Drogue, pollution, Brexit, croissance...

Les grands défis du port d'Anvers

Concurrence et volonté de croissance

Pas moins de 238 millions de tonnes de marchandises ont transité par le port d’Anvers en 2019. Un trafic gigantesque qui le place en deuxième position parmi les plus grands ports européens. Derrière Rotterdam (469 millions) mais loin devant Hambourg (136 millions), en troisième position.

Pour conserver sa place et même augmenter son rayonnement, le port d’Anvers voit grand. Il investit à l’international. Il contribue entre autres au développement de ports au Brésil, au Bénin, à Oman.

Dans un commerce mondial troublé par le Covid-19 et menacé par le Brexit, le port d’Anvers reste confiant en l’avenir et cherche même à s’agrandir. Le millier d’entreprises, présent sur les 12.000 hectares du port, génère près de 5 % du PIB belge mais se sentent à l’étroit. “On a presque atteint la capacité maximum, c’est pour cela qu’on veut construire un nouveau dock à conteneurs”, mentionne son CEO, Jacques Vandermeiren. Mais cela nécessite des négociations entre la Région et le village de Doel, presque vidé de ses habitants, bloqués entre la centrale nucléaire et le port qui fait déjà pratiquement sept fois la taille du centre-ville d’Anvers.

La volonté de croissance nécessite également de se moderniser. Pour réduire les émissions de CO2 - le port représente 10 % des émissions annuelles belges-, pour autonomiser le fonctionnement, pour contrôler les marchandises et... pour tenter de réduire la circulation de la cocaïne. Car si Anvers est la porte d’entrée pour énormément de biens à destination de toute l’Europe, c’est aussi un point de débarquement rêvé pour bon nombre de trafiquants.

Cocaïne : “On risque d’arriver à la même situation qu’en Amérique du Sud”

La brume est épaisse sur le port d’Anvers en cette matinée de début d’automne. À l’intérieur des bâtiments de la douane, on s’active. Un agent examine soigneusement des caisses provenant d’un conteneur venu de Chine. À l’intérieur, des vêtements de sport pour enfant de piètre qualité. “Cela vaut maximum trois dollars par pièce”, indique le douanier. “Mais ce n’est pas de la contrefaçon.” Le jeune homme remballe le matériel. Un peu plus loin, un chien s’excite sur le reste de la cargaison. “Il recherche de la drogue.” Rien à signaler. Le conteneur chinois est clean. La fouille, qui n’aura duré que quelques minutes, est filmée sous tous les angles par trois journalistes français.

Kristian Vanderwaeren, numéro un de la douane.

Kristian Vanderwaeren, numéro un de la douane.

Bien que la recherche de substances illicites ne représente que 10 % des activités des douaniers dans le port, elle est particulièrement scrutée par les médias ces derniers temps. Depuis peu, Anvers est tristement connue à l’étranger : plus de 40 % de la cocaïne saisie en Europe l’est au port de la métropole. La deuxième ville belge est aussi celle où l’on a découvert, l’année dernière, les plus grandes quantités d’héroïne sur le Vieux Continent. Au point qu’Anvers est désormais considérée comme la porte d’entrée de la drogue en Europe. “Je ne suis pas fier de le dire mais c’est vrai”, explique Kristian Vanderwaeren, le chef des douanes belges. “On a battu un nouveau record l’année passée avec 62 tonnes de cocaïne saisie au port et on est déjà au-dessus des chiffres de 2019 à la même période."

"Le combat est inégal”

Il n’y a ainsi pas eu d’effet Covid-19 pour les trafiquants. “Cela m’a étonné, vu la situation sanitaire en Amérique du Sud, d’où provient l’immense majorité de la cocaïne. On ne se l’explique pas vraiment. Vous savez, la mafia ne m’écrit pas toutes les semaines pour m’annoncer ce qu’ils vont envoyer à Anvers”, sourit le numéro un des douanes. Il enlève son képi. “Nous, on a eu des malades mais on a réussi à bien s’organiser pour optimiser les fouilles. On a aussi poussé les analyses en télétravail.”

