Dans l'atelier de ceux qui
défigurent les acteurs

Jour après jour, Daphnée et Erwan s’amusent à mutiler les acteurs, les transformer en monstres ou les vieillir de 50 ans.

S’ils peuvent leur infliger tous ces sévices, c’est grâce à des prothèses qu’ils fabriquent de A à Z dans leur propre atelier. Ils font en effet partie des quelques maquilleurs d’effets spéciaux que compte la Belgique. 

Sans leur savoir-faire, il n’y aurait pas de films d’horreur, ni de cadavres ou de personnages blessés dans les films. Toutes ces choses qui nous paraissent totalement banales à l’écran nécessitent en réalité de nombreuses heures de travail et un savoir-faire unique. 

Rendez-vous à Bruxelles, dans leur atelier d’effets spéciaux, pour en apprendre plus sur ce métier méconnu.

Le cabinet des curiosités

Entrer dans un atelier d’effets spéciaux, c’est comme pénétrer dans la caverne d’Ali Baba. A ceci près que les artefacts exposés dans les vitrines et sur les murs ont un style disons… particulier. Où que l’on regarde, on ne voit que des mutants, des orques, une momie ou même une fausse tête plus vraie que nature. On a beau savoir que tout cela n’est “que” du silicone, croiser le regard de toutes ces créatures a quelque chose de troublant. Pas question pourtant de lever les yeux pour bénéficier d’un peu répit. Des viscères pendent du plafond et le longent sur toute la longueur. De quoi nous plonger directement dans l’ambiance. 

Nous ne créons pas que des prothèses horrifiques”, précise d’emblée Daphnée. “C’est vrai que les films d’horreur ont vraiment besoin de nous pour leurs prothèses et accessoires, mais nous concevons aussi des ventres de femmes enceintes pour des films sociaux ou encore des impacts de balles pour des films policiers”, ajoute Erwan. 

Les deux artistes travaillent aussi bien pour le théâtre que pour le cinéma mais la majorité de leurs clients sont des productions de films étrangers venues tourner en Belgique pour bénéficier du tax shelter (ndlr : mécanisme qui rend les investissements dans l'industrie du cinéma fiscalement intéressants). Ils se souviennent d’ailleurs avec fierté de la fois où ils ont travaillé sur “Mandy”, un film américain tourné en Belgique où l’acteur principal n’est autre que Nicolas Cage. “La production nous avait demandé de créer une fausse tête, celle de l’actrice Olwen Fouéré. On a bossé à trois dessus pendant trois semaines. On a notamment implanté la plupart des cheveux un à un, tout comme la totalité des sourcils et des cils. On ne savait pas exactement à quel point ils allaient zoomer dessus, le rendu devait donc être parfait. Finalement, on a appris la veille qu’ils allaient la brûler. Notre travail est parti en fumée mais ça fait partie de notre métier. Puis ils ont quand même zoomé dessus quand elle était au milieu des flammes”, sourient-ils. 

Cette fausse tête, comme toutes leurs autres créations récentes, ont été entièrement réalisées dans le Squid Lab, leur atelier fondé il y a huit ans et situé dans leur propre maison, à Anderlecht. Daphnée et Erwan sont en effet ensemble au travail comme à la vie, unis par la même passion. "Mais nous ne sommes pas que deux à travailler sur nos prothèses. Pour les plus grands projets, nous demandons forcément un coup de main. Nous travaillons au final assez souvent en équipe", précisent-ils.

Quand on leur demande de nous faire voir leurs dernières oeuvres, ils se montrent tous les deux intarissables sur le sujet. Ils ne tardent d’ailleurs pas à débarquer avec… des cartons de pizza plein les mains. “C’est le meilleur moyen qu’on a trouvé pour conserver toutes nos prothèses et les moules qui vont avec”, sourit Daphnée en voyant notre air incrédule.

A la vue de leur contenu, l’envie de déguster un bon plat italien s’envole. La boite est remplie de prothèses de pustules et de bouches arrachées.

“On les a créées pour le film Yummy”, commente Daphnée, “une comédie zombiesque belge qui mêle acteurs francophones et flamands”.

En les écoutant parler de ce long-métrage sorti dans les salles fin décembre, on se rend compte qu’ils se sont éclatés tout au long du projet. Et pour cause: ils ont pu laisser parler leur créativité comme jamais. “Quand les productions de films font appel à nous, certaines ont déjà une idée très précise de ce qu’elles veulent, d’autres nous donnent les grandes lignes mais nous laissent faire énormément de propositions. C’était le cas avec Yummy”. Bras coupés, morsures de zombies, faux pénis… : ils ont dû réaliser pour ce film des prothèses et accessoires plus surprenants les uns que les autres. 

La vraie Olwen Fouéré (Allociné)

La vraie Olwen Fouéré (Allociné)

La fabrication d'une prothèse

Avant d'entamer la fabrication de la prothèse, il faut avant tout trouver l'inspiration. “On se base sur des films qu’on a déjà vus, des créations sur le net ou encore des photos réelles”, commence Erwan, rapidement rejoint dans ses explications par Daphnée. “On nous demande souvent si on fait des cauchemars. Mais on n’est absolument pas traumatisés puisqu’on sait mieux que personne que toutes les horreurs qu’on voit dans les films ne sont pas réelles. En revanche, devoir analyser en détails des photos de vrais cadavres dans les livres de médecine est beaucoup plus dur”, précise-t-elle. 

