"Je me disais qu'il fallait être
fou pour vouloir devenir prêtre"

Pour la série "Dans le secret des lieux", La Libre vous emmène dans la dernière "école" des prêtres de Belgique francophone.

Au pied de la citadelle de Namur, face au pont de l'Évêché, un site hors du temps semble isolé du reste de la ville, en raison de sa large enceinte en pierre. Rares sont les Namurois à savoir ce qu'abrite cet espace de 7.000 m², pourtant en plein cœur de la capitale wallonne.

Le calme du lieu, parfois brisé par des chants à la gloire du Christ, ne laisse que peu de doute quant à sa fonction religieuse. Les salles de classe, auditoires et bibliothèques attestent d'un lieu d'apprentissage. Un réfectoire au rez-de-chaussée de l'aile nord, des chambres où sèche du linge aux étages supérieurs, un espace de détente dans les combles de l'aile sud témoignent d'une vie en communauté.  

Toutefois, il ne s’agit ici ni de la cour d'une abbaye, ni d’une faculté ou d’un internat, mais plutôt d’un peu tout cela à la fois...

En 2015, Marc, 41 ans et ingénieur civil de formation (à l'avant-plan), a entamé une reconversion professionnelle des plus atypiques.

En 2015, Marc, 41 ans et ingénieur civil de formation (à l'avant-plan), a entamé une reconversion professionnelle des plus atypiques.

Au Séminaire de Namur, depuis quasiment 400 ans, se forment et vivent des prêtres en devenir. Dans les années 1960, ils étaient environ une centaine, comme dans les six autres séminaires du pays, à suivre cette formation en bordure de Sambre. Cette année, alors que tous les séminaristes de Belgique francophone y sont désormais regroupés, ils ne sont plus qu'une vingtaine.

"Le séminaire a beaucoup évolué depuis le temps où j'y étais élève", explique l'abbé Spronck, recteur de l'établissement depuis trois ans. "Avant, la plupart entraient ici à 18 ans, et c'était une sorte d'internat dans la prolongation du secondaire. À présent, il y a toutes sortes de profils, qui ont entre 20 à 45 ans.

Comme du temps où il était curé en région liégeoise, l'abbé Joël Spronck, 47 ans, se charge des offices.

Comme du temps où il était curé en région liégeoise, l'abbé Joël Spronck, 47 ans, se charge des offices.

Les repas, et les messes qui les précèdent (à 7h, 12h30 et 18h), sont probablement les moments qui attestent le mieux de cette diversité. Sur l’heure de midi, l’ensemble du séminaire ou presque est réuni dans la chapelle, quasiment comble.

Entre les jeunes et moins jeunes séminaristes, on aperçoit quelques cols romains et quelques laïcs. Pour cause, tout au long de la semaine, une vingtaine de prêtres affluent dans ces lieux pour dispenser des cours et se joignent aux offices lorsque leur agenda le permet. À l’instar des employés du séminaire ou d'autres professeurs venus de l’extérieur, parfois d'horizons très différents.

Désormais de l'autre côté de la barrière, l'abbé Ionel Ababi, docteur en théologie et vicaire des paroisses de Profondeville, était élève ici il y a encore 15 ans.

Désormais de l'autre côté de la barrière, l'abbé Ionel Ababi, docteur en théologie et vicaire des paroisses de Profondeville, était élève ici il y a encore 15 ans.

 “Cela reste une formation de base dans laquelle certains fondamentaux ne peuvent évoluer. Mais, au-delà des cours ‘classiques’ de théologie, de latin ou encore d’histoire de l’Église, on est aussi attentif aux questions nouvelles comme via notre cours de bioéthique, dispensé par un professeur de l’UNamur, ou le cours de prévention à la protection des mineurs, exigé par Rome depuis 2017. Il est important de confronter les séminaristes aux questions auxquelles ils devront répondre lors de leur mission”, argue ainsi l’abbé Spronck.