Du haut de sa tour surplombant le port, le CEO Jacques Vandermeiren s’inquiète de cette hausse du trafic. “Cela tache notre image et notre réputation. Mais ce trafic de drogue est très difficile à éliminer. Il y a 12 millions de conteneurs qui entrent et qui sortent par an à Anvers. C’est impossible de tout contrôler.” La métropole vit une véritable guerre de la drogue. “Plus on rend la vie compliquée aux trafiquants, plus ils deviennent agressifs”, poursuit le patron. Ce qui a énormément de conséquences dans la ville mais également dans le port. Les gangs s’infiltrent dans les entreprises, l’organisation criminelle s’installe dans le port. Ce n’est pas positif et cela met une pression sur nos activités. La police fédérale n’est pas équipée. Les Pays-Bas ont 300 policiers pour le port de Rotterdam, nous, on en a 30 ou 40. Le combat est inégal. On demande plus de moyens à l’État fédéral."

Sans compter que le plus dur reste à venir : la période que les douaniers appellent le White Christmas (Noël blanc, NdlR) approche. “On a toujours beaucoup plus de saisies de cocaïne en décembre et janvier, lors de la période des fêtes”, explique le chef de la douane.Pourquoi les trafiquants choisissent-ils Anvers? “C’est historique. Au Sud, la drogue arrive surtout via l’Espagne et au Nord, c’est d’abord Anvers puis Rotterdam. On a beaucoup plus de lignes maritimes provenant d’Amérique du Sud que les Pays-Bas. Et souvent les bateaux venus de ce continent sont remplis de fruits ou de légumes… où les trafiquants adorent cacher leur drogue.”

Drogue dans du jus : les trafiquants de plus en plus créatifs

Cette technique, basique, de cacher la drogue au milieu d’un conteneur et de payer des gens pour aller la chercher dans le terminal d’Anvers reste la préférée des mafias.“Pour simplement déplacer un sac, on peut gagner facilement entre 50.000 et 80.000 euros”, souffle Kristian Vanderwaeren.

Kristian Vanderwaeren, numéro un de la douane.

Kristian Vanderwaeren, numéro un de la douane.

En général, tout se passe la nuit. “Sur les deux dernières semaines, on a organisé plusieurs interventions avec la police et on a arrêté pas mal de monde. Mais cela reste de la chair à canon. Il est difficile d’aller chercher les capos, souvent des Albanais ou des Néerlandais. C’est un business international avec de l’argent qui transite par des villes comme Dubai.”

Les cartels sont aussi de plus en plus “créatifs”. “Ils cachent la cocaïne dans des jus de fruit, de la nourriture pour poissons, dans des granits, des pierres, des jouets pour enfants… Vu que la cocaïne est mélangée, ils ont besoin d’une procédure chimique pour la séparer du reste. C’est très compliqué pour nous… Bonne chance pour trouver de la drogue dans un jus de fruit !”. En Espagne, les mafias envoient désormais des mini-sous-marins remplis de drogue sur les côtes. “Je pense que cela arrivera un jour sur la Côte belge.” Avec les nouvelles technologies de scanner, les douaniers ont pourtant de quoi riposter. “Mais on ne contrôle que 1 à 2 % de l’ensemble des conteneurs, déplore Kristian Vanderwaeren. On devrait tous les scanner pour éviter que cette m… ne rentre dans le port d’Anvers.”

Dans l’imposant centre de scanning des douanes, tout est aussi fait pour éviter que les trafiquants ne “magouillent” juste avant les contrôles, en changeant par exemple en dernière minute le conteneur amené à être inspecté. L’endroit est sous haute surveillance. Le trafic de drogue entraînant souvent de la corruption, les douaniers sont très surveillés. “On travaille toujours en équipe et jamais seul. Les sanctions sont très lourdes pour un agent qui aurait collaboré avec un cartel. On a eu des cas dans le passé et on ne peut pas exclure que cela existe encore parmi nos 700 douaniers présents au port. L’autre jour, un de nos agents en civil s’est fait accoster à une pompe à essence par une personne lui demandant si cela l’intéressait de gagner plus d’argent…

Jacques Vandermeiren, CEO du port d'Anvers.

