Dans le plus grand entrepôt Colruyt de Belgique, certains préfèrent travailler à... -18 degrés

Les cils sont gelés, les stylos n'écrivent plus. Dans une partie du centre de distribution Colruyt de Dassenveld à Hal, la température chute jusqu'à -18 degrés. Bien entendu, ce n'est pas le cas de l'ensemble du building qui s'étend sur 112.000 m2. Pour trouver son chemin dans cet immense zoning, où s'activent quelque 3.500 employés, la meilleure stratégie est de suivre les travailleurs. C'est ce que La Libre a fait dans le cadre de son dossier "Dans le secret des lieux"

Il est 14 heures, un “shift” se termine. Des travailleurs, qui ont commencé à 6 heures, sortent de l'entrepôt. D’autres prennent leur place. Ils termineront à 22 heures et seront à leur tour remplacés par une autre équipe. Ils se saluent en français ou en néerlandais. Chaque jour, 3.500 employés se rendent sur le site. Les locaux sont divisés en “Fases”. C’est au bout de la rue que se situe la Fase 1, celle qui abrite les fruits et légumes ainsi que les produits surgelés. Frédéric Biltresse, cadre du département, nous ouvre les portes du site. “Vous n’avez pas de veste?”, demande-t-il au photographe qui nous accompagne. “Je vais vous en prêter une, vous n’allez pas tenir sinon”, ajoute notre guide du jour.

Nous entrons dans la première partie de l'entrepôt. Les températures chutent alors à 12 degrés. Malgré le climat clément du mois de juillet, les employés doivent se vêtir d’une veste ornée du logo du groupe. Entre des bruits de véhicules et de ventilateurs, la musique résonne dans cet immense hall qui s'étend sur 12 mètres de hauteur sous plafond. Sur des chariots élévateurs, ces petits véhicules électriques orange, des hommes et des femmes traversent les 32.600 m2 de la Fase 1. Les employés à pied, plus rares dans l’enceinte du bâtiment, doivent suivre un chemin précis, en empruntant des passages pour piétons. L’entrepôt a des allures de petite ville. L’ambiance est détendue, même si le travail est physique dans ce centre qui tourne 24 heures sur 24 et 6 jours sur 7.

Quatre étapes : réception, stockage, préparation, expédition

Pour accéder à la première étape de notre visite, nous devons traverser plusieurs salles en enfilade. La zone d'arrivée des produits se trouve au bout de l'entrepôt et est identifiable par ses portes de garage ouvertes. Des poireaux viennent d’arriver dans la zone de réception. C’est la première halte de leur voyage à travers la Fase 1. La cinquantaine de boîtes en plastique bleu les abritant est prête à être stockée. Tous les jours, les trente réceptionnistes accueillent entre 4.000 et 5.000 palettes de fruits et de légumes, provenant d’un peu partout dans le monde. En période de pic, le nombre de palettes peut grimper jusqu’à 6.000. “Prenons l’exemple des chicons. Impossible de passer une fin d’année sans ce légume en Belgique. Nous réceptionnons donc parfois 12 camions de chicons à la suite”, commente Frédéric Biltresse. 12 camions représentent 360 palettes. Et ces palettes sont redistribuées le jour même dans les 246 magasins belges de la marque ainsi que dans ceux du Luxembourg. Au soir, les stocks sont vides. “Les produits qui ne restent pas trop longtemps à l’entrepôt arrivent plus frais chez le consommateur”, commente Eva Biltereyst, responsable au service presse du groupe Colruyt.

Dans cette vaste zone de réception, les produits sont passés au crible. Les réceptionnistes prennent un fruit, l’ouvrent et le gouttent. Dans un atelier à part, certains des employés poussent le contrôle encore plus loin. Un lot d’oranges à jus arrive. Les fruits sont pressés. Si le verre n’est pas assez rempli, les oranges seront renvoyées au fournisseur.

Après la réception des produits, ceux-ci sont amenés à la zone suivante. Nous quittons le hall et empruntons un couloir pour accéder à la prochaine étape. Sur le chemin que nous devons suivre, mieux vaut avoir les narines bien accrochées: une odeur intense de fromage flotte dans l'air. La Fase 4, où sont entreposés les produits laitiers se trouve de l’autre côté du mur en béton.

Où l’homme et le robot travaillent ensemble

Dans l’espace de préparation où les travailleurs assemblent les commandes, d’immenses étagères bleues et orange s'élèvent devant les employés. Alignés les uns derrière les autres sur leur transpalette, les préparateurs de commandes portent un casque audio. Une voix leur indique ce qu’ils doivent aller chercher dans les différentes allées. Un des employés s’empare de six caisses de bananes et de quatre caisses de champignons en moins de deux minutes.

