Entrée privée
chez un fou d'Horta

La Libre Explore ouvre les portes d’une maison Art Nouveau,
l’hôtel particulier Max Hallet.
Michel Gilbert, homme d’immobilier et féru du style Horta,
a restauré cette bâtisse de 1903 pour y vivre.
Une rencontre avec la passion architecturale d’un homme.

Au pied de la verrière trilobée. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Au pied de la verrière trilobée. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

I - Préambule au vestibule

Michel Gilbert passe sa tête à travers l’huis de l’immense porte cochère, 346 avenue Louise.

On sonne à la porte cochère du 346 avenue Louise. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

On sonne à la porte cochère du 346 avenue Louise. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Il s’efface derrière la porte ; fait gravir les six marches de marbre blanc à son visiteur ; pousse la porte vitrée tenue dans une fine gaine de métal effilée, et se positionne pour observer.

En général, le visiteur pénètre dans le grand hall, lève les yeux au ciel (littéralement), et s’exclame : “Ooooh”. Variante ce jour-là, lorsque nous faisons le reportage, notre photographe lâche un : “Magnifique !”. “Tiens, c’est plus rare”, s’amuse Michel Gilbert, qui sait l’effet que fait sa maison Art Nouveau signée Victor Horta.

Michel Gilbert, propriétaire de l'hôtel Max Hallet. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Michel Gilbert, propriétaire de l'hôtel Max Hallet. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Commandité en 1903 par un certain Max Hallet, avocat à Bruxelles qui, très vite, se lance dans la politique, l’hôtel particulier a gardé son caractère unifamilial, “ce qui est des plus rares le long de l’avenue Louise. Je rappelle les chiffres implacables de l’avenue Louise. Sur les 460 maisons de maître que comptait l’avenue, 60 demeurent. Et l’hôtel Max Hallet est sûrement le seul à voir maintenu son caractère unifamilial”, ajoute Michel Gilbert. “Ce qui nous donne une idée du désintéressement pour ce genre de maison”. L’homme a acquis la maison en 2007 :

C’est la quatrième de mon délire. J’ai connu trois phases de travaux… En fait, j’ai tout le temps vécu dans les travaux…
Michel Gilbert, propriétaire des lieux.

Car Michel Gilbert se fait acquéreur d’Art Nouveau signé Victor Horta pour y vivre, et pas seulement pour le contempler. Il est l’initiateur d’une restauration en bonne et due forme de l’hôtel Max Hallet.

Mais, déjà, il attrape nos pèlerines et manteaux, dépose le tout derrière la jolie porte vitrée du vestiaire (mais en fait tout est joli, ici) et nous embarque dans quelque chose qui s’apparente à un voyage dans le temps.

Le maître des lieux, restaurateur amoureux de son palais Horta, en est le meilleur guide : il connaît les petits secrets de la maison.


II- Une entrée en majesté

C’est sans doute la particularité de l’hôtel Max Hallet, par Victor Horta, cette grande verrière dite en cul-de-four, composée de vitraux Tiffany bicolores.

Une verrière trilobée pour vous accueillir. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Une verrière trilobée pour vous accueillir. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Et puis, aussi, ce hall au cœur duquel s’érige un escalier triomphal.Le hall agit comme le cœur de la maison : il distribue les espaces de vie. Il est aussi la pièce unique de cette maison Horta.

Nous sommes alors en 1903, dix ans après la première création d’Horta,
l’hôtel Tassel.
Ici, on est dans un Art Nouveau assagi,
il n’y a plus ces ‘coups de fouets’ comme dans ses ouvrages de jeunesse, que l’on voit à l’Hôtel Winssinger.
Notez qu’à l’époque, son style a été critiqué : on a qualifié son travail de style 
“nouilles”.
Michel Gilbert, propriétaire de l'hôtel particulier Max Hallet

De fait, Victor Horta est homme du détail et de la fioriture, mais son inspiration à lui est bel et bien le végétal, dont il dit qu’il a gardé l’essence, la tige. Pour la décoration du hall, le célèbre architecte aura cependant dû composer avec les goûts la maîtresse de maison, Madame Hallet, adepte de roses. Elle en fait déposer partout sur les murs marouflés.

L'escalier qui monte vers la verrière trilobée. À droite, la porte qui mène à l'office pour le personnel. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

L'escalier qui monte vers la verrière trilobée. À droite, la porte qui mène à l'office pour le personnel. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

À hauteur de la verrière, deux petites portes mystérieuses. À droite, l’une cache un salon alcôve, à gauche, l’autre ferme un petit cabinet avec eau courante pour les plaisirs jardiniers de Madame Hallet.
À noter, l’eau au robinet à cet étage en 1903 est un vrai luxe !

Les deux petites portes du à l'étage de la verrière. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Les deux petites portes du à l'étage de la verrière. Crédit : Jean-Christophe Guillaume


III - Quand on monte
chez Madame et Monsieur

“Victor Horta a le souci du détail.
Il ne fera d’ailleurs pas une seule maison identique.
Michel Gilbert, propriétaire des lieux

Quand on y pense, à son époque, l’architecte belge Ernest Blerot achète des terrains dans Bruxelles pour y construire des maisons en miroir, pour lesquelles il se contente d’inverser le plan…” – ce qu’on observe sans trop de peine dans les alentours de l’avenue Louise.

Évidemment, avec l’hôtel Max Hallet de Victor Horta, on est fort éloigné du profil promoteur-architecte. Horta réfléchit la maison pour la profession de Max Hallet, avocat, de telle sorte que son bureau soit accessible depuis l’entrée cochère, sans que ses clients n’aient à passer par l’espace privé.

