Défi climatique : les pistes pour s’en sortir

La crise du coronavirus l’a démontré : si la planète est fragile, la planète économie l’est tout autant. L’onde de choc de la paralysie pendant plusieurs mois d’une grande partie de l’économie mondiale est énorme. L’espoir d’une reprise en V a désormais vécu. En Belgique comme ailleurs dans le monde, plusieurs années de croissance sont irrémédiablement perdues. Et faillites, pertes d’emplois, explosion des déficits ou de l’endettement rythmeront encore longtemps notre quotidien.

Une crise inédite

Pourtant, dans ce climat pesant et stressant, de nouvelles perspectives se dessinent. Des réflexions s’ébauchent. De nouveaux comportements se font jour. Faut-il, comme le font certains, rêver du “monde d’après”, celui d’un après-Covid 19, où l’économie mondiale deviendrait plus durable, plus vertueuse, moins inégalitaire et, en fin de compte, simplement plus “humaine” ? Ou s’agit-il d’une simple vue de l’esprit  ?L’avenir le dira. Mais cette crise, totalement inédite par sa nature, doit en tout cas nous inciter à une remise en question collective. Car d’autres suivront. Inévitablement.

La destruction des habitats naturels, l’épuisement des ressources, le rapprochement de l’Homme et des espaces sauvages, le réchauffement climatique et la déforestation massive augmenteront encore demain les risques de nouvelles pandémies, potentiellement plus mortelles encore que celle que nous vivons depuis quelques mois. Crise sanitaire et crise environnementale constituent finalement les deux faces d’une même pièce. Les périls sont nombreux et interdépendants. Ignorer cette évidence reviendrait à se résoudre à subir demain de nouveaux désastres humains et à hypothéquer l’avenir de la planète et de la biodiversité.

Ouvrir le débat

Cette année, l’Economic Prospective Club qui regroupe, le temps d’un week-end sous la houlette de la journaliste financière Isabelle de Laminne, six économistes de renom, s’est penché sur le thème “Pour une contribution active de l’économie aux défis climatiques et environnementaux”. Un sujet prospectif, on l’aura compris, d’une brûlante actualité. Au-delà de leurs différences, ces économistes ont balisé des pistes de changements touchant nos modes de consommation et de production mais aussi la mobilité, la fiscalité, l’environnement ou encore le système financier. Des propositions très concrètes en découlent. À débattre dans le monde politique, mais aussi au sein des entreprises et dans la société au sens large.

Vers une prise de conscience économique

Aujourd’hui, plus personne n’ignore l’urgence climatique et environnementale à laquelle nous sommes confrontés. Si l’on veut limiter la hausse des températures à 1,5° C, il faudrait être neutres en carbone à l’horizon 2050. C’est-à-dire demain ! On remarque par ailleurs que, jusqu’à présent, les économistes sont restés assez silencieux sur ce sujet. L’économie peut cependant jouer un rôle fondamental dans l’orientation du cadre stratégique ainsi que dans les politiques fiscales qui influenceront les décisions en matière climatique et environnementale dans les années à venir.

L’urgence climatique et environnementale

L’enjeu majeur est donc de mobiliser tous les acteurs économiques pour atteindre les objectifs fixés en termes de réduction des gaz à effet de serre (GES). Les six économistes de l’Economic Prospective Club (EPC) ont voulu apporter leur contribution dans ce débat qui unit l’économie aux enjeux environnementaux et climatiques. Si l’on se réfère à la récente crise du coronavirus, des mesures de confinement et d’arrêt quasi total de l’économie ont été imposées sur une période limitée pour un risque qui est essentiellement à court terme. Ces exigences rapides et drastiques ont été globalement bien acceptées par l’ensemble de la population. Cette situation nous a démontré que, dans l’urgence, les autorités et la population étaient capables de réagir de façon adéquate. Or, aujourd’hui, il y a une autre urgence. C’est l’urgence climatique et environnementale même si la majorité de ses conséquences ne se fera sentir qu’à plus long terme.

Les effets du changement climatique sur la santé et la mortalité pourraient être bien plus dramatiques que ceux de la pandémie du Covid-19. L’Organisation mondiale de la santé estime qu’entre 2030 et 2050, le réchauffement climatique entraînera 250 000 décès supplémentaires par an causés par le stress thermique, la malnutrition, le paludisme et la diarrhée. Dès lors, aurons-nous la capacité d’enclencher des mesures pour atteindre les objectifs en matière climatique et environnementale ? Faut-il limiter la croissance ? Quel rôle jouent les prix relatifs ? Qu’en est-il de la dimension internationale ? Faut-il changer nos modes de consommation, d’habitation et de transport  ?

