Brexit

Pourquoi Bruxelles attire si peu d'entreprises quittant Londres
contrairement à Amsterdam, Francfort, Dublin et Paris

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Si le référendum en faveur du Brexit, voté le 23 juin 2016, est généralement perçu comme un “crime économique”, il serait regrettable de ne pas voir dans le chaos actuel une réelle opportunité : celle d’attirer les entreprises privées qui sont parfois contraintes de rester implantées dans l’union douanière pour poursuivre leurs activités, surtout si elles sont fort réglementées par l’Union européenne.

Parmi les centres de décision qui s’apprêtent à quitter le Royaume-Uni, distinguons d’abord les agences européennes des entreprises privées. Tous les experts s’accordent à saluer l’implication du monde politique belge pour avoir tenté d’attirer chez nous l’Agence européenne des médicaments (EMA), qui se basera finalement à Amsterdam. Déjà bien servie en institutions internationales, Bruxelles part rarement favorite pour attirer de nouvelles organisations. Par contre, dans la vaste compétition entre grandes villes pour séduire les entreprises privées, Amsterdam sort du lot. Cette ville parvient à valoriser ses meilleurs atouts, à commencer par un environnement favorable au monde des affaires, une fiscalité avantageuse et une pratique courante de l’anglais. Des arguments qui parlent aux entreprises actives à Londres.

La Libre Belgique a donc voulu comprendre pourquoi Bruxelles semble devoir se satisfaire de miettes.

Mauvaise stratégie ? Manque de vision ? Conséquence des divisions belges ? Peut-on encore inverser la tendance ? Nous avons mené l’enquête en interrogeant une vingtaine d’acteurs de ce dossier. En “on”, et en “off”…

1. Bruxelles ne ramasse-t-elle
que des miettes ?

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Plusieurs sociétés, dont EY et Lloyd’s, ont décidé de rejoindre la capitale européenne. Mais, jusqu’ici, personne ne se bouscule pour ouvrir une filiale à Bruxelles ou s’y délocaliser. Face à ce constat, les agences régionales pour les investissements étrangers se défendent : “il est trop tôt pour faire un bilan”, disent-elles en chœur. Pourtant, la comparaison avec les autres grandes villes européennes a de quoi inquiéter.

L’Allemagne se régale

Francfort, Dublin et Paris mènent une bataille féroce avec déjà quelques beaux succès à la clé. L’Allemagne est la destination privilégiée par les entrepreneurs qui désirent transférer leurs activités. Francfort profite particulièrement de sa proximité avec la Banque centrale européenne (BCE). La France, grâce notamment à l’implication personnelle du président Macron, peut se vanter d’accueillir l’Autorité des banques européennes (ABE) et une trentaine de réaffectations d’entreprises privées. Le Luxembourg aussi dénombre déjà plus de 51 relocalisations de sociétés (principalement dans l’asset management et l’assurance).

La Banque centrale européenne

La Banque centrale européenne

La Banque centrale européenne

De son côté, Dublin surfe sur ses liens culturels avec les États-Unis pour séduire les managers d’outre-Atlantique. L’investisseur et milliardaire américain Ken Fisher nous confirme l’attractivité de Dublin mais regrette que l’Irlande soit davantage accaparée par les enjeux frontaliers dans le nord de l’île que par l’attractivité de sa capitale.

Puis, la surprise, Amsterdam... qui a déjà séduit 42 entreprises. Selon Michiel Bakhuizen, qui est à la tête de l’agence des investissements étrangers néerlandais (NFIA), plus de 250 sociétés réfléchissent sérieusement à s’implanter aux Pays-Bas à cause du Brexit.

Et Bruxelles dans tout ça ? “C’est un gâchis énorme !” nous disent plusieurs responsables économiques et politiques. Pour Olivier Willocx (BECI), Bruxelles souffre immanquablement de la comparaison avec Londres, mais il reste optimiste : “Je suis convaincu que nous attirerons davantage d’entreprises lors des prochaines vagues de relocalisation qui seront davantage liées à l’évolution des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.”