Jacques Vandermeiren, CEO du port d'Anvers.

Cette corruption est aussi considérée comme un fléau par le patron du port. “Parmi les 100 entreprises réputées qu’il y a sur le port, il doit malheureusement y avoir une collaboration qui est inquiétante”, soupire M. Vandermeiren.

La drogue détruite, sous haute surveillance

Autre moment sensible : la destruction des saisies. Récemment, douze tonnes de cocaïne sont restées plusieurs semaines dans un hangar du port car le four amené à brûler la drogue était en entretien. “Il faut être certain que tout sera bien détruit. À 50 euros le gramme de cocaïne, cela représente un montant colossal qui comblerait le déficit budgétaire de la Belgique. Mais j’ai demandé aux ministres et ils ne veulent pas de cette solution”, sourit Kristian Vanderwaeren.

Le visage de l’homme s’obscurcit. “Les moyens dont je dispose ne me permettent pas de gagner cette guerre dans le port d’Anvers, lâche-t-il. Quand je vois la violence et la tristesse que ce trafic amène en Amérique du Sud, c’est désastreux. On risque d’arriver à une situation comparable à Anvers, avec des bombes à gauche à droite et des combats à la Kalachnikov entre cartels.”

Car le boss des douanes en est convaincu : le trafic de drogue ne va faire que s’amplifier dans les prochaines années si on ne fait rien. “La production mondiale de cocaïne est désormais à 3 000 tonnes par an, dont 10 % seulement sont saisis. Je pense qu’en Belgique, on est toutefois au-dessus de ce chiffre en termes de saisies."

“Il faut un plan anti-cocaïne”

Kristian Vanderwaeren lance un cri d’alarme, non seulement au nouveau gouvernement mais aussi à l’ensemble de la société belge. 

La drogue amène la corruption. Ce business me fait peur car il casse des systèmes politiques et sociaux entiers.”
Kristian Vanderwaeren, administrateur général des douanes et accises pour la Belgique.

“Beaucoup de gens ne comprennent pas l’ampleur de la situation. Certains cartels ont des chiffres d’affaires désormais supérieurs à des pays comme l’Uruguay ou des entreprises comme IBM. Ils sont actifs dans le trafic d’armes, de femmes mais aussi l’immobilier. Tout cet argent revient dans l’économie réelle et est utilisé pour obtenir de l’influence. C’est comme ça que le système a dérapé en Amérique du Sud. La drogue amène la corruption. Ce business me fait peur car il casse des systèmes politiques et sociaux entiers.”Selon le chef des douanes, la Belgique doit s’organiser “différemment” et “passer à une autre échelle” pour faire face à ces différentes mafias. “Il faut un véritable plan anti-cocaïne. Les utilisateurs de cette drogue doivent être conscients qu’ils ont du sang sur les mains. Des gens sont tués tous les jours à cause de la poudre blanche.”

La douane veut ainsi être en première ligne lors des discussions sur la prochaine extension du port. “On est devant un problème majeur que ni le bourgmestre, ni la police locale, ni la douane, ni l’autorité portuaire ne peuvent résoudre seules”, analyse, de son côté, Jacques Vandermeiren. Ce dernier demande de mettre sur pied une “coalition de tous ceux qui sont concernés”. L’union fait la force, comme on dit à Anvers.


La fierté des dockers

Au milieu des nuages, dans le brouillard, en haut de la tour Ahlers, le CEO Christian Leysen, également homme politique (Open VLD), raconte l’histoire de son entreprise centenaire. Descendant d’une famille d’armateurs, il a au fur et à mesure transformé son business. L’entreprise s’est débarrassée de ses navires mais prend désormais en charge, pour ses clients actifs sur le port, tout ce qui touche, entre autres, à la logistique, la sécurisation et l’analyse économique. Doté de cette expérience, l’homme nous explique fièrement l’activité du port. Une activité fortement liée aux dockers, reconnaît-il. “À Anvers, le docker est fier de son métier. Ce n’est pas pareil aux Pays-Bas. Ici, ils sont très bien payés”, lance-t-il en promouvant la productivité supérieure des dockers d’Anvers. “Cependant, c’est vrai, il y a un certain corporatisme, que l’Europe critique. C'est très fermé. Le monde des affaires le critique également car il est un peu excessif. Ils peuvent bloquer tout le port en faisant grève. Mais c’est aussi ça qui fait la force de ces dockers”, lâche-t-il sans détours.

