Demain, ils dirigeront les plus beaux palaces

Ils travailleront dans la gastronomie, le luxe, l’événementiel ou même le secteur bancaire. Ils ont été formés à l’école de Glion, en Suisse. Le top. À 40 ou 50 000 euros l’année…

AFP

Ils sont stressés, c’est normal, c’est leur quatrième jour seulement”, sourit Chantal Wittmann, directrice du restaurant “Le Bellevue”, le restaurant gastronomique de l’école de Glion, au-dessus de Montreux, une des meilleures écoles hôtelières du monde. Ou, plus exactement, une école de management hôtelier. Ou même d’“hospitality”, pour l’accueil du client au sens large. Glion, Institute of Higher Education, alias le numéro 4 dans le top mondial dans son secteur et le numéro 2 en termes de réputation auprès des employeurs, d’après le QS World University Ranking 2019.

“Nos étudiants sont bankables, comme on dit à Hollywood.”
Eric Mabilon, coordinateur des programmes master.

Sa réputation prestigieuse a depuis longtemps franchi les frontières de la Suisse. Les 1500 et quelque étudiants actuels sont de 99 nationalités différentes. Une réputation prestigieuse qui a un prix : environ 150 000 euros pour le bachelor, soit 50 000 par an (logement et nourriture in situ compris) et de 40 à 50 000 euros pour les masters.

Un solide minerval que l’école défend avec un argument de poids : le jour de leur diplôme, 98 % des étudiants ont une ou plusieurs offres d’emploi. De la part des Marriott, Four Seasons, Mandarin Oriental et consorts, mais aussi des acteurs du secteur du luxe, de l’événementiel, de la banque (JPMorgan et autres). Ou même de la Poste suisse.

Chignon blond bien serré, lunettes, tailleur sombre, lèvres crispées, Angela pose un à un les verres à pied sur son plateau. Elle ramène ensuite celui-ci à la cuisine. Deux minutes plus tard, elle en ressort et, avec un autre étudiant, grand et fort gaillard corseté dans un costume anthracite, dépose les entrées devant une série de convives. Puis elle esquisse quelques pas pressés, elle court presque vers la cuisine, encore. Quand Chantal Wittmann lui demande si tout va bien, elle répond, des étoiles plein les yeux, un “Yes” enthousiaste. Ici, à Glion, tout se fait en anglais.
Angela est en salle pendant 15 jours, avant de suivre un autre cours. C’est une des 80 (dites “huitante”) étudiants de la rentrée de février. La grosse rentrée, c’est en septembre. Pour l’heure, il y a 300 étudiants sur le site de Glion, qui suivent le début de leur bachelor en management hôtelier (3 ans en tout). Les étudiants en masters sont regroupés à Glion ou sur les deux autres campus, à Bulle, non loin de là, ou à Londres.

En salle ou en cuisine avec des “pointures”

Au 'Bellevue', on a une brigade en salle et une en cuisine ; on fonctionne comme un vrai restaurant”, explique Dominique Tolousy, Gascon né dans les Pyrénées, chef pendant de longues années des “Jardins de l’Opéra” à Toulouse, deux étoiles au Michelin. Il a depuis un an la haute main sur les fourneaux avec son collègue David Alessandria, prix Prosper Montagné 2016, Champion du monde charcuterie-traiteur 2017.

Tous deux travaillaient déjà ensemble au restaurant de l’Ecole hôtelière de Lausanne, la concurrente toute proche. “En cuisine, nous avons d’autres cuisiniers, de vrais cuisiniers. Les élèves sont des apprentis comme on en a dans les restaurants normaux, une douzaine en cuisine, 12 à 14 en salle. Qui tournent, comme dans la réalité. L’idée n’est pas d’en faire des cuisiniers ou des spécialistes du service en salle mais de leur montrer ce que c’est. Si j’étais tout seul en cuisine rien qu’avec des étudiants, je ne suis pas sûr que la qualité serait à la hauteur”, dit-il. “Le Bellevue” doit en effet tenir son rang.

Rouvert il y a juste un an après une sérieuse rénovation, l’établissement à l’atmosphère Belle Époque où ont donc été engagées quelques “pointures”, vise désormais la gastronomie. Il a obtenu un 15/20 au Gault&Millau. Et ambitionne même de décrocher une première étoile, comme son voisin de Lausanne vient de le faire. “Mais nous sommes encore trop jeunes”, nuance le chef qui obtint le titre de Meilleur Ouvrier de France (MOF) cuisine en 1994. Et c’est précisément “l’objectif d’un MOF : transmettre ses connaissances. Quand on a décroché le titre, c’est le véritable travail qui commence : celui de former les jeunes, d’enseigner l’excellence”. Ce qu’il fait à Glion.