Olivier Willocx (Photo : Christophe Bortels)

Olivier Willocx (Photo : Christophe Bortels)

Olivier Willocx (Photo : Christophe Bortels)

Les observateurs s’accordent à y voir une occasion manquée pour notre économie. “Il aurait fallu mieux se préparer et se lancer plus tôt dans la compétition, estime Hylke Vandenbussche, professeure en économie internationale à la KU Leuven. Comme souvent dans notre pays, on pensait que cela s’arrangerait tout seul avec le temps. On doit se demander pourquoi Amsterdam et Paris sont plus attractifs alors que Bruxelles est moins chère, qu’on a davantage d’espaces disponibles et plus de potentiel d’expansion.” Sa proximité avec Londres pèserait finalement peu dans la balance. Alors que la capitale dispose de 2 millions de m² de bureaux disponibles, dont 512 000 m² rien que dans le quartier Nord.

Un premier bilan plutôt maigre donc. “Pas du tout !” rétorque Emmanuel de Beughem. Responsable des investisseurs étrangers à Hub Brussels, il est l’un des rares acteurs du dossier à démentir ce constat : “Les entreprises qui se délocalisent ne disent pas qu’elles le font dans le cadre du Brexit, car le message est politiquement sensible. Le fait qu’Amsterdam et Paris donnent des chiffres précis, cela m’épate. Qu’est-ce qui permet d’affirmer qu’une entreprise vient s’installer en raison du Brexit ? Depuis le référendum, on a eu un flux d’environ 100 entreprises britanniques. C’est le double par rapport à la même période avant le vote. C’est une évolution importante que la Wallonie enregistre aussi.”

2. Un rendez-vous manqué
à cause de la mentalité belge ?

Belga

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“Le contexte politique ne nous rend pas particulièrement attractif”, concède le patron des patrons bruxellois Olivier Willocx (BECI). L’instabilité politique, les affaires courantes, des séparatistes au pouvoir fédéral, une lasagne institutionnelle… : autant d’arguments soulevés par de nombreux interlocuteurs. Mais sur ces aspects politiques, ils préfèrent (trop) souvent ne pas s’exprimer publiquement. Seul le comte Paul Buysse, pilote du groupe d’experts Brexit High Level Group belge (HLG), reconnaît que l’on peut y voir une cause du résultat peu spectaculaire de la Belgique : “Lorsque les organisations régionales agissent chacune de leurs côtés, cela n’aide pas.”

Pas de coordination fédérale

Paul Buysse, dont le groupe d’experts s’est focalisé sur les conséquences du Brexit pour notre exportation, poursuit : “Je reconnais que les Hollandais ont déclenché une campagne spectaculaire pour attirer les multinationales, mais nous n’avons pas manqué d’ambition ou de vision. Nous avons fait ce que nous devions au plus haut niveau de l’État. À la vérité, il faut refaire la Belgique, refédéraliser le pays, car la bonne volonté ne suffit pas à déplacer des montagnes. Chaque niveau de pouvoir tire un peu la couverture à soi, il faut dès lors un chef très fort pour parvenir à manœuvrer dans tout cela.”

Paul Buysse (Photo : Belga)

Paul Buysse (Photo : Belga)

Paul Buysse (Photo : Belga)

Pour s’en convaincre, voici la réponse de la FEB à nos questions : “Nous n’avons pas vraiment travaillé sur cet aspect.” Son CEO, Pieter Timmermans, nous lâche même : “Nous n’avons pas de point de vue global sur le sujet.” Le constat est là, il n’y a eu aucune réelle concertation ou coordination au niveau national pour développer une stratégie pour attirer les entreprises. Le CD&V Kris Peeters, ministre fédéral de l'Emploi et de l'Economie, n'a d'ailleurs pas répondu à notre demande d'entretien.

“Contrairement aux places financières qui nous entourent comme Amsterdam ou Paris qui ont créé de redoutables task forces, il ne semble pas y avoir de réelle volonté commune et coordonnée d’accueillir des sociétés de la City”, regrette Vincent Van Dessel, CEO d'Euronext Bruxelles. “Des initiatives – principalement des campagnes de communication – ont été prises mais en ordre dispersé et dans des secteurs ciblés comme l’assurance, alors que ce qu’il nous faudrait c’est un réel changement de mentalité. En Belgique, la finance est encore souvent connotée négativement, alors que la présence d’acteurs financiers solides crée un écosystème et favorise l’émergence et le financement d’entrepreneurs, de start-up et de scale-ups. Accueillir des acteurs financiers n’est pas une fin en soi mais un moyen de faire grandir nos entreprises.” Pourtant, on parle d’emplois et d’investissements potentiels pour les trois régions du pays…

Particulièrement diplomate, Emmanuel de Beughem (Hub Brussels) conteste cependant que la régionalisation du commerce extérieur représente le moindre handicap pour séduire les investisseurs. “Sur le plan opérationnel, insiste-t-il, nous ne vendons pas les mêmes produits”. Un autre habitué de telles missions concède pourtant que “cette division et cette concurrence ne renforcent pas nos positions”.

