Le secret de James Barry

La chirurgienne qui a bouleversé le monde médical britannique

Si la médecine semble actuellement tant accessible aux femmes qu’aux hommes, ce ne fut pas toujours le cas, loin de là. Au XIXème siècle, une jeune Britannique a fait un choix radical pour s’immiscer dans un milieu qui lui était jusqu’alors clos: se travestir. Mieux connue désormais sous le nom du docteur James Barry, elle est entrée à l’université d'Édimbourg où elle a obtenu son diplôme et a alors débuté une carrière qui sera plus que fructueuse. À l’origine de la toute première césarienne dans le monde africain, le docteur Barry a marqué les esprits par les réformes qu’elle mena avec succès au sein du corps médical, mais pas seulement. Son physique particulier et ses attitudes ont fait l’objet de commérages qui n’ont en rien arrêté l’ascension du brillant médecin. Une ascension qui a brutalement pris fin à sa mort en 1865. Sont alors nées des rumeurs concernant le sexe du célèbre docteur. Était-ce en réalité une femme? Un hermaphrodite? Plus de 150 ans plus tard, le mystère persiste sur ce qui apparaît comme une grande première dans le domaine médical britannique.

Prête à tout pour réaliser son rêve

Le mystère qui entoure la vie du docteur James Barry commence dès son plus jeune âge. Outre la date de naissance du médecin qui suscite divers postulats - certains la situent plutôt aux alentours de 1785 alors que d’autres pensent qu’elle est née en 1795 -, un autre point d’interrogation demeure quant à l’identité des parents de Barry. Différentes sources semblent toutefois s’accorder pour dire que son oncle ne serait autre que le célèbre peintre irlandais, James Barry. Ce serait d’ailleurs grâce à ce dernier et à ses connaissances que la jeune fille se passionne pour la médecine. Malheureusement pour elle, à cette époque, une femme n’entreprend pas de telles études. C’est pour cela que celle qui serait née sous le nom de Margaret Ann devient James Miranda Stuart Barry. Se faisant désormais passer pour un jeune homme, elle entre à l’université d'Édimbourg en 1809 où elle étudie la littérature et la médecine. Elle obtient son diplôme seulement trois ans plus tard, ne créant pas un précédent dans l’histoire de la médecine britannique pour sa rapidité - même si celle-ci est d’une rareté que peu de fois observée -  mais bien parce qu’auparavant aucune femme n’avait obtenu un tel grade.

Bien qu’elle ait suscité les moqueries de quelques-uns de ses camarades, la jeune et studieuse Barry commence sa carrière sur des chapeaux de roues. À sa sortie de l’université, elle rejoint l’équipe du célèbre chirurgien Astley Cooper, au Guy’s Hospital Medical School, en tant qu’assistante. Mais James Barry en veut toujours plus et rien ne semble l’arrêter. Si elle a réussi à casser les codes et à devenir la première femme médecin en se travestissant, pourquoi pas s’enrôler dans l’armée, un monde tout aussi, si pas plus encore, masculin? C’est ce que le jeune docteur fera en juin 1813. Elle doit alors passer des examens médicaux. Problématique pour le jeune homme qui n’en est pas un. Malgré tout, Barry s’en sort sans encombre. Plusieurs personnes postulent qu’elle aurait finalement échappé à la batterie de tests médicaux grâce à son statut de médecin. Une simple assurance de sa part de son bon état de santé aurait suffi. Voilà donc Margaret Ann - désormais James Barry - en route pour Plymouth, base militaire à laquelle elle reste stationnée jusqu’en août 1816. C’est à cette date que débutent les pérégrinations du docteur. Nommée assistant-chirurgien, elle prend la route de Cape Town en Afrique du Sud, pays qu’elle marque indéniablement par ses réformes, son côté révolutionnaire et son talent.

Le peintre James Barry

Le peintre James Barry

L'université d'Édimbourg (1886)

L'université d'Édimbourg (1886)

