Le Hainaut, la nouvelle "Champagne"

L' âme des vins wallons (1/6)

La production de vin en Wallonie se développe de manière importante ces dernières années. Des appellations ont vu le jour et chaque année de nouveaux hectares de vignes entrent en production. Des nouveaux domaines apparaissent. Du vigneron amateur qui a démarré avec quelques pieds de vignes au fond de son jardin aux producteurs ambitieux, les vins wallons sont sortis du registre de l’anecdote amusante. Le vin c’est une région, c’est un terroir, en Wallonie comme ailleurs dans le monde. Derrière ces vins wallons, il y a des femmes, des hommes, des équipes, il y a des gens. Ils sont passionnés, c’est un hobby, c’est un métier, certains sont très ambitieux. Qu’est-ce qui les a inspirés, qu’est-ce qui les guide ? Quelle est l’âme du vin wallon ?

Le Chant d'éole

Quévy

Le vent s’était levé de bonne heure ce matin-là. À Quévy, à deux pas d’une route pour automobile, les éoliennes n’en demandaient pas tant, elle tourne à plein régime. À leur pied, des drôles de plantations. De celles qui nous sont plus familières lorsque nous traversons la Champagne, la Bourgogne, le Bordelais, le Languedoc, la Toscane, l’Alentejo, etc....
Ici, dans le Hainaut, non loin de Mons, on s’attend plutôt à voir pousser des betteraves. Mais non, ce sont bien des vignes. Il y a surtout du chardonnay et puis d’autres cépages connus des Champenois et des Bourguignons, comme le pinot noir. Le sol n’est pas bon pour les betteraves dans ce secteur. Il est plein de calcaire. Louis Ewbank de Wespin, le propriétaire des lieux, ne savait pas qu’un jour ce sous-sol, qui est le même que celui qui produit les grands crus champenois d’Épernay, le placerait un jour en concurrence avec le sacré breuvage du nord de la France. “Je n’ai pas un palais très affûté”, nous confie celui qui est venu au vin pétillant par hasard. “Un jour, un Champenois (d’origine belge), Filip Remue est venu ici, il voulait m’acheter mes terres. Je suis allé visiter ses installations et nous nous sommes associés. Mon neveu Hubert s’est joint à nous et voilà”.
L’aventure commence en 2010 et les premières bouteilles sortent en 2015. Désormais avec 19 hectares de vignes plantées, et 110 000 bouteilles produites, le domaine du Chant d’éole ne parvient pas à contenter tout le monde. “C’est le bonheur de travailler ici, il n’y a presque rien à faire, tout le monde vient à nous”, explique en riant, le responsable commercial du domaine, Eric de la Kethulle, cousin d’Hubert Ewbank. On travaille en famille ici. “La première cuvée, on l’a faite à la ferme, c’était de la débrouille”, ajoute Louis Ewbank qui, désormais, possède des installations modernes.” Mais nous allons encore devoir agrandir, nous avons vu trop petit”.
Lors de notre visite, un consultant champenois qui vient vérifier le travail réalisé à Quévy n’en démord pas. “Lorsque je me promène dans ce vignoble, je retrouve celui que l’on trouvait en Champagne dans les années 80”. La Champagne justement, le Chant d’éole n’a rien à envier à ses presque voisins français. Si pour des raisons légales évidentes, ils ne peuvent pas parler de Champagne, la famille Ewbank ne veut pas non plus qu’on parle de mousseux ou de crémant de Wallonie. “Chant d’éole c’est la marque, c’est un tout, c’est là-dessus que nous misons”.

Ce projet ambitieux a même séduit un Argentin. German Mulet est passé par quelques maisons bordelaises avant de se retrouver à seulement 31 ans (il en a 34 aujourd’hui), responsable de la vinification. “C’est très bien ici, les conditions de travail sont formidables”, dit-il. Et l’équipement suit. Chez les Ewbank on souhaite que les installations soient les plus modernes possible. “Nous allons acheter un nouveau pressoir”, explique Louis devant le regard pétillant de German impatient d’essayer son nouveau jouet. “Un pressoir comme celui que vous allez utiliser c’est encore un saut qualitatif au niveau de votre produit”, conclut le consultant champenois. En fin de visite, on apprendra encore que le célèbre Robert Parker, l’homme qui fit beaucoup de bien et de mal aussi à la réputation de certains bordeaux, via son célèbre guide, souhaite goûter le “Chant d’éole”. Révélation fort opportune, téléguidée par l’équipe ou pas, c’est un signal fort pour cette maison.

Le vignoble des Agaises

Ruffus

À 11 km de là, vers Binche, à Haulchin, une autre belle réussite effervescente, antérieure au Chant d’éole, bénéficie d’un terroir aussi crayeux et donc propice au blanc pétillant. Le domaine des Agaisses qui propose le célèbre Ruffus et ses déclinaisons. Ruffus est né en 2001 par l’envie folle de Raymond Leroy, un négociant en vin qui rêve d’un vignoble local. Associé au vigneron champenois Thierry Gobillard et à d’autres, cette autre success story vaut la peine d’être racontée. “En 1981, nous dit Raymond Leroy, j’avais vu ces terres et j’avais cherché à les acheter. Le fermier de l’époque n’avait pas voulu. Alors j’ai créé un petit vignoble avec 600 pieds de pinot noir ailleurs. Vingt ans plus tard, lors du banquet des anciens du collège de Bonne espérance, je suis tombé par hasard sur le fils du fermier qui n’avait pas voulu me vendre ses terres”. Et c’est ainsi que l’aventure commence, le fils voit plus loin que le père et les deux hommes s’associent. Les six premiers hectares sont plantés. C’est en 2006 que les premières bouteilles sont produites. “Quand j’ai ouvert pour la première fois une bouteille de Ruffus, j’ai traversé la rue et j’ai dit à ma mère : “goûte un peu”. Je savais que c’était un bon vin”.