Christian Leysen, CEO de Ahlers.

Christian Leysen, CEO de Ahlers.

"L’écart avec Rotterdam n’est plus aussi énorme"

Jacques Vandermeiren

CEO du port d'Anvers

Jacques Vandermeiren est le CEO du port d’Anvers depuis quatre ans. Il nous reçoit dans la magnifique nouvelle havenhuis qui domine le port pour faire le point sur les défis pour le port à l'avenir et répondre aux quelques critiques. Interview.

Comment le port vit-il la crise du Covid-19 ?

Même lors du confinement, nous n’avons jamais été fermés et nous sommes le seul grand port européen en croissance après six mois. Très vite, nous avons pris les précautions nécessaires et sur les 60.000 personnes qui travaillent au port, on dénombre très peu de cas de contamination. On a aussi distribué des bracelets avec une technologie permettant de respecter les distanciations sociales mais tous les dockers ne veulent pas le porter car ils ont l’impression d’être tracés. On a 9 000 dockers ici et ce sont des grandes gueules, des gens entiers sur qui on peut compter en période de crise. D’ailleurs il ne faut pas les énerver en voulant modifier leur statut, comme veut le faire la justice européenne.

Beaucoup de ports jouent la carte de l'automatisation. Est-ce le cas à Anvers ?

Nous automatisons beaucoup de nos processus mais nous tenons à garder notre personnel qui apporte une vraie plus-value car il est très efficace, fiable et flexible. Anvers est ainsi bien plus productif que Rotterdam qui a énormément automatisé. Le grand souci est qu’on ne trouve plus de dockers. Même si le métier est bien payé, c’est un travail difficile et assez dangereux qui n’attire plus les jeunes. On a eu très peu d’accidents en 2020 mais les années précédentes, on a eu quelques morts sur le port. Il y a également très peu de femmes et quasiment pas de travailleurs d’origine étrangère. Il faut pouvoir communiquer très rapidement et donc parler l’anversois. Le néerlandais n’est souvent pas suffisant.

Êtes-vous inquiet à l'approche du Brexit ?

Oui car tout indique que cela ne va pas se passer facilement. Nous avons 15 millions de tonnes de marchandises, sur les 240 par an, qui viennent du Royaume-Uni ou y partent. C’est notre quatrième partenaire, après les États-Unis, la Chine et la Russie. Ceci dit, cela va être encore plus difficile pour Zeebruges où les échanges vers l’île représentent 40 % de l’activité. Nous allons perdre des millions d’euros en chiffre d’affaires. Non seulement le port mais aussi toutes les entreprises, qui sont les plus grosses victimes. Anvers est essentiellement un port de transport de conteneurs, contrairement à Zeebruges qui travaille principalement avec des camions. On va ainsi peut-être récupérer des marchandises transitant habituellement par d’autres ports européens du type de Zeebruges, où il risque d’y avoir d’énormes embouteillages. Sans compter toutes les paperasses administratives pour les chauffeurs voulues par le Brexit.

“Le port est le moteur économique le plus important de Belgique.”

En Europe, on parle beaucoup de relocaliser l'industrie sur le continent. Cela peut-il avoir un impact sur l'activité du port ?

Vous savez, on exporte davantage de produits vers la Chine qu’on en importe. Le made in Europe pour les Chinois est quelque chose d’important. Mais relocaliser ? Je veux bien, mais je connais peu de patrons qui y croient vraiment. On a voulu que la Chine soit l’atelier du monde, pour ne plus garder que les services en Europe. On a eu le revers de la médaille car on a laissé partir des compétences stratégiques en Chine. Mais y a-t-il des gens prêts à avoir des salaires compétitifs avec les Asiatiques pour produire ici ? J’en doute.

