Le métier de géomètre-expert

Le métier de géomètre-expert reste relativement méconnu du grand public.

Souvent réduit à ses prises de mesures, le géomètre-expert réalise en réalité bien d'autres tâches. Son travail ne se cantonne certainement pas qu'au terrain.

Ce spécialiste aux multiples facettes met ses connaissances en pratique pour produire des plans, des maquettes, générer des visites virtuelles de lieux, analyser des données. En outre, il constitue un collaborateur de choix pour d'autres professionnels comme les architectes ou, plus étonnamment, les avocats.

Dans le cadre de son dossier dominical "Dans le Secret des Lieux", La Libre a pu suivre pendant une journée une personne exerçant ce métier, dont on ne voit la plupart du temps que la partie émergée de l'iceberg.

Le mesurage d'un bâtiment, comment ça fonctionne ?

Vendredi 8 janvier, 9h du matin, direction Bruxelles où nous avons rendez-vous avec Denis Pierlot, géomètre-expert, et son collaborateur Olivier Gyselinck, sur l’un de leurs chantiers.

L’adresse communiquée nous mène à un garage situé à Schaerbeek. Le client souhaite des mesures précises du lieu.

"La finalité de la demande est tenue confidentielle", rappelle le géomètre-expert. Il est cependant tout à fait plausible que le client ait demandé une telle expertise afin de réaffecter le lieu ou de le réaménager.

Ainsi, l’opération de mesurage sur place commence. Deux actions complémentaires se passent simultanément. Une prise des mesures de la façade extérieure est réalisée par Denis Pierlot à l'aide d'un tachéomètre. De son côté, Olivier Gyselinck procède, grâce à un scanner laser 3D, à un relevé des données de l'intérieur du bâtiment et de ses spécificités.

Le tachéomètre, principal instrument du géomètre-expert sur le terrain

Le tachéomètre fait partie intégrante du travail du géomètre-expert. Cet instrument l’accompagne sur chacun de ses chantiers. Il constitue pratiquement une extension de son corps.

A l’aide de celui-ci, Monsieur Pierlot relève précisément les différentes mesures de la façade du garage mais également celles des bâtiments avoisinants. Il s’agit bien évidemment d’une étape essentielle car l'objet d’étude est ici enchâssé entre deux habitations. Il est donc nécessaire de le considérer dans son contexte et non comme un élément isolé.

En termes plus techniques, le tachéomètre posé sur le sol à l’aide d’un trépied, comme c’est souvent le cas, analyse différents angles verticaux et horizontaux ainsi que les distances par une technique de triangulation - c'est-à-dire qu'il divise l'objet d'étude en triangles (si l'on connaît la position de deux points de référence et la distance qui les sépare, il est possible d'établir précisément la position du troisième point). L'instrument permet au géomètre-expert de faire preuve d'une extrême justesse.

Le scanner, un outil complémentaire et pratique

De son côté, Olivier Gyselinck réalise un relevé des données de l’intérieur du garage. Pour ce faire, il utilise un autre outil caractéristique de la profession de géomètre-expert: le scanner laser 3D.

Ce dernier use d’un faisceau laser pour balayer l’espace verticalement et horizontalement. En un laps de temps court, cette opération permet de mesurer des millions de points. L’ensemble de ceux-ci forme ce qu’on appelle un “nuage de points”. Par la suite, celui-ci sera traité à l’aide d’un logiciel de dessin afin de proposer une représentation fidèle à la réalité. Les données obtenues permettront également à l’expert de réaliser une visite virtuelle du lieu par exemple.

Olivier Gyselinck nous précise qu'en fonction des spécificités du bâtiment, des obstacles présents et de la surface à mesurer, il est parfois nécessaire de déplacer le scanner. C'est le cas ici où il y a, par exemple, un renfoncement au niveau de la toiture, des véhicules garés, plusieurs pièces à étudier... Tout cela oblige les géomètres-experts à faire intervenir leur expérience pour manipuler l'instrument de manière adéquate.