"Je me souviens qu’un journaliste flamand a dit ceci : 'Fatcha, c’est dommage de mettre des bulles dans un truc aussi bon' "

Raymond Leroy se souvient encore de la présentation officielle du Ruffus. “Il y avait le ministre wallon de l’agriculture qui était présent, vous voyez, le bagarreur ? (NDLR : il fait référence à José Happart). Je me souviens qu’un journaliste flamand a dit ceci : “Fatcha, c’est dommage de mettre des bulles dans un truc aussi bon”.

Depuis Ruffus est devenu célèbre dans tout le pays. Ici aussi, malgré les 30 hectares de vignes, la demande est trop forte pour être rencontrée. Et tout est vendu sur le marché belge ou presque : “Je fournis certaines ambassades”, explique encore Raymond Leroy qui parle de son domaine avec la même émotion qu’il y a vingt ans. Aujourd’hui ses fils sont à la manœuvre. L’aventure est partie pour durer.

Le Clos des Zouaves

La cuvée des Zouaves

Quittant le domaine des Agaisses et ses installations en constante évolution – un chai sera bientôt creusé dans la roche – c’est par les petites routes plates de cette partie du Hainaut agricole que l’ont rejoint Thuin et ses remparts. Thuin et ses vignes. Thuin et son vin rouge muté, qui s’est retrouvé dans 2 000 bouteilles de 50 cl la saison dernière.

“Les vendanges commencent par un petit-déjeuner chez le président"

Rien à voir avec les deux machines de guerre rencontrées précédemment. Ici, c’est en 2001 que 1 000 pieds de vigne de régent (cépage allemand rouge interspécifique) ont été plantés sur les belles terrasses de la ville. Celui qui veut admirer le vignoble thudinien peut se rendre au lieu-dit “chant des oiseaux”, la vue y est imprenable et un peu hypnotisante. Géré par une ASBL, le vignoble est entretenu par une agence de mise à l’emploi. Les vendanges donnent l’occasion aux membres de fêter ça. “Les vendanges commencent par un petit-déjeuner chez le président et puis en deux heures tout est fait”, explique Oswald Aubry membre de l’asbl.

En 2012, le “Clos des zouaves” qui était un vin rouge sans prétention aucune, est devenu un vin doux naturel. Titrant à 18°, il est idéal pour accompagner un dessert au chocolat. “Il y a un producteur local qui fait un formage bleu, il va très bien avec notre vin”, enchaîne Oswald Aubry qui comme la plupart des membres de l’ASBL marche, chaque année, revêtu du costume de zouave lors de la traditionnelle, Saint Roch, une marche folklorique de l’Entre-sambre et Meuse.

Le domaine du Blanc Caillou

Le Blanc Caillou

En fin de journée, de Thuin, nous rallions Montigny-le-Tilleul pour rencontrer un personnage haut en couleur dans le monde du vin wallon. Son “clos du val d’heure” ne se vend pas, il se boit juste en compagnie de son producteur, Marc Boddaert. “J’ai commencé avec six pieds de vignes au fond de mon jardin, désormais j’en ai trente. J’en plantais parfois en cachette de mon épouse lorsqu’elle allait faire des courses”. Ici, pas de cuve, pas d’installation moderne. Juste un petit pressoir et des tourilles. En 2018, il a produit 28 bouteilles.

"J’ai commencé avec six pieds de vignes au fond de mon jardin, désormais j’en ai trente. J’en plantais parfois en cachette de mon épouse lorsqu’elle allait faire des courses"

Mais Marc Boddaert est aussi depuis 2014, l’un des initiateurs et le maître de chais du domaine du Blanc Caillou installé sur le territoire de sa commune, sur un terrain appartenant aux carrières de la Sambre. Les premières bouteilles sont attendues pour 2021.
“J’ai commencé m’intéresser à la vinification lorsque j’étais stagiaire à la défense. J’avais trouvé dans la bibliothèque, un livre écrit par un Canadien”. En 2010, les vins wallons commencent à faire parler d’eux et on vient chercher Marc Boddaert pour un festival consacré aux vins wallons aux barrages de l’eau d’heure. “Je suis venu avec trois bouteilles, du 2008, du 2009 et du 2010, j’avais même un stand. mais j’ai surtout fait goûter mon vin aux vignerons présents. De discussions en discussions, je me suis retrouvé parmi les fondateurs de l’association des vignerons de Wallonie”.

Quant à l’aventure du Blanc caillou, elle est née de sa rencontre avec l’ancien directeur général des carrières de la Sambre, Michel Evrard. “Il m’a parlé du versant sud des carrières non exploité sur une superficie de 1, 5 hectares”. Le projet est prévu pour vingt ans. Une coopérative à finalité sociale a été mise sur pied et les premiers pieds de vignes ont été plantés. Mais avant cela, il a fallu créer le terroir. Des terres ont été acheminées jusque-là. “Pour leur apporter de la vie nous avons épandu du jus de compost à aération active et puis du purin de cheval et du compost de bois”. Tous les samedis matin, les coopérateurs se retrouvent dans la vigne pour y travailler. “Chaque coopérateur recevra chaque année deux bouteilles. Et s’il en veut plus, un calcul sera effectué par rapport au temps qu’il aura passé à travailler dans la vigne”.

Il est temps de quitter Montigny-le-Tilleul et de laisser Marc Boddaert. Sur le R3 tout proche, en terminant ce petit périple hennuyer, la grande pancarte du vignoble du Blanc caillou visible de l’autoroute semble nous inviter à revenir l’année prochaine pour goûter les premières bouteilles.