En termes de diversification des activités du port, vous avez des pistes pour l'avenir ? Vous investissez à l'étranger ?

On veut construire un nouveau dock pour les conteneurs du côté de Doel car on a presque atteint la capacité maximum. Il y a également un projet de l’entreprise Ineos qui est en train de préparer un investissement de plus ou moins quatre milliards d’euros, ce qui va renforcer le moteur industriel du port et le cluster chimique. C’est un investissement gigantesque. On regarde aussi nos participations à l’étranger, comme au Bénin, à Oman et au Brésil. Contrairement au port d’Anvers, ce sont des ports où tout est encore à faire.

Il y a des critiques sur les investissements au Brésil, par rapport à la corruption des autorités ou l'expulsion des populations locales...

On a répondu à ces critiques. C’était avant qu’on y soit. C’est l’affaire des autorités et des communautés locales. On peut critiquer la façon dont ça a été fait mais on est rentré dans le projet par après, une fois que le port a été repris par un fonds d’investissement américain qui recherchait un partenaire stratégique, donc nous. On a découvert cela au fur et à mesure. Mais est-ce une raison pour faire marche arrière ? Je ne pense pas. Ce qui se passe actuellement est normal, on a fait un screening. C’est ça le business à l’étranger.

L'ambition, c'est de devenir plus grand que Rotterdam ?

Anvers n’a fait qu’augmenter sa part de marché. Rotterdam est toujours le numéro 1 en Europe mais, comparé aux années 80, l’écart n’est plus aussi énorme. Une fois qu’on aura construit un nouveau dock, et avec la croissance qu’on a connue, on devrait être au même niveau que Rotterdam pour les conteneurs. Être le numéro un n’est pas un objectif. Le but, c’est de maintenir notre position : être le port le plus attractif pour les marchandises transportées par conteneurs à travers le monde. Notre force par rapport à Rotterdam, c’est qu’on a le plus grand cluster pétrochimique d’Europe et cette industrie est en croissance. On est toujours le “premier port de France” d’ailleurs, comme le disait Sarkozy lorsqu’il était venu. Il n’y a pas une banane ici qui est consommée et qui n’est pas passée par le port d’Anvers.

“On émet environ 10 % de la totalité des émissions de COen Belgique.”

Le port d'Anvers est le lieu qui pollue le plus en Belgique...

Au niveau du CO2, on émet 10 % de la totalité des émissions en Belgique car nous avons une industrie chimique, à base de carburants fossiles. Le but est de décarboner cette industrie. Avant d’arriver à une neutralité carbone complète, l’objectif de 2050, il faudra faire beaucoup de choses. On a un projet important qui est de pouvoir capter les émissions de CO2 et les stocker en mer, dans des puits de gaz vides par exemple. C’est un projet qu’on met sur pied avec huit partenaires industriels et qui va coûter énormément d’argent. Mais cela pourrait réduire de moitié les émissions dans le port. Et ce dès 2030. L’Agence internationale de l’Énergie a de toute façon signalé que, si l’Europe ne mettait pas ce genre de choses sur pied, elle n’atteindra pas ses objectifs.

Devez-vous payer des taxes carbone ?

Non, ce sont les industries, comme BASF, Total, Exxon Mobil, qui vont être confrontées à cela. Total émet des millions de tonnes de CO2 dans le port d’Anvers. Si on a une taxe carbone de 50 euros par tonne, ça fait beaucoup d’argent. Donc cela fait bouger les entreprises, car elles savent que tôt ou tard, ça va se faire.

Qu'attendez-vous du nouveau gouvernement fédéral ?

