Belgique 2030, l'incertain prévisible

Quel avenir pour la Belgique du futur ? Comment le réchauffement climatique transformera les gestes du quotidien? La Libre s’est posé la question. Un scénario potentiel, celui de l’adaptation.

Penser l’avenir, ne pas s’inventer devin. Beaucoup s’y essaient, certains y arrivent. Des scénarios, il y en a. Alors on parle de science-fiction, d’anticipation, de prévisions. Dans cet imaginaire se trouve la beauté des utopies. Ces sociétés parfaites sont dépourvues de défauts. Elles sont pensées comme un modèle, une échappatoire à la morosité ambiante d’un présent qui enferme. Deux espaces parallèles qui ne se rejoindront jamais.

À côté de ces idéalités, de ces lieux sans lieux, cohabitent les indices scientifiques ancrés dans le réel. Ces fragments de solutions à l’énigme du futur. Ils se transforment en recommandations, en réglementations, en politiques. Un corps scientifique lanceur d’alertes qui agite les bras depuis quarante ans. Les chercheurs ne sont pas rancuniers. Pas de "on vous l’avait dit". Il faut avancer, maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.

Le changement climatique est en marche. L’humanité le sait et l’accepte. Elle connaît les limites pour que tout ne bascule pas définitivement. Par exemple, restreindre l’augmentation du réchauffement global à 1,5°C pour les vingt prochaines années. Mais à quoi ressemblera la Terre, ne serait-ce qu'en 2030 ? Certains y voient un effondrement sociétal, de brusques changements démographiques, une fin du monde. D’autres imaginent un hiver nucléaire, une guerre de l’eau, un nouveau terrorisme vert.

La Libre a tenté l’exercice, imaginer la Belgique du futur. L’image du Royaume qui suit prend le parti de l’adaptation, d’une société résiliente qui trouve les clefs pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Elle se base sur le dernier rapport du GIEC, le plan national d’adaptation pour la Belgique et la stratégie européenne d’adaptation au changement climatique, couplés à l’avis de scientifiques.

Bienvenue à l’Anthropocène

Un réveil sonne. Le même depuis quinze ans. Un modèle en plastique noir, incliné vers l’avant. L’heure s’y lit en bâtonnets rouges. Un témoin du temps qui passe, des souvenirs que l’on garde. Ceux qui ne se recyclent pas. Il est sept heures et Sarah ouvre les yeux.

La radio pose le décor, lundi 15 avril 2030. Le bleu du ciel s’offre des airs de côte d’Azur. Le printemps est doux. On respire. Les vagues de chaleur de l’été sont encore loin. Parce qu’en 2030, la température générale s’approche du degré et demi qu’on redoutait tant. Plus de canicules, plus de poches de chaleur. En juillet, Bruxelles cuit.

La douche est courte. Sarah coupe le robinet pour se savonner. Économiser l’eau est impératif. Les gestes changent. Tout doit être réfléchi et mesuré. Pour assurer une répartition équitable de l’eau sur le territoire belge, l’État instaure des quotas. Chacun consomme avec modération. Le robinet fatigue.

Elle prend son petit-déjeuner face à la fenêtre de la cuisine. Derrière le double-vitrage, le métro chahute le paysage. Les nouvelles rames sont plus discrètes. Un passage toutes les trois minutes. Les perruches n’apprécient pas le dérangement. En bande, elles s’envolent. La sixième extinction de masse foudroie le règne animal. Plus de moineaux mais des perruches. L’adaptation et la hausse des températures leur ont réussi.

À huit heures, Sarah doit quitter son appartement. Un deux pièces à Molenbeek-Saint-Jean, dans le quartier maritime. Elle remplit sa gourde un peu distraite, l’eau est tiède. Tant pis, elle refroidira. La jeune femme monte sur son vélo électrique, règle la fermeture de son casque et cache une partie de son visage avec un masque. Nous sommes en avril, en plein période de pollinisation du bouleau. L’arbre se porte très bien, résiste dans les terres affaiblies par les sécheresses de l’été. Sarah est allergique et son asthme empire. Le pollen est de plus en plus concentré dans l’air et la saison commence de plus en plus tôt.

Elle roule dans une ville propre. Il y a six fois plus de cyclistes dans les rues. Les émissions de CO2 liées à la mobilité sont limitées à 15% de ce qu’elles étaient en 2019. On va moins vite. La STIB met en place un service de transports en commun efficace qui permet de se déplacer partout dans la ville et n’importe quand. Sarah est ingénieure et travaille à la SNCB. Le rail est une victime directe du réchauffement de la température. Les voies ferrées se déforment l’été lors des vagues de chaleur. Les orages, plus nombreux et plus forts, s’attaquent à l’infrastructure électrique. Un travail constant. La SNCB crée des emplois.

Produire ensemble

Sarah se souvient. Elle était là, en 2019. Chaque semaine, sa classe partait dans la rue pour manifester. Le mouvement a duré et elle a terminé l’école. Les réflexes sont restés. Tendre vers le zéro déchet, ne plus prendre l’avion qu’exceptionnellement, réduire fortement la consommation de viande...

Parce qu’il est presque 13 heures, Sarah commence à avoir faim. En 2030, l’alimentation connaît une transformation intimement verte. Manger différemment pour mieux se nourrir face à une hausse des prix de produits qu’on prenait pour acquis. La viande, le lait, les œufs, les fruits exotiques.

