Reportage par
Bosco d'Otreppe
Vidéo par
Christel Lerebourg
Photos par
Johanna de Tessières
|N°2
La Libre.be
Lundi 22.05.2017
Le Manneken Pis est à sec. Ses rouages semblent grippés. Pour la première fois depuis des décennies, le voilà comme paralysé, inerte devant une foule de touristes étonnés. À Bruxelles, journalistes, policiers, détectives sont à pied d’œuvre. Même une école du Hainaut, en visite dans la capitale, participe à une enquête inédite. De la tour RTBF à l'Atomium, en passant par la Grand-Place et la Monnaie, toutes les pistes sont suivies avant que ne soit enfin découvert le coupable : la ville de Bruxelles elle-même, qui bouleverse ses canalisations pour amener de la bière jusqu'au Manneken Pis, plutôt que l'eau minérale de toujours.
Cette fiction ne provient ni d'un livre ni d'un film. C'est une ingénieuse machine de 18 mètres cubes qui la met en scène. Une machine faite de ressorts, d'engrenages, d'aimants et de poulies, d'un Atomium en papier mâché et d'une effigie du Manneken Pis peinte aux couleurs nationales. Imaginée et réalisée par quarante élèves âgés de 12 à 15 ans, elle déclenche pendant plusieurs minutes une réaction en chaîne à l'aide de billes et de savants rouages. Elle permet d'envoyer un hélicoptère survoler une ville de Bruxelles miniature, de provoquer plusieurs illuminations et de pousser un chariot pour que soit offert un verre de bière, fraîchement servi par le Manneken Pis lui-même, ainsi qu'une soucoupe de cacahuètes pour accompagner la « pintje ».
"Cette machine, nous l'avons réalisée pour participer au Crazy Machine Challenge qui a eu lieu à Mons le 26 mars", racontent Ricardo, Caël et Quentin, trois élèves de première et deuxième différenciée de l'Institut Technique et Commercial des Aumôniers du Travail de Boussu, dans la province du Hainaut.
"L'objectif du concours était de créer la machine la plus extraordinaire possible utilisant une réaction en chaîne et animant en bout de course le Manneken Pis. Nous avons gagné le prix du public et le prix de la communication. Il faut dire que nous étions fameusement motivés. Nous savions que nous allions gagner", sourient-ils.
"Ce projet correspondait tout à fait à l'esprit de notre pédagogie", raconte Olivier Vercauteren, professeur de mathématiques. Avec une équipe de douze enseignants pour 45 élèves, il participe activement à la vie de cette classe pas comme les autres, que l'Institut des Aumôniers du Travail a appelée "La Classe Atelier(s)".
"Il s'agit d'une classe qui reçoit des élèves qui n'ont pas obtenu leur CEB, c'est-à-dire leur diplôme de fin d'école primaire, poursuit-il. Nous les accueillons du coup dans un contexte très différent de celui qui est proposé dans un enseignement plus traditionnel."
Autour de lui, dans une immense classe au premier étage d'un des bâtiments de l'école, on distingue une cuisine équipée, un coin dédié à la vidéo, un autre consacré à l'informatique avec six ordinateurs, une bibliothèque, une armoire qui croule sous les jeux de société, un atelier pour les cours d'éducation par la technologie et quelques bancs non loin d'un tableau interactif.
"Le cœur de notre projet, c'est de faire en sorte que ces élèves puissent renouer avec l'école et ensuite gagner en autonomie", confie encore Olivier Vercauteren.
Pour ce faire, la Classe Atelier(s) se construit autour de deux grands principes. Le premier est celui de la pédagogie active. "Nous ne privilégions pas l'enseignement frontal et les cours magistraux, précise à son tour Bruno Ponchau, le directeur de l'établissement. Nous travaillons par ateliers et par projets. Celui de la Crazy Machine en est un très bon exemple. Nous encourageons les élèves à mobiliser leur énergie dans un tel projet qui les passionne, puis nous transposons dans des savoirs ce qu'ils auront expérimenté. En réalité, ils acquièrent des compétences scolaires sans s'en rendre compte. Cela casse la distinction qu'ils avaient dans leur tête entre l'école, qui est ennuyeuse, et le vrai monde qui est passionnant."
