Coronavirus
Quels impacts économiques ?

Marchés financiers, ruée vers l'or, impact au port d'Anvers, alimentation et tourisme...

Par Patrick Van Campenhout, François Mathieu, Raphaël Meulders et Charlotte Mikolajczak

Une bombe à retardement pour le port d’Anvers

Avec la propagation du coronavirus , les ports chinois tournent au ralenti. Si le port d'Anvers, dont la Chine est l'un des principaux clients, ne ressent pas encore un impact réel dans son trafic, il s'attend à des heures plus sombres dans les prochains jours. "L’impact sur la chaîne d’approvisionnement est énorme, bien plus important que lors de la propagation du SRAS en 2002 car l’économie chinoise est aujourd’hui quatre fois plus importante qu’à l’époque et bien plus connectée au monde", explique le porte-parole Gert Ickx. Voici pourquoi le coronavirus est une bombe à retardement pour Anvers.

Du côté du port d’Anvers, l’une des principales entrées maritimes de marchandises d’Europe, on scrute avec anxiété l’évolution de la propagation du coronavirus. "On remarque une baisse de la quantité de cargos venus de Chine, mais il est, pour le moment, difficile de mettre des chiffres sur ce ralentissement d’activité", explique Gert Ickx, le porte-parole du port d’Anvers.

La Métropole joue gros : en quantité de conteneurs, la Chine est le deuxième plus gros client du port anversois après les Etats-Unis. En volume de marchandises total, le pays se classe en quatrième place. "L’impact sur la chaîne d’approvisionnement est énorme, bien plus important que le SRAS en 2002 car l’économie chinoise est aujourd’hui quatre fois plus importante qu’à l’époque et bien plus connectée au monde", poursuit le porte-parole.

Un décalage dû au temps de navigation

Selon ce dernier, deux raisons expliquent le manque de données concrètes de l’impact de l’épidémie sur le trafic à Anvers. "Janvier et février marquent la période du nouvel an chinois où l’activité économique est traditionnellement fort ralentie dans l’Empire du Milieu. On constate ainsi chaque année une diminution du trafic maritime depuis et vers la Chine durant cette période de l’année".

Autre facteur rendant difficile toute objectivation : le décalage "temporel" dû à la durée du trajet. "La plupart des bateaux mettent plusieurs semaines pour rejoindre l’Europe depuis la Chine". Beaucoup de navires arrivant actuellement à Anvers sont ainsi partis d’Asie alors que l’épidémie n’en était pas encore à ce stade d’alerte.

Début mars et début des problèmes pour Anvers

L’impact pour le port belge ne devrait donc réellement se faire ressentir que dans les prochains jours car les ports chinois tournent, eux, bel et bien au ralenti. Selon Alphaliner, qui surveille le transport maritime, le débit total de conteneurs dans les ports chinois a diminué de plus de 20 % entre le 20 janvier et le 6 février. "Il y a actuellement moins de départs dans les ports chinois, probablement jusqu’à la mi-mars au moins", poursuit M. Ickx. Aujourd’hui, nous ne constatons pas de réduction du nombre de conteneurs déchargés de Chine. Nous ne constaterons les effets des annulations qu’au début du mois de mars".

Le porte-parole pointe un autre problème. "Quand l’activité reprendra , il y aura d’énormes pénuries de capacités de transport pour faire face aux pics du redémarrage de la chaîne, tant à l’intérieur de la Chine que de/vers la Chine", explique-t-il. "Il est donc peu probable qu’il soit possible de compenser les pertes des premiers trimestres en 2020".

Tout comme dans les aéroports belges, aucune mesure spécifique n’a été prise au port d’Anvers pour se prémunir contre ce virus. "Nous suivons les consignes du SPF Santé publique et nous nous tenons prêts à réagir rapidement au cas où la situation l’exigerait", conclut Gert Ickx.

