Dans l'intimité du génome

Utiliser le génome humain complet pour diagnostiquer des maladies ou adapter des traitements médicamenteux, voilà les enjeux de la médecine génomique personnalisée. Entre réalité et utopie.

Un hôpital, 9h du matin. Sarah passe la porte du service d’allergologie. Le printemps s’impatiente et déverse ses flots de pollen. La faute à l’hiver trop long. Si la jeune fille longe les tristes murs pastel de la clinique, c’est parce qu’elle n’y comprend plus rien. Elle a fait le test, suivi la prescription du médecin, pris ses médicaments. Et pourtant, Sarah se sent moins bien qu’avant.

Le spécialiste lui explique qu’il y a quelque chose au fond d’elle qui réagit mal à la molécule du traitement. Un verre d’eau, la pilule sur la langue et son cœur s’emballe. Pas un effet secondaire habituel, mais rien d’étrange pour le médecin. Ce qui cloche est de l’ordre génétique. Le corps de Sarah n’est pas façonné pour ce médicament. Le problème, c’est un gène.

Pour le savoir, le médecin va demander un examen du génome de Sarah. Il pourra cibler les gènes problématiques et adapter le traitement de la jeune fille par rapport aux résultats. Elle sortira de l’hôpital avec un nouveau médicament, correspondant intimement à ce qu’est son corps.

La situation est fictive mais c'est une promesse. Celle de la médecine génomique personnalisée. Un nouveau paradigme médical où le génome cartographie les individus pour mieux cibler leurs maladies, pour mieux traiter les patients.

La médecine génomique n’est pas encore une réalité effective mais elle s’intègre progressivement aux pratiques médicales contemporaines. Et pour comprendre son fonctionnement, il faut s’intéresser de près à ce qu’il se passe à l’intérieur de nos corps, au plus profond de nos cellules.

Coder la vie

Il y a dans le vivant l’information qui lui permet d’exister. Au plus profond des cellules se cache un noyau. À l’intérieur de celui-ci, quarante-six chromosomes. Ça, c’est pour l’humain. En s’approchant encore un peu plus, l’on découvre la structure des chromosomes. Une petite pelote de laine composée d’un long filament emmêlé sur lui-même. Ce ruban, c’est la molécule d’ADN. Et tout y est. Du mode d’emploi du corps aux caractéristiques physiques d’un individu.

Parce qu’à des endroits très précis d’une séquence d’ADN, l’on trouve les gènes. Ils décrivent les fonctions précises des cellules. Ils représentent l’héréditaire, ce qui se transmet à la naissance et construit l’être vivant. En additionnant ces 20 000 gènes, on obtient un registre de plusieurs milliers de pages. Son nom : le génome.

Lire le génome d’un être humain, c’est sonder l’intimité de son corps. Chacun de ses traits s’y trouve, chacune de ses fonctions vitales s’y déploie. Pour le comprendre, les scientifiques ont appris à décoder l’information contenue dans un brin d’ADN. Et la cartographie d’un génome humain complet est une avancée récente.

En avril 2003, un consortium scientifique international annonce ses résultats. Le génome complet de quatre donneurs anonymes est bouclé. Après plus de dix ans de recherche, le Human Genome Project atteint son objectif. Un budget faramineux de 3 milliards de dollars pour le séquençage d’ADN le plus poussé au monde.

Il ne restait plus qu’à la médecine à comprendre comment utiliser cette nouvelle base de données vivante. Entre utopie et réalité scientifique, la médecine génomique personnalisée.

Du chromosome à l'ADN

Du chromosome à l'ADN

les chromosomes du corps humain

les chromosomes du corps humain

David Francis, directeur du Human Genome Project en 2003

David Francis, directeur du Human Genome Project en 2003

Le séquençage d'un fragment d'ADN

Le séquençage d'un fragment d'ADN

Un séquenceur d'ADN, lecteur de génome

Un séquenceur d'ADN, lecteur de génome

En une dizaine d’années, les technologies du séquençage ADN se sont démocratisées. Les appareils rétrécissent, s’approchent de la miniaturisation. Le coût de l’opération se réduit rapidement. De près de trois milliards de dollars pour la première méthode utilisée, il ne reste aujourd'hui qu'à en débourser quelques milliers. Chez Illumina, un des leaders du marché, l’on facture un peu moins de 1000 dollars.