À quelques mètres, se trouve la zone de préparation automatisée. L’avantage de la robotisation ? Elle soulage les travailleurs avec les produits lourds et travaille la nuit.

Les bacs bleus arrivent, le code-barre est scanné automatiquement et le robot décide où placer les aliments. En haut des escaliers qui mène à la zone d’observation, un spectacle coloré s’offre à nous. Des montagnes de palettes regorgeant de poivrons, oranges, pommes, mangues, bananes… défilent sous la plateforme sur laquelle nous nous trouvons. “Les poivrons viennent d’arriver. Le robot va choisir une place pour les stocker et, plus tard, quand il en aura besoin pour les commandes, il ira les chercher. Là, il a choisi l’emplacement L27, par exemple”, explique notre guide.

Les commandes changent tous les jours. “Nous fonctionnons avec un système de réapprovisionnement automatique”, souligne le chef du département. Chaque Colruyt indique ses ventes quotidiennes, ainsi l’entrepôt sait approvisionner les magasins pour le lendemain en tenant compte de leurs besoins spécifiques. “Nous travaillons sur base de prévisions. Par exemple, si ce week-end la météo grimpe à 30 degrés, il y aura beaucoup de barbecues. Nous savons d’expérience que nous allons devoir livrer plus de tomates et concombres.” Les prédictions sont plus ou moins stables, ce qui permet à l’équipe de logistique de satisfaire les envies des consommateurs au fil des saisons. “Mais nous avons beau essayer de tout prévoir, le Covid, nous ne l’avons pas vu venir. Et la demande énorme de papier-toilette encore moins”, commente Frédéric Biltresse hilare.

Nous quittons la plateforme d’observation. À la fin du circuit automatisé, un travailleur réceptionne la commande préparée par la machine. “Et encore une”, s’écrie-t-il, le sourire aux lèvres. Derrière lui, ses collègues discutent d’un transpalette à l’autre, mais doivent rapidement interrompre leur échange. En quelques minutes, ils ont créé un bouchon sur ces petites routes qui relient les différentes zones de la Fase 1.

À pied, nous suivons le chemin qui relie la zone de préparation à la zone des surgelés. Frédéric Biltresse ne cache pas son impatience de nous montrer cette partie de l’entrepôt.

-18 degrés ? Le rêve pour certains

Pour entrer dans cette zone, des vêtements chauds sont indispensables. Blouson grand froid, gants, écharpe, bonnet: mieux vaut prendre ses précautions. Dans le congélateur énorme, qui se cache derrière le rideau à lanières en plastiques, le thermomètre affiche -18 degrés. La température chute rapidement, et une brume, digne d'un matin d’hiver, plane au-dessus du sol. Il est difficile de s’entendre parler à cause du bruit généré par les groupes de froid. Impossible aussi de prendre des notes avec un stylo, dont l'encre ne s'écoule plus. Après un court instant, nos cils sont recouverts d’une légère couche de cristaux blancs.

À bord de leur transpalette électrique, les travailleurs longent les allées et préparent les commandes. Dans les bacs des rayons se trouve une grande variété de denrées: des pizzas congelées, des fruits de mer, des poulets entiers et bien évidemment des glaces.

Ede travaille au département des surgelés depuis le mois de décembre. Cinq jours par semaine, il s’active toute la journée à -18 degrés. Ses sourcils, ses cils et sa moustache sont recouverts, eux aussi, de cristaux blancs. Mais, le sourire aux lèvres, cet employé ne semble pas être dérangé par les températures. “En commençant mon shift, ça pique un petit peu, mais on s’y habitue rapidement. Je préfère travailler dans le froid que dans le chaud”, raconte l’employé. Ede et ses collègues ont droit à une pause toutes les heures pour se réchauffer.

Les différents produits sont amenés à la zone de préparation des surgelés. La température y grimpe de manière significative. “Les gens ont chaud en arrivant dans cette zone, mais il fait en réalité 0 degré”, note Frédéric Biltresse. Ici, les travailleurs remplissent des charrettes, qui servent de congélateurs mobiles. Les produits arrivent à la dernière étape de leur périple: la plaine d’expédition.

Direction les rayons

Dans cette dernière zone, les employés remplissent 1.000 camions par jour. “En période de Covid, nous avons battu tous les records avec 1.100 camions par jour. C’est énorme”, estime Biltresse. Les camions du groupe Colruyt sont remplis à 97% de leur capacité. Denrées sèches, produits frais, fruits, légumes, aliments surgelés… Tout est entassé dans un même camion afin d’optimiser le transport. Les portes arrières des véhicules sont fermées. Dans quelques heures, la marchandise servira à remplir à nouveau les rayons.