La Rose blanche: ces jeunes allemands qui s'insurgèrent face au nazisme

Une lutte pour la conscience allemande

Reporters

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Où l’écrit piqua le régime

Munich, lieu de naissance et “capitale du mouvement” national-socialiste. Munich, épicentre d’un art formaté et cadenassé. Munich et son Musée tardif sur le nazisme.

Retour dans le passé. Ce 22 février 1943, le tribunal politique, présidé par l’impitoyable juge Freisler, siège dans la cité bavaroise.

Il condamne à mort les étudiants Sophie Scholl, 21 ans, Christoph Probst, 23 ans et Hans Scholl, 24 ans, lors d’un procès expéditif d’une durée de 3 heures.

Hans et Sophie Scholl

Hans et Sophie Scholl

Le frère et la sœur Scholl, anciens adhérents aux jeunesses hitlériennes, et leur ami, sont accusés de haute trahison, propagande subversive, complicité avec l’ennemi et démoralisation des forces militaires.

Le trio sera guillotiné 3 heures après la sentence.

Quatre jours avant, la fratrie a été surprise à répandre des tracts hostiles au régime dans leur université.

Ces pamphlets, qui clôturent une série de 6 tracts distribués à des intellectuels et des étudiants invités à diffuser leur contenu, sont attribués au cercle de résistance clandestin "la Rose blanche", initié en 1942 par Hans Scholl et Alexander Schmorell, deux amis étudiants en médecine et soldats.

Sophie Scholl | Stadtarchiv München

Sophie Scholl | Stadtarchiv München

Hans Scholl | Stadtarchiv München

Hans Scholl | Stadtarchiv München

Christoph Probst | Stadtarchiv München

Christoph Probst | Stadtarchiv München

De la philosophie pour résister

Alors que le régime dévoie les classiques allemands et de l’Antiquité à son avantage, que les églises sont sous contrôle, les fondateurs de la Rose blanche recourent à d'illustres références pour dénoncer l’abomination du régime.

Aristote, Novalis, Schiller, Goethe, Saint-Augustin ou encore Lao Tseu sont invoqués, appelant le peuple allemand à sortir de l’indifférence, de la lâcheté, du mensonge et du silence.

L’annihilation des juifs est abhorrée: responsabilité sociale et honneur sont exigés par les auteurs des tracts qui, se réclamant d'être patriotes, s’épouvantent de l’abîme dans lequel s'écrase leur pays.

Les pamphlétaires exigent que cesse la guerre, d’autant plus traumatisés par les supplices de la débâcle de la bataille de Stalingrad, tout récemment sanctionnée par la reddition nazie.

C’était sans compter l’appel à la guerre totale extérieure et intérieure du ministre de la propagande Goebbels le 18 février, jour même de leur arrestation.

Joseph Goebbels

Joseph Goebbels

Sur l’échafaud, Hans s’écriera "Vive la Liberté !" tandis qu’il laisse, sur les murs de sa cellule, ces mots de Goethe: "Contre vents et marées, savoir se maintenir".

"Je suis petit et démuni mais je veux la justice"

C’est imperturbable que Sophie déclara à la cour qu’ils n’avaient fait que dire la vérité.

Inconscience propre à la jeunesse, pulsion suicidaire, esprit martyr, dynamique de groupe, usage de stupéfiants ?

Le courage de ces citoyens d’apparence ordinaire a été questionné. D’autant plus que leur récit, soupçonné d’hagiographie et principalement ciblé sur la fratrie Scholl, resta un temps l’apanage de leur sœur Inge.

Restées discrètes, les autres sources apportèrent un éclairage postérieur certes nuancé mais d’autant plus humain sur les Scholl.

Leur élimination fut suivie d’arrestations assorties de l’exécution d’autres activistes du mouvement dont Alexander Schmorell, cofondateur, Willi Graf, étudiant en médecine mobilisé dont le père était fonctionnaire nazi, Kurt Huber, professeur de philosophie, et auteur du dernier tract.

Du sud, le réseau s’était étendu jusqu’au nord du pays, à Hambourg.

La résistance allemande, morcelée, se singularise des résistances en pays occupés car c’est sa patrie qu’elle combat: la Rose blanche, pacifique, se caractérise par sa jeunesse lettrée à la foi hors églises.

Et, si un an avant la création du mouvement, Hans déclarait: "Je suis petit et démuni mais je veux la justice", c'est armé de son inclination première, la littérature, couplée à sa force intérieure, "la plus puissante" , qu'il démontra que tout citoyen ordinaire pouvait s’opposer à l’injustice.

