La révolution des robots

Le Japon, d'une ère à l'autre (6)

Photo EPA

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Le 30 avril, l’empereur du Japon Akihito, 85 ans, abdiquera en faveur de son fils Naruhito, 59 ans. Au terme des trente ans de son règne, appelé ère Heisei, La Libre explore dans une série de reportages les mutations et les défis qu’affronte la société japonaise à l’aube de l’ère Reiwa. Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Fonds Marilo, géré par la Fondation Roi Baudouin.

Un million de robots

250 000 robots sont déjà “employés” au Japon.
Le gouvernement ambitionne de porter ce nombre à un million d’ici 2025.

OriHime (Photo Ory Lab)

OriHime (Photo Ory Lab)

Une nouvelle stratégie robotique

Au Japon, le commun des mortels est de plus en plus confronté à des robots et des intelligences artificielles. À Kyoto, RoBoHon, un minuscule robot, nous a dispensé une visite guidée . À Tokyo, le même aide les navetteurs à trouver leur correspondance sur la très fréquentée ligne de métro Yamanote. Nous avons aussi été accueilli par Pepper, de la taille d’un enfant de dix ans, dans nombre de gares ou de banques.

Son homologue OriHime-D, un robot-stewart, nous a servi dans un coffee-shop de Tokyo. Dans la station de Seibu-Shinjuku, un cousin de Robbie le Robot patrouille, en quête d’activité suspecte ou de colis abandonné. Dans les hôpitaux, nous avons croisé aussi Paro, un phoque en peluche, “doudou” interactif qui tient compagnie aux patients âgés.

Le pays où sont nés Astro le petit robot et Goldorak est, de longue date, fasciné par la robotique. Le leader de la deuxième révolution industrielle (celle de la micro-informatique et de l’automatisation) a raté la troisième (celle d’Internet et des Gafa), suite à la crise économique des années 1990. Sa culture d’entreprise, très hiérarchisée, l’a empêché de développer la culture start-up, propice à l’innovation.

En juin 2011, tirant les leçons de la crise engendrée par le tremblement de terre, le tsunami et la catastrophe de Fukushima, Sakai Yasuyuki titrait un article : Le déclin du Japon comme superpuissance robotique. Mais les autorités tentent d’inverser la tendance et de peser sur la quatrième révolution industrielle (l’intelligence artificielle et les robots de service).

Asimo, le robot humanoïde de Honda. (Photo EPA)

Asimo, le robot humanoïde de Honda. (Photo EPA)

En 2015 a été lancée une Nouvelle stratégie robotique du Japon, avec pour objectif de quadrupler le marché de la robotique de 660 milliards de yens (environ 5 milliards d’euros) à 2400 milliards de yens en 2020 (près de 20 milliards d’euros), en ce compris les exportations.
Cette évolution est due à la convergence de deux phénomènes : l’évolution technologique et le vieillissement de la population. Car, oui, les robots sont, de l’avis des experts, l’avenir des nations vieillissantes. Et si le Japon est en première ligne, la majorité des pays industrialisés – dont l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et la Belgique – seront rapidement concernés par le défi.

Aux États-Unis, les autorités ont lancé en 2011 une National Robotics Initiative pour soutenir la recherche fondamentale dans le domaine. L’Europe dispose de son EU SPARC Project – qui touche tous les domaines, de l’agriculture à la sécurité. Lancé en 2014 sous la forme d’une collaboration entre la Commission européenne et 180 firmes privées, ce projet est doté d’un budget de 2,8 milliards d’euros. La Chine investit aussi massivement. Elle serait légèrement en avance sur le Japon.

Cette quatrième révolution industrielle “est une opportunité pour nous”, affirme Atsushi Yasuda, directeur en charge de la politique robotique au ministère de l’Économie. Le marché de l’aide robotisée aux personnes âgées est encore minuscule. En 2016, il comptait pour moins de 17,8 millions d’euros, selon la Fédération internationale de la Robotique. Mais selon les estimations japonaises, le marché intérieur de l’archipel pèsera 400 milliards de yens (environ 3,2 milliards d’euros) d’ici 2035. Un tiers de la population japonaise aura alors plus de 65 ans.

Selon une étude conjointe de l’Institut de recherche Nomura et de l’Université d’Oxford, l’intelligence artificielle et les robots remplaceront d’ici là la moitié des emplois actuels. Dans le cas nippon, il ne s’agira pas remplacer des travailleurs actifs, mais de combler le manque de main-d’œuvre.

Kannon, le robot prêtre

Même les moines bouddhistes ont foi dans les robots : depuis le 1er mars, l’androïde Kannon Mindar (du nom de la déesse de la compassion) dirige la prière dans le temple Kodaiji, à Kyoto, lieu de culte depuis le XVIe siècle.