Le second principe est celui de l'apprentissage autonome. "Tous les quinze jours, explique Olivier Vercauteren, les élèves reçoivent une quantité de travail qu'ils doivent accomplir en deux semaines. En début de journée, l'élève peut cependant organiser son travail comme il le souhaite. Dans cette grande classe dans laquelle nous sommes, il y a en permanence cinq enseignants qui présentent différents ateliers dans plusieurs matières. L'élève qui sent qu'il a un retard en math ira donc passer plus de temps avec le prof de math.
S'il a envie de commencer par telle ou telle matière, il commencera par telle ou telle matière. S'il a plus d'affinités avec un professeur, il passera plus de temps avec ce professeur. Peu importe que l'élève fasse des mathématiques avec le professeur de français par exemple. Mais attention, nous suivons nos jeunes de manière très précise, et ils reçoivent un plan de travail personnalisé sur lequel ils évaluent leur propre travail, avant que l'enseignant évalue à son tour leur avancement et le fait qu'ils aient progressé dans toutes les matières. Au début, c'est souvent la cata et ils se rendent compte qu'ils se sont mal organisés. Mais ils prennent vite le pli et finissent par gagner en maturité."
"L'horaire et l'organisation du travail sont donc plus souples, mais je ne voudrais pas donner l'impression que la classe est bordélique, intervient Bruno Ponchau. Ce n'est pas parce que c'est souple que ce n'est pas rigoureux. Les objectifs à atteindre sont très clairs pour les élèves et le cadre est très exigeant. Regardez encore une fois cette Crazy Machine. Si nous n'étions pas rigoureux, nous ne serions jamais arrivés à un tel résultat."
" Cela demande aussi un esprit d'équipe entre nous, les enseignants, ajoute Ludovic Rupini, professeur d'éducation par la technologie. Nous devons être plus souvent en classe. Et puis on essaye aussi d'être complémentaires. Quand je vois qu'un élève a de la peine en mathématiques, j'essaye d'aborder la matière avec laquelle il a plus de difficulté par le biais de la technologie. Cela nécessite que nous soyons très soudés. Mais je pense que les élèves le sentent, et cela offre une belle ambiance de travail. Nous essayons aussi que les élèves s'entraident lorsqu'ils sont plongés au cœur d'un atelier."
Une vis d'Archimède qui permet de faire monter une bille sur près d'un mètre. Un dispositif de rouages qui mime l'effet d'une vague pour faire progresser cette même bille. Un ballon de baudruche qui éclate au bon moment par l'envoi automatique d'une flèche et qui libère une nouvelle énergie. Un jeu d'aimants qui permet, sans contact, de faire avancer un petit train… La Crazy Machine est un concentré d'ingéniosité.
"Regardez ceci aussi, insistent les élèves. C'est un système qui sert à l’allumage de l’ascenseur qui, dans notre machine, représente l'ascenseur du quartier des Marolles à Bruxelles, un des lieux de notre enquête. Pour faire démarrer notre ascenseur, nous avons placé une capsule en verre remplie d'un liquide conducteur de courant. Deux fils électriques sont attachés au-dessus de la capsule. Lorsque la capsule se trouve dans sa position d'origine, le contact n’a pas lieu. Mais quand la bille descend, elle fait basculer le système. Le liquide entre en contact avec les deux fils électriques. C'est alors que le moteur de l'ascenseur s'allume."
La Crazy Machine que les élèves remontent, soignent et réparent ce vendredi 21 avril, avant de la montrer à leurs parents, est l'exemple concret des projets pédagogiques qui permettent la collaboration, qui encouragent la motivation des élèves, la transmission et l'apprentissage de savoirs multiples en mathématiques, logique, technologie ou physique. "Et même en français, ajoute Olivier Vercauteren. Nous avons reçu le prix de la communication car, durant toute l'élaboration de la machine, nous avons communiqué sur le site du concours, imaginé et écrit un scénario pour un petit film de présentation. Sans oublier aussi que nous avons visité Bruxelles pour réaliser cette vidéo, et que la plupart des élèves de la classe découvraient leur capitale pour la première fois."
