Debussy,
même pas mort !

Le musicien français Claude Debussy disparaissait
il y a 100 ans, en 1918.
La Libre Explore décide, cette fois-ci, de faire du bruit, ou plutôt de la musique. Et interroge les contours d’une personnalité artistique qui marque toujours notre musique actuelle...
Avant de vous emmener à Paris, mi-novembre, écouter Debussy et traverser sa vie.

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Enquête sur Claude Debussy, musicien

En six points

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1.Où a-t-il grandi ?

Saint-Germain-en-Laye, rue au Pain, maison natale Claude-Debussy. © Cl. J. Paray

Saint-Germain-en-Laye, rue au Pain, maison natale Claude-Debussy. © Cl. J. Paray

Né le 22 août 1862, le petit Claude a grandi à Saint-Germain, à côté de Paris, dans la rue au Pain, au coeur de cette coquette cité, au tracé encore médiéval.

Manuel-Achille, son père, et Victorine sa mère y tiennent une boutique de porcelaine, mais les affaires ne marchent pas très bien. Une sombre histoire fait passer son père derrière les barreaux en tant que sympathisant de la Commune, obligeant Victorine à se charger seule de l’éducation des enfants Debussy.

Moralité : comme maman n’est pas continuellement derrière Claude, son éducation sera plus libre. Avec sa marraine Clémentine, il découvre la mer, à Cannes, et prend des leçons de piano. Deux éléments, on le comprend, qui vont constituer l’homme de musique que l’on connaît...
Lors du voyage Explore, on marchera dans les pas de Debussy dans sa ville de naissance...

2.Debussy, le musicien
qui désobéit

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...C’est ce que l’on pourrait retenir de son parcours d’apprenti musicien.

Il entre à dix ans au conservatoire, mais n’est pas prodige, nous révèle Martine D.Mergeay. Il passe son temps à s’énerver après tous les enseignements.


Il trouvait que toutes les règles d’harmonie aboutissaient à la même chose, il s’est constamment fait remonter les bretelles. Il faisait des fautes d’harmonie qui sont devenues sa marque de fabrique”.
Martine D.Mergeay, critique musicale à "La Libre Belgique"

Peut-on vraiment parler de fautes d’harmonie ?… Il a cherché à faire sonner les notes entre elles. On pourrait sans doute qualifier sa technique d’audacieuse. “Exploratoire”, ajoute notre experte. “Sorti d’un certain académisme, il s’est inspiré de la musique extra-occidentale, de la gamme chinoise, pentatonique […] Il a été grand admirateur de Wagner un bref instant, car ce qu’il aimait chez Wagner, c’est son indépendance par rapport aux règles harmoniquesMême si Wagner a poussé le système jusqu’aux derniers retranchements et a fait déboucher la musique occidentale sur l’atonalité…”.

Debussy, quant à lui, a pris une autre voie, sur l’écoute des timbres et des notes entre elles (cf. aussi notre discussion avec une musicienne). Il a su créer cet univers si particulier dans lequel il sait tout suggérer : La Mer, le chant des mouettes, le bateau qui entre au port…

Son oeuvre, qui fait écho à la nature, a inspiré bien des artistes contemporains, dont Rolf Julius, actuellement exposé à la maison natale Debussy. Son travail plastique évoque, lui également, l'eau en mouvement...

Vue depuis la fenêtre du Grand Hôtel d'Eastbourne où Claude Debussy composa "La Mer".© Reporters

Vue depuis la fenêtre du Grand Hôtel d'Eastbourne où Claude Debussy composa "La Mer".© Reporters

3. Debussy, spécialiste de Tchaïkovski

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A partir des années 1880, il a travaillé pour une riche protectrice, Nadejda von Meck – qui fut surtout la mécène (et maîtresse malheureuse) de Tchaïkovski. Elle avait besoin d’un musicien pour déchiffrer les partitions de Tchaïkovski.

Claude Debussy en retira deux bénéfices : il se familiarisa à l’écriture classique de la musique, car le modèle de Tchaïkovski en matière musicale, c’était Mozart ! Par ailleurs, il fit, grâce à elle, son entrée dans le grand monde, ce qui lui permit de se faire connaître, parce que ce n’était pas évident pour lui, la notoriété.

Martine D.Mergeay utilise une jolie expression pour le qualifier :

Debussy, c’est un peu un Julien Sorel, talentueux mais timide”.

4.Debussy, celui qui peignait la musique

© Cl. L. Sully-Jaulmes

© Cl. L. Sully-Jaulmes

A l’époque où ses camarades compositeurs font tous des sonates, Debussy produit des œuvres aux titres les plus poétiques les uns que les autres : La cathédrale engloutiePoisson d’orPrélude à l’après-midi d’un fauneLa chute de la maison UsherLe Promenoir des deux amants… 
Autant d’œuvres qu’on écoutera volontiers dans les travées du musée Debussy, à travers l'actuelle exposition : Sous l'ombre des vagues, la vie de Debussy.

