Pssst... les cartes sont cliquables
Pas simple de répondre à cette question.
De prime abord, non. Personne sur les marchés ne s’inquiète. Même les investisseurs ne s'alarment pas de l’absence de gouvernement (pour le moment…).
En revanche, si l’on s’en tient strictement aux critères de Maastricht, qui figurent dans le Pacte de stabilité et de croissance, la Belgique est « limite ». Une procédure pour déficit excessif, menace déjà brandie ces dernières années à l’encontre de notre pays, pend d’ailleurs encore au nez des autorités belges.
D’autant plus que l’absence de gouvernement fédéral ne permet pas de prendre des mesures plus structurelles pour rectifier cette trajectoire, si pas à très court terme, au moins à moyen terme...
Ces dernières années, la stratégie de l’Agence fédérale de la dette consistait à augmenter la durée moyenne de la dette.
Une dette a en moyenne une durée proche de 10 ans. Ce faisant, notre dette est donc devenue plus résistante à un éventuel choc financier, comme une hausse très brusque des taux d’intérêt.
Il faudrait du temps pour que cela se répercute sur la charge de la dette, qui a diminué de manière sensible ces dernières années. Cette charge a baissé de 3,6 % du PIB à moins de 2 % aujourd’hui, soit un peu moins de 8 milliards d’euros.
Cette gestion est naturellement à dissocier des efforts réalisés par la Belgique pour réduire le taux d’endettement public. Efforts jugés insuffisants par la Commission européenne, qui ne manque jamais une occasion de le rappeler. La trajectoire budgétaire est sans doute le critère qui préoccupe le plus, en ce sens qu’autant le niveau fédéral que les entités fédérées creusent ce déficit et reportent aux calendes… grecques le retour à l’équilibre qui est pourtant un passage obligé, selon le Pacte de stabilité et de croissance européen.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Belgique fait partie des plus ardents défenseurs d’une certaine forme de flexibilité budgétaire, histoire de faire passer des dépenses pour des investissements publics, pour qu'elles ne soient pas prises en compte dans le calcul de notre dette publique et de notre déficit. On est loin d’avoir rallié la Commission européenne à cette cause…
« Techniquement, la dépendance à la dette a fortement diminué ces dernières années. Merci la Banque centrale européenne… Comme la BCE (via la Banque nationale de Belgique, NDLR) est propriétaire d’environ 25% de la dette de l’État belge, cette part de la dette est concrètement neutralisée. Aussi longtemps que la BCE détient des obligations belges et remplace celles qui viennent à échéance en réinvestissant dans des obligations belges, la dette est vraiment neutralisée », explique Philippe Ledent économiste chez ING.
Même quand les taux augmentent, la Belgique verse des intérêts à la BCE, ce qui augmente son bénéfice. Cette plus-value financière est alors redistribuée selon la fameuse « capital key » à ses actionnaires, à savoir les États de la zone euro dont la Belgique. « Donc pour l’État belge, c’est une sorte de circuit fermé, même si ce qu’il reçoit comme actionnaire n’est pas totalement équivalent à ce qu’il paye. » C’est un aspect de l’assouplissement quantitatif qui est souvent passé sous silence, mais qui est important. Cela veut dire qu’aujourd’hui, la principale contrainte sur la dette est le Pacte de stabilité qui limite les dépenses publiques en limitant le déficit budgétaire acceptable. Mais monétairement parlant, un quart de la dette est neutralisé !
« Pour le reste, on peut aussi dire que notre dépendance à la dette a diminué grâce à la baisse des taux, qui diminue le service de la dette dans le budget, et la baisse du taux d’endettement (dette/PIB) qui a un effet indirect sur la prime de risque et donc sur le service de la dette ». Si l’on adoptait un point de vue optimiste, on pourrait aussi dire que vu que notre surplus primaire (recettes moins dépenses de l’État hors charge d’intérêt) est jusqu’à présent positif, la Belgique n’est pas dépendante de l’endettement pour payer ses dépenses courantes. C’est toujours ça de pris…
« Ceci étant, on voit bien que les marges de manœuvre sont inexistantes. Manifestement, toute volonté d’investissement dans la mobilité, les infrastructures, les services publiques ou la transition écologique devrait se faire par l’endettement. Donc nous sommes tributaires de la confiance que les investisseurs auraient dans notre capacité à transformer ces investissements en éléments de croissance économique (pour stabiliser le ratio dette/PIB). Et là ce n’est pas gagné… Manifestement, nous ne sommes pas capables de faire des réformes visant l’amélioration de l’efficacité de la dépense publique, ce qui permettrait de consacrer des moyens à autre chose. Toute nouvelle politique passe presque obligatoirement par une augmentation de la dépense, et donc de l’endettement. Or, les choses peuvent vite changer sur les marchés financiers : les primes de risques peuvent augmenter, et le fait de devoir faire appel à l’endettement peut très vite devenir plus difficile », poursuit Philippe Ledent.
Sous contrôle, mais...
Notre dette publique est sous gestion, et sous contrôle, mais demeure trop élevée. Cela dit, cela ne gêne pour l’instant pas les investisseurs ni les agences de notation qui, toutes, jugent la qualité de notre dette « de bonne à très bonne » (double A).
« Il faut dire que la Belgique a besoin de 30 milliards d’euros par an et que notre pays a beaucoup de richesses, dont 300 milliards d’euros d’épargne, soit 60 % du PIB », relève Jean Deboutte, directeur de l'Agence fédérale de la dette.
Question qui pourrait prêter à sourire… Et pourtant. Aujourd’hui, certaines dettes sont assorties de taux négatifs.
« Cela signifie, concrètement, que l’émetteur de la dette devra rembourser moins qu’il n’a emprunté », explique Philippe Ledent, économiste chez ING.
A l’inverse, cela signifie que le prêteur accepte de prêter plus qu’il ne sera remboursé. Cela peut paraître insensé, mais cela peut arriver dans plusieurs cas : le prêteur s’attend à de la déflation, si bien que son rendement réel, tenant compte de l’évolution des prix, est positif. Ou bien, le prêteur le voit comme une assurance dont il accepte de payer la prime : si les alternatives présentent des risques trop importants, l’investisseur peut choisir de mettre son argent à l’abri en acceptant de payer pour cela. « Enfin, si les alternatives d’investissement présentent des taux encore plus bas, le prêteur peut accepter des taux négatifs », poursuit Philippe Ledent.
Voilà pour le côté « investisseurs ». Pour un État qui serait dans cette situation, c’est évidemment une bonne nouvelle puisqu’une dette émise avec un rendement négatif diminue la charge d'intérêts de la dette – entendez son coût. Or, cette charge d’intérêts entre dans le budget de l’État, au contraire du remboursement de la dette. « Si on part du principe qu’un État ne rembourse très rarement sa dette (la plupart du temps, il émet de la nouvelle dette pour rembourser celle qui vient à échéance), si toute la dette était à taux « 0 » ou négatif, la dette n’aurait plus d’impact budgétaire. Donc des taux bas, à « 0 % » voire négatifs, améliorent la situation budgétaire », explique l’économiste d’ING. Lequel met toutefois en garde : « les taux négatifs impliquent aussi un risque important, que l’État ne se rende plus compte de l’ampleur de sa dette. Puisque celle-ci n’a pas d’implication budgétaire, cela peut donner l’impression que l’on peut emprunter pour tout et n’importe quoi, sans impact budgétaire ».