Les catacombes : Plongée mortelle
dans le Paris immortel

Un dossier de Romain Hubaut

A 20 mètres sous terre, dans les profondeurs de la Ville Lumière, vit un monde sur lequel la vie semble avoir perdu toute emprise. "Arrête! C'est ici l'empire de la mort". Inscrits sur la pierre froide,les mots savamment choisis qui surplombent l'entrée des Catacombes de Paris, nom donné à l'ossuaire municipal de la capitale, donnent la chair de poule.

De la maison des vivants
à la maison des morts

Depuis l'époque gallo-romaine, quand la capitale portait encore le nom de Lutèce, les Parisiens exploitaient la pierre de leur sous-sol pour bâtir leurs maisons. Tant et si bien que Paris est aujourd'hui comparé à un gruyère avec ses 350 kilomètres de galeries souterraines ou, plus justement, de carrières. Ces dernières restaient désespérément inexploitées jusqu'à ce qu'une utilité soit trouvée à une partie d'entre-elles à la fin du 18e siècle.

En 1785, le cimetière des Innocents, qui a recueilli des ossements humains près de dix siècles durant, devient sujet aux infections. Les riverains se plaignent énormément des odeurs nauséabondes qui en émanent et troublent leur quotidien. Finalement, le Conseil d'Etat finit par ordonner la suppression et l'évacuation complète du cimetière, avant d'élargir sa décision aux principales nécropoles de la capitale en 1786.

"Des siècles durant, les cimetières se sont accumulés dans Paris. Chaque église, chaque hôpital et chaque couvent possédait le sien. On disait que les bourgades des morts étaient disséminées à travers la ville des vivants", explique Gilles Thomas, spécialiste des sous-sols parisiens. Il faut se rendre compte que ces cimetières ne ressemblaient absolument pas à ceux que nous connaissons aujourd'hui. "L'inhumation, à l'époque, se faisait dans des fosses communes, tranchées de 5 à 10 mètres de profondeur, où 1.000 à 15.000 cadavres étaient entassés. Lorsqu'une rangée était terminée, on recouvrait cette dernière de 20 centimètres de terre et puis on recommençait une nouvelle rangée [...] Nos ancêtres étaient enterrés de manière affreuse", écrit Jacques Hillair et dans son livre Les 200 Cimetières du vieux Paris.

Des touristes munis de torches. Vers 1815.


Des touristes munis de torches. Vers 1815.

Les anciennes carrières sont alors choisies afin d'y entreposer les ossements. La première session de transferts des restes humains durera quinze mois. Tout est très ritualisé puisqu'à la nuit tombée, une procession de prêtres chante "l'office des morts le long du trajet emprunté par les tombereaux chargés d'ossements et recouverts d'un voile noir", rappelle Gilles Thomas. Tout est acheminé dans les catacombes depuis un puits préalablement utilisé pour remonter la pierre du sous-sol.

En 1860, tous les ossements ou presque auront rejoint leur dernière demeure. En fin de compte, ce sont les restes de six millions de personnes qui dorment sous l'activité qui fourmille à la surface, soit environ trois fois la population actuelle de Paris intra-muros.

 Dessin paru dans L'Univers Illustré en 1866.

 Dessin paru dans L'Univers Illustré en 1866.

Dès 1806, le lieu reçoit les visites de quelques privilégiés, tels que l'empereur d'Autriche François Ier (en 1814) ou encore Napoléon III en 1860. Ce n'est que bien après, en 2002, que les catacombes deviennent officiellement un site historique de la capitale.

Des célébrités enterrées sous les pavés

Bien qu'aucune dépouille n'ait pu être identifiée à ce jour, les historiens s'accordent à dire que les ossements de nombreux personnages célèbres de l'histoire de France ont été mélangés à ceux d'illustres inconnus lorsque les cimetières ont été évacués.Ainsi, les restes de l'écrivain François Rabelais(1494-1553), du précurseur de l'architecture classique François Mansart (1598-1666), ou encore ceux de l'un des plus fameux prisonniers de l'histoire hexagonale, l'homme au masque de fer - même si des doutes persistent quant à son existence (décédé en 1703) -, ont été déplacés du charnier de l'église Saint-Paul,à proximité de la Place des Vosges.

L'homme au masque de fer, représenté par un dessin publié dans Paris Match.

L'homme au masque de fer, représenté par un dessin publié dans Paris Match.

Même son de cloche pour le dramaturge Jean Racine (1639-1699) et le mathématicien et philosophe Blaise Pascal (1623-1662) qui ont été inhumés à Saint-Étienne-du-Mont, à quelques encablures du Panthéon, et dont les ossements ont été descendus dans les catacombes.

Charles Perrault (1628-1703), à qui nous devons les fameux contes tels que Barbe Bleue, Cendrillon, La belle au bois dormant ou encore le Chat Botté, a été enterré au champ de repos Saint-Benoît en compagnie de son frère Claude, à l'origine de la colonnade du Louvre.

Le grand cimetière révolutionnaire des Errancis a pour sa part accueilli les dépouilles de personnalités plus contemporaines à l'époque des catacombes. Guillotiné en 1794 sur la place de la Révolution à Paris, Maximilien de Robespierre (1758-1794),l'un des principaux responsables de la Terreur , est l'une d'elles. Notons par ailleurs le déplacement des restes d'Antoine Lavoisier (1743-1794), père de la chimie moderne et auteur de la Méthode de nomenclature chimique qui servira de base aux travaux de Mendeleïev.