De tels projets sont-ils réalisables partout ? Bruno Ponchau se montre prudent. Entre la disponibilité des enseignants, la liberté pédagogique et le matériel indispensable, les conditions sont nombreuses. Au cœur de tous les défis pédagogiques, avec des élèves qui avaient échoué en primaire, les Aumôniers du Travail ont cependant cette grande qualité de prouver que l'ambition paie et offre des fruits au bénéfice du plus grand nombre. "La Crazy Machine, ça a été du boulot, conclut Olivier Vercauteren. Cela nous a demandé plus d'heures que prévu, peut-être un peu trop d'heures. L'investissement de la part des élèves et de leurs professeurs a été colossal. Mais quand j'ai vu que des élèves dits en décrochage scolaire se retrouvaient pendant les vacances de Noël, ou venaient à l'école le samedi et le dimanche pour poursuivre leur projet, je me suis dit que l'on avait réussi."
"Nous sommes plus de quarante à avoir travaillé sur cette machine, précise Caël. Mais heureusement que nous avions les profs avec nous, car nous avions plein de projets et ils ont pu nous aider à les organiser. "
" C'est sur ce grand tableau, raconte-t-il en montrant le tableau interactif, que nous notions toutes nos idées. Au fil du temps, on les rassemblait ou on les effaçait. On savait que l'on voulait faire une grande construction, mais nous ne connaissions pas le résultat par avance. La machine grandissait semaine après semaine."
La classe, suite au challenge, est revenue avec une imprimante 3D pour l'école. Mais les élèves ont surtout gagné en confiance et en motivation. "Je sais maintenant, grâce à ce que j'ai appris ici, que je veux être tailleur de pierres plus tard", assure Caël.
Chaque enfant rencontre des moments de démotivation, de découragement voire d’échec dans ses apprentissages, explique Olivier Vercauteren, qui suggère quelques pistes de solutions pour permettre à votre enfant de retrouver le plaisir d’apprendre.
Chaque enfant est unique dans sa manière de réfléchir, d’analyser, de comprendre et d’apprendre. Il faut donc l’aider à mieux se connaître lui-même en déterminant son bouquet d’intelligences. Ce n’est plus un secret pour personne, les intelligences sont multiples. Les spécialistes évoquent un bouquet composé de huit fleurs (huit types d’intelligence).
"Malheureusement de manière générale, le système scolaire n’utilise que quelques-unes de ces intelligences", poursuit le professeur de mathématiques. "Si votre enfant a développé l’une d’entre elles, il aura le bon profil pour l’école. En revanche, si personne ne lui permet d’apprendre grâce à ses propres types d’intelligences, il pourra plus facilement décrocher et se désintéresser. Le challenge est donc d’adapter les apprentissages à ces 8 types d’intelligences en fonction du profil de l’enfant." Il faut également aider l'enfant à trouver la " bonne " motivation. La part de plaisir doit toujours rester présente, elle contribue au développement de l'autonomie.
"De plus, l’anxiété, l’ennui, la colère sont autant d’éléments que chaque enfant rencontre durant sa scolarité", ajoute encore M. Vercauteren. "Ces sentiments l'empêchent donner le meilleur de lui-même." Il faut donc inverser la tendance et lui de donner pleine confiance en lui et en ses capacités. "Prouvez-lui qu’il est doué. Valorisez-le. Rappelez-lui ses propres expériences réussies par lui-même..."
Enfin, il est indispensable d’apprendre par une activité, par un projet qui donne du sens. A côté des activités culturelles et sportives, on peut aussi faire preuve d’imagination pour faire faire les "travaux" scolaires grâce à d'autres activités… "Laissez momentanément de côté la farde et le cahier… Saviez-vous que la meilleure manière d’apprendre, c’est en jouant ?"
Gilles Toussaint
Responsable de rubrique
Valentine Van Vyve
Journaliste La Libre Belgique
Christel Lerebourg
vidéos & montage