Les marchés financiers ont enfin pris la pleine mesure du risque

Cette fois, ça y est : les opérateurs financiers ont quitté la phase de déni pour celui de l’inquiétude face à l’extension de l’épidémie. Les places boursières européennes ont donc entamé la correction que beaucoup s’étonnaient de ne pas voir arriver depuis plusieurs semaines. Avec en tête des chutes ce lundi, la Bourse de Milan en repli de près de 5 %, tout comme la Bourse de Vienne, de par la proximité géographique du foyer d’infection italien.

Les grands marchés boursiers de référence affichaient lundi des chutes proches de 4 %. L’or, valeur refuge par excellence, prenait plus de 2 %, l’once de métal précieux se rapprochant de la barre de 1 700 dollars, avec un dollar en hausse également. À Bruxelles, l’indice Bel 20 perdait 4 %, tous ses composants reculant de 1 à près de 7 %.

Coup de froid sur la croissance mondiale

Pour Peter Vanden Houte, le chief economist d’ING Belgique, il y a là une réaction assez normale des marchés, mais qui pourrait être limitée dans le temps. “La vague de hausse des cours des valeurs cotées en Europe qui a démarré en novembre de l’année passée était en effet basée sur les espoirs d’une reprise de l’économie au premier trimestre de cette année, et avait débuté dans un climat marqué par une croissance économique assez terne, et même un repli des bénéfices des entreprises. Or, on s’inquiète à juste titre aujourd’hui des impacts sur nos économies du coup de froid en Chine et d’effets secondaires de l’arrêt de la production d’une partie de l’industrie chinoise sur la chaîne d’approvisionnement des groupes européens."

"Rien que le blocage d’une partie de l’Italie – celle qui regroupe la plus grande partie de l’activité économique —, devrait avoir des répercussions sur la dynamique du pays et de ses voisins. Pourtant, les mesures énergiques prises par les autorités sont rassurantes. On peut en tout cas estimer que le 1er trimestre est perdu en termes de croissance. Pour l’Italie, qui avait connu un recul de la croissance au dernier trimestre 2019, il y a là les prémisses d’un nouveau recul au premier trimestre, soit une récession”. En chiffres, les perspectives ne sont pas plus encourageantes. “En 2003, l’épidémie de SRAS avait eu des répercussions limitées au niveau économique mondial. Mais à l’époque, le Chine représentait 4,5 % de l’économie mondiale. Aujourd’hui, elle en pèse 17 %. On estime le risque de ralentissement en Chine à 2 %, ce qui laisserait une croissance de 4 %, soit un risque au niveau mondial de 0,5 % de croissance”.

Reprise lente et dangereuse

Un tableau déprimant ? “C’est compliqué de donner une prévision sûre en matière d’évolution économique. Les derniers chiffres relatifs aux cas en Chine sont plutôt rassurants, qui montrent une baisse du rythme de nouveaux cas d’infection. En théorie, c’est plutôt bon pour les marchés boursiers, puisqu’on a vu des réactions positives à ces nouvelles dans le passé. Pour ce qui relève de la situation dans le reste du monde , on fait face à un nombre de cas peu élevé dans l’absolu puisqu’on parle de centaines de personnes contaminées”.

En Chine, on assiste à un lent redémarrage de l’activité des entreprises: ce serait donc plutôt rassurant. Pour Peter Vanden Houte, cette reprise, tout comme l’amélioration des conditions climatiques, pourrait être à la fois rassurante et inquiétante. “La reprise de l’activité industrielle et le retour partiel du personnel sont évidemment de bons signes, sauf que ce retour pourrait aussi être suivi d’une apparition de nouveaux foyers d’infection. Mais peut-on être sûr des chiffres officiels chinois ? Ici, on observe cela au travers d’indicateurs indirects, comme la proportion d’embouteillages dans les grandes villes chinoises. Là où, aux heures de pointe, on observe normalement un risque de 80 % de files de voitures, on ne voit toujours actuellement que des risques de ralentissements s’élevant à 5 ou 10 %.”