3. Qu’est-ce qui plombe
l’attractivité de Bruxelles ?

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Perception is reality, l’expression résume la principale faiblesse de notre capitale, même s’il est rassurant de rappeler que 1 400 filiales de multinationales y sont actives. “Je vois un problème de réputation, qui dépasse la réalité, qui fait suite à une mauvaise presse, souligne la spécialiste du Brexit Hylke Vandenbussche (KU Leuven). Lorsque l’on évoque Bruxelles dans les médias, on parle de quoi ? De grèves, d’immobilité, d’attentats… J’ai des confrères asiatiques qui refusent de venir par crainte pour leur sécurité. Notre pays est parfois perçu en Asie comme dangereux. J’ai beau affirmer que c’est totalement faux, cette perception existe…” Notre interlocutrice ne s’étonne guère que les multinationales asiatiques privilégient Amsterdam.

Le constat d’une Amsterdam plus attractive que Bruxelles est largement partagé. Pourtant, chez Hub Brussels, on conteste fermement la mauvaise réputation de notre capitale : “Je ne peux pas laisser dire cela, c’est une perception purement bruxelloise qui ne passe pas les frontières. Nous n’avons aucune difficulté à vendre Bruxelles à Londres ou ailleurs.” Dans l’opposition, un libéral bruxellois qualifie le marketing de la région de “lamentable et moribond”. Plusieurs directeurs d’écoles internationales partagent cette critique et s’étonnent du manque d’enthousiasme de nos politiques à promouvoir Bruxelles face au Brexit.

Le quartier des affaires d'Amsterdam (Photo : Reporters)

Le quartier des affaires d'Amsterdam (Photo : Reporters)

Le quartier des affaires d'Amsterdam (Photo : Reporters)

Trop de taxes, trop de règles

Mais la perception ne fait pas tout. D’ailleurs, le monde financier dénonce d’autres faiblesses bien plus concrètes, à commencer par une fiscalité décourageante (taxes compte-titres et dividendes, TOB…). “Il n’y rien à faire, se désespère Olivier Willocx (BECI), la fiscalité belge représente tout ce que les entreprises londoniennes ne veulent pas”. Mais ce n’est pas tout. Vincent Van Dessel pointe du doigt une spécialité bien belge au nom faussement flatteur : le gold-plating (dorure). Cette sur-transposition consiste à imposer des obligations plus strictes que les textes européens lorsqu’ils sont transposés en droit national. “Nous regrettons que le législateur belge introduise parfois des exigences ou des procédures supplémentaires (et souvent inutiles) ou transpose certaines législations de l’UE de manière inefficace, en ne tirant pas pleinement parti des exemptions nationales. Ceci pénalise les entreprises et les investisseurs”.

Le législateur a récemment corrigé certaines situations de gold-plating. C’est encourageant, nous dit-on, mais clairement insuffisant. L’exemple le plus parlant dans le contexte du Brexit concerne les lois linguistiques qui imposent souvent l’utilisation des langues locales, alors que l’anglais suffit dans de nombreux pays.

 Vincent Van Dessel (Photo : Johanna de Tessières)

Vincent Van Dessel (Photo : Johanna de Tessières)

Vincent Van Dessel (Photo : Johanna de Tessières)

Des communes peu “expats-friendly”

Le monde de l’entreprise tire une autre sonnette d’alarme: l’usage peu répandu de l’anglais au niveau local rend les communes bruxelloises peu expats-friendly. Il faudrait, selon nombre d’experts, impérativement asseoir la stature de ville internationale en reconnaissant l’anglais comme langue officielle. “Il faut en finir avec les mesquineries linguistiques. Ce débat est devenu trop sensible, on y perd le bon sens”, selon le CEO de BECI.

