Ces adolescentes qui ont usé de leurs charmes pour assassiner des nazis

Credit : Reporters

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Truus, Freddie et Hannie sont trois amies pas comme les autres. Membres de la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, elles décident de se lancer dans une véritable chasse aux nazis. Leurs armes ? Leur jeunesse, leur beauté et leurs… rouges à lèvres. Dans le cadre du rendez-vous dominical “Il était une fois”, La Libre revient sur l’histoire de ces trois résistantes qui ont semé le trouble dans les rangs des nazis, jusqu’à s’attirer les foudres d’Hitler. 

De jeunes filles sages à résistantes sans pitié

Credit: fondation Hannie Schaft/archives

Credit: fondation Hannie Schaft/archives

Truus Oversteegen. Credit: fondation Hannie Schaft

Truus Oversteegen. Credit: fondation Hannie Schaft

Hannie Schaft. Credit: Verzetsmuseum

Hannie Schaft. Credit: Verzetsmuseum

“Le soldat allemand s’est emparé du bébé et l’a frappé violemment contre le mur.” Cet instant reste sans aucun doute le plus marquant de la vie de Truus Oversteegen. Pas seulement à cause de l’horreur du moment, mais surtout parce que c’est précisément à cette seconde qu’a basculé à tout jamais la vie de celle qui n’était encore qu’une jeune fille. La scène se déroule aux Pays-Bas en 1940. L’Allemagne vient d’envahir le pays, Truus n’a que 16 ans. Le visage empli de taches de rousseur, l’adolescente ne tarde pas à faire une croix sur son enfance pour rejoindre avec sa soeur, Freddie (14 ans), les rangs de la résistance. Leur tâche principale: mettre à l’abri les juifs, les dissidents politiques ou encore les homosexuels, dans les environs de la ville d’Amsterdam. Mais quand Truus Oversteegen se retrouve confrontée à un nazi tuant à mains nues un nouveau-né et forçant le père à regarder, c’en est trop pour l’adolescente. Elle dégaine son arme et la pointe sur le soldat allemand. “Le tuer ne faisait pas partie de ma mission”, reconnaît-elle par après. Truus n’hésite pourtant pas à appuyer sur la détente, faisant sa première victime. C’est alors que tout change pour les deux soeurs. 

Elles sont rejointes par d’autres femmes qui, comme elles, ne veulent pas rester passives face à l’invasion nazie. L’une d’entre elles deviendra une amie proche et l’une des plus célèbres héroïnes de guerre néerlandaises: Hannie Schaft (de son vrai prénom Jo), alors âgée de 20 ans. Truus, Freddie et Hannie bénéficient toutes trois d’un avantage: leur jeunesse. Avec leurs visages poupons, leurs yeux tendres, leurs longues robes... les trois résistantes comptent bien tirer profit de leurs airs d’écolières. Elles bernent les Allemands et parviennent à remplir des missions de la plus haute importance. Tantôt elles délivrent des documents top secret, tantôt elles volent les pièces d’identités de soldats allemands importants. Elles ne reculent devant rien.

Un plan qui ne laisse aucune chance aux nazis

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Les trois amies se lancent par la suite dans une véritable traque aux nazis. Pour cela, leur arme la plus précieuse n’est pas le fusil qu’elles cachent dans leur sac, mais bien leur rouge à lèvres et leur fard à joue. Les jeunes femmes se rendent dans des bars. Attirant l’attention des soldats allemands par leur beauté, elles s’empressent de leur faire la conversation. Leur objectif ? Les convaincre de les suivre pour une balade romantique dans la forêt. Mais les hommes qui pensent avoir réussi à les séduire se retrouvent en réalité pris au piège. Soit abattus par d’autres résistants tapis dans les fourrés, soit assassinés directement par leur dulcinée. 

