Ces start-up belges qui ont vu leur
business décoller grâce au coronavirus

La crise sanitaire a aussi créé des opportunités


Aucune entreprise belge n'était préparée à faire face au choc de la pandémie de Covid-19. Lorsque, le soir du 12 mars, la Première ministre, Sophie Wilmès, annonça le confinement de la population, ce fut la douche froide pour des pans entiers de l'économie belge.

Face à un véritable tsunami sanitaire et socio-économique, les start-up ont adopté des stratégies parfois assez singulières. C’est le cas, en particulier, des start-up du secteur numérique et technologique.

Six mois plus tard, la rédaction de La Libre Eco a pris le pouls auprès d'experts, d'investisseurs et d'entrepreneurs pour voir comment, malgré les difficultés rencontrées, certaines jeunes pousses étaient parvenues à transformer le coronavirus en opportunité.


“On a connu un regain de vitalité avec l’émergence du Covid, on doit le dire.”

Clément Jadoul - Cofondateur de Wizo

"Oui, on peut le dire, le Covid a été bénéfique pour nous. Il a en tout cas été un élément déclencheur qui a mis en avant notre application dans le secteur horeca, jusqu’ici peu réceptif à l’idée”, lance d’emblée Clément Jadoul, 24 ans.

Lancée et adaptée à plusieurs reprises depuis 2017, l’application Wizo, portée à bout de bas par trois jeunes (Clément Jadoul, Axel Higuet et Anthony Van Bourgogne), est passée d’un service de digitalisation de commandes dans les bars à un service de digitalisation des menus.

Explication : “Il y avait une certaine réticence du secteur Horeca à accepter comme telle notre application, dont le but était d’éviter les allers et retours des serveurs dans les bars et cafés, avec des temps d’attente parfois fastidieux pour les clients. L’idée était de permettre à ces derniers de pouvoir consulter la carte, de commander et même de payer sur mobile, puisqu’on pouvait servir d’intermédiaire avec des services de paiement. Peut-être le secteur imaginait-il qu’on allait pouvoir se passer de quelques serveurs, ce qui n’est peut-être pas faux”, reconnaît Clément Jadoul.

On veut devenir la référence dans notre domaine comme le sont Deliveroo ou UberEats dans le secteur horeca.

Résultat : choux blanc ou presque. Mais la sauce prend avec l’émergence du Covid. “En juin, alors que j’étais en session, j’ai décidé de postposer mon année pour me lancer avec Axel, qui assure la gestion informatique, et Anthony, qui allie des compétences commerciales et techniques, parce que la digitalisation des menus fleurissait un peu partout. On s’est dit qu’on ne voulait pas laisser passer l’occasion et avec l’aide de Start. Lab (incubateur de start-up à Bruxelles) on a remis l’ouvrage sur le métier. Comme le secteur horeca devait trouver des solutions pour limiter les risques sanitaires, notre solution de digitaliser les menus de manière développée pour mobiles a pris”, explique Clément Jadoul.

À ce jour, une quarantaine de restaurants ont souscrit à cette solution. “Nous ne faisons pas payer jusqu’au centième. Après, ce sera 12,99 euros par mois pour la solution de base, et 18,99 pour la version plus évoluée”. Cette dernière comprend la possibilité d’avoir un rapport de vues, puisque chaque menu, plat et produits proposés sont décrits très précisément, avec photo, ce qui permettrait de savoir ce qui populaire ou pas chez les clients. “Cela pourrait ouvrir des perspectives en termes de gestion et de publicité pour les restaurateurs et leurs fournisseurs”, estime même le jeune startupper. Lequel assure avoir une vision de long terme : “On veut devenir la référence dans notre domaine comme le sont Deliveroo ou UberEats dans le secteur horeca.

“Notre plan de croissance à trois ans a été réalisé en 3 jours”

Muriel Bernard - Fondatrice et CEO d’eFarmz

"Dès la fin mars, les ventes ont été multipliées par trois, s’exclame, enthousiaste, Muriel Bernard, qui a fondé eFarmz en 2013. Et cela a été sold-out jusque mi-juin. C’était tout le temps complet et on a dû refuser énormément de clients.” 

eFarmz, c’est cette plate-forme de vente de produits bio et frais, et de boîtes-repas livrés à Bruxelles et en Wallonie. “On reste au même niveau depuisc’est gigantesque”, poursuit Muriel Bernard, qui résume : “Notre plan de croissance à trois ans a été réalisé en trois jours seulement !”.

Le confinement est passé par là, avec des habitudes de consommation qui ont changé, “des consommateurs qui ont envie de manger plus sain, bio, qui mangent moins à l’extérieur car il y a davantage de télétravail et moins de fêtes, et qui ont moins envie d’aller faire leurs courses au supermarché”.