Ces pièces, très imagées, sont parfois directement inspirées d’une œuvre picturale. Son Poisson d’or, qui fait partie de la série dite des Images composée en 1907, est la mise en musique d’une laque japonaise, qu’il eut longtemps accrochée au-dessus de sa table de travail, et que l’on voit dans son bureau restitué, au musée de Saint-Germain.

En ce début du XXe siècle, en pleine vague d’orientalisme, c’est la peintre et sculptrice Camille Claudel qui lui a fait découvrir les estampes d’Hokusaï. Ce qui explique qu’on lise, dans l’œuvre du musicien, des influences extrême-orientales  ; ...

... Mais aussi un rapport précieux à la Nature qui jaillit de ces partitions comme avec Cloches à travers les feuillesReflets dans l’eau, ou La Mer, écrite en 1907 et depuis écoutée des millions de fois sur YouTube…

5. Debussy, le genre 'électron libre'

Debussy barbu, à côté de Ravel. © Reporters

Debussy barbu, à côté de Ravel. © Reporters

Debussy a fait bouger les lignes de la musique mais il n’a pas fait école. “Il a représenté un énorme pas dans la musique mais pas celui qu’on attribue classiquement au XXe siècle. Rien à voir avec le sérialisme ou l’atonalité”, éclaire Martine D.Mergeay.

A l’époque où Debussy a voix au chapitre, dans la société de son temps, on est en plein dans l’opéra français (Massenet, Gounod) qui ne fait pas dans la dentelle. Ce sont aussi les concertos de Saint-Saëns, qui annoncent déjà Gabriel Fauré… “Dans ce décor, survient Wagner, qui devient l’affaire Dreyfus de toute l’Europe, les pour et les contre : Debussy est un admirateur, puis contre”.

Ce qu’il propose en son temps, si cela a pu être comparé à Ravel (caricaturé plus haut avec Debussy) est cependant une œuvre étonnante. On pense notamment à son unique opéra, Pelléas et Mélisande, joué en 1902, d'après une pièce de théâtre de Maurice Maeterlinck, et qui brille par sa singularité.

Voici ce qu'en dit le critique musical de l'époque : “L'oeuvre éveille dans l’âme, ce frémissement, constatation de beauté, que connaissent bien ceux dont l’enthousiasme artistique n’est point atrophié, et aussi le désir de réentendre, sûr garant de la valeur d’une œuvre.

On pense également à la pièce qui l’a révélé au grand public : Prélude à l’après-midi d’un faune. “Cela raconte, avec une flûte et un tapis de cordes, toute la sensualité d’un faune, dans un univers érotisé, fait de sensations délicieuses”, décrit joliment notre experte, Martine D.Mergeay

....Ce qu'on vous propose de faire comme expérience ci-dessous.

La légende raconte que le public, à l’écoute du Prélude, fut stu-pé-fait.

Depuis sa musique est citée de manière universelle, comme dans Ocean's Eleven, par exemple. Les notes de son Clair de Lune accompagnent Julia Roberts...

6. Debussy, cet homme qu'on pourrait croiser dans Paris

Debussy avait une grande fibre littéraire et était tout autant un écrivain qu’un compositeur. “Dans sa bibliothèque personnelle, il y a autant de livres que de partitions”, nous livre Rémi Copin, de la maison natale Debussy. On sait aussi qu’il exerça la critique musicale au ton acéré sous un nom de plume amusant et plein de symbole, Mr Croche.

On le voit, Debussy c’est un personnage inscrit dans son temps. Il aurait presque pu rencontrer le Bel Ami de Maupassant dans le Paris bourgeois de cette fin du XIXe siècle, fait de représentations sociales et de créations artistiques. D’ailleurs, on sait que Bel ami assiste, dans le roman de Maupassant à un spectacle au petit théâtre des Champs-Élysées.

Y at-il vu alors ce Prélude à l’après-midi d’un faune, d’un certain Debussy ?..

Lors du voyage Explore, on traversera Paris au pas d’un Rallye littéraire, en compagnie d’Anne Dumonceau. Objectif : mettre en lumière le Paris artistique de la fin XIXe et rapprocher le Debussy réel d’un personnage de fiction, Bel Ami, de Maupassant.

Une musicienne nous parle
de Debussy

Rencontre avec Alexandra Morand, harpiste

© D. R.

© D. R.

Alexandra Morand, harpiste est l'invitée de La Libre Explore à Paris, le 16 novembre.
La musicienne concoctera un récital Debussy et prendra le temps d’une leçon de musique, en amont et en aval de son récital. Elle nous éclaire sur la musique "debussyienne".