Pour les plus grosses pièces (comme les masques), il arrive fréquemment qu’Erwan passe par une version miniature afin de montrer le rendu au réalisateur qui validera (ou non) la proposition. “Créer une miniature va plus vite et permet de voir vers quoi on va. Si on a le feu vert du réalisateur, alors on reproduit la même chose en taille réelle”, explique-t-il tout en nous montrant une miniature de masque sur laquelle il travaille depuis des jours.

Une fois que l’idée est validée, ils entament alors la fabrication de la prothèse. Celle-ci passe par plusieurs phases : moulage/démoulage, sculpture et bien souvent peinture. 

Si la prothèse ne doit pas nécessairement être conçue sur mesure, ils travaillent sur des gabarits standards. Dans le cas contraire, ils moulent la partie du corps du comédien dont ils ont besoin et coulent du plâtre dans la coque obtenue pour obtenir le positif du moulage. C’est sur ce positif qu’ils vont sculpter la prothèse. Pour ce faire, ils ajoutent de la matière (une sorte de pâte à modeler) avec laquelle ils tracent en relief les traits qu’ils ont imaginés. Lorsque leur sculpture est terminée, ils réalisent le moule final et y coulent du silicone pour, enfin, pouvoir tenir leur prothèse entre les doigts. S’ils savent qu’ils auront besoin de faire plusieurs tirages, ils n'oublient pas de créer leur dernier moule dans une matière plus solide. De cette façon, ils pourront le réutiliser quasi à l’infini.

Si besoin, ils donnent un coup de peinture à la prothèse avant d'y mettre un point final. Les étapes varient donc quelque peu en fonction de la commande initiale. 

Lorsque toutes nos prothèses sont terminées, on est souvent appelé sur les lieux de tournage pour les poser nous-mêmes. On connaît bien le matériel donc c’est plus facile. Comme on est sur place, on peut faire des ajustements et replacer les prothèses lorsqu’elles commencent à se décoller, notamment après la pause de midi”, expliquent-ils. “On fait très attention à ce que tout soit parfait car on a du mal à regarder un film avec des erreurs de maquillage d’effets spéciaux. C'est une déformation professionnelle”, plaisante Erwan. 

Leur travail demande beaucoup de temps et de précision. Et il est d'autant plus important qu'il ne pourrait pas être complètement remplacé par des effets spéciaux numériques. Non seulement ces derniers coûtent excessivement cher mais la plupart des réalisateurs préfèrent utiliser des accessoires réels pour faciliter le jeu des acteurs et la prise d’image. “Parfois nos créations sont magnifiées par des effets spéciaux numériques. Mais nous les concevons pour qu’elles puissent être utilisées sans avoir besoin de retouches par ordinateur.”  

Un métier passionnant mais difficile

On aime bien montrer ce qu’on fait car on se rend compte qu’en dehors du cinéma, les gens ne savent pas comment ça se passe”, explique Erwan. Et, parfois, même les professionnels du cinéma ignorent tout le travail qu’implique la création de prothèses ou d’accessoires. “Parfois on nous appelle et on nous demande des prothèses pour le lendemain”, s’amuse Daphnée. “On leur explique alors qu’au-delà du temps de travail que cela demande, il faut aussi tenir compte du temps de séchage des matériaux qu’on utilise”. Ce n’est pas rare non plus que des productions souhaitent leur acheter une dizaine d’oeuvres avec un budget qui ne leur permettrait même pas d’en acheter la moitié. “On doit souvent faire avec un budget très serré”, regrette Erwan. 

C’est un métier captivant mais aussi très difficile”, résument-ils en coeur. “Cela demande de la technique, de la créativité. Mais c’est aussi très dur physiquement. On passe parfois nos journées debout à manipuler toutes sortes de produits chimiques”, explique Daphnée. “En général, les gens sont fascinés par ce qu’on fait mais finissent par se rendre compte qu’il faut faire beaucoup de sacrifices pour y arriver. En Belgique, nous ne sommes d’ailleurs qu’une poignée de maquilleurs d’effets spéciaux”, poursuit-elle. Se former n’est donc pas facile. En général, il faut soit se rendre à l’étranger, soit apprendre auprès d’un professionnel du milieu.

Il y a eu des moments de doute”, confie-t-elle. “Des mois où cela a été dur financièrement, mais on n'a rien lâché”. Aujourd’hui, le couple enchaîne les projets et choisit même ceux pour lesquels il a un vrai coup de coeur. Il s'est d'ailleurs récemment lancé dans une toute nouvelle aventure. Avec deux autres amis, les maquilleurs d'effets spéciaux sont en train de finaliser une collection de masques en plusieurs tailles destinés à être vendus, notamment via leur site internet. 

Si nous sommes autorisés à les photographier alors qu’ils ne sont pas encore sur le marché, nous ne pouvons en revanche pas prendre en photo un simple buste blanc qui n’avait, à vrai dire, même pas retenu notre attention. “Il nous a fallu des mois et des mois pour le mettre au point. C’est sur ce buste que nous créons nos masques. Il a été pensé pour convenir au plus de morphologies possibles. Ce secret est l’une des seules choses que nous ne partagerons pas avec vous”, conclut Daphnée.