Emmanuel de Beughem (Hub Brussels) aussi se montre critique sur ce point : “La pratique de l’anglais dans l’administration est une véritable faiblesse qu’il faut changer. Il n’est pas normal que les documents à remplir ne soient disponibles qu’en français ou néerlandais. Nous avons déjà souligné cette faiblesse.”

Enfin, les délais urbanistiques seraient trop longs pour des candidats investisseurs plongés dans une logique d’urgence. “Ils sont clairement beaucoup trop longs, admet l’ex-échevin bruxellois de l’urbanisme Geoffroy Coomans. Il faut en moyenne 14 à 16 mois pour délivrer un permis. Cette durée, et les incertitudes qu’elle comporte, représente un coût réel pour une entreprise qui envisage de se relocaliser.

4. Qu’ont fait Amsterdam et Paris
de mieux que nous ?

Amsterdam (Photo : Shutterstock)

Amsterdam (Photo : Shutterstock)

Amsterdam (Photo : Shutterstock)

La première différence, c’est le timing. Alors que Paris et Amsterdam ont lancé leurs offensives - dans les rues de Londres, sur le web et dans les boîtes mails - peu après le référendum du 23 juin 2016, parfois de manière agressive, Bruxelles n’a lancé sa campagne publicitaire qu’en septembre dernier. Soit 2 ans après. Ensuite, le moins que l’on puisse écrire, c’est que Paris et Amsterdam se démènent au plus haut niveau pour attirer les entreprises basées au Royaume-Uni. La recette est double : proactivité ciblée et coordination sur tous les fronts.

Une approche pragmatique et concrète

À l’aide d’un discours bien rôdé et d’une task force multi-tâches, Amsterdam contacte directement de nombreuses PME et multinationales afin de leur présenter la plus belle carte postale économique de la ville : gratte-ciels en construction, quartiers d’affaires en expansion, un port mondialement réputé, un aéroport accessible, des gares régulièrement desservies... S’ajoute à cela des critères pratiques : un nombre conséquent de travailleurs qualifiés et multilingues, une administration rapide et des écoles internationales prêtes à accueillir les enfants d’expats. Cerise sur le gâteau : tout le monde parle anglais à Amsterdam. Officiellement, la ville cible principalement les entreprises actives dans le secteur de la santé, mais elle ratisse large...

Amsterdam (Reporters)

Amsterdam (Reporters)

Amsterdam (Reporters)

Mobilisation comparable côté français, où ministres et présidents de régions travaillent main dans la main pour attirer à eux des filiales bancaires qui tiennent à déménager avec l’Autorité des banques européennes. Le quartier parisien de La Défense s’affiche comme étant particulièrement irrésistible : écosystème de 500 entreprises, près de 200.000m² de bureaux disponibles, baisse de l’impôt des sociétés, exonérations pour les cadres qui viennent s’installer en France et l’ouverture d’une nouvelle école internationale à Courbevoie. Seule ombre au tableau ces derniers mois, les actions et dérapages - fort médiatisés - des gilets jaunes...

La Défense, à Paris (Photo : Reporters)

La Défense, à Paris (Photo : Reporters)

La Défense, à Paris (Photo : Reporters)

5. Est-il encore possible
d’inverser la tendance ?

Reporters

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C’est sans doute la question la plus importante du moment. Et la réponse ne fait aucun doute : oui, il est encore possible d’inverser le cour des choses. Et pour une raison simple : les relocalisations des entreprises basées à Londres se feront par vagues. Il y a les entreprises qui devaient, pour des raisons réglementaires, s’assurer d’une présence au sein de l’UE le jour du Brexit. Puis, il y a toutes les autres qui réaliseront sans doute avec le temps qu’elles doivent étendre leurs activités en dehors de la Grande-Bretagne ou même déménager.

Task force fédérale

Mais les observateurs sont formels : rien ne se fera naturellement, “il faut provoquer sa chance”. D’abord, parce qu’une perception négative peut prendre énormément de temps afin d’être oubliée, voire améliorée. Ensuite, pour inverser la tendance actuelle, il faudrait que la Belgique adapte sérieusement sa stratégie et son offre. Comprenez par là qu’elle mette en place une task force nationale uniquement chargée de coordonner les efforts entrepris pour attirer les relocalisations potentielles. Cela passe par un screening précis des entreprises impactées par le Brexit, une approche proactive et une vision globale. Ignorer les responsables des écoles internationales dans le démarchage démontre, par exemple, que l’approche n’est pas la plus pragmatique possible. Car un cadre qui s’expatrie le fait généralement en famille. La première règle à respecter, selon Hylke Vandenbussche (KU Leuven), c’est de “se mettre à la place des décideurs de multinationales sans ancrage local et d’anticiper les avantages et inconvénients qu’ils comparent souvent de manière superficielle”.