La porte d'entrée et puis, tout de suite à droite, une porte qui mène vers le bureau de l'avocat Max Hallet. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

La porte d'entrée et puis, tout de suite à droite, une porte qui mène vers le bureau de l'avocat Max Hallet. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

S’il instaure salons et salle à manger d'apparat au bel étage, au premier étage, une fois passé le niveau de la verrière, il invente l’espace domestique.

Vue de la salle à manger du bel étage. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Vue de la salle à manger du bel étage. Crédit : Jean-Christophe Guillaume


Deux chambres donnent sur le perron de l’escalier : la chambre de Madame, la chambre de Monsieur – on ne dort pas ensemble au début du XXe siècle quand on est issus de la classe bourgeoise.

La chambre de Madame et la chambre de Monsieur. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

La chambre de Madame et la chambre de Monsieur. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Dès 1903, Horta pense un cabinet de toilette dans les chambres, encore sans eau courante. “Cela nous fait sourire désormais quand on visite la maison Horta, désormais Musée Horta, mais, dans sa chambre, l’architecte avait fait installer un placard urinoir”.

À l’hôtel Max Hallet, si l’eau au robinet arrive au niveau de la verrière pour les activités botaniques de Madame, pour le reste, cuisines et salles d’eau sont au rez-de-chaussée et on exploite essentiellement l’eau de pluie de la citerne pour les besoins ménagers.


IV - Du côté des domestiques

Un hôtel particulier qui fait environ 1000 m2 nécessite un personnel important pour faire fonctionner la maisonnée.

L’architecte Horta pense la maison dans son activité et réserve – sur un tiers de la largeur du bâti environ –, un espace à la circulation des domestiques. Une cage d’escalier parallèle au hall prestigieux et cachée par des portes, distribue des pièces de rangement, les commodités. Ce second escalier mène à l’office (où sont déposés les plats servis à la salle à manger du bel étage), et descend vers les cuisines.

Le boîtier à sonnettes, comme dans Dontown Abbey, est située dans le sous-sol. Les habitants sonnent quand ils ont une demande. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Le boîtier à sonnettes, comme dans Dontown Abbey, est située dans le sous-sol. Les habitants sonnent quand ils ont une demande. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

L’espace dédié au service n’est pas laissé au hasard. Au sol, du granito – courant dans les maisons bruxelloises. Aux murs, des décors de peinture ont été récemment mis au jour et feront partie de la dernière salve de restauration. 
“Un propriétaire précédent a recouvert cela sans se poser de question et les suivants n’ont pas su ce qui se cachait là. La maison en est à son cinquième propriétaire, mais, parmi ceux qui m’ont précédé, le propriétaire de 1946, Monsieur de Proost, a acquis la maison sans savoir que c’était une œuvre d’Horta”.

La réflexion à propos de la notion de patrimoine est récente, on le voit. L’hôtel Max Hallet n’a été classé qu’en 1971 – sans doute en réaction à la malheureuse destruction de la Maison du Peuple Horta, en 1965.


V - Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas

Passé le premier étage, réservé à la vie de famille du propriétaire, les beaux espaces s’arrêtent, mais pas la vie de la maisonnée.

Tout au-dessus, on observe une balustrade : “Cet espace était dévolu au jeu de l’orchestre, lorsque le propriétaire donnait une soirée musicale, l’acoustique est d’ailleurs extraordinaire”. 

La vue depuis la balustrade de l'orchestre. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

La vue depuis la balustrade de l'orchestre. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Si la chambre de la jeune fille de Monsieur est sise au second étage, à côté des chambres de bonnes, il n’est pas difficile de savoir où s’arrêtent les appartements de la jeune fille : un couloir plus loin, le revêtement au sol et les chambranles des portes changent, plus sobres. Michel Gilbert a réinvesti cet espace aux étages pour créer chambres et salles de bain.

Derrière cette petite porte de service, la salle de bain habilement installée par Michel Gilbert, ni vue ni connue. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Derrière cette petite porte de service, la salle de bain habilement installée par Michel Gilbert, ni vue ni connue. Crédit : Jean-Christophe Guillaume

Dès qu’il s’agit d’ajouter à ce bijou patrimonial un élément qui n’y était pas originellement, Michel Gilbert est confronté à un interlocuteur : la direction des Monuments et Sites. “Le plus gros casse-tête, c’est de vivre en 2019 dans une maison 1903, cela demande d’aimer sans limite le style Horta”… Mais aussi pas mal de p atience pour une discussion administrative afin d’obtenir une salle de bain digne de ce nom.

À l'agenda de La Libre Explore

Le jeudi 21 novembre, à 17h30, l’hôtel particulier Max Hallet, sis au 346 avenue Louise, ouvre ses portes aux lecteurs de La Libre Belgique.

Au programme de cette soirée Art Nouveau : une conférence/causerie entre Michel Gilbert, investisseur immobilier, propriétaire de maisons Horta et fan inconditionnel de ce genre architectural­, et Aurore Vaucelle, animatrice de La Libre Explore.

S’en suivra une visite guidée de l’hôtel particulier, qui nous mènera du formidable hall d’accueil en marbre et mosaïques aux salons privés en acajou. La soirée Art Nouveau se clôturera par un verre à bulles dans la verrière trilobée, qui brille par son caractère unique au monde.

Pour s’inscrire ?
https://www.lalibre.be/action/explore-maxhallet