est celui qu’il voulait faire. Le timing était serré, un autre rendez-vous nous attend déjà à quelques kilomètres de là.

Domaine du Chapitre

Baulers

À Baulers (Nivelles), le Domaine du chapitre propose une autre histoire. L’activité principale de la famille Hautier était l’élevage bovin. Aucun des trois fils ne voulait reprendre l’activité familiale. “Nous nous sommes dit que lorsqu’ils seraient grands nous pourrions vendre la ferme et reprendre un vignoble en France. Un jour mon mari a vendu les bêtes, nous étions prêts”, explique Anne Hautier. Mais Bertrand (29 ans) d’abord et Guillaume (32 ans) ensuite ne l’entendent pas de cette oreille. “Nous avons dit à nos parents que si c’était pour reprendre un vignoble autant le créer ici”, explique Bertrand Hautier qui est alors parti suivre des cours à Bordeaux après avoir terminé des études en informatique. En 2013 les Hautier plantent 6 ha de cépages interspécifiques et en 2015 et 2018 du pinot noir et du chardonnay.

" “Nous avons dit à nos parents que si c’était pour reprendre un vignoble autant le créer ici"

Bertrand et Guillaume Hautier

Le Domaine du chapitre est désormais un vignoble qui se porte bien. Les traces de l’ancienne activité sont encore bien présentes mais désormais ici, les cuves ont remplacé les abreuvoirs, on n’élève plus de vaches mais du vin. De toutes les couleurs, du tranquille et du pétillant, un apéritif et même de la bière à base de raisin. Avec à la clé quelques récompenses dont une médaille d’or au prestigieux concours de Bruxelles en 2019. Les vins de concours ont remplacé les taureaux.

Le domaine de Mellemont

Thorembais-les-Béguines

Pour terminer cette escapade brabançonne, il fallait passer par l’incontournable domaine de Mellemont à Thorembais-les-Béguines. Pourquoi incontournable ? Parce qu’il s’agit d’un domaine pionnier.

" Nous vieillissons et nous voulons passer la main. J’accompagnerai le repreneur pendant deux ans, je m’y engage"

Pierre Rion

C’est ici que Pierre Rion, un homme d’affaires infatigable, originaire de Charleroi, a créé avec un agriculteur, Etienne Rigo qui est aussi son voisin et un troisième partenaire local, en charge de la vinification, François Vercheval, le premier domaine viticole “sérieux” en Wallonie. “En 1990, un matin, je me lève et je dis à ma femme que je vais planter des vignes”, commence Pierre Rion. C’est chez lui qu’il décide planter les 100 premiers pieds. “J’étais parti les chercher en Alsace avec une remorque. Le vendeur pensait que je venais chercher des meubles. Il m’a donné les pieds de vigne c’était deux petits fagots. À l’époque je ne savais rien”, s’amuse-t-il.

L’initiative de Pierre Rion amuse beaucoup son voisin, Etienne Rigo qui finit quand même par le prendre au sérieux. “Nous avons entendu parler d’un certain Charles Henry du côté de Liège qui avait planté du pinot noir il y a de très nombreuses années. Après l’avoir goûté à l’aveugle, Etienne me dit qu’il a un hectare où nous pouvons planter de la vigne”. L’aventure du domaine de Mellemont était lancée. À Etienne le travail dans la vigne, à Pierre l’usage du tracteur, le travail administratif et le marketing et à François la vinification. “Mais nous sommes tous polyvalents”, enchaîne Pierre Rion qui est aussi président de l’association des vignerons wallons et donc le premier militant de la cause. “C’est incroyable parce que désormais, des petits écosystèmes se mettent en place, il y a désormais des gens en Wallonie qui vendent du matériel. Il y a un entrepreneur liégeois qui veut faire des tonneaux”.

Désormais on ne rit plus au nez de ceux qui ont eu l’audace de produire du vin en Wallonie. Mais ça n’a pas toujours été le cas. “J’étais allé à une dégustation à Ottignies au tout début. Je sers quelques verres pour la dégustation et les gens me demandaient s’ils peuvent le boire”, explique Etienne Rigo. Pierre Rion lui, voit plusieurs étapes dans l’arrivée du vin en Wallonie. “Il y avait d’abord ceux que j’appelle les folkloriques, qui ont planté des vignes après la guerre comme Charles Henry. Ensuite arrivèrent les pionniers, comme nous. Nous avons été suivis par les professionnels comme Grafé au Chenoy ou Leroy chez Ruffus. Il y a eu ensuite les investisseurs comme Chant d’éole, le château de Bioul, etc. Et enfin sont arrivées les grandes familles comme Verhaege de Nayer à Bousval ou De Mevius au domaine de la Falize”. Un beau résumé pour expliquer le développement de plus en plus important d’un secteur qui a de beaux jours devant lui et qui désormais est pris au sérieux.
Et pour ceux qui voudraient se lancer dans l’aventure du vin wallon, sachez que Pierre Rion et ses associés vendent le Domaine de Mellemont. “Nous vieillissons et nous voulons passer la main. J’accompagnerai le repreneur pendant deux ans, je m’y engage”.