"Rester nous-mêmes au milieu de la masse"

Liberté de pensée, liberté d’expression, liberté d’être soi. Quel terreau pour ces esprits critiques qui avaient grandi dans cette déferlante nazifiante ?

"C’est moi que je cherche, rien que moi" déclarait Hans en 1939, tandis que Sophie s’inquiète de "savoir si nous allons nous en sortir, si nous pouvons rester nous-mêmes au milieu de la masse".

L’environnement familial, les lectures, les voyages, les rencontres, la religion et l’expérience au front ont fait souche.

Pour commencer, les Scholl sont élevés dans une famille unie de confession luthérienne, dont les convictions morales sont aux antipodes de l’idéologie nazie. Leur mère, infirmière, est décrite comme une croyante fervente. Leur père, pacifiste et anti-nazi de la première heure, issu d’un milieu pauvre, accéda à l’université par l’entremise de son pasteur: il deviendra le maire d’une petite bourgade. D'une grande liberté de ton, il sera emprisonné pour avoir publiquement critiqué le Führer.

Les enfants Scholl, boulimiques de lecture, autorisée et interdite, sont épris de culture et de nature.

L’origine du nom de la Rose blanche, dont Hans est l’auteur, tient d’ailleurs de ces 2 aspects puisqu’elle se rapporterait soit à un chant, soit à un livre.

Mais initialement, enthousiasmés par l'allure d’envergure des jeunesses hitlériennes, les enfants Scholl, jeunes adolescents, s’y engagent en dépit des mises en garde paternelles.

"Savoir c’est pouvoir"

Assez rapidement cependant, parce qu’il est bouleversé de voir censurés ses lectures et ses chants étrangers, qu’il refuse la proscription d'y développer toute potentialité personnelle, Hans est écœuré. Il intègre alors une ligue de jeunesse d’inspiration chrétienne, interdite, pour laquelle il sera arrêté et relâché quelques semaines plus tard.

La vie d'Hans fluctue entre l’armée où il est infirmier, et ses études de médecine et de philosophie où il s’enorgueillit d’illustrer la formule "savoir c’est pouvoir".

Au front lors de la campagne de France de 1940, le jeune homme traverse notre pays par Neufchâteau où, s’exprimant en français, il se réjouit des rencontres avec les locaux. Tandis que son action d’infirmier et l’esprit militaire lui apparaissent comme clairement antagonistes, Hans se délecte des lectures de Pascal, Gide, Claudel, Baudelaire ou encore des auteurs chrétiens Bloy et Bernanos. Il reprochera aux français, qui viennent de capituler, leur manque de patriotisme.

Sa rencontre avec l’intellectuel catholique Carl Muth en 1941, révèle la foi chrétienne du jeune homme, et parachève ses convictions.

Un peu plus tôt, le sermon de l’évêque Von Galen, qui vilipende l’euthanasie des handicapés, retentit profondément chez Hans.

Après avoir diffusé les quatre premiers tracts à l’été 1942, il est envoyé sur le front de l’Est avec son ami Schmorell, d'ascendance russe.

Le fils Scholl est conquis par Gogol, Tolstoï, Pouchkine, Dostoïevski, et manifeste son amour pour le peuple, la culture et la terre russes. D’Ouest en Est, Hans loue les cultures européennes.

"L’homme ne vit pas que d’idées mais aussi de souvenirs"

La Rose blanche symbolise la conscience humaniste.

Le 22 février 1943, alors qu’elle fait ses adieux à son père et que celui-ci assure aux jeunes condamnés qu’ils entreront dans l’histoire, Sophie pense que "cela va faire du bruit", convaincue que d’autres pensent comme eux.

Mais l’opinion publique allemande resta acquise au Führer jusqu’à la fin, et bien au-delà: les résistants furent longtemps considérés comme des traîtres.

"L’homme ne vit pas que d’idées mais aussi de souvenirs" rapportait Hans.

Munich aujourd’hui a rendu hommage aux résistants, et les souvenirs qui s’y faufilent dévoilent tantôt l'obscurité, tantôt la luminosité, et la nuance des esprits qui les accueillent.

L’esprit d’Hans, il y a 77 ans maintenant, y prophétisait: "Les roses se fanent déjà, mais tous les jardins sont encore chargés des parfums de l’été, et quand bien même il n’y aurait au monde qu’une seule rose délicate, son parfum serait assez puissant pour me guider vers elle (…)".