Décoder le génome d’un être humain est de plus en plus simple. Facile, non. Mais plus abordable. Ce qui a pour conséquence de décupler les possibilités d’innovations. En 2019, la médecine génomique s’attaque à deux problématiques : le diagnostic des maladies génétiques et la personnalisation des traitements médicamenteux.

Lorsque de nouvelles cellules se créent, il y a parfois des erreurs. Dans la majeure partie des cas, elles concernent des espaces du génome qui n’ont pas d’influence directe sur l’état du corps. Mais à certaines occasions, le bât blesse. L’intérêt de la médecine génomique, c’est d’être capable de diagnostiquer rapidement les pathologies issues d’une mutation génétique. L’idée : récupérer l’information du génome d’un patient pour le comparer à ceux contenant des maladies identifiées. Ces troubles peuvent concerner un chromosome complet, comme la trisomie 21, ou plus insidieusement une combinaison de mutations de gènes, comme le diabète.

Ça, c’est pour l’aspect diagnostic. La recherche internationale s’organise pour construire une base de données des principales pathologies touchant les gènes. C’est le cas du European Bioinformatics Institute, qui accumule près d’une centaine de zettabytes d’informations. Comparer pour mieux diagnostiquer, du dépistage prénatal aux maladies héréditaires en passant par le développement du cancer.

De l’autre côté du processus médical, il y a la recherche d’un traitement. Jusqu’à présent, l’on conçoit un médicament comme un remède global. Il s’adresse à tous, en limitant le nombre d’effets secondaires. Mais le problème principal est que chacun est susceptible de réagir différemment à une médication. Il y a des allergies, des traitements inefficaces, des problèmes de dosage.

Ce que la génomique apporte à la pharmacologie, c’est la possibilité de personnaliser un traitement. En examinant les gènes d’un patient, les médecins pourront être capables de fixer avec précision le médicament à employer pour le soigner. En séquençant les cellules d’un cancer, on peut déterminer leur réaction aux molécules d’un traitement. Pour un plan d’attaque à la précision chirurgicale.

Un futur en Belgique

La médecine personnalisée est une promesse d’avenir. Dans les huit centres de recherche en génétique humaine de Belgique, on avance. Et c’est là que tout se joue. Pour l’harmonie des recherches, pour des questions éthiques, pour la mise en commun du savoir.

La médecine génomique demande de grands investissements. Elle est l’un des symboles du passage de la clinique au Big Data. Un génome complet représente entre 300 et 500 Gb de données. Son opérationnalisation nécessite un investissement faramineux de stockage dans des data centers ultra sécurisés. La bio-informatique belge n’est pas encore prête.

En 2019, le génome complet n’est principalement utilisé qu’à des fins de recherche fondamentale. Pas encore d’application médicale directe. Cela demande des investissements structurels dans le monde de la médecine. Pour former les professionnels, mettre en place des réseaux de collaborations, harmoniser le cadre légal belge.

Selon le dernier rapport du Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé, la Belgique n’est pas encore prête à introduire la médecine génomique personnalisée dans son organisation quotidienne. Mais une partie de ses principes est appliquée à plus petite échelle, pour des examens génétiques des maladies héréditaires ou des tests prénataux. La routine des hôpitaux reste la même.

Ici, la coopération internationale est la clef. Comprendre ensemble les promesses du génome pour transformer radicalement les paradigmes de la médecine contemporaine. Un secret caché, depuis toujours, au fond de nos cellules.

Un dossier de Victor Huon
Photos : Belga, US Department of Energy