"La grande majorité de notre travail est réalisée au bureau"

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la majorité du travail de géomètre-expert s'effectue en réalité au bureau : “Le terrain représente un tiers de notre activité. Après, il y a tout le reste: l'analyse des données, les maquettes, le dessin des plans 2D...”, nous apprend Denis Pierlot.

Un regard précis, apte et à l’affût du détail est précieux au bon exercice de la profession. Les géomètres-experts ont souvent recours à la photographie et aux croquis, nous détaillent les deux hommes. Il s'agit en effet d'aides précieuses pour dépeindre la réalité de la situation

Après environ trois heures sur place, au garage, les deux géomètres-experts retournent donc à leur bureau afin d'analyser l'ensemble des données récoltées et de proposer un mesurage précis du lieu à leur client.

Des compétences techniques, juridiques et psychologiques

La fonction de mesureur est caractéristique de la profession et représente la partie du métier la plus largement intégrée par le grand public : “Le géomètre-expert est un professionnel qui identifie, délimite, mesure, évalue une propriété. Il participe également à l’aménagement du territoire", peut-on ainsi lire sur le site de l'institut d'enseignement de promotion sociale d'Uccle. Par sa formation, ce professionnel peut apporter une réelle plus-value dans l'évaluation d'une propriété immobilière, pour établir un état des lieux locatif ou avant travaux ou bien encore pour réaliser une expertise technique d'un bâtiment.

Toutefois, Monsieur Pierlot et son collaborateur précisent que le géomètre-expert peut apporter ses qualités et sa légitimité dans d’autres situations qui ne tombent pas spécialement sous le sens.

Ainsi, de par ses connaissances techniques et juridiques, il va également pouvoir jouer le rôle de conseiller, de conciliateur et éventuellement d’arbitre en cas de litige. En outre, le géomètre-expert est donc, par extension, le spécialiste qui pourra réaliser les plans de base qui serviront l'architecte pour son projet. Il est également possible que son avis soit requis par un avocat en cas de conflit pour le bornage d’un terrain entre deux propriétaires.

Audrey Nagels, architecte chez Origin Architecture & Engineering, loue véritablement leur profession: "Les nuages de points, les orthophotos et les plans 3D qu'ils nous fournissent sont des sources incroyables de précision. Ils facilitent grandement notre travail en proposant des bases sur lesquelles nous pouvons venir greffer nos projets".

L'absence d’un Ordre des géomètres-experts a des conséquences

Contrairement aux architectes ou aux médecins, les géomètres-experts ne disposent pas d'Ordre professionnel à proprement parler en Belgique. Ce manque de représentativité entraîne parfois un défaut de reconnaissance de la profession. Il ne leur est ainsi pas possible d’exercer une réelle pression ou de revendiquer pleinement leurs droits.

Par exemple, il n'est pas rare de voir un agent immobilier ou un architecte relever lui-même les mesures d'un bâtiment. Pourtant, il s'agit d'une compétence pour laquelle les géomètres-experts sont pleinement légitimes, mais le mesurage "simple" ne leur est pas exclusif. Légalement, seuls le bornage de terrain et la délimitation d'une propriété leur sont reconnus.

Cela peut également avoir des répercussions sur les clients qui peuvent se retrouver lésés dans certaines situations, comme lors du calcul de la surface nette d’une habitation. Entre pays, les différences peuvent également être relativement importantes suivant la méthode de calcul. A l’initiative de l’ASBL l’Ordre Belge des Géomètres-Experts, un Code de Mesurage, qui n’a actuellement aucune valeur réglementaire, a été porté au niveau international pour tenter de remédier à cette problématique. L'objectif de ce code est de promouvoir un étalon de mesure international commun. Cela permettrait, entre autres bénéfices, aux citoyens de mieux comprendre la manière de calculer la surface des immeubles.