Guy's Hospital Medical School

Guy's Hospital Medical School

Astley Cooper

Astley Cooper

Une visionnaire qui dérange

Des malades de la lèpre

Des malades de la lèpre

Lord Somerset

Lord Somerset

Épidémie de cholera

Épidémie de cholera

Parmi les avancées majeures promues par Barry dans la région, on note un grand nombre de mesures concernant la santé publique. Le médecin a ainsi grandement participé à améliorer l’hygiène au sein de la profession, les traitements accordés aux malades de la lèpre, la régularisation des médicaments et bien d’autres choses encore. Mais sa vision progressiste ne plaît pas à tout le monde et son caractère bien trempé, encore moins. "L’homme” commence à se faire des ennemis. Sont notamment pointées du doigt son excentricité et sa perpétuelle manie de défier l’establishment. Mais pas seulement. Des rumeurs voient le jour sur la personnalité ambiguë du docteur. Il faut dire que son apparence ne laisse pas de marbre. De petite taille (environ un mètre cinquante), des cheveux blonds vénitiens ondulés, de grands yeux bleus et une voix de vieille dame, James Barry ne passe pas inaperçue. Ses détracteurs se servent de ses caractéristiques hors du commun et de la relation que "l’homme” entretient avec le Gouverneur Général de Cape Town - Lord Somerset - pour essayer de descendre le médecin dans l’opinion publique. Mais rien y fait, James Barry continue ses exploits, dirigeant ses équipes d’une main de fer.  

Lord Somerset quitte l’Afrique du Sud pour retourner en Angleterre où il meurt quelques années plus tard. Barry lui aurait d’ailleurs rendu visite peu de temps avant sa mort dans un dernier espoir de sauver son ami, geste qui se solde par un échec. Des défaites, la chirurgienne n’en connaîtra pas énormément dans sa vie. Oscillant entre l’île Maurice où elle participe à mettre un terme à une épidémie de choléra, l’Afrique du Sud où elle réalise la première césarienne du continent africain en 1826, la Jamaïque et enfin, Sainte-Hélène et Malte, James Barry continue son combat pour de meilleurs soins offerts à tous, y compris pour les populations locales et les prisonniers. Ces luttes lui vaudront de s’attirer les foudres des autorités, lui coûtant d'être rétrogradée dans les années 1835. Mais le docteur continue de voyager et d’aider les populations aux quatre coins du monde.

Son secret enfin dévoilé

Au cours de ses différents périples, James Barry rencontre bon nombre de personnes qu’elle ne laisse que rarement indifférentes, que ce soit positivement ou négativement. La célèbre infirmière anglaise, Florence Nightingale, a d’ailleurs fait part des moments passés aux côtés de la célèbre chirurgienne durant la guerre de Crimée. La décrivant comme une “brute”, l’infirmière estime que le docteur est la personne “la moins sensible” qu’elle ait rencontrée. C’est pourquoi, à la mort de James Barry, elle fait partie de ceux qui resteront cois une fois son secret révélé.

Car, en effet, il faudra attendre le décès de la chirurgienne, le 25 juillet 1865, pour que soit divulgué ce qu’on pense à ce jour être son véritable sexe. C’est Sophia Bishop, chargée de prodiguer les derniers soins à Barry, qui est à l’origine de cette révélation. L’affaire est dévoilée deux semaines après le décès du brillant docteur, dans le Dublin Newspaper. “Un sujet occupe toutes les discussions, en ce moment, au sein des cercles militaires. Un sujet tellement extraordinaire que personne ne pourrait y croire (...). C’est un fait indiscutable qu’une femme a obtenu un diplôme de médecine et est presque devenue célèbre, grâce à ses talents de chirurgienne. Quelle déception! Comment cela a-t-il pu arriver?”, écrit le journal irlandais au sujet de James Barry.

Mais, à ce jour encore, le doute persiste. Si certains affirment de source sûre que Barry était une femme, d’autres sont plus prudents et gardent en tête l’éventualité que le docteur était en réalité "hermaphrodite". Quoi qu’il en soit, James Barry s’en est allée emportant son secret dans la tombe mais laissant son empreinte dans l’histoire de la médecine, qu’elle a non seulement marquée par son talent mais également par son supposé travestissement.

Florence Nightingale

Florence Nightingale

Florence Nightingale (pendant la guerre de Crimée)

Florence Nightingale (pendant la guerre de Crimée)

La tombe de James Barry au cimetière de Kensal Green à Londres

La tombe de James Barry au cimetière de Kensal Green à Londres

Si l’histoire de Barry est originale, elle reflète cependant bien la difficile réalité des femmes de l’époque. En Belgique également, l’accès aux professions médicales est resté, pendant longtemps, très restreint. Née en 1842, Isala Van Diest sera la première Belge à devenir docteur à l’âge de 42 ans, au terme d’un parcours semé d’embûches.

Allant à l’encontre des règles et des principes d’antan, ces pionnières ont ouvert la voie aux générations suivantes. À ce jour, dans notre pays, il y a presque autant de femmes que d’hommes pratiquant la médecine selon les derniers chiffres du SPF Santé Publique. Au 31 décembre 2016, elles étaient pas moins de 17.474 à exercer dans le domaine, représentant environ 40% des membres de la profession. Un paysage médical bien différent de celui dans lequel ont évolué James Barry et Isala Van Diest, mais qui n’aurait certainement pas pu voir le jour sans leur détermination.