Entre les différents temps de prière, la semaine du séminariste est chargée.  “Il y a quatre dimensions dans la formation : spirituelle, intellectuelle, pastorale et humaine”, résume l’abbé. Une bonne vingtaine d’heures de cours théoriques et pratiques rythment leur semaine. La formation, longue de sept ans, débute par une année de préparation spirituelle, un peu à l’écart de la communauté, et s’achève par une année de stage en paroisse. Entre, la formation s’articule en deux cycles de deux ou trois ans (philosophie et théologie).

Le Séminaire de Namur collabore étroitement avec l'UCLouvain, notamment pour la délivrance du diplôme de bachelier en théologie.

Le Séminaire de Namur collabore étroitement avec l'UCLouvain, notamment pour la délivrance du diplôme de bachelier en théologie.

Pour autant, les actuels pensionnaires n’ont pas tous reçu une éducation qui les prédestinait à un tel engagement. Ce choix d’orientation entraîne donc parfois de vives réactions chez les parents.

Julien, 24 ans, est rentré dans les ordres en septembre dernier, après avoir suivi des études en histoire de l’art à la KULeuven. “Ma famille est de tradition catholique, mais j’étais le seul à me rendre à la messe les dimanches. Dès ma cinquième primaire, j’ai ressenti ce besoin d’y être présent", se rappelle-t-il. "Mes parents me voyaient donc comme le catho de la famille, mais pas au point de rentrer au Séminaire. Quand j’ai trouvé le courage de le leur annoncer, ma mère a d’abord pleuré. Mon père, quant à lui, s’est déminé avec un trait d’humour, très cynique. Il m’a dit : ‘Toi, la pauvreté et le célibat, ça ira. Le plus dur sera l’obéissance."

Justin, 27 ans, est l’un des seuls de la communauté à n’avoir jamais suivi d’études supérieures, en s’engageant dès ses 19 ans. Lui non plus ne provenait pas d’une famille de pratiquants. “Mon père n’est même pas vraiment croyant. Au départ, il n’a pas compris et n’a rien voulu savoir. C’était une rupture difficile, même s’il a fini par accepter”, confie-t-il.

Le statut sociétal du prêtre a évolué”, analyse le recteur. “Avant, c’était une bénédiction d’avoir un prêtre dans la famille. Aujourd’hui, c’est parfois l’inverse. Certains parents refusent d’assister à l’ordination, pour protester contre le choix de leur enfant.

Depuis une vingtaine d’années, les entrées au Séminaire ainsi que le nombre d’ordinations se sont stabilisés en Belgique. La fin d’une longue érosion qui remonte à Mai 68. Un comble puisque, à cette date précisément, le Séminaire de Namur déménageait dans un nouveau bâtiment, en périphérie de la cité, pour offrir plus d’espace à ses étudiants. Le diocèse de Namur, confronté à d’importantes pertes financières, réinstallera finalement ses séminaristes sur le site originel en 2000.

Aujourd’hui, celui-ci n’a plus rien à voir avec la petite fourmilière d’autrefois. En juin prochain, ils devraient être quatre à se voir ordonner prêtres. Un total qui, lors d’années plus prolifiques, peut être deux ou trois fois plus important. “En début de parcours, nous étions sept, mais trois d’entre nous ont abandonné”, explique Justin, actuellement en stage dans la paroisse de Ciney. “Le profil plus âgé des entrants fait que ceux-ci prennent davantage de temps pour réfléchir à leur choix, ce qui, parfois, peut dissimuler un tempérament hésitant”, reconnaît ainsi l’abbé Spronck, au sujet de ces abandons prématurés. 

Cyril, en pull bleu au milieu de l'image, était conseiller en ressources humaines avant de rentrer dans les ordres, à 26 ans.

Cyril, en pull bleu au milieu de l'image, était conseiller en ressources humaines avant de rentrer dans les ordres, à 26 ans.

