En Tanzanie,
les habitants apprennent à vivre sans sacs en plastique

Le 1er juin, la Tanzanie est devenue le 34e pays africain à interdire l’usage des sacs en plastique. Sur la petite île de Mafia, les bénéfices de cette législation sont encore incompris, faute d’éducation adéquate. © Sarah Freres

Le 1er juin, la Tanzanie est devenue le 34e pays africain à interdire l’usage des sacs en plastique © Sarah Freres

Sur la plage d’Utende, un village de 2000 âmes sur l’île de Mafia, hommes, femmes et enfants s’apprêtent à grimper sur un ferry en bois. Cap sur Chole, une autre île de cet archipel tanzanien, voisin de Zanzibar. De retour du travail ou de l’école, ils transportent leurs vivres dans des sacs réutilisables en tissus.

Ici comme partout ailleurs dans le pays, l’importation, la production, la vente et l’usage des sacs en plastique sont interdits depuis le 1er juin 2019, faisant de la Tanzanie le 34e pays africain à appliquer cette législation pour enrayer la pollution sur le continent.

Pionnière, l’Afrique a débuté la lutte contre le plastique à usage unique dans les années 2000. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, le degré de succès de ces réglementations varie néanmoins d’un pays à l’autre. À titre d’exemple, le Rwanda est considéré comme l’une des plus grandes réussites.

Peu d'alternative

À Mafia, îlot encerclé par une réserve marine protégée de 822 km², cette interdiction est férocement suivie. Par conviction ou par peur des sanctions. "Je ne suis pas sûr que la population locale apprécie vraiment les bénéfices de l’interdiction. Ceux qui sont sensibles à la défense de l’environnement, bien sûr. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde ici. Aucune alternative n’a été pensée pour certains types de plastique, ce qui a rendu certaines choses de la vie quotidienne plus compliquées, comme acheter des plats à emporter. Ils sont emballés dans des journaux en papier. Résultats, l’encre déteint sur la nourriture (rires)", explique Luke Reynolds, un instructeur de plongée installé sur l’île depuis quatre ans. "En revanche, l’acompte pour les sacs réutilisables est un véritable incitant. En Europe, ce genre d’initiative ne change rien, on peut se permettre d’en acheter autant que possible. Mais 500 shillings (soit 0,19 euros, NdlR) ici, c’est quelque chose. Les gens les utilisent jusqu’à ce qu’ils tombent en miettes."

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"Personne ne nous a expliqué en quoi le plastique est nocif"

© Sarah Freres

© Sarah Freres

Les plats préparés s'emportent désormais dans des sacs en papier. © Sarah Freres

Les plats préparés s'emportent désormais dans des sacs en papier. © Sarah Freres

Même scénario dans les hôtels. © Sarah Freres

Même scénario dans les hôtels. © Sarah Freres

Il y a quelques mois, chaque achat allait encore de pair avec un petit sac en plastique noir. Une vis, un sac. Une ampoule, un sac. Quelques patates douces, un sac. Il n’en est plus question aujourd'hui.

Cependant, de l’aveu des magasiniers du village, premiers concernés par l’interdiction, celle-ci reste un mystère. "Je ne comprends pas en quoi le plastique est nocif. Personne ne nous l’a expliqué. J’ai vu à la télévision une annonce du président quand la loi a changé et c’est tout. Au fond, ça m’arrange bien. Avant, je devais acheter moi-même des sacs en plastique qui étaient gratuits pour les clients. Aujourd’hui, j’ai des sacs réutilisables ou des enveloppes en papier pour les chips mayai (une omelette de frites noyée sous une couche de sauce piquante, NldR) que je cuisine chaque soir. Comme ils sont payants, je ne perds pas d’argent", avance Deo.

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Jusqu’à maintenant, personne n’a reçu d’amende à Utende. Les touristes sont prévenus en amont de leur voyage en Tanzanie (ou interpellés à l'aéroport), tandis que les autochtones sont régulièrement contrôlés. Tous les trois mois, des officiels viennent vérifier si Deo n’a aucun sac en plastique dans son magasin. "On fait vraiment attention. S’ils en trouvent, la première fois, l’amende s’élève à 500 000 shillings (190 euros, NdlR). Et si on ne peut pas la payer, c’est six mois de prison."

Une différence massive

La rigidité de cette nouvelle loi a également entraîné quelques inconvénients. Ainsi, certaines personnes qui avaient pour habitude de ramasser le plastique ci et là n’osent plus le faire, craignant de recevoir une amende. De toutes parts, il se dit néanmoins que le visage des plages de l’île a changé en quelques mois. "La différence est massive, se réjouit Luke Reynolds. Quand on organisait des journées pour nettoyer la plage, on trouvait toujours des sacs en plastique noir. Ce n’est plus le cas."

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Malgré tout, de nombreuses bouteilles en plastique, sandales et diverses ordures jonchent encore le sable. À marée basse, ces déchets se coincent entre les racines des mangroves. À marée haute, ils disparaissent dans l’océan indien. La mer en recrache de nouveaux chaque jour, dont certains qui dérivent depuis plusieurs années. En attestent les coquillages qui ont fait du plastique leur maison. "La plupart des déchets qu’on trouve ici sont abandonnés par les locaux. Sur les îles en face, Chole et Juani, ils sont amenés depuis l’Asie par les courants marins. On les reconnaît aux écritures dessus", avance Idris, qui a grandi à Chole.