I. Qu’est-ce que la musique de Debussy représente pour vous, et peut-être plus largement, pour les musiciens actuels ?

Beaucoup de musiciens peuvent se reconnaître dans sa musique, car elle est très riche. Elle représente, pour moi, plus intimement, ce que j’aime depuis toute jeune. Il y a quelque chose d’accessible dans ce que j’ai entendu, des mélodies simples.

"Claude Debussy a proposé quelque chose de très moderne pour son époque, quelque chose qui a à voir avec la simplicité et l’évidence…"
Alexandra Morand, harpiste


Debussy a beaucoup influencé le cours de la musique, notamment de nombreux musiciens classiques, mais aussi des mouvances contemporaines. Il a ouvert une porte vers la musique dite 'modale’. Comprenez ici qu’il est sorti des carcans de la musique tonale et des règles harmoniques. Concrètement, on peut dire qu’il a ouvert la musique à autre chose, à des influences asiatiques par exemple. Cela a ouvert à d’autres possibilités. Nous qui sommes désormais baignés de musique populaires, on peut aussi l’y reconnaître dedans. Son influence est présente aujourd’hui dans tout type de musique.

II. Musique tonale versus modale. Expliquez, aux non-initiés, ce que cela crée comme sensation à l’écoute...

La musique tonale est très hiérarchisée : Debussy l’utilise, mais, attention, mais il s’amuse à en sortir. Ce qu’il veut, c’est sortir des hiérarchies. Il utilise des modes asiatiques, des gammes pentatoniques, bref, d’autres types d’échelles musicales : donc il n’y a pas plus de hiérarchie !
Ce que cela crée comme sensation ? Avec Debussy, on profite de chaque accord, de chaque moment ; tous les accords ont autant d’importance. On est soit tout le temps dans la tension, soit tout le temps dans l’écoute, dans la contemplation. Dans le plaisir en fait.

"Pour lui, le plaisir était la loi, et non pas les règles".
Alexandra Morand, harpiste

Il a superposé plusieurs strates, plusieurs voies, et par extension, nous, musiciens, créons notre interprétation de son oeuvre avec plus de liberté.

III. Est ce-compliqué de jouer Debussy, Madame la harpiste?

Aïe, difficile question. Il y a cette simplicité, et en même temps, avec Debussy, on est beaucoup dans le détail. On est dans la délicatesse. Il faut être dans la concentration et dans une grande maîtrise de son jeu. Il faut être en fait dans l’ouverture de tout ce qu’il propose car c'est une musique très écrite.

"Disons que jouer du Debussy donne du plaisir. D’autant que sa musique est très mouvante, au niveau des tempo, ce qui laisse de la liberté à l’interprète".
Alexandra Morand, harpiste

IV. C’est rare, dans la musique classique, cette liberté d’interprétation?

Je pense qu’on a toujours une marge de manoeuvre, dans la musique classique. Alors, bien sûr, chez Mozart et Haydn les choses sont plus réglementées. Mais, avec la musique romantique, l’interprète peut commencer à avoir plus de liberté. Quoi qu’il en soit Debussy et la harpe s’accommodent très bien l’un de l’autre !

Je dirais, qu’en tant que harpiste, j’ai l’impression que Claude Debussy cherche à valoriser cet instrument qui apporte beaucoup de couleurs, notamment à sa musique orchestrale.

Sur le terrain de Debussy

Reportage à Saint Germain-en-Laye

dans l'intimité des objets de Claude D.

© Saint-Germain-en-Laye, maison natale Claude-Debussy. Cl. J. Paray

© Saint-Germain-en-Laye, maison natale Claude-Debussy. Cl. J. Paray

A l’agenda de La Libre Explore

Dans la foulée de ce dossier, La Libre Explore vous propose de vous balader au coeur de Paris dans les pas de Claude Debussy, les 14, 15 et 16 novembre prochains.

Quel est le programme ?

Un concert de Debussy par la pianiste Patrick Dheur ;
Un Rallye littéraire® dans Paris qui évoque les rapports entre Debussy et la littérature ;
Une visite privée de la maison natale de Debussy à Saint-Germain-en-Laye ;
Un récital intime Debussy, introduit par Aurore Vaucelle, responsable de la rubrique La Libre Explore, en compagnie d’une harpiste, Alexandra Morand, qui interprétera Debussy tout en expliquant sa musique au public privilégié de La Libre Explore ;
Une visite guidée de l’Opéra de Paris...


Pour toutes les informations...

...sur ce séjour La Libre Explore, contactez Sophie Mortier, sm@eagletravel.be ou +32 2672 02 52. 

A lire, pour préparer son voyage,  Bel Ami, de Guy de Maupassant. Histoire d’être bien préparé, notamment, au Rallye littéraire® animé par Anne Dumonceau le 15 novembre.

A très bientôt,  dans la capitale parisienne.