Dommages collatéraux

Il y a aussi les impacts sur certains secteurs d’activité exposés aux risques de contamination. “On le voit ce lundi sur les places boursières, les opérateurs tiennent compte de dommages additionnels. Les compagnies aériennes cotées, comme Air_France KLM, chutent de près de 10 %. Les opérateurs savent que les populations vont adopter un comportement prudent : éviter les endroits de rassemblement, les zones de shopping, et dont consommer moins. Les gens vont éviter pour temps les voyages, les transports…”

L’once d’or est proche de ses sommets historiques

Alors que depuis des années, l’once d’or voyait son prix fluctuer entre 1 000 et 1 200 dollars, depuis début 2019, la courbe est résolument ascendante. A la mi-février, l’once d’or franchissait le cap des 1 500 dollars. Ce lundi, elle vient de franchir un nouveau seuil, à plus de 1600 dollars. Le prix d’une once (31,1 grammes) grimpait à 1 680 dollars, son plus haut niveau depuis février 2013.

Les causes sont connues, et confortent le statut de “valeur refuge” du métal précieux. Il y a le Brexit, bien entendu, mais aussi la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, qui a provoqué un tassement de la croissance économique mondiale, particulièrement en Europe.

Le coronavirus, qui continue à se répandre davantage, en Europe aussi, provoque de plus en plus l’inquiétude sur les marchés. C’est que la production, que ce soit en Asie et maintenant en Europe (nord de l’Italie) fonctionne au ralenti, ce qui provoquera inévitablement des secousses sur les marchés. La barre des 1 750 dollars franchie au lendemain de la crise des dettes souveraines en 2010-2011 s’approche donc de plus en plus pour l’once d’or. D’autant plus que les banques centrales n’ont plus énormément de cartouches pour stimuler l’activité, les assouplissements monétaires ayant été légion ces dernières années. Les positions d’endettement (des Etats, des ménages et des entreprises), qui ont atteint des sommets, sont en outre souvent mal valorisées sur le marché des créances, de sorte que les investisseurs se détournent de plus en plus facilement de cette classe d’actifs…

Tourisme : “Il n’y a aucune annulation de congrès”

Bruxelles, de par son statut de capitale de l’Europe, occupe la première place européenne en matière de congrès internationaux (dont au moins cinq participants sont de nationalités différentes), et même la deuxième place mondiale derrière Singapour. Sans pour autant que le vent de panique autour du coronavirus ne semble l’atteindre. “Il n’y a pas le moindre signe d’un quelconque impact en termes de fréquentation, indique Patrick Bontinck, le CEO de Visit Brussels. Au contraire, en janvier et février, on note une croissance de 3 à 4 %. Et il n’y a aucune annulation de congrès de quelque taille que ce soit.” Pour cause, la clientèle asiatique n’a pas un grand poids touristique dans la capitale, que l’on parle de tourisme d’affaires ou de loisirs. “La clientèle asiatique représente 4 à 5 % de la fréquentation de Bruxelles. La clientèle chinoise, moins de 1 %. Ce n’est pas une raison pour annuler un congrès.”

Aux hôteliers et responsables de congrès inquiets, Visit Brussels conseille de se conformer à la consigne donnée en interne par la Commission européenne : si une personne ayant séjourné en Chine doit assister à une réunion, qu’elle le fasse par téléconférence plutôt que d’exposer les autres participants à un risque.“Il faut raison garder”, insiste Patrick Bontinck, ajoutant que l’épidémie de Sras en 2002-2003 n’avait pas eu d’impact sur le tourisme bruxellois.

Alimentaire : Les tomates italiennes sont sans danger

Si le secteur du commerce alimentaire s’inquiète, ce n’est absolument pas du coronavirus proprement dit mais bien du vent de panique qu’il pourrait provoquer.

L’Afsca s’en est bien rendu compte qui, lundi, se proposait d’ajouter des informations spécifiques sur le sujet sur le site du SPF Santé publique (ce qui, après validations diverses, devait être fait mardi matin).

Pas tant pour rassurer le secteur – qui l’est depuis plusieurs jours déjà, la question ayant été évoquée au sein des groupes de travail périodiques qu’il a avec l’Afsca – mais les consommateurs eux-mêmes. Qui ne doivent pas se priver de manger des tomates, fussent-elles italiennes, le virus se propageant par contact direct.