Contrairement à d'autres cimetières, aucune plaque affichant le nom "Errancis" n'est présente dans les catacombes pour commémorer les âmes qui y ont été enterrées, puis déplacées.

Circuit touristique ou goût du risque ?

La plongée débute à proximité du Jardin du Luxembourg et du Cimetière du Montparnasse (Gare RER Denfert/Rochereau). Après avoir descendu 130 marches, le visiteur se retrouve dans un labyrinthe souterrain creusé dans la pierre.

Un tunnel emprunté lors de la visite touristique des catacombes.

Un tunnel emprunté lors de la visite touristique des catacombes.

Les galeries obscures et humides, situées sous le métro et les égouts, laissent place à une véritable mise en scène de la mort. Les noms d'anciennes rues y sont encore lisibles sur de vieilles plaques, qui permettaient sans aucun doute aux travailleurs de se repérer dans les étroits couloirs. Les ossements sont disposés dans un décor qui se veut évidemment macabre combiné à des poèmes et des textes en rapport direct avec la mort, ce qui ajoute une dimension philosophique et romantique au parcours long d'environ 1,7 kilomètres.

Phrase philosophique propre au décor des catacombes (touristiques).

Phrase philosophique propre au décor des catacombes (touristiques).

Des plaques commémoratives sont disposées afin de retracer l'exacte origine des crânes, tibias et autres fémurs donnés à la vue des curieux intrépides. Le reste des squelettes étant dissimulé derrière un mur façonné à l'aide des autres.

Bien que la visite demeure impressionnante et riche d'enseignements, les catophiles, comme sont surnommés les passionnés des carrières et des catacombes, préfèrent emprunter les chemins de traverse. Ces circuits non touristiques sont nombreux... mais dangereux. En témoigne l'expérience, en juin dernier, de deux adolescents qui se sont aventurés et perdus dans le dédale des souterrains avant d'être retrouvés indemnes trois jours plus tard. Ce type de faits divers n'est pas rare puisque les catacombes ont toujours fasciné depuis leur création. Entre rites sataniques, murs graffés, fêtes clandestines et autres divertissements illégaux, la tentation de franchir l'interdit en attire plus d'un.

Les raisons de se plonger dans le Paris des morts sont légion. Yohan*, un catophile confirmé, préfère mettre en garde l'âme aventurière qui sommeille en certains de nous. "Si vous ne connaissez pas quelqu'un dans votre entourage qui peut vous guider là-dessous, oubliez. C'est peine perdue et votre expérience risquerait de très mal se terminer. Les vrais catophiles ne donnent pas d'indication aux touristes qu'ils ne connaissent pas."

Il aborde aussi quelques petites perles, comme un ancien bunker allemand, une brasserie datant des années 60 ou encore une salle où un château d'un mètre de haut a été sculpté dans la pierre par des artistes. "Il existe bel et bien des lieux hors du temps, sous l'asphalte. Le Château (photo d'illustration de cette partie), La Plage, la salle Z ou encore le bunker allemand aménagé pendant la seconde Guerre Mondiale sous le lycée Montaigne sont de ceux-là. Ils se méritent et sont majoritairement difficiles d'accès."

La plage des catacombes et sa fameuse vague.  Située sous la rue du Père Corentin, elle est connue pour ses nombreuses soirées clandestines.

La plage des catacombes et sa fameuse vague.  Située sous la rue du Père Corentin, elle est connue pour ses nombreuses soirées clandestines.

Il faudra en effet ramper, se baigner dans des eaux croupies, accepter la compagnie indélicate des rats et endurer une marche de plusieurs heures dans des couloirs et tunnels dépourvus de toute lumière. "Un équipement bien spécifique est à prévoir. Il faut être préparé avant de se lancer, sinon la situation pourrait vite dégénérer", termine notre amoureux des carrières parisiennes.

SOURCES:

  1. Site internet des Catacombes de Paris: http://www.catacombes.paris.fr/

  2. Article de Paris Mag, Catacombes, accès interdits, 25 juin 2015: https://www.parismag.fr/catacombes-entr%C3%A9es-acc%C3%A8s-interdits/

  3. Gilles Thomas, Les Catacombes: Histoire du Paris souterrain, Éditions : Le Passage, 2015.

  4. Gilles Thomas, Atlas du Paris souterrain : la doublure sombre de la ville lumière, Éditions Parigramme, 2001.

  5. Jacques Hillairet, Les 200 cimetières du vieux Paris, Les Éditions de minuit, 1958.

  6. Documentaire Paris mystères (macabre et catacombes), 2013, https://www.youtube.com/watch?v=WJAPgM0n5Ss

  7. Documentaire Les catacombes, Histoire des souterrains secrets deParis, https://www.youtube.com/watch?v=WJAPgM0n5Ss

  8. Dans les catacombes interdites, vidéo du Youtubeur Amin,https://www.youtube.com/watch?v=WBxuN5KV6Gc

  9. Emission diffusée sur Europe 1 et présentée par Franck Ferrand en mai 2014, http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/au-coeur-de-l-histoire/sons/l-integrale-les-catacombes-de-paris-2125743