Il faut absolument investir dans le ferroviaire autour d’Anvers. On demande aussi davantage de moyens pour les douanes, vu les enjeux liés au trafic de drogue et au Brexit. Il y a des pays où la douane est mieux organisée qu’en Belgique. Un produit perd de la valeur s’il reste bloqué trop longtemps à cause de problèmes administratifs douaniers. C’est, par exemple, très important pour des marques comme Nike ou Samsung qui nous le rappellent régulièrement. Le gouvernement doit se rendre compte que nous sommes un petit pays qui vit d’export et d’import et ne survivrait pas longtemps en fermant ses frontières. On doit orienter notre organisation et notre fiscalité dans cette optique. On doit absolument maintenir nos grands hubs que sont Anvers ou l’aéroport de Zaventem qui, contrairement à nous, vit très mal cette crise. C’est dans l’intérêt de tout le monde. Le port est le moteur économique le plus important de Belgique et ce depuis des années. Ça représente environ 5 % du PIB. Il y a plus de 1 000 centres de distribution répartis sur le territoire belge qui travaillent avec nous. On n’a pas que des atouts, on a aussi des handicaps, notamment au niveau de la fiscalité, des coûts salariaux ou des coûts liés aux enjeux environnementaux…

Est-ce possible de sortir du nucléaire en 2025 comme le veut la coalition Vivaldi ?

Nous suivons cela de très près car le port représente 10 % de la consommation totale électrique du pays. Arrêter le nucléaire, oui... mais il y a quoi à la place ? J’ai passé suffisamment d’années dans le secteur pour savoir que ce n’est pas facile de construire une centrale à gaz ou autre en peu de temps. On discute depuis vingt ans de cette sortie du nucléaire mais on n’a pas fait grand-chose. Techniquement, c’est encore réalisable, mais avec quel impact sur la facture ? Sur l’environnement ? Est-ce encore le meilleur plan ? Ce dossier, comme la gestion de la crise du Covid-19, prouve qu’on ne peut pas continuer comme cela. Ce pays est d’une inefficacité gigantesque et cela saute désormais aux yeux de tout le monde. La Belgique existera toujours, même la N-VA est d’accord avec cela, mais il faut savoir ce qu’on maintient dans cette entité et où on veut aller. Voir cette inefficacité continuer est un luxe qu’on ne va plus pouvoir laisser longtemps, car elle coûte très cher aux entreprises et aux citoyens. Le port d’Anvers est connu dans le monde entier et est toujours lié à la Belgique. On a intérêt à être un beau tandem.


5G, une nécessité pour le développement du port ?

Souvent, pour vanter les mérites de la 5G, les opérateurs télécoms prennent l’exemple du port d’Anvers et des capacités d’automatisation que le réseau pourrait permettre. Sans refaire le point sur les critiques émises à l’encontre de cette technologie, est-ce que la direction du port tient le même discours ? “On a d’énormes projets pour rendre l’infrastructure plus intelligente, oui. Au lieu d’envoyer des patrouilleurs en voiture ou en bateau, on pense aux drones. Il faut savoir comment les utiliser dans ce contexte portuaire, car on a des entreprises Seveso, mais c’est une option intéressante”, affirme le CEO Jacques Vandermeiren. “On a 15 000 navires par an, les contrôler en temps réel n’est pas évident. Un drone peut faciliter tout cela. Ça peut être aussi utile par rapport aux taches d’huile sur l’Escaut, aux déchargements illégaux ou accidents d’hydrocarbures lorsque les bateaux font le plein. On découvre souvent ça après coup. Avec les drones, c’est possible d’avoir un contrôle là-dessus. Mais pour cela, il faut un réseau qui le permette”, ajoute-t-il.

Le CEO avance par ailleurs que le nettoyage des eaux du port coûte entre un et deux millions d’euros par an. Au-delà des drones, connecter les bateaux permettrait, selon lui, de mieux gérer le trafic de navires, savoir précisément où ils se trouvent, réduire le temps de présence dans le port et rendre le tout plus efficace. “Monitorer et organiser le flux est quelque chose de très important pour les armateurs. Il faut pouvoir le faire en temps réel jour et nuit. Au plus on a d’instrument pour monitorer ce flux, au mieux on se porte”, affirme-t-il, convaincu de l’intérêt de la 5G.

La capitainerie du port d'Anvers, appelée Havenhuis (Maison du port).

La capitainerie du port d'Anvers, appelée Havenhuis (Maison du port).