“Le soir du jeudi 13 mars et de l’allocution de Sophie Wilmès, j’étais devant mon ordinateur et je voyais que le site commençait à ralentir, se souvient-elle. En fait, plein de gens arrivaient à ce moment-là sur le site. Et ils ne l’ont plus quitté… Au début, nous avons connu de gros problèmes techniques en raison de l’affluence avec parfois 500 personnes qui voulaient payer à la même seconde. Nous avons rapidement mis en place un système de file d’attente. Nous avons fait appel à des intérimaires pour nous aider puis pris un entrepôt temporaire supplémentaire ici à côté, à Anderlecht (pour passer de 800 à 1 200 m2). Nous déménageons mi-octobre dans un entrepôt de 2 000m2, toujours à Anderlecht. Nous avons finalement engagé une dizaine de personnes – nous sommes désormais une trentaine – et nous allons encore en engager autant d’ici la fin de l’année.”

Elle avoue en passant : “On a bossé comme des fous”, tout en ajoutant dans la foulée : “A très court terme, nous sommes occupés à nous agrandir et à améliorer nos opérations pour pouvoir suivre la croissance et faire ensuite du x4 ou x5 dans les prochains mois. Nous avons encore un énorme potentiel à Bruxelles et en Wallonie”. La course n’est pas finie…

“Avec la crise, nous sommes devenus la première thérapie digitale remboursée”

Charles-Eric Winandy - Cofondateur et directeur de MoveUP

D’environs cent patients par mois à zéro. C’est la drôle de situation qu’à vécu MoveUP lors de la crise sanitaire. Du jour au lendemain, la start-up belge qui propose un système de thérapie digitale s’est retrouvée coupée de ses clients. Une situation inédite qui n’a pas empêché ses fondateurs de rebondir en adaptant leur solution de tracking.

À l’origine, le dispositif médical de MoveUP se compose d’un tracker d’activité et d’une application mobile qui, par l’intermédiaire d’une tablette, propose au patient un programme de revalidation 100 % personnalisé. “Nous avons adapté notre dispositif au suivi à domicile des patients contaminés”, explique Charles-Eric Winandy, cofondateur et directeur de MoveUP.

Grâce au bracelet, les patients qui regagnaient leur domicile pouvaient, maintenir un contact avec les médecins de l’établissement de santé qui, à distance, surveillaient les paramètres des patients. La solution a rapidement été adoptée par un hôpital bruxellois et par une soixantaine de médecins généralistes. “Les solutions de télémédecine étaient à tort jugées impersonnelles et dirigées vers une réduction des coûts”, explique le cofondateur, qui a remarqué un changement de mentalité dans le secteur des soins de santé. “Avec cette crise, les avantages de la télémédecine sont apparus de plus en plus clairement.” 

“Les solutions de télémédecine étaient à tort jugées impersonnelles et dirigées vers une réduction des coûts”

La crise sanitaire a également levé les dernières barrières qui empêchaient la mise en place d’un remboursement INAMI de sa solution. “Nous sommes donc devenus la première thérapie digitale remboursée en Belgique”,se félicite Charles-Eric Winandy.

Cette visibilité et ce pivot ont contribué à l’obtention du financement européen de 2,7 millions d’euros octroyé en juin dernier par le Conseil européen de l’innovation (CEI). Grâce à cette somme, la start-up peut continuer son expansion au niveau européen. Elle est déjà installée au Pays-Bas et sera bientôt présente en France.

"De notre position d’intermédiaire, nous sommes passés à celle de partenaire"

Laurent-Philippe Ham - Cofondateur de Beelance

Chez Beelance, une start-up offrant des services aux travailleurs indépendants en développement informatique, design, et marketing digital, la crise sanitaire a été le moteur d’un redéploiement de l’offre. Ainsi, comme nous l’explique son fondateur, Laurent-Philippe Ham, “alors que nous étions au départ une plateforme de mise en contact d’entreprises et des experts indépendants dans le secteur digital, nous avons dû nous adapter à une situation difficile en mars, avril et mai. En effet, quand les entreprises manquent de visibilité, elles se séparent d’abord des indépendants. Et, si nous le savons, ces indépendants avec lesquels nous travaillons optent pour ce statut pour bénéficier d’une plus grande liberté, ils ne veulent pas pour autant être seuls”.

La start-up a donc évolué vers un mode communautaire, participatif et… bienveillant. “Nous avons en effet négocié pour nos membres, et créé un écosystème associant les services d’autres start-up ou scale-up pour entourer ces free-lances et faire en sorte qu’ils ne soient jamais seuls. On propose trois piliers qui permettent à ces indépendants de bénéficier d’un accompagnement “bienveillant” dans un esprit communautaire : le Flex Office avec Silversquare, le Flex Mobilité avec Skipr et Lizy, et le Flex Admin avec uLaw, Accountable, OpenWork et Securex”.