La présente réflexion se base sur le principe “d’abord ne pas nuire”. Cela suppose de démanteler toutes les mesures nuisibles existantes telles que celles qui favorisent les énergies fossiles, par exemple.

Un second principe est ensuite basé selon la théorie du “pollueur-payeur”. Les économistes se sont attachés à proposer une série de mesures à la fois transversales et aussi plus ciblées.

Le document complet issu de cette réflexion reprenant l’ensemble des recommandations des économistes en appelle à la conscience collective. Il porte cette expertise dans le débat public car la question climatique concerne tout le monde et est urgente.

Taxe carbone : inévitable mais équitable

Réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) nécessitera de passer par des mesures sur les prix et donc par la taxation. Il y a des mesures qui touchent des pans particuliers de l’économie et d’autres qui sont plus transversales.

Parmi les solutions transversales, la taxe carbone semble inéluctable pour atteindre les objectifs en matière de réduction des gaz à effet de serre. Qu’entend-on par taxe carbone ? Il s’agit de taxer tous les biens et services sur base de la quantité de leur émission de CO2. On peut dès lors dire que le carbone a un prix.

Cette notion de taxe carbone n’est pas neuve mais la proposition qui est faite par les économistes de l’Economic Prospective Club (EPC) consiste à la rendre acceptable et surtout redistributive.

Pourquoi est-elle essentielle  ? Son but est de modifier les comportements ayant un impact négatif sur l’environnement grâce à un effet sur les prix. Cette taxe doit être suffisamment élevée pour changer les comportements de manière structurelle et durable. Cependant, elle ne peut pas avoir de conséquence néfaste sur l’équité sociale. Comment la rendre équitable ? Cette taxe doit être prélevée selon un même système et appliquée à tous les acteurs économiques : entreprises, ménages, compagnies d’aviation, écoles…

Cet impôt ne doit cependant pas être imposé de façon forfaitaire, unique et figée. Cette taxe doit pouvoir évoluer dans le temps et être implémentée de façon progressive. Il est alors impératif d’en annoncer la trajectoire. Si l’on définit son prix aujourd’hui, il faut également renseigner son niveau de demain. Annoncer cette trajectoire permet aux agents économiques de se préparer et d’aménager progressivement leurs comportements, leurs achats présents et futurs dans le temps. Ils peuvent alors prendre leurs décisions d’investissement, qui portent sur des horizons de plusieurs années, en connaissance de cause.

Distribution d’un dividende écologique universel

Mais ensuite, que faire avec le produit de cette taxe ? Pour les économistes en présence, cet impôt a pour but prioritaire de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il n’a pas vocation à financer le budget de l’État. Cette taxe doit également viser à ne pas accroître ou créer davantage d’inégalités sociales. Il est donc important de montrer par une indication claire à quoi cette taxe va servir. C’est pourquoi sa destination doit être bien définie et ciblée. Les économistes présents proposent que les revenus de cette taxe soient intégralement et exclusivement destinés à la distribution (au paiement) d’un dividende écologique universel (ou chèque planète) à chaque citoyen (enfants compris).

Les deux buts de cette taxe seraient alors atteints : réduire l’empreinte carbone par un effet prix et avoir un effet social. Cette proposition peut paraître inattendue mais elle est incontournable à la fois pour l’environnement et pour l’équité sociale !

Mobilité : davantage d’infrastructures et d’incitants

On ne peut aborder les questions environnementales et climatiques sans évoquer la mobilité qui est une source importante d’émission de gaz à effet de serre (GES). Les Belges sont les champions des navettes juste après l’Australie, mais avant les États-Unis. Le Belge utilise beaucoup sa voiture. En 2013, la distance moyenne annuelle parcourue en voiture par le Belge était de 9 862 km, contre 8 665 km pour le Hollandais. Il importe de sensibiliser la population aux coûts réels de l’utilisation de la voiture. La récente crise du coronavirus nous a montré que la population est susceptible de modifier ses comportements en ce compris dans la mobilité. Le nombre de cyclistes a fortement augmenté. Ici, la question des infrastructures montre toute sa pertinence car l’offre crée la demande.