Sa présentation officielle a fait sensation. Fruit d’une collaboration entre le temple zen et Hiroshi Ishiguro, professeur en cybernétique à l’Université d’Osaka, Kannon peut dispenser aux fidèles les enseignements bouddhistes, en anglais et en japonais.

Son apparence est semi-humanoïde, avec un visage à l’apparence douce. Ses parties mécaniques sont visibles. Kannon, qui mesure 195 centimètres, peut joindre les bras, en geste de prière et tourner le visage – une caméra dans son œil gauche lui permet de réagir aux mouvements des fidèles.

En japonais, le mot sonzaikai désigne ce sentiment d’être en présence d’un être doté d’humanité, fut-il organique ou mécanique. Kannon fera peut-être débat auprès des fidèles. La déesse Kannon, selon la mythologie, peut changer d’apparence pour venir en aide aux fidèles. “Kannon a pris la forme d’un androïde”, pouvait-on lire dans le communiqué du temple Kodaiji.

HAL, l'exosquelette chiropracteur

HAL (pour Hybrid Assistive Limbs) est une prothèse lombaire destinée à réduire l’effort dorsal sous l’effet d’une charge. Destiné aux métiers de labeur (manutentionnaires, par exemple), il est déjà utilisé par les bagagistes de l’aéroport de Narita, à Tokyo, ou par les infirmiers du centre Shintomi qui doivent soulever des patients. Il existe aussi en version médicale, pour la rééducation du dos.
Fondée en 2004, la firme Cyberdyne fait beaucoup parler d’elle grâce au talent de communication de son fondateur, le professeur en cybernétique Yoshiyuki Sankai. Quoiqu’en dise la com’officielle de sa firme, on ne peut s’empêcher de souligner la coïncidence ironique du choix du nom de la firme (qui est le même que celui de la firme de fiction qui crée le robot tueur Terminator dans la saga hollywoodienne) ou de sa technologie emblématique, Hal (le nom de l’ordinateur de bord paranoïaque dans 2001, l’odyssée de l’espace). Cela pourrait être un contre-argument publicitaire, mais ces noms connus dans la culture populaire attirent l’attention.
M. Sankai a aussi le sens des affaires : ses appareils se louent 100 000 yens (800 euros) par mois. Bon calcul quand la concurrence vend les siens un million de yens (8 000 euros). Il faut même payer pour assister à une démo (le showroom de Cyberdyne se trouve dans… un centre commercial). Mais sa technologie convainc jusqu’aux États-Unis, où un centre de rééducation physique, le Brooks Rehabilitation, a acquis la version exosquelette chiropracteur de HAL, qui permet de réapprendre à marcher ou à articuler les bras.

OriHime, le robot doublure

"Bonjour, je m’appelle TK. Que puis-je vous servir ?” Face à nous, un robot d’environ 1 m 20 de hauteur, au visage ovale blanc et aux yeux en amande.
On le croirait tout droit sorti d’un manga ou d’une version nippone de la Guerre des Étoiles. Le robot de la gamme OriHime-D sert les clients dans un café du quartier d’Akasaka. Il glisse silencieusement entre les tables. “Voici votre jus d’orange. Merci pour votre patience. Puis-je vous demander de quel pays vous venez ?”
Malgré son look intimidant, TK est chaleureux. Derrière la machine, se cache un adolescent de 13 ans.
“TK est atteint d’une maladie immune du cœur”, nous explique sa maman. “Il ne peut pas sortir, car il doit rester sous monitoring.” Grâce à OriHime-D, de la société Ory Lab, TK peut vivre par procuration et, même, avoir un travail. La technologie, encore partiellement en expérimentation, a été développée par Kentaro Yoshifuji, jeune entrepreneur trentenaire au look branché de star de la J-Pop. “J’ai moi-même été victime d’une affection qui m’a isolé. Adolescent, je rêvais d’avoir un avatar-robot qui me permette d’avoir une vie sociale.”
Il a d’abord développé une version, miniature, d’OriHime. D’une dizaine de centimètres de haut, équipé d’une caméra, d’un microphone et d’un haut-parleur et connecté via Internet, il permet depuis trois ans à TK d’aller à l’école.
“Cela a changé sa vie”, raconte sa mère, qui conduit le petit robot le matin au lycée. Face aux problèmes actuels du Japon – une population vieillissante et un manque de main-d’œuvre –, OriHime permettrait à des personnes handicapées ou à mobilité réduite de conserver une activité professionnelle et une vie sociale..

