Fred Hoyle, l’homme du Big Bang

Il y a 70 ans, l’un de ses plus féroces adversaires invente le nom qui deviendra le centre de la cosmologie moderne. Ce nom, c’est le Big Bang.  Cet adversaire, l’astronome Fred Hoyle. Portrait.

Un peu par hasard. C’est comme cela que tout commence. Une simple image, quelques mots glissés à l’antenne. L’anodin qui cache beaucoup.

Fred Hoyle a trente-quatre ans. De larges montures ovales s’appuient sur un nez pataud. Les joues sont généreuses. Bonhommie de surface. On le dit incisif, au mauvais caractère qui attaque. Peu de sourires pour les photographes. Pas de répit pour ses adversaires, Hoyle réagit au quart de tour. Un tempérament qui le suivra toute sa carrière.

Nous sommes le 28 mars 1949. Le scientifique est l’invité du Third Program de la British Broadcasting Corporation. Il est 18h30, le printemps a commencé depuis une semaine et George VI est à la tête du Royaume-Uni.

L’ironie du sort

Hoyle s’apprête à donner un exposé de vingt minutes à propos de la naissance du cosmos. Sa théorie à lui, c’est l’état stationnaire, la création continue. Il s’explique. L’univers est uniforme et infini malgré son expansion. La matière se crée d’une manière ininterrompue. La thèse est populaire à l’époque. Un cosmos sans fin et sans âge. L’idée d’une explosion à l’origine de l’ensemble de la vie lui semble irrationnelle et scientifiquement non-viable. Il lui donne un nom, le Big Bang.

Pour la première fois, le terme est employé dans le contexte de la naissance de l’Univers. Il existait du côté des météorologistes pour parler de tempêtes. Dans les années 50, on l’utilisera pour décrire les explosions nucléaires. Mais ici, le Big Bang trouve son sens primordial. Celui qui a persisté.

En s’y opposant, Fred Hoyle crée ce qui manquait à la théorie. Il lui donne la force d’une image. Le tout, dans l’intimité d’un studio de radio anglais.

Cambridge et des oies

Son père travaille dans le textile. Sa mère est institutrice. Il est passionné de sciences, elle est musicienne. Fred Hoyle naît à Bingley dans la région du Yorkshire, un jour d’été 1915. S’il s’embête à l’école, c’est parce qu’il a pris de l’avance. Sa mère lui enseigne ce qu’elle sait à la maison, son père lui laisse ses livres scientifiques. Et là c’est le « Big Bang », il se découvre une vocation.

Lorsque Fred Hoyle s’approche du micro de la BBC, il est conférencier à Cambridge. La première émission a plu, elle est publiée dans le magazine de la radio, The Listener. Le Royaume-Uni se remet de la Seconde Guerre mondiale. Et Hoyle, de six ans de travaux de recherche dans l’armée britannique. Son job, améliorer la technologie des radars.

En 1949, il est installé dans un cottage dans la banlieue de l’université. Des jours tranquilles qu’il passe avec son épouse, Barbara Clark, et ses deux enfants. Dans leur jardin, un troupeau d’oies censé tondre les pelouses et servir de garde-manger, mais qui finira par détruire le jardin avant de s’envoler vers d’autres cieux. Impossible pour Hoyle de les abattre. Il accuse le souvenir de ses yeux d’enfant devant la gorge tranchée d’un poulet fermier. Il s’opposera farouchement aux expériences scientifiques sur les animaux.

Le mathématicien a déjà publié une série de livres sur la théorie de l’état stationnaire. Et c’est en tant qu’astronome qu’il retrouve l’antenne de la radio.

Peter Laslett l’appelle en novembre. L’animateur et scientifique conçoit une émission en cinq parties pour une heure de grande écoute. Son intervenant principal l’a laissé tomber. Laslett propose à Hoyle de prendre sa place. Il accepte. 

Fred Hoyle

Fred Hoyle

La statue de Fred Hoyle à Cambridge

La statue de Fred Hoyle à Cambridge

« Do not use this man, his Yorkshire accent is too strong »

Fred Hoyle se retrouve là un peu par hasard. Le grand public anglo-saxon ne connaît pas encore son nom. La théorie de l’état stationnaire commence à avoir du succès dans le milieu scientifique. Laslett lui promet une rémunération de 300£, une belle somme pour les revenus modestes d’Hoyle.

À la BBC, l’astronome a un dossier. Une fiche le présente. En bas de celle-ci, une note manuscrite. « Ne pas inviter cet homme, son accent du Yorkshire est trop fort ». Un détail qui aurait pu coûter cher à Fred Hoyle.

