Guillaume le Gentil

L’astronome le moins chanceux de l'histoire

De nombreux chercheurs sont associés à leurs découvertes. Guillaume le Gentil est quant à lui surtout connu pour sa malchance. Bien qu’il soit à l’origine de plus d’une avancée dans le domaine de l’astronomie, le scientifique n’en reste pas moins un exemple tout particulièrement frappant de la part non-négligeable de hasard dans toute recherche qui peut parfois tout faire basculer. Pour le meilleur ou pour le pire.

Pour la série “Il était une fois”, La Libre revient sur l’histoire loufoque de l’astronome qui ne semble pas être né sous une bonne étoile.

Des débuts prometteurs

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Voué dès son plus jeune âge à entrer dans les Ordres, Guillaume Joseph Hyacinthe Jean-Baptiste Le Gentil de la Galaisière passe son enfance à Coutances en Normandie, où il est né le 12 septembre 1725. Mais à une carrière ecclésiastique, il préfère finalement celle d’astronome. Si derrière ce choix se cache une femme qu’il épouse peu après leur rencontre, le jeune homme fait preuve de perspicacité dans son travail et démontre un certain talent. Ce succès lui donne très vite accès à une chaire au sein de l’Académie royale des Sciences à Paris. 

Guillaume le Gentil fait par la suite plusieurs découvertes dans le domaine de l’astronomie. On peut notamment citer certains amas d’étoiles ainsi qu’une galaxie elliptique compacte, qui ont par la suite été répertoriées par Charles Messier (NDLR: astronome et chasseur de comètes français qui a référencé les objets du ciel profond) dans son fameux catalogue regroupant divers objets célestes comme M32, M36 et M38.

Etablissement de l'Académie des Sciences et fondation de l'observatoire, 1666 (Credit: Charles Le Brun)

Etablissement de l'Académie des Sciences et fondation de l'observatoire, 1666. Credit: Charles Le Brun

Etablissement de l'Académie des Sciences et fondation de l'observatoire, 1666. Credit: Charles Le Brun

Charles Messier. Credit: Ansiaume

Charles Messier. Credit: Ansiaume

Charles Messier. Credit: Ansiaume

Le grand départ d'une épopée calamiteuse

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Mikhaïl Lomonosov Credit: Wikipedia

Mikhaïl Lomonosov. Credit: Wikipedia

Mikhaïl Lomonosov. Credit: Wikipedia

Edmond Halley. Credit: Richard Phillips

Edmond Halley. Credit: Richard Phillips

Edmond Halley. Credit: Richard Phillips

Ces trouvailles font pousser des ailes à notre chercheur ambitieux qui répond, en 1759, à un appel lancé par Mikhaïl Lomonosov, qui souhaite concrétiser les projets de feu Edmond Halley visant à mesurer la distance entre la Terre et le soleil. Pour cela, Halley avait prévu de se servir du transit de Vénus, un phénomène rare - qui survient seulement à deux reprises par siècle - au cours duquel la planète Vénus vient se positionner entre la Terre et le Soleil. Le défunt astronome avait donc mis au point un plan conséquent dans le cadre duquel il comptait mobiliser des chercheurs aux quatre coins du monde afin de recueillir des mesures grâce au dit phénomène. Celles-ci devaient permettre à terme, en utilisant la trigonométrie, de calculer de façon précise la distance entre notre planète et l’astre solaire. Décédant bien avant que le transit de Vénus ait lieu, Halley laisse derrière lui un projet que le russe Mikhaïl Lomonosov décide de mettre en oeuvre. 

Qu'est-ce que le transit de Vénus ?

C’est ainsi que Guillaume le Gentil se trouve embarqué dans un périple pour lequel il s’est porté volontaire. Envoyé dans les Indes, l'astronome français prévoit une certaine marge de manoeuvre. L’homme largue les amarres quinze mois avant l’apparition du transit de Vénus, le voyage le forçant à contourner toute l’Afrique en passant par l’Ile de France (NDLR: actuellement appelée l’Ile Maurice) avant d’atteindre sa destination. Malheureusement, après avoir parcouru les milliers de kilomètres qui séparent Paris de Pondichéry en Inde, Guillaume le Gentil voit ses ardeurs largement calmées par la guerre qui a éclaté entre la France et l’Angleterre. Pondichéry, qui était autrefois un comptoir français, se retrouve désormais occupé par les Anglais, poussant l’astronome à faire demi-tour. 

Mais il ne perd pas espoir pour autant et refuse de renoncer à ses recherches. Il retourne donc vers l’Ile de France, d’où il souhaite observer le passage de Vénus devant le Soleil. Mais, à nouveau, cela ne se déroule pas comme prévu pour Guillaume le Gentil. L’astronome se trouve encore en mer en juin 1761, moment où survient le phénomène tant attendu. Le Français tente toutefois de prendre les mesures depuis le navire. Mais les mouvements du bateau rendent impossible toute appréciation précise, bien que les conditions climatiques soient quant à elles idéales. 

La prison et la torture, mais enfin la réussite ?

