L'habit fait-il l'Inca ?

A bas les mythes à propos des Incas !

L'actuelle expo au musée d'Art et Histoire du Cinquantenaire, Inca Dress Code, offre un point de vue neuf sur la civilisation inca, à partir de vestiges textiles impressionnants.

La Libre Explore vous y accompagne, avec la ferme intention de vous montrer qu'on peut sortir de notre vision européocentrée.

Ce magnifique manteau pourrait n’avoir été conçu uniquement pour accompagner le défunt. Les figures mythiques combinent des traits humains, simiesques, d’oiseaux et de poissons. © Linden-Museum Stuttgart. Photo. A. Dreyer

Ce magnifique manteau pourrait n’avoir été conçu uniquement pour accompagner le défunt. Les figures mythiques combinent des traits humains, simiesques, d’oiseaux et de poissons. © Linden-Museum Stuttgart. Photo. A. Dreyer

Les Incas, c'est quoi?

En trois questions

Scène de guerre relevée sur un tombeau funéraire inca, Pérou. © Reporters

Scène de guerre relevée sur un tombeau funéraire inca, Pérou. © Reporters

1. L'empire inca, c'est où ?

L’empire inca s’est étendu dans la région de Cusco, sur le territoire de l’actuel Pérou. Depuis le Pacifique jusqu’aux hautes terres andines, l’empire couvre la partie occidentale de l’Amérique du Sud : une partie du Chili, de la Bolivie, et le sud de l’Equateur.

Carte de la dernière phase de l'empire inca. © IPM

Carte de la dernière phase de l'empire inca. © IPM


2. Les Incas, c’était quand ?

La civilisation inca est observable à partir de 1250. Les Incas s’imposent dans leur propre région, avant de commencer une expansion de leur empire vers 1400.
La civilisation est mise à mal par l’arrivée des Européens.

Portrait du conquistador Francisco Pizarro. © Reporters

Portrait du conquistador Francisco Pizarro. © Reporters

En 1532, Francisco Pizarro, le conquistador espagnol fait prisonnier l’empereur inca Atahualpa à la bataille de Cajamarca (cf. ci-contre, notre gravure).
Il met symboliquement fin aux temps incas.

Portrait du dernier empereur inca Atahualpa. © Reporters

Portrait du dernier empereur inca Atahualpa. © Reporters


3. Qui sont-ils, ces Incas ?

Parce qu’ils ont créé un grand empire, ce sont un peu les Romains des Andes”, aime à dire notre expert, Serge Lemaitre.
Les Incas déplacent des populations ; maintiennent d’autres populations tout en mettant au pouvoir un gouverneur de province de chez eux. Les Incas s’installent, mais les peuples locaux restent”. On peut parler d’une contemporanéité de peuples dans la zone que l’empire domine.
Les Incas maintiennent le pouvoir sur ce vaste empire par le biais d’échanges diplomatiques, de mariages mixtes.

Ce grand territoire devient inca, mais les spécificités régionales persistent. Les Incas ne détruisent pas la culture précédente, ils la maintiennent tout en imposant leur administration forte”.
Serge Lemaitre, commissaire de l'expo Inca Dress Code

Et, pour contrôler cela, ils construisent des routes, pour se déplacer et bouger des armées”. On a estimé la longueur totale du réseau routier inca à plus de 20 000 kilomètres, parcourus en permanence par un système de messagers qui transmettaient l'information de vive voix.

On démonte du mythe !

On éclaire les idées toutes faites sur les Incas.

Une illustration de "Bibi Fricotin chez Les Incas", en 1974© Reporters

Une illustration de "Bibi Fricotin chez Les Incas", en 1974© Reporters

1. Mayas, Aztèques, Incas : le grand mélange précolombien

L’une des premières incompréhensions, selon notre expert, c’est le grand mélange qui est fait entre Aztèques, les Mayas et les Incas. “Pourtant, c’est assez simple : quand les Européens arrivent en Amérique, les Mayas n’existent plus, ou quasi plus, sur le territoire, en tout cas plus dans la manière dont ils ont existé avec leurs pyramides et leurs grandes cités que sont Tikal Giaguaro ou Palenque".

Site maya de Palenque, au Mexique. © Reporters

Site maya de Palenque, au Mexique. © Reporters

"Les Aztèques, quant à eux, sont au Mexique, quand les Incas sont au Pérou”.


2. Des sacrifices humains ?

Quand il est question de la civilisation inca, le sujet des sacrifices humains resurgit toujours. Notre expert nous répond :“Si la pratique est fréquente chez les Aztèques et les Mayas , elle l’est moins chez les Incas. Il y a eu des sacrifices, mais ils ne se comptent pas en milliers de personnes comme c’est le cas pour les Mayas.