Le plan élaboré par les jeunes femmes est un tel succès qu’elles l’orchestrent encore et encore. Truus, Freddie et Hannie forment un trio qui prend de l’importance dans la résistance. Mais elles n’acceptent pas n’importe quelle mission. Alors qu’il leur est demandé d’enlever les enfants du ministre des Affaires étrangères du Reich, Arthur Seyss-Inquart, les trois jeunes filles refusent. “Les combattants de la résistance ne tuent pas les enfants”, expliquent-elles plus tard, ne souhaitant pas que leurs actes concordent en quoi que ce soit avec ceux des nazis. Même si elles sont amenées à tuer, elles ne veulent pas perdre leur humanité.

Comme elles l’expliquent à une proche des années plus tard, elles essaient à chaque assassinat de le faire de façon à ce que la personne ne voit pas la mort venir. “Je ne suis pas née pour tuer”, explique même Truus à son amie qui finira par écrire son histoire. “Sais-tu ce que cela fait à ton âme ?” La jeune femme fond d’ailleurs très souvent en sanglots après un meurtre. 

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L'arme utilisée par Hannie Schaft. Credit: Thayts / CC BY-SA

L'arme utilisée par Hannie Schaft. Credit: Thayts / CC BY-SA

Les derniers jours de la “fille aux cheveux roux”

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Commémorations en l'honneur de Hannie Schaft. Credit: Noord-Hollands Archief / de Boer

Commémorations en l'honneur de Hannie Schaft. Credit: Noord-Hollands Archief / de Boer

Freddie et Truus Oversteegen ont été décorées, en 2014, de la Croix de mobilisation de guerre pour leurs actions dans la résistance. Credit: Evert-Jan Daniels

Freddie et Truus Oversteegen ont été décorées, en 2014, de la Croix de mobilisation de guerre pour leurs actions dans la résistance. Credit: Evert-Jan Daniels

Cela n’empêche pas les Allemands de très vite voir les trois filles comme une grande menace. Le nombre de cadavres qu’elles laissent derrière elles effraie le camp adverse qui se met en tête d’éradiquer ce mal qui les ronge. Elles deviennent les femmes les plus recherchées des Pays-Bas. Blessé lors d’une attaque, un ami des trois résistantes laisse échapper le nom d’Hannie Schaft auprès d’infirmières allemandes. Elle devient alors la personne à abattre, comme l’ordonne Hitler lui-même. Sa toison rousse rend son identification trop facile. Celle que les Allemands ont surnommée “la fille aux cheveux roux” se voit forcer de vivre dans l’ombre. Elle se teint les cheveux en noir et porte des lunettes. Ses parents sont arrêtés et jetés en prison, afin de faire pression sur Hannie pour qu’elle se rende. Coriace, elle n’en fait rien. Les nazis n’ont d’autres choix que de les relâcher, se rendant compte qu’ils ne possèdent aucune information sur les activités de leur fille et qu’elle ne rendrait pas les armes pour autant.  

Accompagnée des soeurs Oversteegen, elle persiste et signe: assassinats de soldats allemands ou de collaborateurs néerlandais, sabotages d’installations militaires,... Elles causent de nombreux dégâts au clan adverse jusqu’en 1945. Peu de temps avant la fin des hostilités aux Pays-Bas, Hannie Schaft est capturée par les Allemands. Arrêtée à un point de contrôle le 21 mars 1945, elle est emmenée pour un interrogatoire. Les derniers jours de la “fille aux cheveux roux” seront rudes, à l’image de la vie qu’elle a menée jusque-là. Celle qui a semé le trouble dans les rangs nazis est torturée, pendant plusieurs semaines. Le 17 avril 1945, 17 jours avant la fin de la guerre, deux soldats la traînent dans les dunes de Bloemendaal. Hannie Schaft, consciente du sort qu’on lui réserve, ne perd pas sa fougue. Alors que l’un des deux Allemands ne fait que la blesser avec une première balle, la jeune fille réagit du tac au tac. “Je tire mieux que toi”, lui lance la rouquine. Outré par cet affront, l’autre soldat tente sa chance et ne rate pas sa cible. La balle met un terme à la vie de celle qui est vue par beaucoup, de nos jours, comme une véritable héroïne de guerre. Quelque 70 ans plus tard, Freddie Oversteegen parle encore avec émotion de ce moment. “Ce que je regrette le plus, c’est qu’elle soit morte seule, sans personne pour lui tenir la main”, confie-t-elle. 