Dépité, Guillaume le Gentil se rend compte qu’il a parcouru des milliers de kilomètres, allant jusqu’au bout du monde, pour rien. Mais sa détermination l’emporte et l’astronome décide de ne pas rentrer bredouille en France. Il attend donc non loin des Indes le prochain transit de Vénus, censé survenir une deuxième et dernière fois au cours de ce siècle, en 1769. Mais hors de question de rester si loin de son épouse et de son pays pendant huit ans sans rien faire. Il se met donc à cartographier Madagascar. Une fois cette tâche achevée, il navigue jusqu’à Manille (NDLR: actuelle capitale des Philippines) d’où il compte bien cette fois observer le phénomène astronomique. Mais, à nouveau, le scientifique est victime du mauvais sort. Les Espagnols aux mains desquels se trouve la ville à l’époque ne voient pas d’un bon oeil l’arrivée de Guillaume le Gentil. Soupçonné d’être un espion, l’homme se retrouve emprisonné et torturé. Relâché quelques mois plus tard, l’astronome, revenu sur l’Ile de France, se dépêche de prendre le chemin de Pondichéry, où la France règne à nouveau en maître. 

Atteignant sa destination en mars 1768, Guillaume le Gentil attend patiemment, sept ans après sa première tentative, que Vénus passe devant l’astre solaire, le 3 juin 1769, pour effectuer ses mesures. Cette fois, le scientifique malchanceux ne veut rien laisser au hasard. Il construit un observatoire et réfléchit jour après jour au meilleur moyen de capter le moment tant attendu afin d’en tirer les détails les plus précis possibles. Le jour venu, Guillaume le Gentil est plus que prêt. Mais c’est sans compter sur des conditions météorologiques défavorables. Et contre ça, le Français ne peut rien faire. La brume épaisse qui envahit Pondichéry ne la quitte pas de la journée, laissant notre scientifique dépourvu de toute solution face à ce nouveau coup du sort. La mine déconfite, Guillaume le Gentil voit l’objet de la mission à laquelle il a voué dix ans de sa vie partir en fumée. Un constat d’échec qui plonge l’astronome dans une profonde dépression.

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Observation du transit de Vénus. Credit: Reporters

Observation du transit de Vénus. Credit: Reporters

L’astronome qui est mort… deux fois

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Image d'illustration (observation du transit de Vénus de 1639) Credit: Ford Madox Brown

Image d'illustration (observation du transit de Vénus de 1639) Credit: Ford Madox Brown

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Transit de Vénus (2004). Credit: Reporters

Transit de Vénus (2004). Credit: Reporters

Transit de Vénus (2012). Credit: Reporters

Transit de Vénus (2012). Credit: Reporters

Le temps est toutefois venu pour le chercheur malchanceux de retourner en France. Victime de dysenterie, Guillaume le gentil voit son départ quelque peu retardé. Les soucis ne prennent toutefois pas fin pour lui au moment de lever l’ancre. Le bateau sur lequel il se trouve est pris dans une violente tempête. Le navire fait alors escale à l’île de Bourbon. Le scientifique y attend patiemment qu’on le ramène dans son pays. Ce que finira par faire un bateau espagnol duquel débarque Guillaume le Gentil, en octobre 1771. L’homme remet, pour la première fois, les pieds sur le sol français, onze ans et demi après l’avoir quitté.  

Le scientifique n’est pas pour autant au bout de ses surprises. De retour sur sa terre natale, il s’empresse de rejoindre sa femme, qu’il imagine plus qu’impatiente de retrouver son époux. Le malheureux ne s’est jamais autant trompé. Il découvre en effet que sa bien-aimée s’est remariée. Restant sans nouvelles de sa part, les autorités françaises ont déclaré “mort” Guillaume le Gentil, laissant l’opportunité à sa “veuve” de prononcer à nouveau ses voeux. 

Son mariage n’est pas la seule chose que son prétendu décès au cours de son expédition lui aura coûté. De fait, l’homme voit sa chaire au sein de l’Académie royale des Sciences occupée par un autre. Pour couronner le tout, l’ensemble de ses biens est distribué à ses héritiers. 

Quoi qu’il en soit, l’homme a déjà démontré qu’il ne se laisse pas facilement abattre. Il décide donc d’entreprendre une procédure judiciaire pour récupérer ce qu’on lui a “volé”. La justice ne donne toutefois pas raison à Guillaume le Gentil qui perd tous ses procès. Survient alors ce qu’on peut considérer comme une première éclaircie dans la vie de l’astronome. Le roi Louis XV intervient en personne pour que soit restitué au Français son siège à l’Académie. Le souverain demande même à ce que le scientifique soit logé à l’Observatoire Royal. 

De quoi redonner du baume au coeur à celui à qui la vie a si peu souri. La roue aurait-elle enfin tourné en faveur de l’homme malchanceux? Il semblerait. Il se remarie ainsi, quelques mois plus tard,  avec une femme issue d’une famille que Guillaume le Gentil connait bien. Père d’une petite Marie Adélaïde, l’astronome doit toutefois tirer un trait sur sa fortune qu’il ne reverra jamais. Il continue donc sa vie, certes dans la pauvreté, mais avec une famille, un travail et un toit. Il décède le 22 octobre 1792 à Paris, au terme d’une vie, que l’on peut dire, mouvementée, mais non moins heureuse. 

Ce n’est qu’en 1976, presque 200 ans après la mort de Guillaume le Gentil, que l’Union astronomique internationale établit la distance entre la Terre et le soleil grâce aux différentes mesures radar et à l’envoi de sondes. Le dernier transit de Vénus observé a lieu en 2012. 

Des images du transit de Vénus de 2012 capturées par la Nasa