Lors de funérailles d’un empereur, d’un tremblement de terre, ou face aux troubles du Niño, quand la nature a été bouleversée, on fait un sacrifice, mais pas des centaines de personnes, et pour une raison précise”.
Serge Lemaitre, commissaire de l'expo Inca Dress Code

Autre exemple donné par Serge Lemaitre : à la mort d’un empereur, il ne doit pas être seul dans la mort, mais, au lieu de tuer ses gens, on va préférer le sacrifice de lamas.

Temple inca et cérémonie au Soleil. © Reporters

Temple inca et cérémonie au Soleil. © Reporters


3. La fin d’une civilisation

Pourquoi la civilisation inca fascine-t-elle autant ? Est-ce parce qu’elle a été réduite à néant par les Européens ? “Certes, elle a été découverte par les Européens, mais il y a eu des résistances de la part du peuple inca, même après l’assassinat du dernier empereur Atahualpa par Pizarro. Il y a eu des empereurs élus par le peuple, cachés, qui ont essayé de gouverner dans l’ombre”.

Les Espagnols ont vite compris les faiblesses du pouvoir, mais aussi le potentiel de l’empire inca. Lorsqu’il fut fait prisonnier, le dernier empereur, Atahualpa, avait indiqué qu’il remplirait une pièce d’or du sol au plafond, en guise de rançon, et il y est parvenu.

Cet or convoité a participé à la construction de l’image que les conquérants ont rapportée de leur conquête du peuple inca.


4. Le trésor des Incas

Enfin il y a des choses que l’on ne connaît toujours pas ! Même si tout le monde connaît le Machu Picchu, il demeure cette histoire d ’un trésor caché à l’arrivée des Espagnols […], le mythe d’une cité perdue en zone de grande forêt persiste”, explique Serge Lemaitre. “D’autant que la recherche archéologique concernant les Incas n’est pas terminée : on continue à faire des fouilles de manière régulière".

Momie inca trouvée en 2004 à Arequipa, à 1030 km au sud de Lima. © AFP

Momie inca trouvée en 2004 à Arequipa, à 1030 km au sud de Lima. © AFP

Parlons notamment des fouilles du Belge Peter Eeckhout, de l’ULB, sur le site de Pachacamac au Pérou, qui a découvert, en mai dernier, une momie inca vieille de mille ans...

On dépoussière l'habit inca

Visite commentée de l'expo Inca Dress Code,

au musée d'Art et d'Histoire du Cinquantenaire

Unku de plumes, Culture Inca , vers 1450 – 1532 ap. J.-C. © Linden-Museum Stuttgart. Photo. A. Dreyer

Unku de plumes, Culture Inca , vers 1450 – 1532 ap. J.-C. © Linden-Museum Stuttgart. Photo. A. Dreyer

Pourquoi parler de la mode des Incas ?

L'expo en 45 secondes, chrono. Montage Christel Lerebourg.

Passant outre la trivialité qu’on associe souvent au vêtement, Serge Lemaitre, commissaire de l’expo, souhaite mettre en évidence la force de l’habit inca, dans ce qu’il dit d’une société : dans son rapport aux dieux, et au pouvoir en place.

C’est ainsi que, dans l’expo, on a l’occasion d’observer un morceau d’habit ayant appartenu à l’empereur inca lui-même !

Mais comment sait-on que c’est la fringue de l’empereur  ?… Fait d’une laine de vigogne – camélidé dont la toison est réservée aux notables –, teint en noir – couleur fort difficile à obtenir – et fait de plus de 160 nœuds au centimètre carré – plus qu’un tapis persan –, la pièce est à destination de l’Inca, avec un grand “I”.

“Nous avons l’habitude de classer les arts : l’architecture est un art majeur en Occident et non pas l’art textile.
Ce n’est pas la même échelle de valeur dans la société inca”.
Serge Lemaitre, commissaire de l'expo Inca Dress Code

Bien que grande bâtisseuse, la société inca classe l’art textile au firmament de ses pratiques artistiques. Parce que c’est un art qui prend du temps  ; parce qu’il est complexe de se procurer les matières premières (nécessité de relations commerciales et diplomatiques pour l’obtention des colorants, des fibres textiles, NdlR) ; enfin, parce que le vêtement est un support d’expression de cette société sans écriture.

Des tisserandes péruviennes seront présentes au musée. Venues du Pérou, elles font la démonstration de leur métier qui prend tant de temps. © Aurore Vaucelle

Sans écriture, certes, mais pas sans langage  !
En regardant les textiles des Incas de plus près (merveilleusement conservés grâce aux conditions d’enfouissement funéraire), on y lit une somme d’infos.