Les sandales et bouteilles sont les déchets les plus nombreux à Utende. © Sarah Freres

Les sandales et bouteilles sont les déchets les plus nombreux à Utende. © Sarah Freres

Venus d’ici et d’ailleurs, les produits en plastique sont ainsi la principale menace pour l’écosystème marin local. Non biodégradables, ils se fragmentent en effet en microparticules et sont ingérés – entre autres - par les poissons, source de nourriture et de protéines pour tous les résidents de l’archipel.

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Autre victime collatérale : le tourisme aquatique, sur lequel repose en grande partie l’économie locale. La protection de la réserve marine, de ses récifs coralliens et de ses habitants est ainsi vitale. Or, au grand dam des défenseurs de cet environnement échappant encore au réchauffement des océans, le recyclage est inexistant.

Des fermiers récoltent les algues. À marée haute, les cultures sont repérables grâce aux bouteilles qui servent de flotteurs. © Sarah Freres

Des fermiers récoltent les algues. À marée haute, les cultures sont repérables grâce aux bouteilles qui servent de flotteurs. © Sarah Freres

Ou si peu. Les seules initiatives viennent des fabricants de bière et de jus de fruit locaux, lesquels nettoient les bouteilles trouvées par terre pour y transférer leur breuvage. L’école primaire du village a également invité chaque élève à amener deux bouteilles en plastique. Utilisées dans le cadre de travaux pratiques, elles ont été dispersées dans la cour de récréation pour former un rond-point ou encore une carte de l’Afrique. Enfin, les bouteilles sont réutilisées comme flotteurs pour la culture des algues marines, appréciées pour leurs vertus cosmétiques.

La production de bière locale repose notamment sur la collecte des bouteilles en rue. © Sarah Freres

La production de bière locale repose notamment sur la collecte des bouteilles en rue. © Sarah Freres

© Sarah Freres
© Sarah Freres

"Interdire le plastique, c'est bien.
Mais c'est loin d'être suffisant."

Un homme porte ses courses dans un sac réutilisable. © Sarah Freres

Un homme porte ses courses dans un sac réutilisable. © Sarah Freres

La peste ou le choléra

À Utende, les couleurs vives des tissus africains séchant au soleil se mélangent au gris des cendres des trous à déchets. Si certains ménages ont leur propre décharge, le village en compte deux principales. Bouteilles, bidons, larges emballages, langes pour bébés, sacs de ciment vides… L’odeur qui s’en échappe donne la nausée.

Selon l’orientation du vent, l'odeur du plastique brûlé se glissent entre les cases du village. © Sarah Freres

Selon l’orientation du vent, l'odeur du plastique brûlé se glissent entre les cases du village. © Sarah Freres

Certains habitants ont leur propre trou à déchet, à quelques mètres de leur habitation. © Sarah Freres

Certains habitants ont leur propre trou à déchet, à quelques mètres de leur habitation. © Sarah Freres

Récemment, l’une des plus larges décharges a été recouverte. Quelques coups dans le sable suffisent pour en faire remonter les vestiges nuisibles. Non loin de là, un trou profond d’une dizaine de mètres a été creusé. Utilisé par une partie des villageois ainsi qu’un hôtel de luxe, son contenu sera incinéré. "Le vrai problème, c’est l’éducation. Il faudrait travailler sur deux niveaux différents : apprendre à la population que faire du plastique et instaurer un système de recyclage sur l’île. Pour le moment, on n’a pas le choix. Soit on le brûle, soit on l’enterre. Honnêtement, j’ignore ce qui est le pire. C’est comme choisir entre la peste et le choléra. Interdire le plastique, c’est bien. Mais c’est loin d’être suffisant", ajoute Idris.

L'incinération des déchets a généré, à plusieurs reprises, des incendies dans le village. © Sarah Freres

L'incinération des déchets a généré, à plusieurs reprises, des incendies dans le village. © Sarah Freres

Une opinion partagée par Juma, qui avait pour habitude de collecter les déchets ménagers – pour 1000 shillings par foyer – chaque semaine afin de les amener à la "déchetterie" de Kilindoni, la ville principale de l’île. "On a fait ça pendant un an avec une trentaine de gars pour sensibiliser la population à l’usage du plastique. C’était notre façon de leur dire de ne pas le jeter n’importe où. L’argent qu’on récoltait nous permettait de louer un véhicule pour transporter les déchets."

Cette pratique a été remplacée par une autre, instaurée par le gouvernement tanzanien quelques mois avant l’interdiction du plastique : le "cleanness day". Chaque dernier samedi du mois, plusieurs heures sont consacrées au nettoyage d’Utende et des plages alentours. "De sept heures à dix heures du soir, tout est fermé, il est interdit d’avoir une activité commerciale. On est obligé de se débarrasser des déchets dans les maisons, les magasins, le village", décrit Omary, un comptable employé dans un centre de plongée. "Tout le monde est obligé de participer, ce qui est une bonne chose. Mais on devrait en faire plus, beaucoup plus...", observe Juma.

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