"Les Belges sont les champions des navettes juste après l’Australie mais avant les États-Unis."

Taxation au kilomètre, transports gratuits

Les économistes en présence prônent d’aménager et d’adapter ces infrastructures. Si l’on construit une route, il y aura de plus en plus de voitures. Si le nombre de pistes cyclables bien aménagées augmente, cela incitera à se déplacer davantage à vélo. Le but est bien de diminuer les émissions de GES et de dissuader les gens d’utiliser la voiture, et ce, surtout dans les villes où la multimodalité des transports est plus large.

On a aussi souvent évoqué la taxation au kilomètre. Il s’agit ici de jouer sur l’effet prix pour dissuader les gens d’utiliser leur voiture et de les inciter à privilégier les transports alternatifs (vélos ou transports en commun…). Cette taxation au kilomètre devrait cependant se baser sur une tarification intelligente et être combinée avec les zones de basse émission.

La gratuité des transports en commun est également évoquée. Avant d’être envisagée, cette gratuité doit encore faire l’objet d’une analyse plus approfondie en matière de coûts, de changements de comportements et d’incidence sur les émissions de GES.

Subsidier un quelconque mode de transport (en ce compris les transports en commun) ne semble pas une solution à privilégier d’office. En revanche, la crise du coronavirus a montré l’intérêt de favoriser le télétravail ou le coworking de proximité pour réduire l’utilisation de la voiture.

On peut aussi encourager le fait d’habiter plus près de son lieu de travail. Cela induit non seulement un coût moindre dans les déplacements mais également un gain de temps. Dans ce cadre, un aménagement et une portabilité des droits d’enregistrement devraient être mis en place. Cette portabilité, qui existe en Flandre, devrait être aussi mise en œuvre en Wallonie et à Bruxelles et, idéalement, avec réciprocité entre Régions.

En ce qui concerne le secteur de l’aviation, il est au minimum nécessaire d’appliquer la même taxation sur les carburants que celle appliquée aux autres formes de transports. Des mesures sont également proposées dans le domaine de l’immobilier. Les économistes préconisent que les normes environnementales soient renforcées. La mise en conformité des bâtiments sur base des normes PEB doit être encouragée voire exigée. Des mesures concernant l’occupation des sols et l’aménagement des bâtiments publics et parapublics sont également proposées afin de réduire l’émission des GES.

Ne plus jeter mais recycler

Nos modes de production et de consommation peuvent être particulièrement énergivores tant dans la production que dans le traitement des déchets. La Belgique est un très mauvais élève en matière de recyclage des déchets alimentaires, par exemple. Une solution pour améliorer l’état de l’environnement passe par le développement de l’économie circulaire.

L’économie circulaire est un modèle qui vise à ce que les produits ou les matières puissent conserver une valeur le plus longtemps possible. Cela consiste, d’une part, à fabriquer les produits avec des ressources qui sont réduites au minimum et, d’autre part, à récupérer, récolter les déchets (ou les composants des produits qui sont en fin de vie) pour les maintenir dans le cycle économique en les réutilisant dans le but de recréer de la valeur. On passe ainsi d’un modèle “jetable” à un modèle “durable” tant sur le plan économique qu’environnemental. Les entreprises peuvent également y trouver un avantage dans la mesure où elles ont aussi intérêt à utiliser au mieux les ressources.

Moins d’1 % des vêtements recyclés dans le monde

La Commission européenne a décidé de prendre des mesures en faveur de l’économie circulaire. Ce modèle économique peut être source à la fois de croissance, d’économies et d’emplois. Pour améliorer ce recyclage, il est alors possible d’instaurer des normes. On peut également privilégier certains principes comme, par exemple, un droit à la réparation pour mettre fin au “tout jetable”. Il faut, en outre, veiller à produire moins d’emballages, de plastique et de déchets exportés.

L’économie circulaire, c’est aussi favoriser le recyclage des vêtements quand on sait que moins d’1 % des vêtements sont recyclés dans le monde. La Commission veut également encourager l’accès à des services de réparation de vêtements abîmés.

"Ce modèle économique peut être source à la fois de croissance, d’économies et d’emplois."

L’économie circulaire peut également s’inviter dans la construction des bâtiments en y incorporant des matériaux recyclés. Cependant, il faut être conscients que certains contenants “écologiques”, ne sont pas recyclables à l’infini. Parfois, le recyclage est aussi plus onéreux que la matière première. Les économistes font aussi référence à un rapport publié par la fondation Ellen Mac Arthur.

