L'affaire du col Dyatlov

La mort étrange de neuf skieurs qui continue d'interpeller

Une tente déchirée, des vêtements éparpillés et des empreintes de pas. C’est tout ce que retrouve une équipe de secours le matin du 26 février 1959. Pas de trace des neufs étudiants soviétiques partis skier dans le nord de l’Oural et portés disparus depuis plusieurs jours. Si la scène laisse présager du drame qui a pu se produire, ce n’est rien comparé à ce que les patrouilles découvriront ensevelis sous la neige. Dans le cadre de sa série “Il était une fois”, La Libre revient sur l’affaire du col de Dyatlov et ses mystères qui continuent, presque 62 ans plus tard, à faire couler de l’encre.

Peu de temps après avoir fêté le début de l’année 1959, dix étudiants soviétiques décident de partir à l’aventure à travers le nord de l’Oural. Départ prévu le 23 janvier 1959. Ces huit garçons et deux filles n’en sont pas à leur premier périple au milieu des décors enneigés. Âgés de 20 à 38 ans, ils marchent aussi bien qu’ils ne skient et pratiquent ce sport aussi souvent que possible. À la recherche de sensations fortes, les dix camarades se lancent donc un défi de taille: atteindre Otorten, une montagne qui n’est accessible que par une route classée en catégorie III - la plus difficile -  à cette période de l’année. Arrivés en train à Ivdel, ils prennent un camion jusqu’à Ivlaï, le dernier village sur leur chemin. Disant adieu à la civilisation, les dix étudiants de l’Institut polytechnique de l’Oural continuent la route à pied, sur les indications du chef du groupe, Igor Dyatlov. Les dix camarades sont bien équipés, les températures avoisinant par moment les - 20 degrés, hors de question de laisser quoi que ce soit au hasard. Mais cela n’empêche pas l’un d’entre eux de tomber malade. Le 28 janvier, son état est tel qu’il est forcé de rebrousser chemin. Fébrile, Iouri Ioudine dit au revoir à ses compagnons. Il est le seul à revenir vivant de ce voyage qui prendra fin violemment, quatre jours plus tard, pour ses neuf camarades.

Le groupe réduit se remet en route. Mais les conditions climatiques sont de plus en plus compliquées. Entre le blizzard, le froid et toujours plus de neige, les jeunes skieurs éprouvent de grandes difficultés à s’orienter. Ils entament la traversée du col de l’Otorten, mais se trompent et se dirigent vers l’ouest, vers le mont Kholat Syakhl (“montagne morte” en mansi). Arrivés sur le versant, ils prennent conscience de leur erreur. “Que faire ?”, s’interroge le groupe de jeunes, au sein duquel la fatigue commence à s’installer. S’ils décident finalement de s’arrêter à cet endroit pour camper, leur choix peut laisser perplexe. En effet, un kilomètre et demi plus loin, se trouve une forêt qui pourrait permettre aux skieurs de s’abriter pour la nuit. Mais le chef d’expédition se serait montré catégorique et aurait vraisemblablement tranché: les jeunes ne feront pas un centimètre de plus dans la mauvaise direction. Hors de question de perdre leur temps, alors qu’il leur reste 15 kilomètres à parcourir avant d’atteindre Otorten. Cet arrêt sera pourtant définitif pour les neuf compagnons qui ne reprendront jamais la route.

