Dans l'atelier d'Emilie Gonçalves qui chouchoute les oeuvres d'art

En devenant restauratrice d’œuvres d’art, Emilie Gonçalves a réalisé son rêve d’enfant. “Toute petite déjà, je savais que je ferais un métier artistique dans lequel je pourrais être au contact de la matière.

Aujourd’hui, la jeune femme a de quoi être fière. Après avoir restauré les dorures du château de Versailles et participé à de nombreux chantiers en France et en Belgique, la voilà depuis quelques mois fournisseur breveté de la Cour de Belgique. “Une belle consécration”, souligne-t-elle. 

Mais Emilie Gonçalves ne chouchoute pas que les œuvres du Palais. Dans son atelier, elle redonne également une seconde vie aux peintures et dorures que lui apportent les particuliers et antiquaires.

A quoi ressemble le quotidien d’un restaurateur d’art? Peut-on tout restaurer? “La Libre” vous emmène à la découverte de ce métier passionnant ! 

C’est par une après-midi hivernale qu’Emilie Gonçalves nous accueille dans son atelier situé à Braine-l’Alleud. Si, dehors, la pluie frappe violemment contre les carreaux, dedans, une douce musique de fond crée une atmosphère apaisante. “Je suis incapable de travailler dans le silence total. J’ai toujours besoin d’avoir du son”, sourit la restauratrice d’art qui peut aussi compter sur Jack, son fidèle American Staff, pour mettre un peu d’animation sur son lieu de travail. 

Un après/avant réalisé par Emilie (c) Sylvain Demoulin

Un après/avant réalisé par Emilie (c) Sylvain Demoulin

Mon activité peut paraître très solitaire mais, en réalité, j’ai souvent mes collègues au téléphone. Lorsqu’on a un problème avec une œuvre, on s’appelle pour se donner des conseils.” Malgré ses nombreuses années d’expérience en peinture et dorure, il arrive encore souvent qu’Emilie se retrouve confrontée à des situations inédites ou à des imprévus. “Chaque œuvre est différente, il faut s’adapter constamment”, résume-t-elle tout en plongeant un coton-tige dans un produit nettoyant. Un geste pour le coup assez classique. Avec une infinie délicatesse, l’artiste caresse la peinture avec le bâtonnet et, sous nos yeux ébahis, la débarrasse d’une couche noire qui s’était déposée sur les pigments d’origine. 

Un après/avant réalisé par Emilie (c) Sylvain Demoulin

Un après/avant réalisé par Emilie (c) Sylvain Demoulin

Nettoyer une œuvre peut parfois déjà suffire à lui redonner de l’éclat”, explique-t-elle en nous regardant comparer l’ancienne couleur avec la “nouvelle”. “Je me souviens d’une dame qui a été très surprise quand je lui ai rendu son tableau après l’avoir nettoyé. Elle avait l’impression d’être face à une nouvelle pièce. En réalité, elle ne se souvenait simplement plus de ce à quoi elle ressemblait à la base.

Après avoir terminé la zone sur laquelle elle était occupée, Emilie recouvre le tableau d’un drap blanc et range son matériel dans l’un des tiroirs de ses nombreuses armoires. “J’ai beaucoup de choses”, reconnaît-elle. Malgré tout, il n’est pas rare qu’elle doive en acheter de nouvelles. Comme un médecin, elle doit toujours se tenir au courant des dernières sorties et continuer à se former. A la différence que ses patients ne sont pas des humains mais des tableaux.

“On renforce les toiles abîmées, on fixe les écailles de peinture qui se soulèvent, on répare un cadre cassé, on repeint un coup fait au tableau. Mais nous non plus, on ne peut pas toujours faire de miracles. Si l’œuvre a brûlé à certains endroits, on ne peut plus rien faire”, note-t-elle. “Notre métier consiste à limiter les dégâts mais on ne donnera plus jamais au tableau le rendu qu’il avait lorsqu’il est sorti de l’atelier. Il faut accepter ça, c’est la patine du temps. Notre déontologie nous interdit aussi de faire certaines choses sinon on crée un faux, et ce n’est évidemment pas le but.”

Une bonne restauration doit d’ailleurs rester invisible à l’œil nu. Plutôt ironique, quand on sait qu’Emilie peut parfois passer des mois sur une seule oeuvre. “Il n’y a aucune frustration, tout simplement parce que je ne m’estime pas légitime de revendiquer quoi que ce soit. Je n’ai fait que réparer le travail de quelqu’un d’autre. C’est le peintre, le véritable artiste.” 

Malgré ses nombreuses compétences techniques, Emilie n’a jamais souhaité devenir peintre elle-même. De son propre aveu, elle n’a tout simplement pas la fibre créatrice. “Je serais incapable de créer un tableau de A à Z. Et l’envie n’est pas là non plus”, confie-t-elle. Il lui arrive quand même parfois d’appliquer de la feuille d’or sur des objets qu’elle trouve particulièrement jolis. “Dernièrement, j’ai doré le banzaï mort qui est là-bas. J’ai déjà eu quelques propositions d’achat. Mais, moi, je le fais surtout pour m’amuser. Je ne considère pas cela comme un vrai travail créatif.”