Elle rentre chez elle, dépose son sac et rejoint l’espace vert d’en bas de la rue. L’ancien parc de Tour et Taxi. Avec la relocalisation de la production agricole, l’urbanisme s’adapte. La plupart des quartiers possède leur potager. Il permet d’assurer en légumes l’alimentation de tous les voisins. Sarah mange à la cantine avec les autres travailleurs. La journée de travail évolue. Si le matin est dédié à l’emploi principal, l’après-midi est réservé aux ouvrages communautaires. La société prend soin d’elle-même.

Pour réduire les émissions de CO2, les villes développent la permaculture. On met des bouts de terre en commun. Une agriculture locale demande trois fois plus d’emplois. C’est pour cela que Sarah apprend de nouveaux gestes. Elle bêche, elle sème, elle récolte. Certains sont salariés, d’autres bénévoles au service du quartier. La société de 2030 est résiliente et a appris à apprivoiser la lenteur. Polluer moins en limitant la vitesse. Rassembler les gens pour créer du lien.

Molenbeek-Saint-Jean a toujours été une terre d’immigration. Aujourd’hui, les migrants climatiques sont nombreux. Le Sud est en première ligne. Chacun participe à la durabilité de la société belge. Grâce à ses après-midis passés au parc, Sarah connaît tous ses voisins. Vers 17h, elle rentre à son appartement. Sa journée de travail est terminée et elle peut s’occuper d’elle.

La drache nationale

Son frère est médecin. Il a quelques années de moins qu’elle. Avant, ils vivaient tous ensemble avec ses parents et son autre petite sœur. Pas très riches, mais heureux. Leur mère est décédée d’un cancer des voies respiratoires, lié à la pollution de la ville. De la tragédie est née une vocation. David est spécialisé dans la médecine tropicale. Car avec le réchauffement climatique, les maladies d’ailleurs s’infiltrent en Belgique. Principal vecteur de ces affections, le moustique vit très bien le changement. La malaria, le virus du Nil occidental par exemple.

Et les températures plus élevées ont un impact direct sur les infections alimentaires comme la salmonelle. Certaines bactéries deviennent plus résistantes aux antibiotiques. Mais d’un autre côté, la mobilité verte réduit fortement le sédentarisme de la population. Moins d’obésité, moins de risque de diabète ou de maladies cardiovasculaires.

À partir de 17 heures, David occupe une permanence dans un dispensaire de quartier. Il s’occupe de ceux qui ne peuvent se passer de voiture pour avoir accès à des soins. Avant de commencer sa tournée, il recharge son téléphone. Un modèle plus propre, éloigné des smartphones. Le dispensaire est l'un des rares espaces de la ville qui ne connaît pas de délestage d’électricité. Les ménages doivent limiter leur consommation d’énergie. L’État belge calcule les quotas qui permettent à chacun de vivre dignement et de répondre à ses besoins.

David craint les orages depuis qu’il est petit. Avant, c’était le tonnerre. Le bruit fracassant le pétrifiait. Maintenant, ce sont les inondations et les feux de forêt. Avec les années, les épisodes orageux sont devenus plus intenses. Si un nuage s’arrête sur une ville, c’est l’inondation à coup sûr, et les risques de santé qui vont avec. La pluie belge est toujours là. Mais elle est plus forte, plus longue. De belles draches nationales.

Les étés trop chauds ne plaisent pas aux hêtres de la Forêt de Soignes. Déjà affaiblis par la température, ils peuvent subir le coup d’une maladie, devenant une proie de choix pour les flammes. Un feu de forêt à la sortie de Bruxelles, un scénario catastrophe. Mais David anticipe, il est préparé aux risques des incidents climatiques exceptionnels.

Il n’y a pas que la Capitale qui se prépare. La Flandre rehausse ses digues pour protéger la côte et le centre des terres sous le niveau de la mer. Les hauts montent. Du côté de l’Ardenne, on met en place les solutions pour éviter les feux de forêt. Plus de pompiers, formés à l’extraordinaire qui devient une réalité.

Le frein numérique

À la fin de leur soirée, Sarah et David rejoigne leurs habitations. Lui vit du côté d’Ixelles. En dix ans, ils ont abandonné le binge-watching de séries américaines tout seul chez eux. Pour assurer un numérique moins polluant, le flux de streaming est divisé par trois. Alors, on se rejoint pour consommer ensemble les divertissements numériques. Le cinéma retrouve un public. Acheter n’est plus un réflexe, la location des technologies se généralise. Parce que le numérique est peu recyclable, le monde doit affronter une montagne de déchets toxiques. Une solution, produire et consommer moins. Ralentir.

Le réchauffement global du climat est assuré. La tendance ne pourra pas s’inverser avant des siècles. La question principale que se pose la société belge de 2030 est l’adaptation. Comment transformer le mode de vie en société pour l’empêcher de produire des gaz à effet de serre. Un nombre incalculable de paramètres doivent être pris en compte. Chaque phénomène naturel renforce l’autre. Le réchauffement entraîne la fonte des glaces, la fonte des glaces relâche d’astronomiques quantités d’eau douce dans les océans. Le bouleversement dérange les courants marins qui assurent notre climat et la survie de la biodiversité. Mais la fonte des glaces cache une autre réalité, celle des gaz contenus dans la banquise qui ne pourront que renforcer les émissions. Et tout cela n’est qu’une mince partie de la problématique.

Réinventer les gestes du quotidien devient vital. Le futur de la planète est en marche et avec lui, celui de la société humaine. Le scénario présenté dans cet article est un exemple parmi la myriade de possibilités qu’il reste à inventer. La Terre s’apprête à vivre l’un de ses plus grands bouleversements. Un changement de paradigme qui s’impose comme un laboratoire du présent. Tout peut encore s’imaginer.

Textes: Victor Huon

Crédits photos : Belga