Soit un environnement de travail, de mobilité et d’administration à des conditions sympathiques.“En fait, de notre position d’intermédiaire, nous sommes passés à celle de partenaire, avec un partage des idées et des ressources, pour un quart environ des 26 000 indépendants du digital. Sachant qu’avec la crise, les entreprises font plus appel qu’auparavant à des indépendants pour des missions spécifiques”.

“Le nombre d’utilisateurs de Wooclap a été multiplié par cinq par rapport à l’année passée.”

Sébastien Lebbe - Cofondateur et CEO de Wooclap

La start-up Wooclap, qui propose un service en ligne destiné aux professeurs et aux étudiants, s’attendait à une belle croissance cette année, avant la crise sanitaire.

En deux mots, le principe est ici de permettre aux enseignants de jauger en temps réel l’impact de leurs cours sur les étudiants présents, en leur posant des questions à intervalles réguliers, ce qui a pour avantage de soutenir leur attention. Les étudiants peuvent participer de manière active sur leurs PC ou sur leurs smartphones.

L’outil, qui était en voie d’adoption rapide dans les universités, a montré ses avantages au fil du lockdown, en permettant aux professeurs donnant cours en vidéoconférence de garder un contact avec les élèves. “Il y a clairement eu une accélération de l’adoption de Wooclap dans les universités et l’enseignement supérieur”, nous explique Sébastien Lebbe, cofondateur de l’entreprise. 

L'outil est intégré dans les solutions de géants comme Microsoft qui l’a associé à son système de vidéoconférence Teams

“En fait, le nombre d’utilisateurs a été multiplié par cinq par rapport à l’année passée. On s’attendait à une forte croissance, mais pas à ce niveau, et c’est bien entendu lié au confinement. Dans ce cadre, beaucoup de professeurs se sont convertis à l’enseignement à distance, et nous avons été submergés de demandes de formations, notre service permettant aux enseignants de retrouver un contact avec les étudiants. Nous avons donc organisé des formations pour des dizaines voire des centaines de professeurs dans les universités. Nous voyons désormais que les universités investissent massivement dans les outils numériques, et nous pensons que cette tendance va se maintenir, même lorsque nous serons sortis de cette crise sanitaire”, assure encore Sébastien Lebbe.

Wooclap est désormais rentable, et ambitionne de devenir le leader européen du marché. Et c’est envisageable : l’outil est intégré dans les solutions de géants comme Microsoft qui l’a associé à son système de vidéoconférence Teams. Avec, à la clé, une visibilité mondiale.

Forte de 35 personnes, l’entreprise est à la recherche de talents. “On recrute des développeurs, des informaticiens, des “account managers” pour le Royaume-Uni, notamment. Nous recherchons des talents”.

"Le confinement aura démontré à beaucoup de gens que la livraison est un vrai service et qu’il a un prix”

Romain Syed - Cofondateur et CEO de Shippr

Plateforme de livraison urbaine, la start-up belge Shippr a vu son business profondément évoluer depuis le début de la crise du Covid-19. “Avant l’arrivée de la pandémie, une grosse partie de notre clientèle était dans la restauration et la livraison de lunchs en entreprises”, explique Romain Syed, son CEO et cofondateur. Avec le confinement, du jour au lendemain, on a perdu 50 à 60 % de nos clients”.

Mais le lockdown aura aussi permis de développer de nouvelles activités pour la jeune pépite. “De nombreux commerces de proximité se sont mis à la vente en ligne : les particuliers se sont fait énormément livrer durant le confinement. Des magasins de retail, mais aussi des enseignes comme Carrefour ou Delhaize n’arrivaient plus à gérer les commandes”.Shippr a ainsi très rapidement trouvé sa place dans ce nouveau marché. “Entre février et juin, on a doublé notre activité”, poursuit Romain Syed. On a engagé cinq nouvelles personnes dans la société.” 

"On a doublé notre activité”

En plus de Bruxelles, la société, qui compte 18 employés et travaille avec des livreurs indépendants, livre aussi désormais tout type de biens et marchandises à Lille et Paris. Mais la jeune start-up poussera-t-elle aussi rapidement une fois la pandémie disparue ? “L’évolution semble positive sur le long terme”, assure avec confiance le patron. Le confinement aura démontré à beaucoup de gens que la livraison est un vrai service et qu’il a un prix”.

Shippr ne veut ainsi pas rentrer dans “une ubérisation” de son service. “Nous travaillons avec des indépendants dont c’est déjà le métier d’être livreur ou avec des petites entreprises de livraison. On estime que c’est important qu’ils soient bien payés. Quand on le peut, on développe aussi de plus en plus la livraison à vélo ou cargo vélo, car on veut pouvoir apporter des solutions durables à nos clients”.

Un dossier Libre Eco

Pierre-François Lovens, François Mathieu, Anne Masset, Camille Delannois, Patrick Van Campenhout, Raphaël Meulders