AFP

AFP

AFP

Répondre en anglais

Sur le plan pratique toujours, les administrations communales bruxelloises devraient s’assurer qu’elles mettent à la disposition des candidats potentiels, des interlocuteurs qui parlent l’anglais. Amsterdam l’a démontré, c’est un avantage qui peut faire la différence dans une telle bataille économique, surtout auprès des pme. Certes, un tel enjeu dépasse de loin le recrutement des agents communaux. Il touche en réalité à l’apprentissage de l’anglais dans l’enseignement secondaire et supérieur.

D’autres changements pourraient embellir la mariée, comme le nouveau Code des sociétés qui devrait aider Bruxelles à se positionner sur la carte européenne. Pour le ministre de la Justice, Koen Geens, cette réforme permet de mieux concurrencer Londres et Amsterdam.

Enfin, les acteurs de cet enjeu économique espèrent que la presse s’intéressera davantage à cette problématique. Un peu de visibilité pourrait mieux faire connaître les actions entreprises par la région bruxelloise et convaincre des politiques en campagne électorale d’y regarder de plus près, et d’y investir.

“Je me suis parfois sentie seule
face aux opportunités du Brexit”

Bauweraerts Didier

Bauweraerts Didier

Bauweraerts Didier

Après avoir consulté une vingtaine d’acteurs clés et d’observateurs sur l’attractivité économique de Bruxelles dans le cadre du Brexit et identifié les causes multiples d’une campagne internationale qui semble encore peu fructueuse, La Libre Belgique a confronté ses constats auprès de Cécile Jodogne (Défi). La Secrétaire d’État bruxelloise au Commerce extérieur, qui s’est personnellement investie dans cet enjeu, répond à nos questions.

Qu’avez-vous entrepris pour attirer des entreprises qui désirent quitter Londres ?

En juin 2016, je dois bien admettre que je n’ai pas été me balader au bord de la Tamise en criant “Venez ! venez !”, comme d’autres capitales l’ont fait immédiatement au travers de grandes campagnes agressives et même arrogantes face à des Britanniques particulièrement susceptibles sur la question. Nous comparer à Paris et Amsterdam n’a pas de sens, car Bruxelles est une petite région qui compte 1.2 million d’habitants et a nettement moins de moyens pour lancer d’énormes campagnes publicitaires. Le budget régional du commerce extérieur, c’est 12 millions d’euros par an pour les actions et le personnel à l’étranger. Il y a une marge d’amélioration possible…

Face à un tel enjeu, la Région bruxelloise n’a-t-elle pas manqué d’ambition ?

Non, je ne le pense pas. Nous avons tenu à rester pragmatiques et en prise avec la réalité bruxelloise. Relativisons les choses, nous n’avons pas les moyens de Paris, et il ne me semblait pas judicieux d’attaquer de front nos partenaires britanniques. La City, ce n’est pas seulement une place européenne, mais mondiale, il est ridicule de croire qu’on pourra accueillir les 600 000 personnes de la City. Il fallait donc réfléchir à une stratégie ciblée.

Quelle stratégie ?

Le Brexit est une catastrophe pour la Grande-Bretagne et pour l’Europe. On connaît l’impact négatif pour nos régions, mais nous devions aussi voir les rares opportunités pour Bruxelles. Non pour piquer leurs entreprises, mais pour être de loyaux partenaires. C’est pourquoi, dès l’automne 2016, nous avons identifié trois secteurs pour lesquels le Brexit imposerait des relocalisations pour satisfaire aux réglementations européennes. Il s’agît des Fintech, de l’audiovisuel et des sciences de la vie. Notre ambition est de réussir cette stratégie ciblée et efficace.

Photo : Bauweraerts Didier

Photo : Bauweraerts Didier

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Efficace ? On compte le nombre d’entreprises sur les doigts d’une main, alors que nos voisins se vantent d’avoir déjà attiré chacun 50 sociétés et de discuter avec plus de 200 autres.