La tente déchirée de l'intérieur

La tente déchirée de l'intérieur

La tente déchirée de l'intérieur

L'emplacement précis des corps tels que les secouristes les ont trouvés

L'emplacement précis des corps tels que les secouristes les ont trouvés

L'emplacement précis des corps tels que les secouristes les ont trouvés

Ce qu’il se passe exactement une fois la nuit tombée demeure un mystère qui alimente les plus folles rumeurs. Une seule chose est sûre: aucun des étudiants ne voit le soleil se lever. Il faudra attendre plusieurs semaines pour que des patrouilles se lancent à leur recherche. De telles expéditions pouvant parfois se prolonger, les parents des jeunes tardent à donner l’alerte. Les fouilles qui s’ensuivent sont compliquées vu le climat capricieux de ce mois de février. Mais l’équipe de secours finit par mettre la main sur le camp improvisé par les neufs randonneurs sur le versant du mont Kholat Syakhl. La scène à laquelle ils se trouvent confrontés fait froid dans le dos. La tente a été déchirée de l’intérieur et des vêtements, ainsi que le matériel emporté pour l’escapade, gisent sur le sol. Tout laisse à penser que le départ a été précipité et que les skieurs ont dû fuir. Mais quoi ? Les patrouilleurs ne comprennent pas, car les seules traces qu’ils trouvent sur le camp sont celles des étudiants. Ils continuent leurs recherches en suivant les empreintes de pas qui les mènent tout droit à l'orée de la forêt. C’est là qu’ils découvrent les deux premiers corps. À côté d’eux gisent les vestiges d’un feu de camp. Les deux jeunes ne sont vêtus que de leurs sous-vêtements et sont déchaussés. Quelques branches du grand pin au pied duquel les garçons ont perdu la vie sont cassées, comme si l’un d’eux avait tenté d’y grimper. À quelques mètres de là, les secouristes découvrent la dépouille du chef de l’expédition, Igor Dyatlov, pas loin de celle d’un autre de ses compagnons. De ce que les patrouilleurs voient, ils estiment que les deux hommes souhaitaient regagner le campement. Ce qu’aurait également tenté de faire Zina Kolmogorova, la cinquième étudiante que les secours retrouvent sans vie. Les agents sont interpellés par les traces sur les mains de la jeune fille. Les plus superstitieux croient y voir des symboles. Mais l’analyse plus approfondie de ces marques indique que Zina a probablement utilisé ses dernières forces pour ramper, quitte à se brûler la paume des mains, tenant jusqu’à la fin à regagner la tente.

Seulement cinq corps sont découverts ce 26 février. Mais l’espoir s’amenuise du côté des secouristes de retrouver les quatre derniers compagnons vivants. Ne baissant pas les bras pour autant, les patrouilles continuent à fouiller la zone. Les jours se suivent et se ressemblent malheureusement. Les secouristes rentrent chez eux bredouillent. Jusqu’au 4 mai. C’est ce jour que les agents découvrent les dépouilles des quatre étudiants portés disparus, ensevelis sous quatre mètres de neige dans un ravin de la forêt aux abords de laquelle ont été trouvés les corps de leurs compagnons. Le spectacle est une nouvelle fois saisissant et laisse présager de la fin violente qu’ont connue les quatre camarades. La jeune femme n’a plus ni langue ni yeux et une partie de ses lèvres a été arrachée. Elle présente dix côtes brisées. Les cadavre des garçons sont tout aussi endommagés. L’un souffre d’une fracture crânienne tandis que les deux autres ont la cage thoracique défoncée. Leurs globes oculaires ont disparu. Les secouristes trouvent sur les dépouilles des vêtements appartenant aux cinq amis dont les corps ont été découvertes deux mois plus tôt. Certains des tissus présentent de hautes doses de contamination radioactive.

Une "force inconnue mystérieuse"

L’horreur de la scène interpelle les agents et une enquête est immédiatement ouverte. Le médecin légiste conclut que six jeunes sont décédés d’hypothermie tandis que les trois autres ont perdu la vie suite à des blessures. “Les traumatismes sont trop graves que pour être causés par des humains”, écrit le Dr Boris Vozrojdenny, qui réalise les autopsies. Toutefois, aucune trace d’une présence autre que celle du groupe des neuf skieurs n’est retrouvée sur le camp.

L’”absence de partie coupable” pousse les autorités à classer l’affaire au grand dam des parents. Le rapport parle ainsi “d’une force inconnue mystérieuse”, qui aurait engendré le décès des neuf étudiants. Durant trois années, la zone est interdite d’accès aux randonneurs. Si elles n’ont pas identifié de véritable coupable, les autorités craignent tout de même que la catastrophe se répète. Suite à l’insistance de certains qui veulent y voir plus clair, l’affaire est déclassifiée dans les années 90. Les parents et journalistes peuvent alors prendre connaissance des détails mis en lumière par les policiers. Toutefois de nombreuses pages sont absentes des documents communiqués, ce qui suscite de vives interrogations. Des rumeurs soupçonnent les autorités de vouloir dissimuler des parties de l’enquête. 

