Le difficile parcours vers la liberté des Belges enfermés dans les camps japonais

C’est en liesse et avec leurs hymnes nationaux que les 1500 prisonniers du camp japonais de Weixian, localisé dans le nord-est de la Chine aux alentours de Tientsin, accueillent la poignée de parachutistes américains venus les libérer ce 17 août 1945.

Parmi les captifs, principalement britanniques et américains, des centaines d’enfants dont certains sont privés de leurs parents depuis des années. Il y a aussi une quarantaine de Belges.
Deux jours plus tôt, l’empereur japonais Hiro-Hito prononçait une allocution inédite, augurant enfin le terme de la Seconde Guerre mondiale où, des mois après la capitulation de l’Allemagne nazie, le Japon exsangue résistait envers et contre tout.

Hiro-Hito, empereur du Japon de 1926 à 1989.

Hiro-Hito, empereur du Japon de 1926 à 1989.

Vis-à-vis de ses ennemis, avec les expérimentations menées sur des cobayes humains par l’unité 731 (une unité militaire de recherches bactériologiques), ou les camps de travaux forcés, l’Empire du Soleil levant s’était rendu coupable des plus terribles sévices.

Aux prémices de la guerre du Pacifique et initialement circonscrite aux deux nations belligérantes, la sanglante guerre sino-japonaise (1937-1945) est considérée comme la date originelle du second conflit mondial pour ce côté du front.
Emportant et meurtrissant à jamais des millions de victimes, l’offensive n'a pas épargné les expatriés belges, bien implantés en Chine.

La présence belge en Chine: la religion, le Roi et l’industrie

En dépit d’un pouvoir chinois rétif aux étrangers, la présence de ceux-ci se fondait sur l’apostolat missionnaire et les appétits commerciaux.

À la suite de sa défaite lors des guerres de l’opium au milieu du XIXe siècle, la Chine avait été contrainte de céder des concessions importantes aux puissances occidentales.

C’est dans ce sillage, et bien avant son intérêt pour le Congo, que l’ambitieux Roi Léopold II planifiait de développer des intérêts belges au sein de l’Empire chinois où, peu avant son accession au trône, il s’était lui-même rendu.

Leopold II

Leopold II

Moins redoutée que ses consœurs européennes, et consacrée pour sa virtuosité industrielle, la Belgique remporte des marchés considérables au tournant du XXe siècle. Il y a l’installation d’un complexe sidérurgique avec le concours des établissements Cockerill, et la réalisation de 1200 km de chemin de fer reliant Pékin à ce qui devait devenir Wuhan.

A la manoeuvre de ce magistral trait d’union entre le nord et le centre, des figures aguerries du Congo belge: le diplomate Emile Francqui, l’ingénieur Jean Jadot ou encore l'homme d'affaires Albert Thys.
L’essor des intérêts belges se développe malgré les violences commises par les Boxers à l’encontre des Occidentaux.

Alors que les Chinois saccagent une portion de la voie ferrée et y laissent des victimes, notre pays obtient une concession territoriale de 46 hectares, à Tientsin, et où la Compagnie de Tramways et d’Eclairages décroche un monopole.

Disséminée à travers le territoire chinois, avec une prépondérance religieuse, c’est une communauté belge chevillée à ses intérêts industriels, immobiliers, bancaires, financiers, et diplomatiques qui, depuis son univers propre et distinct, assiste aux débuts des hostilités sino-japonaises.

Une guerre cruelle qui ne concernait pas les Occidentaux?

Dès 1931, l’impérialisme japonais, justifié par un déficit en ressources naturelles, et formalisé par l’invasion de la Mandchourie chinoise, laisse présager l’avènement du conflit asiatique.

Dans ses premiers développements, bien que soupçonneux à l’égard des résidents occidentaux, l’assaillant nippon, qui étend son emprise sur l’immense Chine, les considère comme neutres.

Mais la violence du conflit, qui éclate rapidement, n’épargne personne.

Dans la Shanghai internationale, la supériorité technologique japonaise supplante les Chinois, tandis que ceux-ci bombardent incidemment la concession française où se dresse la représentation belge: les morts et blessés se chiffrent par centaines.

A Nankin, l’ancienne capitale, des Occidentaux refusant d’être évacués tentent de sauver les Chinois de l’incommensurable cruauté d’une armée nipponne qui s’adonne aux meurtres et viols de masse.

Au fur et à mesure de sa conquête asiatique, cherchant à s’attacher la collaboration des peuples dominés, sur le modèle du "lebensraum" nazi, ou espace vital, le Japon développe le concept de "sphère de coprospérité de grande Asie orientale".

Produit de propagande, il s’agit d’un simulacre d’égalité entre Asiatiques d’où doivent être exclus les Occidentaux.

Les retombées de Pearl Harbor

Jetant le conflit sino-japonais dans la Seconde Guerre mondiale, l’attaque japonaise de la base américaine de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, couplée aux offensives à l’encontre des colonies britanniques et néerlandaises dans le Pacifique, implique irrémédiablement les occidentaux de ce côté du front.

En dépit d’un appel à la prudence diplomatique eu égard aux intérêts belges en Chine, dépourvu de moyens de mener une guerre dans le Pacifique, mais soucieux de rehausser son image auprès des Américains, le gouvernement belge déclare la guerre à l’Empire nippon douze jours plus tard.

Désormais, ceux dont le pays est en guerre avec le Japon et qui résident sur les territoires conquis par ce dernier deviennent des ennemis étrangers.

Leurs concessions, opérations économiques et financières, par le biais des banques et des ports, passent sous un contrôle japonais plus qu’attentif, et ils sont sommés de porter des brassards notifiant leur pays d’origine.

Un centre de relogement

C’est plus d’un an après les déclarations de guerre que le personnel belge, dont les comptes sont bloqués depuis bien longtemps, se voit expulsé des sociétés qui l’emploie.

Les personnes sont donc convoquées pour être détenues dans des camps dénommés "centres de relogement", en rappel des camps dans lesquels les Américains ont interné les descendants japonais établis sur leur territoire.

Défilant à pied en portant leurs effets, ce qui contraste avec leur ancienne vie de privilèges, les Occidentaux sont humiliés et filmés. Les biens qu’ils laissent derrière eux sont saisis.

Dans le camp, ils connaissent des pénuries d’eau, des files interminables pour accéder aux sanitaires, l’insuffisance et l’avarie alimentaire, en outre de quelques heures de travail quotidien obligatoire.

Une détenue montrant sa ration alimentaire dans le camp de Stanley à Shanghai

Une détenue montrant sa ration alimentaire dans le camp de Stanley à Shanghai

Alors que leurs journées débutent sur un sermon à la faveur de la grande Asie orientale assorti d’un hommage au divin Empereur, le fonctionnemement du camp est laissé au soin de comités élus qui s’organisent.

Des prêches, des conférences et une variété de cours sont dispensés et les loisirs sont autorisés: les internés participent à des représentations dans leur langue maternelle, ignorée des gardiens et, dans le plus grand secret, une fanfare s’exerce à jouer les hymnes nationaux.

La coupure avec l’extérieur est totale: les courriers, rares et censurés ne peuvent contenir plus de 25 mots. Le marché noir et le trafic de lettres s’organisent avec les paysans chinois.

Il aura fallu attendre finalement plus de trois mois après la libération de l'Europe pour que les détenus occidentaux en Chine occupée soient délivrés.