L'EURO NUMÉRIQUE

Pourquoi l'Europe se lance-t-elle dans l'univers virtuel ?

"L'Europe doit être aux avant-postes
sur la question des monnaies digitales
de banque centrale
et doit activement la faire progresser
"

Olaf Scholz,
le 16 avril 2021,
ministre allemand des Finances à l'époque,
devenu chancelier fédéral depuis.


Bien que 58 % des achats des Belges sont effectués en espèces, l'argent liquide devient de moins en moins utilisé au fil des années. Une tendance qui s'est renforcée avec la pandémie de Covid-19, tant en Belgique qu'au niveau mondial.

Face à ce changement d'habitude de paiement, les monnaies numériques attirent de plus en plus la convoitise de certains pays.


C'est dans cette optique que les gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) ont décidé cet été de lancer la phase d'étude d'un projet d'euro numérique, qui devrait durer 24 mois.
La décision issue de cette analyse permettra de lancer la phase d'exécution.


"Une Europe souveraine a besoin
de solutions de paiement
innovantes et compétitives
"
Olaf Scholz

Une solution comme...
l'euro numérique ?

Analyse de son fonctionnement
et de ses répercussions

Le principe de l'euro numérique

Ce qui change pour les consommateurs

Techniquement, les euros qui reposent sur notre compte en banque sont déjà des euros digitaux :
aucun billet n'est nécessaire quand on paie avec notre carte, sans contact.

Qu'est-ce que l'arrivée de l'euro numérique changera ?

Le contrôle des paiements

Quand vous effectuez des virements ou quand vous retirez de l’argent, la banque est chargée de modifier les informations de votre compte bancaire, mais aussi de vérifier que tout est en ordre : si l'argent utilisé ne l'a pas été deux fois, par exemple.

Ce contrôle est donc centralisé, puisqu'il est réalisé par les banques.
A contrario, l'idée des cryptomonnaies est de contrôler les transactions de manière décentralisée, via des technologies cryptographiques, comme la Blockchain.

La Blockchain permet, via un réseau d'ordinateurs, de transmettre et de stocker des informations regroupées dans des blocs.
Ces blocs sont liés entre eux et visibles pour tous les utilisateurs du réseau.
Si une information est modifiée, tous les blocs de la chaîne le sont aussi.
Les paiements en cryptomonnaies sont donc contrôlés par les utilisateurs eux-mêmes.

Si la Blockchain est aujourd'hui spécifique aux cryptomonnaies, il n'est cependant pas exclu qu'à l'avenir, les banques apprennent à l'utiliser.
Cette technologie permettrait aux transactions financières d'être plus rapides, moins chères et plus sécurisées.


Mais pour le moment, l'idée de l'euro numérique est qu'il sera contrôlé par les banques centrales, même s'il sera digital comme les cryptomonnaies.

Donc, avec l'euro numérique, vous auriez un compte en banque relié à la banque centrale.

"L'euro numérique, ce sera une sorte de 'central bank money' digitale pour le consommateur"
Tim Hermans, directeur de la Banque nationale de Belgique

Le système bancaire se retrouverait-t-il fragilisé ?

Cette centralisation présente le risque - hypothétique - d'encourager certains particuliers à se dire :
"Pourquoi laisser mon argent dans une banque privée, alors que je peux tout mettre à la banque centrale ?"

Certaines personnes pourraient effectivement trouver plus sûr de déposer leurs fonds à la banque centrale, qui est une institution publique et non commerciale.

Un déplacement de l'argent trop important pourrait donc fragiliser le système bancaire dans son ensemble, en donnant beaucoup de pouvoir à la banque centrale. Peut-être trop ?

Il n'est pas encore décidé si les services bancaires proposés par la banque centrale seraient identiques à ceux des banques privées : prêts, crédits, conseils...

Il s'agit d'un point sur lequel le groupe de travail de la BCE se penche.

Un portefeuille multi-forme

Avec l'euro numérique, les citoyens auraient donc la possibilité d'ouvrir un compte digital, lié à la Banque centrale européenne, via les banques commerciales qui offriront des comptes en euros numériques.

Le portefeuille du consommateur deviendrait donc hybride : une partie en euros numériques, une autre partie en euros matériels.

Le directeur de la BNB, Tim Hermans, rapportait à La Libre en avril dernier :

"Pour le consommateur, cela ne va pas changer beaucoup. Il n'aura pas une carte bancaire pour des euros numériques et à côté, une carte pour des euros des banques commerciales."
Tim Hermans, directeur de la Banque nationale de Belgique

Des paiements différents ?

Comment les paiements en euros numériques
seront-ils effectués ? Pour l'instant, rien n'est encore décidé.

