Dans ce centre de revalidation bruxellois pour les animaux, "on fait de la médecine de guerre"

À l’arrière d’une petite boutique anderlechtoise, se croisent pigeons, renards, serpents, mygales, chouettes et hiboux. Déposés ou saisis, ces animaux blessés sont pris en charge par les travailleurs du Centre de Soins pour la Faune Sauvage de Bruxelles. Entre les précautions à prendre pour les “rois de l’évasion”, la “règle d’or” à ne jamais transgresser et les attentions particulières vis-à-vis de chaque espèce, le travail des soigneuses et des bénévoles n’est pas de tout repos. Il se fait, qui plus est, dans des conditions assez compliquées… Dans le cadre de sa série “Dans le secret des lieux”, LaLibre.be vous emmène à la rencontre des soigneuses et résidents du centre de revalidation bruxellois.

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Portant à bout de bras une volumineuse boîte en carton, un homme d’une quarantaine d’années se dirige d’un pas déterminé vers le Centre de Soins pour la Faune Sauvage de Bruxelles. Alors que l’heure de table approche, les restaurateurs anderlechtois qu’il dépasse sortent les équipements qui permettront aux clients de profiter de cette belle journée d’automne. Accélérant le pas, l’homme arrive devant la porte de la boutique du centre. “Je viens déposer un animal blessé”, annonce-t-il au parlophone.

Accueilli par Nadège Pineau, l’une des deux soigneuses, le Bruxellois ouvre la caisse dévoilant un amas de feuilles sous lesquelles sommeille un hérisson. “Je l’ai trouvé au bord du chemin au boulevard Joseph Bracops“, raconte le sauveur du petit mammifère mal en point. “Je suis passé avec mon chien, j’ai vu qu’il respirait, je vous l’ai immédiatement amené.” Selon l’homme, le problème n’est pas nouveau dans cette zone de la commune. Le rescapé serait même chanceux par rapport à nombre de ses congénères. “J’ai trouvé trois hérissons découpés”, ajoute le monsieur. Après avoir récolté toutes les informations nécessaires, la soigneuse remercie le Bruxellois d’être venu à la rescousse de l’animal. L’affection de l’homme envers le petit être endormi dans sa boîte saute aux yeux. Il jette un dernier coup d’oeil au hérisson avant de prendre congé. Arrivé au pas de la porte, il s’interrompt brutalement. “Pourra-t-on avoir de ses nouvelles ?”, s'enquiert-il auprès de Nadège. Malheureusement, la réponse est négative. “Nous ne sommes que deux soigneuses, c’est compliqué à gérer… Mais envoyez-nous tout de même un mail”, l’invite finalement celle qui, depuis sept ans, est en charge de centre qui vend aussi de nombreux articles pour animaux.

Elle a à peine le temps d’apporter le nouveau pensionnaire à sa collègue qu’un taximan fait irruption dans la boutique. La discussion est brève, beaucoup plus formelle. Il apporte un pigeon blessé que des particuliers lui ont confié. Il remet le “colis” à Nadège et se retire. “Les taxis verts rendent ce service de temps à autre, lorsque la personne qui a découvert l’animal ne peut pas venir jusqu’ici”, explique-t-elle, précisant que cela se fait aux frais du particulier qui a trouvé la bête blessée. Quand il s’agit d’un animal potentiellement dangereux, la police intervient. “C’est assez rare”, concède la soigneuse. “La plupart du temps, ce sont des particuliers qui nous les déposent. Il s’agit souvent de pigeons. On accueille environ dix bêtes par jour à cette période-ci de l’année mais, en été, cela peut monter jusqu’à 50.” La directrice du centre emmène alors le dernier venu, qui est en réalité le quatrième animal blessé réceptionné ce matin, à l’arrière de la boutique où une porte mène directement au centre de soins, dans lequel résident actuellement une centaine d’animaux. 

Une règle d’or parfois difficile à respecter

A peine le pas de la porte franchi, une puissante odeur envahit nos narines. Le petit entrepôt dans lequel on pénètre contient plusieurs cages où séjournent des oiseaux et des rongeurs. “C’est ici que nous accueillons les animaux domestiques exotiques”, indique Nadège, donnant l’exemple de cet octodon - petit rongeur chilien - terré dans un coin de sa cage. Si la première étape consiste à soigner les bêtes, le centre se charge également de retrouver leur propriétaire dans la mesure du possible. “Pour ce qui est des oiseaux, il est simple de remonter la piste s’ils sont bagués. Sinon, on regarde les annonces. On a quinze jours, mais ensuite ils sont candidats à l’adoption”, continue notre guide. 

Pour ce qui est de la prise en charge, il y a de nombreuses règles à respecter. Comme nous explique Nadège en nous emmenant dans une petite pièce jonchée de boîtes en carton où sont logés les hérissons, chaque espèce demande des soins différents et une alimentation adaptée. Les pensionnaires que nous avons devant nous sont par exemple tous profondément endormis. “C’est la nuit pour eux”, explique Nadège, nous présentant quand même deux d’entre eux. “Il faut les manipuler avec beaucoup de précaution car ils sont porteurs de nombreuses pathologies.” Chaque hérisson est pesé quotidiennement avant d’être remis dans sa caisse. “On veille à ce que chaque boîte soit couverte, car ce sont les rois de l’évasion”, rigole la directrice du centre. 