Cours d’étiquette ou de mixologie

Il est 12h30, la vue sur le lac Léman est majestueuse et la salle du “Bellevue”, le bien nommé, est pleine. D’étudiants d’abord : ils constituent les deux tiers de la clientèle, et des clients extérieurs : des gens de la région, de Lausanne ou de Genève même, mais aussi des touristes “qui viendront un peu plus tard dans la saison”. Chantal Wittmann a l’œil à tout.

Après 30 ans passés dans l’éducation nationale (dont 20 au Lycée des métiers Alexandre Dumas, “ma propre école”), cette Strasbourgeoise est “revenue un peu plus sur le terrain et en est très heureuse”. Elle glisse élégamment de table en table, indique d’un geste à un étudiant ce qu’il doit faire, encourage une autre, surveille, sert une assiette, fait une pointe d’humour avec un client. “Le métier de salle, c’est être là… et puis ne plus être là. On est en représentation, mais en représentation discrète, résume celle qui est aussi MOF maître d’hôtel, service et art de la table en 2011. J’adore le contact avec les clients, et avec ces jeunes originaires des 4 coins du monde qui, au bout de 15 jours, font tourner le restaurant.” Ou presque… “Le plus difficile, c’est de les laisser faire, indique pour sa part Fabien Mene, Lyonnais d’origine, 2e au concours de Meilleur sommelier de Suisse en 2018. Il faut donner les instructions et puis rester en retrait tout en étant présent. On voit parfois le client qui attend, la nourriture qui est servie et la bouteille qui n’est pas prête…”
Dans le fond du restaurant, huit étudiants ont pris place à une longue table en compagnie de leur professeur d’étiquette, Johanne Saget. “Ce matin, je les ai fait notamment monter et descendre les escaliers car ils seront amenés à le faire avec des clients ; doivent-ils précéder ceux-ci ou les suivre ? Il s’agit aussi d’apprendre à se déplacer, à faire son chignon. Nous terminons la matinée à table car le comportement y est très important.” Et l’usage du GSM y est proscrit : “Le téléphone est intrusif. La priorité doit aller à la communication à table”, indique la jeune enseignante au chignon… impeccable.

Un peu plus tôt, dans la salle du bar voisin, avait lieu le cours de mixologie. Une dizaine d’étudiants, debout derrière leur petite table supportant matériel et ingrédients, devaient confectionner un cocktail, tandis que d’autres pilaient de la glace au comptoir, mélangeaient couleurs et saveurs sous la direction d’un mentor.

Les cours axés sur la pratique se succèdent à Glion. Cuisine et salle, certes, mais aussi pâtisserie, accueil à la réception, blanchisserie et ménage des chambres. Mais la formation ne s’arrête pas à la pratique. Elle s’étend, au fil des années, à la gestion, à la stratégie, au management hôtelier, événementiel et en luxe. “A Glion, j’ai vraiment vu que je passais dans la cour des grands, conclut un étudiant belge qui, après sa formation à l’Ecole hôtelière de Namur, termine son master en management hôtelier international par un stage de six mois dans un groupe hôtelier belge. J’ai eu l’occasion d’y rencontrer et de côtoyer les stars de l’hôtellerie, ce qui se fait de mieux dans le domaine.

La grande famille des Glionais

Témoignages de Julie, Pauline, Joy, Valentine et Matthieu : des étudiants qui ne viennent pas à Glion par hasard.

De gauche à droite, Joy, Pauline, Matthieu et Julie, des profils et aspirations divers mais une motivation identique.

De gauche à droite, Joy, Pauline, Matthieu et Julie, des profils et aspirations divers mais une motivation identique.

Valentine

Valentine

"J’ai toujours eu la Suisse en tête, sans plan B”, s’exclame Valentine. Elle a 19 ans et est originaire de Braine-le-Comte. C’est l’une des 25 Belges qui étudient actuellement sur l’un des 3 campus de l’école. Après 6 mois passés en Angleterre pour perfectionner son anglais, Valentine vient d’arriver et sert pour l’heure au “Fresh”, un des 4 points de restauration du site de Glion.