RoBoHoN, le guide et compagnon

Il ressemble à Nono, le petit robot de la vieille série d’animation Ulysse 31. Développé comme un compagnon kawaï (mignon) et customisable par Sharp, RoBoHoN réagit à la voix de son “maître”, fait office de téléphone, répond aux questions, peut prendre des photos, chanter et danser.
Mais ce gadget de vingt centimètres de haut a d’autres utilités.
À Kyoto, la société MK Taxi et l’agence de voyage JTB Corp. proposent ses services comme guide. Le tour individuel de six heures, avec chauffeur, coûte 7000 yens (environ 60 euros).
Nous avons fait l’expérience, ludique. Connecté par wifi, RoBoHoN se géocalise, identifie les lieux d’intérêt et se lance dans des explications.
Pour l’instant, ses capacités en anglais sont certes un peu limitées et ses descriptions semblent pompées sur une fiche Wikipédia. Le guide humain que MK Taxi avait mis à notre disposition était autrement plus érudit.
Mais les RoBoHoN des Japonais qui nous accompagnaient étaient plus bavards et manifestement plus drôles dans leurs interactions. En famille, l’expérience ravirait les enfants.
Au fil du parcours, RoBoHoN prend des photos, constituant un petit album souvenir qu’on peut se faire envoyer à la fin du parcours.
À Tokyo, la société de transports JR a installé des RoBoHoN dans certaines stations, afin de guider les voyageurs. La pratique des robots-préposés se répand dans la perspective des Jeux olympiques, faute d’effectifs et de multilinguisme. De surcroît, ceux-ci offriront une vitrine au Japon technologique…

Démonstration du lit-chaise Resyone de Panasonic. (EPA)

Démonstration du lit-chaise Resyone de Panasonic. (EPA)

L'hôpital de demain

“Il manque déjà 380 000 personnes pour l’aide aux personnes âgées”, nous dit Kimiya Ishikawa, président et PDG de la Silvering Social Welfare Corporation, société de protection sociale, en pointe dans l’expérimentation de la robotisation de la gériatrie. “J’ai 62 ans aujourd’hui. J’essaie d’imaginer les services dont j’aurai moi-même besoin d’ici vingt ans”, indique ce PDG, dans un sourire.

M. Ishikawa nous reçoit dans le centre de jour Shintomi, à Chuo-ku, quartier central de Tokyo, juste à côté du quartier d’affaire de Ginza. À première vue, rien ne distingue ces lieux-ci d’une gériatrie classique : décor austère, mobilier préfabriqué usagé… On est loin des fantasmes d’un hôpital futuriste.

“Nous utilisons la technologie pour résoudre les problèmes liés aux soins”, précise M. Ishikawa. Shintomi a bénéficié des subsides du gouvernement, issus de la Nouvelle stratégie robotique pour acquérir ou louer vingt robots et technologies ou cybernétiques expérimentales.

On y trouve un lit Resyone transformable en chaise longue ou en chaise roulante, développé par Panasonic, qui permet à un seul infirmier de déplacer un pensionnaire. Il y a aussi la Scalamobil, développée avec les Allemands d’Alber, une chaise roulante qui facilite la montée ou la descente d’escalier.

Introduisant la gestion de données dans le milieu hospitalier, le Nemuri Scan de Paramount Bed est une couverture “intelligente” qui, grâce à des capteurs, permet un monitoring constant des patients. “Elle peut détecter un début de crise d’apnée ou nous avertir si un patient se lève”, nous explique-t-on. Le gain en personnel est considérable : “Un infirmier de garde peut veiller sur un étage entier à partir d’un écran, où qu’il soit”. De surcroît, les données médicales du patient sont enregistrées 24 heures sur 24. “Ce système permet d’améliorer le suivi.”

Kimiya Ishikawa, président et PDG de la Silvering Social Welfare Corporation.

Kimiya Ishikawa, président et PDG de la Silvering Social Welfare Corporation.

“La technologie aide à résoudre les problèmes liés aux soins.”
Kimiya Ishikawa

Le Tree de la Reif Corporation ne ressemble pas à un robot, mais cette prothèse mobile aide à la rééducation physique. Elle guide les mouvements des jambes ou la position du bassin, accélérant la rééducation. Nous l’avons testée. L’effet est convaincant.

Plus ludique, Palro de Fujisoft est un petit robot interactif qui communique avec les patients. Il peut animer un cours de yoga. Pour les personnes atteintes de démence, la peluche interactive Paro de Daiwa offre des résultats probants, nous assure-t-on. Il fixe l’attention du patient, permettant à une équipe médicale restreinte de gérer un groupe. Substitut à un animal domestique, Paro est un compagnon de chambre qui, bien que synthétique, réduit l’isolement du patient. Trois mille sont déjà utilisés au Japon.

Paro de Daiwa.

Paro de Daiwa.

Le Digital Mirror de Panasonic est un autre assistant de rééducation. De deux mètres de haut, c’est pratiquement un jeu interactif, face auquel le patient doit répéter des séquences de mouvements ou par des mouvements des bras, viser des symboles qui apparaissent sur l’écran numérique. Les séquences sont destinées à tester l’équilibre ou la coordination des mouvements. Encore une fois, l’outil est destiné à compenser le manque de kinés disponibles pour accompagner individuellement un patient.