En 2019, on pense avoir résolu le mystère

L’enquête est finalement rouverte à la date du 1er février 2019. Les 79 pistes pouvant expliquer cette terrible nuit du 23 janvier 1959 sont étudiées. Il faut dire que, depuis le décès des neuf skieurs, les interrogations sont aussi nombreuses que les postulats émis par les personnes ayant eu vent de la sombre affaire. Certains voient dans ce déferlement de violence la vengeance de la tribu des Mansis envers les jeunes qui se sont introduits sur son territoire sacré. Un géologue russe aurait connu un sort semblable  dans les années trente après avoir escaladé une montagne interdite. Mais cette thèse ne tient pas la route et est vite écartée puisque le plus proche village Mansi se trouve à plus de 100 kilomètres de l’endroit où les étudiants ont trouvé la mort. Qui plus est, aucune trace de lutte n’a été détectée sur le camp, permettant aux enquêteurs d’éliminer la piste d’une agression. 

D’autres pensent que ce triste incident fait suite à des expériences militaires qui auraient mal tourné. Cette thèse se base sur les dires de randonneurs qui se trouvaient non loin du lieu de l’accident et sur les photographies prises par les jeunes quelques heures avant leur décès. Les témoins ont expliqué avoir aperçu des sphères oranges dans le ciel la nuit du drame, qui semblent apparaître sur le dernier cliché du groupe d'amis. Combiné à la volonté des autorités de cacher certains éléments du dossier et à la présence de traces radioactives sur les dépouilles, ce détail vient étayer les rumeurs selon lesquelles l’URSS aurait bien joué un rôle dans la mort des neuf skieurs.  Soutenue par le seul survivant de l’épopée qui avait dû rebrousser chemin à cause de son état de santé, l’hypothèse ne convainc pas les enquêteurs en 2019, qui justifient la présence de radioactivité sur les jeunes par le fait que certains d’entre eux manipulaient des éléments radioactifs dans les laboratoires de leur université. 

Enfin, les policiers font exhumer le corps d’un des jeunes, Semion Zolotariov, qui avait subi des dommages tels que son identification avait plusieurs fois été remise en question. Certains postulaient qu’il était à l’origine du massacre et avait simulé sa mort. Il aurait, par la suite, pris la fuite et aurait changé d’identité, selon leurs dires. Mais l’analyse ADN montre qu’il s’agit bien de la dépouille de Zolotariov et invalide les accusations à son égard.

La tribu des Mansis possède plusieurs lieux sacrés dans les montagnes de l'Oural

La tribu des Mansis possède plusieurs lieux sacrés dans les montagnes de l'Oural

La tribu des Mansis possède plusieurs lieux sacrés dans les montagnes de l'Oural

La dernière photo prise par les neuf skieurs

La dernière photo prise par les neuf skieurs

La dernière photo prise par les neuf skieurs

Après avoir écarté toutes les autres pistes, les personnes en charge de l’enquête finissent par conclure qu’une avalanche est à l’origine du drame.  Le phénomène naturel aurait surpris les compagnons alors qu’ils venaient d’installer leur campement. Ceux qui s’étaient abrités à l’intérieur de la tente et avaient retiré leurs vêtements pour les faire sécher auraient déchiré la toile pour s’en extraire le plus rapidement possible. Le groupe se serait alors éloigné du campement pour se mettre à l’abri derrière une crête de pierre, 50 mètres plus loin. “Quand ils se sont retournés, ils n’ont pas vu la tente, la visibilité était de 16 mètres”, rapportent les enquêteurs en 2019. Ils se seraient dès lors retranchés à la lisière de la forêt où ils auraient tenté par tous les moyens de se réchauffer, notamment en allumant un feu. Mais rien n’y fait: deux d’entre eux meurent de froid. Le groupe se serait ensuite divisé: trois camarade auraient tant bien que mal tenté de rejoindre le camp en suivant les traces de pas qu’ils avaient laissées. Leur progression aurait été rendue compliquée par la météo se détériorant. Ils n’auraient donc jamais atteint leur objectif et seraient morts d’hypothermie à leur tour. Les quatre derniers randonneurs se seraient retrouvés pris au piège d’un abri qu’ils avaient tenté de creuser dans une vallée provoquant une nouvelle coulée de neige qui les ensevelira. “C’était une lutte héroïque, il n’y a pas eu de panique, même s’ils n’avaient aucune chance de se sauver, conclut l’enquête de 2019. (...) C’est la fin formelle de cette affaire. La question est close.” Mais l’est-elle vraiment ? Certains en doutent encore. Car, si les enquêteurs estiment avoir résolu le mystère, ils n’ont pas mis un terme aux rumeurs qui continuent de courir sur l’affaire du col Dyatlov (le nom du chef de l’expédition a été donné au col où les neufs jeunes ont perdu la vie) et sur ses morts étranges.