Les secteurs qu’on a ciblés sont des services, pas des industries. Et, soyons précis, ces secteurs sont en pleines incertitudes. Ils attendent des clarifications sur les modalités du Brexit. Il est donc trop tôt pour faire le bilan de l’efficacité de notre démarche. Notre objectif n’était pas d’attirer des centaines d’entreprises, le contexte bruxellois ne le permet d’ailleurs pas. Si on tient compte des candidats potentiels qui ont participé à nos séminaires à l’Ambassade de Belgique, on peut aussi estimer qu’environ 250 sociétés envisagent de venir chez nous. De plus, depuis deux ans et demi, on a vu une centaine d’entreprises britanniques s’établir à Bruxelles. C’est un nombre exceptionnel.

La task force d’Amsterdam a proactivement contacté les entreprises susceptibles de partir avec des solutions administratives, fiscales et même scolaires. Ici, les écoles internationales n’ont pas été sollicitées dans les démarches…

Mais nous avons listé les disponibilités et tarifs de nos écoles internationales et nous en parlons lors de nos huit séminaires très concrets et pragmatiques organisés à Londres. J’ai assisté à six d’entre eux accompagnée des régulateurs ou de responsables permettant d’expliquer les démarches et solutions offertes.

Hormis l’agence régionale Hub Brussels, tous les experts contactés affirment que la régionalisation du commerce extérieur plombe nos capacités de rassembler nos forces, et donc notre ambition.

Pensez-vous vraiment que les intérêts économiques des trois régions soient les mêmes ? Ces entreprises ne relocalisent pas leurs sièges, mais leurs activités européennes qui nécessitent des autorisations d’exploitation dans l’Union. Le tissu économique de la Flandre n’est pas le même que celui de Bruxelles ou de Wallonie. La régionalisation du commerce extérieure a permis à chaque région de développer et multiplier ses actions en fonction de ses réalités et besoins. Il ne faut donc clairement pas refédéraliser la compétence, d’autant que le fédéral collabore bien en ce domaine.

Photo : Bauweraerts Didier

Photo : Bauweraerts Didier

Photo : Bauweraerts Didier

Mais il n’y a pas de véritable task force pour ce type d’enjeu d’envergure. En tant que responsable régionale, vous êtes vous sentie “un peu seule” dans ce challenge ?

Je pense que tout le monde n’a peut-être pas pris la mesure des effets négatifs et des opportunités du Brexit pour Bruxelles. Cela n’a pas beaucoup préoccupé les politiques, ni les médias d’ailleurs. Donc, oui, je me suis parfois sentie un peu seule face aux opportunités à saisir dans un contexte globalement négatif pour tous. J’aurais aussi aimé avoir un peu plus de moyens pour nos campagnes spécifiques sur le Brexit. Et recevoir davantage d’inputs de la part des secteurs économiques aurait été utile. Seul le secteur immobilier a été très réactif pour promouvoir les espaces de bureaux disponibles et les prix attractifs.

Bruxelles souffrirait aussi de sa mauvaise réputation…

Le Brexit a eu lieu trois mois après les attentats du 22 mars 2016. On a restauré l’image de Bruxelles à travers une campagne spécifique. Globalement, notre réputation est bonne à l’étranger, mais les Belges se tirent une balle dans le pied en donnant toujours une piètre image de leur ville. Et qu’on ne vienne pas me parler de la mobilité, car ce problème est universel. Pensez à Paris !

Un autre frein est pointé du doigt : les administrations communales ne maîtrisent pas l’anglais. Faut-il officialiser l’usage de l’anglais à l’accueil et dans les formalités comme à Amsterdam ?

On peut développer un tel accueil en anglais sans le rendre obligatoire pour autant. Des efforts sont faits. Je suis contre une telle officialisation et obligation pour des raisons de coûts et de difficultés à recruter du personnel trilingue. On a déjà du mal à trouver de bons bilingues.

Enfin, les permis d’urbanisme sont délivrés après 14-16 mois. Les échevins de l’urbanisme dénoncent le rôle de la région dans ce délai.

Ne mélangeons pas tout, une entreprise qui se délocalise ici en urgence, elle cherche des bureaux disponibles, pas des terrains pour construire. Cet argument est fallacieux. Je reconnais qu’on a transféré trop de permis d’urbanisme au niveau régional. Mais cela ne freine aucune entreprise dans le cadre du Brexit.