Pour Julien, trois années de réflexion furent nécessaires entre sa ‘révélation’ et son inscription. Avec ce franc-parler qui le caractérise, il raconte :  “Je me sentais appelé par Dieu mais, en même temps, je me disais qu’il fallait être fou pour vouloir devenir prêtre. Il m’a fallu le temps d’accepter que ce n'était pas un chemin que Jésus m’imposait pour m'emmerder, mais bien pour me rendre heureux.”

Pour cause, durant cette période, un coup de foudre pour une fille est venu chambouler ses certitudes. Il poursuit : “C’était un amour réciproque. Mais j’en suis venu à la conclusion que c’était malhonnête de me mettre en couple alors que j’étais en plein discernement. C'était comme si je tournais le dos à Dieu. Mon engagement était donc déjà sérieux au point de renoncer à une fille que j'aimais.”

Des diapositives PowerPoint coincées entre des peintures et livres chrétiens des siècles derniers, le grand auditoire fait rejaillir tout l'anachronisme du lieu.

Des diapositives PowerPoint coincées entre des peintures et livres chrétiens des siècles derniers, le grand auditoire fait rejaillir tout l'anachronisme du lieu.

Au-delà des relations amoureuses, proscrites, celles avec la famille et les amis, sont aussi très restreintes. “On n'a pas beaucoup le temps de voir des gens de l’extérieur”, commente ainsi Antoine, 24 ans, et diplômé depuis deux ans d’un master en sciences des religions à l’UCLouvain. “Mais j'essaie de garder contact avec mes amis et de voir mes parents une fois par mois. C’est important d’avoir une vie sociale, sinon on s’enferme dans une tour d’ivoire. Ici, on partage tous une foi et des valeurs communes, mais le monde à l’extérieur ne pense pas comme nous.”  

Si ces jeunes semblent parfois en décalage avec leur époque, par moment, on découvre aussi des séminaristes moins éloignés de leurs contemporains qu'il n'y parait. Lorsque leur planning le permet, ils sont ainsi plusieurs à se précipiter au citystade pour taper la balle avec quelques locaux. En fin de journée, les soirées films se prolongent parfois tard, comme en attestent les quelques vidanges de bières et paquets de chips qui n’ont pas encore été débarrassés du bar de la salle communautaire. “Les séminaristes renoncent à une partie de leur liberté. Il est donc important de leur laisser du temps pour se retrouver, via du temps libre, des voyages ou des sorties ‘extra-scolaire’. C’est aussi l’occasion de les responsabiliser car, une fois dans leur presbytère, ils seront livrés à eux-mêmes, nuance l'abbé Joël Spronck.

Saurez-vous reconnaitre les cinq futurs prêtres qui se cachent sur cette photo ?

Saurez-vous reconnaitre les cinq futurs prêtres qui se cachent sur cette photo ?

Cette solitude qui guette les futurs prêtres semble d’ailleurs angoisser nombre de séminaristes. “Bien plus que le célibat”, souligne Antoine. “L’ambiance et la vie en communauté du séminaire risquent de me manquer. On constate d’ailleurs que, bien plus qu’avant, les jeunes prêtres essaient de se regrouper dès qu’ils en ont l'occasion.”

"C’est vrai qu’on se demande tous si on parviendra à tenir dans la durée, à se lever tous les jours pour deux pelés et trois tondus. D’autant que qui sait ce qu'il restera de l’Église dans 40 ans ?”, s’interroge Julien. “Mais, d'un autre côté, je me dis : on a du boulot ! Je suis convaincu que nous sommes tous faits pour connaître Dieu. Quand je parle à des amis non croyants, je remarque qu’il manque un sens à leur vie. Et notre rôle, c’est justement de les ramener à Jésus, pour leur bien. Ce boulot-là est extrêmement enthousiasmant ! Comme dirait le Christ: ‘La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux’.”