Un restaurant… fraîchement rénové (anciennement baptisé “L’Hôtel des Alpes”…) et désormais orienté “santé”, proposant des préparations sans gluten ni lactose, des produits de préférence bio et issus de circuits courts. “J’ai préféré Glion où il y a beaucoup de cours pratiques aussi, à l’Ecole de Lausanne, plus grande (elle compte deux fois plus d’étudiants, NdlR) : j’avais l’impression que c’était une industrie. Ici, on est un petit groupe et on se connaît très vite les uns les autres.” “Mon idée de base est de gérer plus tard un hôtel mais j’attends les cours pour me faire une idée plus précise”, ajoute-t-elle.

Pauline (2e en partant de la gauche)

Pauline (2e en partant de la gauche)

Pauline, 23 ans, est en master. Française née à Etterbeek (Bruxelles), elle a l’habitude de la diversité après ses humanités dans une école européenne. Et pourtant, “dans les travaux de groupe, au début, c’est très challenging de se retrouver avec des gens de différents pays. Chacun réagit de façon différente. Il faut un peu mordre sur sa chique. Et puis, il y a des étudiants qui ont déjà un morceau de vie professionnelle derrière eux et on le ressent”.

Joy

Joy

Ainsi, Joy, 29 ans, avec son parcours de danseuse et ses quelques années dans l’événementiel. C’est en discutant avec le directeur de l’hôtel où elle séjournait lors de ses vacances au Vietnam, un ancien de Glion, qu’elle a connu l’école. “Elle est tellement renommée ; c’est l’école que les recruteurs préfèrent. On peut partir partout ailleurs ensuite !, s’exclame-t-elle. Je retournerai dans l’événementiel que j’aime beaucoup tout en restant ouverte pour la suite.”

Julie

Julie


“Le niveau du master est assez élevé, enchaîne Julie, Parisienne de 22 ans, licences en droit et économie en poche et “ravie de sortir de chez elle”. “Il faut rendre beaucoup de travaux. Sans compter la compréhension en anglais : chacun a son propre bagage et rencontre ses propres difficultés.” Son avenir, elle le voit d’abord en vente et marketing ou en ressources humaines dans l’hôtellerie avec un but ultime : ouvrir son propre hôtel. “Un jour, je me dirai : je m’installe là et je fais les choses à ma manière.”

“Le prix, c’est un vrai sujet. Je l’ai pris comme un investissement"

Matthieu

Matthieu

Enfin, Matthieu, du haut de ses 17 ans, a pris le temps d’analyser les différentes possibilités, d’aller aux “portes ouvertes” de plusieurs écoles, de rencontrer des élèves et des professeurs avant de se décider. Malgré le prix élevé du cursus ? “Le prix, c’est un vrai sujet. Je l’ai pris comme un investissement. J’étais sûr de vouloir faire cette école. J’ai contracté un prêt étudiant, mes parents contribuent en partie et je rembourserai dès que je travaillerai. Puisqu’on nous propose de bons postes à la sortie… C’est sûr que ce n’est pas comme faire un an en école de gestion à Paris. Il y a un chèque dans la balance !”

Quelques jours après son arrivée, le jeune Français s’avoue “déjà dans l’ambiance. Nous formons de petites classes très proches des profs. Nous formons une sorte de famille.” Celui qui se réjouit de travailler dès sa première semaine sur un projet de groupe concret, se verrait bien, à l’issue de sa formation,“travailler dans la relation client dans des entreprises de luxe”. Et Julie de conclure : “On attend autant de Glion que de nos camarades de classe !”.

Les codes de Glion

Le dress code. Sur le campus, pendant la journée, les étudiants portent costume et cravate, les étudiantes, tailleur pantalon ou jupe “qui arrive aux genoux, précise Alexia Lepage, responsable de la communication. Nous respectons les règles de l’hôtellerie. En matière de couleurs, il s’agit d’opter pour les couleurs sombres, : bleu marine, noir, gris. Après 18 heures et le week-end, les étudiants peuvent s’habiller comme ils le désirent.

La barbe ? On casse les codes dans les palaces à l’heure actuelle, nuance Alexia Lepage. La barbe était interdite jusqu’il y a quelques années. Plus maintenant.

Et les tatouages ? Ils ne doivent pas être visibles.
La langue véhiculaire. Tout, cours en tête, se fait en anglais. À part éventuellement le “oui chef !” de la cuisine… avec l’accent.

L’alcool ? “Pas d’alcool dans les chambres, dit la responsable. On boit au restaurant et on paye ses boissons.” C’est la règle...

Et aussi… Il faut évidemment respecter les horaires (a fortiori quand on est en Suisse…). Faire son lit aussi (c’est vérifié) et pas question de déloger en semaine.

Photos: Glion & Anne Masset.

Édition: A. Marsac