Une règle prévaut toutefois pour toutes les espèces accueillies en ces lieux: ne jamais s’attacher à l’animal blessé. Il s’agit là avant tout d’une question de sécurité pour la bête. “On s’impose ces barrières pour éviter que l’animal ne s’habitue à la présence de l’homme. Cela pourrait le mettre en danger une fois relâché”, détaille Nadège. Elle n’en admet pas moins que la tâche s’avère parfois compliquée. “C’est d’autant plus difficile quand on passe du temps avec un animal, qu’on se lève la nuit pour le biberonner”, reconnaît la soigneuse. Inutile de préciser que les journées de travail de Nadège et de sa collègue ne se terminent pas une fois rentrées chez elles. “On vit au rythme des urgences. C’est un métier qui bouscule la vie privée et professionnelle. On est amenées à prendre certains animaux chez nous pour pouvoir nous en occuper la nuit”, raconte la directrice du centre, le sourire aux lèvres. 

Quand un singe et un hibou grand-duc débarquent au centre

Avant de poursuivre la visite et de pénétrer dans un couloir assez sombre, Nadège nous met en garde: “On fait avec les moyens du bord, on est à la recherche d’un endroit avec des équipements plus adaptés mais, en attendant, on loge les animaux comme on peut, notamment dans des boxes pour chiens et chats.” S’avançant dans l’allée, la soigneuse nous présente les locataires qui résident derrière les huit portes que compte l’étroit couloir. Nous faisons ainsi la connaissance d’un iguane, saisi pour mauvaises conditions de détention. Son propriétaire l’avait placé dans un trop petit terrarium. Ce genre de cas est fréquent pour le centre, qui généralement est alerté par des proches ou des voisins. “La plupart du temps, c’est grâce à la délation que nous mettons un terme à la maltraitance animale”, confirme la soigneuse.

Un autre fléau impacte la fréquentation du centre: le trafic animalier via internet. Toutes sortes d’espèces peuvent désormais être acquises en quelques clics. “Un jour, on a même accueilli un singe !”, raconte Nadège. “On ne l’a pas gardé car on n’a pas les infrastructures adaptées, mais j’étais vraiment surprise quand la police nous l’a apporté après l’avoir saisi. Ce n’est pas le genre d’animal qu’on s’attend à voir dans une maison en Belgique.” 

Le couloir débouche sur une cuisine aux carrelages blancs, d’où l’on aperçoit le cabinet du vétérinaire. La salle, vide au moment de notre venue, est occupée une fois par semaine par le spécialiste qui ausculte bénévolement les animaux du centre. “Evidemment, en cas d’urgence, on se rend directement à son cabinet”, ajoute notre guide. Empruntant un couloir menant à une cour, la jeune femme continue son énumération des espèces accueillies en ce moment par le centre. Un renard recroquevillé dans sa caisse ne semble pas ravi de notre visite. Ne voulant pas le déranger plus longtemps nous nous rendons à la volière entourée d’un grillage vert.

De quoi rappeler de bons souvenirs à notre accompagnatrice. “On a hébergé, il y a deux ans, un hibou grand-duc. Il avait été trouvé devant le musée de la bande dessinée dans le centre de Bruxelles”, se remémore-t-elle. “On l’a soigné pendant assez longtemps et donc au moment de le relâcher, c’était très émouvant.”

Une véritable “médecine de guerre”

Ce soir, ce sera au tour d’une autre résidente, une chouette chevêche, de mettre les voiles, après deux mois de traitements. Elle sera amenée dans une réserve. “Quand nous l’avons accueillie, elle était déshydratée et en hypothermie”, relate la soigneuse visiblement heureuse d’avoir réussi à sauver l’animal.

Si le séjour de la chouette s’est avéré une réussite, ce n’est pas toujours le cas. Certains animaux décèdent malgré les efforts mis en oeuvre par les soigneurs et les bénévoles de l’antenne bruxelloise. “Il suffit que le particulier qui a trouvé l’animal ait traîné à l’amener, souhaitant au préalable le soigner lui-même”, regrette Nadège. “Cela peut être mortel pour la bête. Il faut agir dans les 48 heures.” Selon la spécialiste, environ 60% des animaux recueillis se rétablissent et peuvent finalement être relâchés. “Nous sommes confrontés tous les jours à la mort et à la souffrance, mais on essaie de se concentrer sur ceux qu’on sauve”, positive notre accompagnatrice. Elle déplore toutefois de ne pas pouvoir bénéficier de davantage de ressources pour soigner les animaux. “On fait de la médecine de guerre, de la médecine clinique sans moyen”, se désole-t-elle. “Parfois on récupère des tissus de hamacs comme bandages ou des bâtons de sucette comme abaisse-langues”. 

Les deux grands frigidaires à côté desquels nous passons à la fin de notre visite illustrent le sort réservé aux 40% des bêtes qui ne survivent pas. “Même morts, ces animaux sont utiles”, rapporte Nadège. “On collabore notamment avec Sciensano pour les études concernant les coronavirus chez des mammifères. On les envoie également au musée des sciences naturelles pour taxidermie.”