Les conférences radiophoniques plaisent. À la direction de la BBC, aux auditeurs. Elles sont retransmises sur la chaîne principale du groupe. On entend Hoyle au Canada, Hoyle en Australie et Hoyle dans tout le Commonwealth. Entre ses phases, deux mots. Big Bang. La machine est lancée.

Un éditeur approche Fred Hoyle. De leur collaboration, un livre, La Nature de l’Univers. Le Big Bang est gravé dans le papier, et toujours pour s’y opposer. L’astronome gagne dix fois plus d’argent que prévu. Pour la première fois, il a les moyens de vivre pour la science. C’est le début de son succès. Un triomphe de courte durée.

L'astéroïde 8077 porte depuis 1986 le nom de Fred Hoyle

L'astéroïde 8077 porte depuis 1986 le nom de Fred Hoyle

Nuage noir sur astronome

Bruxelles, 1958. L’exposition universelle bat son plein, l’Atomium brille sous le ciel du Heysel. La capitale est le centre du monde. S’y tient la Conférence Solvay, le rendez-vous des grands scientifiques. Cette année, le thème est la structure de l’univers. Fred Hoyle est là pour défendre sa théorie.

Il dîne avec William Lawrence Bragg, prix Nobel de physique et accessoirement président de la conférence Solvay. Entre deux plats, il glisse à Hoyle un compliment qui va préfigurer le reste de la carrière du scientifique. « Je n’aime pas vos travaux, mais j’aime votre roman ». Parce que Fred Hoyle écrit. Il rédige de la science-fiction. L’année précédente, il publie The Black Cloud. Un livre à la prose un peu lourde et aux longs exposés théoriques à propos d’un nuage cosmique intelligent. Le bouquin se vend bien. L’écho est positif dans la communauté scientifique. Bragg continue : « Carl et moi l’avons analysé avec beaucoup d’intérêt ». Ce Carl, c’est C. Gustav Jung, le célèbre psychiatre.

Les théories de Fred Hoyle ont alors de moins en moins d’écho. Au même moment, leur principal opposant, le Big Bang à qui il avait offert un nom, se précise. 1965, deux scientifiques américains confirment l’existence d’un rayonnement magnétique uniforme dans l’univers. Un fossile de ses premières heures, refroidi par sa lente expansion. Cette découverte marque le coup fatal aux théories de l’état stationnaire. Le Big Bang devient le modèle standard de la cosmologie moderne. Plus le temps passe, plus les preuves et les observations scientifiques mettent à mal les idées de Fred Hoyle. Mais lui, toujours, continue de les défendre.

L’épreuve des faits

Toute sa vie, il reste l’hétérodoxe. Celui qui croit à autre chose. Le choc de 1965 et le développement de la cosmologie telle qu’on la connaît aujourd’hui ne l’empêchent pas de travailler dans son coin. En 1972, il démissionne de l’Institut d’Astronomie de Cambridge. La mésentente avec le reste de ses collègues scientifiques s’accroît. Son tempérament prend le dessus. C’est l’isolement.

Fred Hoyle vit alors à Lake District, la région montagneuse de l’Angleterre. Il publie de nouveaux travaux. Sur la panspermie, l’idée que la vie est d’origine extraterrestre et qu’une pluie de météorites l’aurait apportée sur la Terre. Ces météorites seraient responsables des grandes épidémies virales que le monde a connues.

1983, coup fatal. Le prix Nobel est attribué à William Fowler et Subrahmanyan Chandrasekhar pour leurs travaux sur la nucléosynthèse, la formation chimique des éléments dans l’univers. Fowler avait co-signé ses plus importants articles avec Fred Hoyle. Il pensait lui aussi recevoir le Nobel.

Hoyle s’isole encore un peu et n’adresse plus jamais la parole à son ami William Fowler. Ses théories hétérodoxes et sa propension à critiquer l’Académie du Nobel ont raison de lui. Il continue de s’attaquer à la validité du Big Bang jusqu’à sa chute dans un ravin près de son village natal à la fin des années nonante. Sa santé s’étiole, jusqu’à sa mort en 2001.

Que reste-t-il de Sir Fred Hoyle ? Une image marginale de la cosmologie, un chercheur hétérodoxe habitué aux controverses. Une lente chute pour l’inventeur de l’image la plus célèbre de l’astronomie. Big bang, ironie du sort.

Texte : Victor Huon
Photos : Reporters & Belga