Reportage "Twee zussen in verzet" sur Freddie et Truus Oversteegen (2016)

Les deux soeurs Oversteegen survivent à la guerre, mais n’en gardent pas moins de nombreuses séquelles. Souffrant de stress post-traumatiques, Freddie se retrouve longtemps incapable de revenir sur les cinq années écoulées dans la résistance. Les deux femmes s’assurent toutefois d’entretenir la mémoire de leur alliée et amie, Hannie Schaft. Mais leurs affinités avec les communistes durant la guerre déplaisent aux Pays-Bas, à une époque où l’extrême gauche est vivement décriée. Interdites jusqu’en 1990, des commémorations sont désormais organisées chaque année le dernier dimanche de novembre en l’honneur d’Hannie Schaft. Truus et Freddie Oversteegen s’éteignent en 2016 et 2018, laissant derrière elles la fondation créée en l’honneur de leur amie qui veille désormais à ce qu’elle ne soit pas oubliée.

“Leur histoire est exceptionnelle”

Un groupe de résistants néerlandais. Credit: Wikipedia

Un groupe de résistants néerlandais. Credit: Wikipedia

L’histoire de ces trois jeunes Néerlandaises a, il est vrai, de quoi interpeller. S’il n’était pas rare que des femmes s’engagent dans la résistance, les voir prendre les armes l’était beaucoup plus. “Il s’agit  d’une exception, estime Fabrice Maerten, historien au centre d’étude Guerre et Société, qui s’est longuement intéressé à la résistance féminine en Belgique. Les femmes n’avaient pas accès à des fonctions militaires, ce n’était pas encore dans les moeurs de les voir l’arme au poing”. 

Les chiffres officiels font état d'un pourcentage d’environ 10 à 12 % de femmes dans la résistance, sur les 180.000 personnes reconnues comme ayant rejoint ses rangs. Une estimation que l’historien juge inadéquate par rapport à la réalité. “On devait plus tourner autour des 20%”, rectifie-t-il. “Souvent, les épouses venaient en aide à leur mari et se mettaient en danger. Pourtant, nombre d’entre elles ne sont pas comptabilisées dans les chiffres officiels. Mais il s’agit déjà là d’un chiffre important, sachant que les femmes à l’époque ne participaient pas encore à la vie publique et étaient au foyer”. Les femmes reproduisaient le rôle qu’elles occupaient dans la société, participant à la résistance civile. Dès lors, elles se voyaient attribuer essentiellement deux rôles: soit une fonction de liaison (délivrer des messages par exemple ou du courrier), soit une tâche de support (hébergement de juifs ou aide matérielle). 

Monument en l'honneur de Hannie Schaft. Credit: Fotopersbureau de Boer / CC0

Monument en l'honneur de Hannie Schaft. Credit: Fotopersbureau de Boer / CC0

Tout comme sa vie, la mort de Hannie Schaft est peu commune. “Les femmes, exerçant un rôle relativement subalterne dans la résistance, n’ont pas connu la même répression que les hommes, détaille l’historien. Le nombre d’arrestations est moins élevé et le pourcentage de décès est bien plus faible, étant donné qu’elles étaient moins souvent condamnées à mort”. Mais les actes violents de la résistante lui auront valu un traitement différent des autres. “Les nazis craignaient de créer la polémique en exécutant des femmes, comme ce fut le cas pour Edith Cavell en 1915, conclut Fabrice Maerten. Ce n’est pas pour ça qu’ils n’ont jamais eu recours à la peine de mort, comme dans ce cas si particulier, mais le pourcentage de femmes exécuté est nettement moindre que celui des hommes”. 

Documentaire de la BBC sur les soeurs Oversteegen et Hannie Schaft