Ce rapport se présente comme une boîte à outils pour les décideurs politiques. Il s’agit d’évaluer la situation de départ d’un pays en matière d’économie circulaire et de définir son niveau d’ambition tout en sélectionnant des domaines d’action. Ensuite, on peut examiner, secteur par secteur, les possibilités d’économie circulaire en évaluant aussi les implications pour l’ensemble de l’économie.

Selon les économistes en présence, l’économie circulaire est un moteur non négligeable à développer à la fois en matière environnementale mais aussi de création d’emplois.

Mieux manger pour moins polluer

Dis-moi ce que tu manges et je te dirai comment tu pollues ! Nos choix alimentaires ont un impact carbone significatif. La production mondiale de nourriture est responsable à elle seule d’un quart des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Il existe des différences significatives entre les différents types d’aliments que nous consommons. On remarque ainsi que la production de viande de bœuf est une source importante d’émission de gaz à effet de serre.

Contenu plutôt que distance

Mais qu’en est-il du transport  ? Vaut-il mieux consommer local pour moins polluer  ? Le transport des marchandises a souvent été décrié dans l’alimentation. Pourtant, ces transports contribuent peu aux émissions de GES. Ce n’est donc pas tant la distance parcourue par les aliments que le contenu de l’assiette qui compte.

Sur base de ce constat, les économistes en présence apportent plusieurs recommandations afin de diminuer l’impact environnemental de l’agriculture et de l’alimentation. En marge de la taxe carbone proposée, qui va déjà faire grimper le prix de la viande de bœuf et d’agneau, il faudra également instaurer certaines contraintes normatives aux producteurs et développer l’information aux consommateurs.

"Ce n’est donc pas tant la distance parcourue par les aliments que le contenu de l’assiette qui compte."

Le grand principe à suivre dans toute politique agricole doit être “ne pas nuire”. Il faut donc arrêter d’utiliser les fonds publics pour octroyer des aides qui favorisent les mauvaises pratiques. De façon concrète, il conviendrait donc d’utiliser les fonds publics pour aider les agriculteurs à améliorer leurs pratiques.

Dans ce cadre, une aide à la transition doit être instaurée pour les agriculteurs. Cet accompagnement doit se faire par un arrêt urgent des subventions sur le gasoil ou les pesticides, par exemple. En même temps, les agriculteurs doivent pouvoir bénéficier d’une aide pour l’acquisition de nouveaux équipements adaptés à des pratiques moins polluantes.

Quand finance rime avec environnement

Le secteur financier a déjà fait preuve de certaines avancées dans la prise en compte des questions climatiques et environnementales. Le risque climatique est bel et bien un risque majeur pour ce secteur de l’économie.

Aujourd’hui, les banques centrales proposent même d’intégrer, sur base volontaire, les risques climatiques dans les stress tests des banques. Les économistes de l’EPC proposent que cette intégration devienne obligatoire.

Crédits plus “verts”

En ce qui concerne les crédits, l’ensemble des banques de l’Union européenne devrait intégrer dans les procédures d’analyse et d’octroi de crédits une dimension de risque climatique et environnemental. Les entreprises seront alors contraintes de fournir des données relatives à ces risques.

Cela pourra générer des informations qui permettront d’orienter les capitaux vers les activités les plus durables. Toujours concernant les risques, les banques centrales pourraient augmenter les exigences de fonds propres pour les crédits octroyés à des entreprises ou à des projets présentant un bilan environnemental négatif. D’un autre côté, ces exigences seraient allégées pour les crédits “verts” ou durables.

Partant du secteur financier, on peut alors améliorer les façons de travailler d’un grand nombre d’entreprises et d’industries. Quant aux grands fonds institutionnels (comme les fonds de pension), ils ont également un rôle à jouer dans la prise en compte des critères environnementaux dans leurs investissements. Ils doivent aussi se poser la question de la pertinence de leurs investissements dans des secteurs à fort impact négatif sur le climat.

La Commission européenne a déjà fait preuve d’avancées dans ce domaine avec l’instauration d’une taxonomie pour les investissements durables. Le secteur de la finance peut représenter un soutien important pour faciliter et encourager la transition vers une économie décarbonée.

Lire les pistes et éclairages économiques : Pour une contribution active de l’économie aux défis climatiques et environnementaux