(reporters)

(reporters)

(c) Sylvain Demoulin

(c) Sylvain Demoulin

Si elle dore parfois des objets, ce n’est pas par hasard. Au cours de sa carrière, Emilie Gonçalves s’est en effet spécialisée dans la dorure à la feuille d’or. Une expertise qu’elle a acquise après ses études à La Cambre, en se formant aux Arts et Métiers de Bruxelles et en travaillant sur un chantier au château de Versailles. “C’était une expérience incroyable”, se souvient-elle. “Après cela, j’ai eu l’opportunité de travailler à l’Opéra de Liège ou encore de redorer le monument à la gloire de l’infanterie place Poelaert. J’aurais aussi pu participer à la restauration des façades de la Grand-Place de Bruxelles mais j’étais enceinte de ma fille.” En plus de sa vie professionnelle bien chargée, la restauratrice d’art est en effet maman d’une fille de 4 ans et d’un garçon de 18 mois. 

Dans mon atelier, je fais beaucoup moins de dorures que de restauration de tableaux, tout simplement parce que la feuille d’or coûte très cher”, explique-t-elle en sortant d’une de ses armoires un cahier rempli de fines feuilles d’or. “J’achète mes feuilles en Italie, chez un batteur d’or qui travaille encore à la main. Parfois, les gens sont étonnés du prix, mais battre une feuille d'or demande beaucoup de savoir-faire.

Parmi ses clients, Emilie confesse avoir très peu de jeunes. “Quand on est jeune, on n’a pas forcément l’argent pour restaurer des pièces de famille”, souligne-t-elle. Même si elle propose toujours une restauration “minimum” qui permet de donner un coup de peps à l’oeuvre à moindre prix, ses principaux clients restent des personnes plus âgées qui ont reçu un bel objet en héritage et qui veulent le sublimer. “La particularité de notre métier, c’est qu’on ne voit nos clients qu’une ou deux fois. Même s’ils sont satisfaits, ils n’ont pas forcément beaucoup d’objets à restaurer, il faut donc toujours prospecter.” 

Depuis qu’elle a été nommée fournisseur brevetée de la Cour de Belgique, les choses sont un peu plus faciles. “Cela faisait 7 ans que je travaillais pour le Palais quand j’ai reçu la nouvelle. J’étais folle de joie. C’est une très belle récompense. Cela pousse à toujours donner le meilleur de soi-même. Et c’est un gage de qualité et de confiance pour les particuliers et les antiquaires qui me contactent.” 

En Belgique, le métier de restaurateur d’art n’est pas protégé. Ce qui veut dire que n’importe qui peut ouvrir un atelier*. Et ce, alors que, paradoxalement, le devenir s’assimile à un vrai parcours du combattant. “Il m’a fallu deux ans pour réussir l’examen d’entrée à La Cambre”, se souvient-elle. Cet examen, qui s’étale sur une semaine, teste les futurs étudiants sur tout un tas de choses : leurs connaissances théoriques mais également pratiques. Pour s’y préparer, pas de manuels. Il faut enchaîner les formations par soi-même, dans les musées ou dans des ateliers professionnels. “C’était très dur, mais j’étais motivée. Depuis mes 9 ans, je savais que je voulais devenir restauratrice d’art. Au moment de choisir mes études, j’ai donc quitté la Guyane française pour aller habiter chez mes grands-parents à Bruxelles et pouvoir réaliser mon rêve.” 

Après avoir terminé ses cinq ans d’études en conservation/restauration d’œuvres d'art, elle a commencé à travailler sur des chantiers en France et en Belgique. Par la suite, elle a fondé son propre atelier. Cela fait deux ans qu'elle y travaille à temps plein. “Devenir restaurateur d’art ne s’improvise pas”, résume-t-elle. Et de rappeler l’exemple de cette octogénaire espagnole qui avait fait le tour du monde après avoir défiguré le Christ de Borja. “En voulant restaurer l’œuvre, elle a utilisé une peinture plus résistante que l’originale, ce qui veut dire qu’on ne peut plus l’enlever sans emporter avec elle les pigments d’origine. Quand les professionnels restaurent, ils utilisent toujours des produits réversibles afin de ne pas abîmer la peinture. Mais, ça, il faut le savoir.” 

La "pire restauration de l'Histoire" est l'oeuvre d'une octogénaire espagnole.

La "pire restauration de l'Histoire" est l'oeuvre d'une octogénaire espagnole.

Au cours de sa carrière, Emilie Gonçalves s’est forgé une belle réputation qui lui permet de vivre de sa passion. Mais elle n’en oublie pas d’aider les jeunes qui veulent se lancer, comme elle-même a été aidée par d’autres lorsqu’elle a commencé. “C’est un métier qui repose beaucoup sur la transmission. C’est important de donner un coup de pouce aux générations futures.” En plus d’aider les futurs étudiants de La Cambre à préparer leur examen, elle donne également des cours au centre wallon du patrimoine. “N’importe qui ayant envie de faire un stage en dorure est le bienvenu. J’adore partager ce que je fais et discuter de ma passion”, conclut Emilie Gonçalves, effectivement intarissable sur le sujet.

* Sur le site de l’APROA, on retrouve une liste de tous les restaurateurs d’art agréés.

(c) Sylvain Demoulin

(c) Sylvain Demoulin

Les 5 conseils d'Emilie pour prendre soin d'un tableau

  • Dépoussiérer son tableau avec un plumeau.
  • Ne pas placer son tableau dans un endroit où il reçoit directement la lumière du soleil.
  • Ne pas placer son tableau dans un coffre de plexiglas pour le protéger. "Il faut que ça respire, l'air ne doit pas stagner."
  • Ne pas stocker son tableau dans un grenier trop humide ou dans une pièce où les changements de température sont fréquents.
  • Si le tableau a besoin d'être nettoyé/réparé, surtout ne rien tenter soi-même ! "Certaines personnes coupent une pomme de terre en deux et la passent sur l’œuvre pour la nettoyer. Or, la pomme de terre est pleine d'amidon. Celui-ci va se déposer sur la peinture et entraîner des moisissures."