Les tokapus, par exemple, petits motifs carrés, sont comme des blasons faisant écho à un code hiérarchique et/ou géographique.

Tokapus, détail d'étoffe inca, sorte de mini blason. © Aurore Vaucelle

Tokapus, détail d'étoffe inca, sorte de mini blason. © Aurore Vaucelle

On sait aussi que l’empereur venait habillé dans une zone nouvellement conquise, dans l’habit régional, pour montrer le nouveau pouvoir de domination qu’il représentait. Le vêtement inca est décidément une affaire de pouvoir...

Atahualpa, dernier empereur inca, et ses vêtements d'apparat. © Reporters

Atahualpa, dernier empereur inca, et ses vêtements d'apparat. © Reporters

Stop au point de vue européocentré ! L’art textile est au centre des préoccupations symboliques des Incas au point que l’on retrouve les motifs produits sur le textile dans les formes aussi gigantesques que l’architecture monumentale de leurs cités ! “Ils travaillent avec de grands blocs découpés. Et pas moyen d’y passer une feuille de papier à cigarettes, si vous regardez le Machu Picchu... Cette 'pixellisation' de l’architecture’ indique que le motif que l’on fait sur le vêtement est celui qu’on cherche à reproduire dans toute sa grandeur”.

La pixellisation du dessin, propre à l'art textile. © Aurore Vaucelle

La pixellisation du dessin, propre à l'art textile. © Aurore Vaucelle

Travaillant à démonter un mythe de plus sur les Incas, Serge Lemaitre rappelle, en sage, qu’ “il faut rendre justice au travail inca et au point de vue de la société en question. Et, éviter de poser notre regard 'européocentré' sur cette civilisation”. Une civilisation dont on découvre avec cette expo que la marque du pouvoir est celle que l’on porte sur soi.

Tout savoir des Incas en 2 minutes

Notre interview vidéo

© Aurore Vaucelle

© Aurore Vaucelle

Notre expert des Incas

Serge Lemaitre

Serge Lemaitre, dans les murs du musée, et suivi par un Inca. © Alexis Haulot

Serge Lemaitre, dans les murs du musée, et suivi par un Inca. © Alexis Haulot

Serge Lemaitre est conservateur des collections Amérique au musée d’Art et d’Histoire du Cinquantenaire, et commissaire de l’expo Inca Dress Code, jusqu’au 24 mars 2019.

Il a déjà fouillé en Syrie, à l’Île de Pâques aussi. Mais, son truc à lui, c’est plutôt les civilisations d’Amérique du Nord et, notamment, l’art rupestre du Canada. Il est aussi fan de BD, et son bureau est tapissé de dessins avec des cow-boys et des Indiens.

Le jour de notre reportage, on est tombé, dans son bureau, sur des poteries précolombiennes qui venaient d’avoir été saisies par la douane de Bruxelles – cachées dans un carton estampillé ‘souvenirs’(!) –, et qu’il avait pour tâche d’authentifier. Il nous apprit ce jour-là une info impressionnante.

Selon l’Unesco, le trafic illicite de biens culturels correspondrait au 3e trafic mondial après celui de la drogue et des armes”, représentant chaque année entre 3 et 5,6 milliards d’euros dans le monde, d’après l’organisme américain, Financial Integrity.
Serge Lemaitre, Commissaire de l'expo Inca Dress Code

A l'agenda de La Libre Explore

Au cours de notre après-midi La Libre Explore au musée du Cinquantenaire, le 17 janvier 2019, nous prendrons, d'abord, le temps d'explorer les questions fondamentales concernant la civilisation inca. Et de démonter les mythes qui y sont associés.
Réponses à toutes ces questions en compagnie de Serge Lemaitre, conservateur des collections Amérique au Cinquantenaire, et commissaire de l'expo Inca Dress Code. Serge Lemaitre sera l'interlocuteur d'Aurore Vaucelle, responsable de La Libre Explore.

La seconde partie de l'après-midi sera consacrée à la visite des pièces phares de l'expo Inca Dress Code. En effet, des pièces archéologiques d'une grande rareté, certaines issues des collections d'Art et d'Histoire du Cinquantenaire, d'autres venues d'ailleurs (Musée de Stuttgart, musée parisien du Quai Branly) permettent de porter un autre regard sur la civilisation inca, notamment à travers l'observation des textiles.

Pour s'inscrire à notre après-midi La Libre Explore, cliquer sur ce lien http://lalibre.be/action/explore-inca