Si la BCE ne communique pas encore sur les potentielles pistes d'utilisation, Tim Hermans rajoutait :

Ce ne sera "pas nécessairement une carte. Cela pourrait être une carte sous la forme d'un token mais d'autres formules existent. Ce seront en tout cas des billets digitaux…"
Tim Hermans, directeur de la Banque nationale de Belgique

Concernant le projet d'étude de la BCE, aujourd'hui en cours, il ajoutait :

La "phase d'investigation [permet] d'en définir les caractéristiques : sera-t-il anonyme ou pas, avec un plafond ou pas, accessible sans Internet ou pas… On parle toujours d'un euro numérique mais on peut créer beaucoup de sortes d'euro numérique."
Tim Hermans, directeur de la Banque nationale de Belgique

Bref, a priori, l'euro numérique ne changera pas grand chose dans les habitudes de paiement.

Pourquoi se lancer un tel projet dans ce cas ?

Préserver la légitimité de l'euro

"Le but [de l'euro digital] est de veiller à ce que, à l'ère numérique, les ménages et les entreprises aient toujours accès à la forme de monnaie la plus sûre : la monnaie de banque centrale."
Christine Lagarde, présidente de la BCE

L'euro numérique tend vers des objectifs
de légitimité, d'efficacité et de sécurité.

Renforcer la légitimité de l'euro

Ne pas être en retard : telle est la première motivation de la BCE face au développement de la numérisation de la monnaie, tant dans le domaine privé (Bitcoin, Diem...) que public (monnaies de la Chine et des États-Unis).

Alors que les paiements en espèces diminuent d'année en année, elle ne veut pas rater l'occasion de numériser l'euro. L'euro numérique a ainsi l'ambition de remplacer le cash dans un futur plus ou moins proche.

"Ce sera un moyen de défendre la position de l'euro. Car il y a le Diem, d'autres projets de moyens de paiement numériques, le yuan chinois numérique aussi… Il faut donc défendre la position de l'euro sur le plan international. Si on veut que l'euro conserve son statut de monnaie de réserve, il faut donc suivre cette voie digitale."
Tim Hermans, directeur de la Banque nationale de Belgique

Le directeur rajoutait que c'est également l'occasion de se lancer sur un système de paiement pan-européen, que les ressortissants de la zone euro pourraient utiliser partout, sans passer par Visa ou Mastercard.

Endiguer le phénomène des cryptomonnaies

Reconnaître les révolutions technologiques est une chose, accepter le système des cryptomonnaies en est une autre.

La BCE veille à ce que les améliorations techniques de l'utilisation de la monnaie ne mènent pas à un déclassement de l'euro, monnaie officielle et centralisée.


En quoi une cryptomonnaie, comme le Bitcoin,
se distingue-t-elle de l'euro numérique ?

En réalité, le Bitcoin, comme toutes les cryptomonnaies, n’est pas vraiment une monnaie. C’est un investissement spéculatif et un moyen de paiement pour un nombre limité d'activités - parfois douteuses.

Il s'agit surtout d'un projet de reconstruction d'un circuit monétaire parallèle privé, sans l'intervention d'institutions publiques.

Il est également à noter qu'au niveau économique, la taille du marché des cryptomonnaies est très mince à côté de l'ensemble des monnaies légales qui circulent.

Améliorer l'efficacité de la politique monétaire ?

Se lancer dans l'euro numérique pourrait également être une façon de rendre plus efficace la politique monétaire.

Aujourd’hui, si les banques centrales veulent avoir un effet sur l’économie, elles doivent passer par le système bancaire. Elles doivent prêter de l'argent aux banques pour que celles-ci l'investissent dans l’économie.

L’idée d’une monnaie de banque centrale permet de prêter directement aux particuliers et donc, d’avoir un accès plus direct à l’économie.


Développer un instrument comme l'euro numérique permettrait ainsi de rendre la politique monétaire plus fine.

Les acteurs bancaires seraient donc amenés à collaborer de manière plus étroite, pour mieux se coordonner sur les politiques monétaires et veiller au maintien d'une gouvernance monétaire durable.

Alors, l'euro numérique,
est-ce pour bientôt ?

Toujours dans l'interview de La Libre Eco en avril dernier, Tim Hermans avait répondu :

"Si vous m'aviez posé cette question il y a 4 ans, ma réponse aurait sans doute été de vous dire qu'il n'arriverait jamais. Maintenant, je suis certain qu'il va arriver."
Tim Hermans, directeur de la Banque nationale de Belgique

Tim Hermans est le représentant de la Belgique dans la high level task force auprès de la Banque centrale européenne, à Francfort. (D.R.)

Tim Hermans est le représentant de la Belgique dans la high level task force auprès de la Banque centrale européenne, à Francfort. (D.R.)


L'euro numérique sera-t-il anonyme ? Limité par un plafond ? Accessible sans connexion Internet ?

D'ici 2023, la Banque centrale européenne compte trouver des réponses à ces questions.