À la découverte d'un des lieux les plus secrets du Brabant wallon

Des centaines de sculptures, tableaux et pièces d'art en tout genre enfermés dans un coffre-fort, sous haute sécurité. Mais que font-ils là et pourquoi tant de mystères autour de ce hangar ?

A l’occasion de son rendez-vous dominical "Dans le secret des lieux", La Libre vous emmène à l’intérieur de l'un des lieux les plus secrets du Brabant wallon.

C’est un entrepôt des plus banals. En arpentant le hangar gris, rien ne laisse penser qu’il abrite des trésors du patrimoine. Dans un recoin du bâtiment, une pièce renferme la collection d’art du Brabant wallon. Situé quelque part dans la province - sécurité oblige, on ne divulguera pas son emplacement exact - le lieu est bien protégé. Clés, codes et alarme assurent un accès très limité à la pièce.

Derrière les portes, on pourrait croire à un débarras : caisses et cartons meublent le sol en béton. Mais une fois les néons allumés, on aperçoit les chevalets, sculptures et tableaux sous papier bulle. Puis le regard se dirige au milieu de la pièce, où trône une étrange installation : un énorme coffre-fort en forme d'accordéon. 

Sésame, ouvre-toi

Notre accompagnateur, le député-président (MR) de la province du Brabant wallon, en charge notamment de la culture, tape encore une fois un code afin de déverrouiller les rayonnages sur rails, qui s’écartent alors pour dévoiler toiles et autres œuvres d’art qu’ils contiennent. "Des Folon, des Cluysenaar, des Alechinsky aussi", énumère rapidement Tanguy Stuckens.

Des artistes du XIXe siècle à des peintres contemporains, des artistes renommés à des peintres émergents, la collection se veut éclectique. On y retrouve des Serge Vandercam, Louis Thevenet, Pierre Debatty, Malou Harray, Daniel Pelletti pour en citer quelques uns.

A l’intérieur de la salle, le thermomètre indique 21,5 degrés. La pièce est ventilée, nous explique l’homme politique, "pour la conservation des œuvres. Il faut qu’elles puissent respirer."

Elles ne se sont pas toujours trouvées là, le coffre-fort, conçu spécialement pour la collection, a été mis en place en 2014 afin de centraliser les œuvres, autrefois éparpillées, à un seul et même endroit.

Au total, la collection comporte près de 675 pièces. Toutes ne sont pas stockées ici, un tiers du catalogue est prêté ou exposé. "Certaines œuvres sont prêtées à des musées : il y en a à la fondation Boghossian de Bruxelles, au Musée L de Louvain-la-Neuve, entre autres. On a une sculpture de Galilée de Jef Lambeaux à la Hulpe, un Marthe Dona, au musée du même nom à Ittre. D’autres sont exposées dans des bureaux ou institutions de la Province : des salles communales ou le bureau du gouverneur par exemple", fait savoir Tanguy Stuckens. 

Les pièces, propriétés de la Province, proviennent pour la plus grande partie de l’ancienne province du Brabant. A la scission de la région en 1995, le patrimoine fut partagé entre le Brabant wallon et le Brabant flamand. Depuis, "la collection a été enrichie par des donations de mécènes privés, des dons d’artistes ou par les acquisitions faites par la Province", raconte le député provincial.

Il tient en effet à cœur à la Province d'enrichir son patrimoine. En 1998, sous l'administration Valmy Féaux, premier gouverneur du Brabant wallon, une commission d'acquisition est mise en place.

Enrichir la collection

Composée de huit membres - la moitié étant des professionnels de l’art et l'autre des représentants politiques -, la commission se réunit une fois par an. Tanguy Stuckens, le gouverneur (Gilles Mahieu actuellement ndlr) et Valmy Féaux y siègent notamment. Sont également invités les directeurs de l’enseignement artistique du Brabant wallon ou encore les responsables de programmation des centres culturels.

"Lors de la dernière réunion, en décembre 2020, qui d’ailleurs s’est tenue en visio-conférence à cause du Covid, nous avons acheté 14 œuvres pour 13 040 euros", raconte Vincent Batens, directeur de l’école des Arts de Braine-l’Alleud, membre de la commission depuis 5 ans à ce titre. "Il y avait du Carole Younger qui travaille le verre, la sculptrice et céramiste Sarah Bourlard, Nicolas Mayne… ", se souvient-il.

La commission établit sa sélection sur une liste d’œuvres candidates proposée par la Province, que les membres consultent au préalable. Chaque partie est aussi libre de proposer des artistes, et les artistes peuvent eux-mêmes déposer un dossier d’achat. L’assemblée vote ensuite.

"Il n’y a jamais eu de grande opposition, une sorte de consensus se crée", explicite Vincent Batens. "On écarte ceux qui ne nous semblent pas pertinents, pas assez professionnels, et pour le reste, on échange, on argumente, mais il n’y a jamais eu de grosse divergence", ajoute Dominiq Fournal, artiste peintre et désormais retraité de la direction de l’Académie des Beaux-arts de Wavre, invité à la commission depuis 2004.

Le seul critère, c’est le rattachement de l’artiste au Brabant wallon. "L’état d’esprit c’est de privilégier l’activité culturelle et les artistes de la région", indique Dominiq Fournal, "Mais moi je plaide depuis quelques années pour une ouverture. Je crois que l’art et les artistes sont sans frontières. Même s’il s’agit de la vie culturelle du Brabant wallon, il faut que les portes soient ouvertes sur le monde. Avant la scission de la province, la collection avait un Magritte, or il n’a jamais été lié au Brabant wallon", argue-t-il.

Hormis cela, "on essaie de toucher à toutes les disciplines des arts plastiques. Lorsque l’on a des peintres on essaie de prendre une vraie belle grande toile, mais s’il y a des gravures ou des photos on achète plusieurs pièces", précise l'artiste, dont certaines de ses œuvres font partie de la collection. "Je n’ai pas été invité à la commission cette fois-là bien sûr", assure-t-il.

La Province souhaite tout de même mettre en avant les artistes émergents, déclare Tanguy Stuckens. "On essaye d’acheter des oeuvres d'artistes vivants et actifs, dont on est sûr de leur sérieux, mais aussi qui restent achetables. Moi je considère qu’il est trop tard pour acheter une sculpture chère d’un artiste déjà décédé, il fallait le faire de son vivant", précise Dominiq Fournal.

Un manque de moyens

Cette volonté est sans aucun doute liée au maigre budget d’environ 15 000 euros chaque année. "C'est évidemment très peu. Surtout s’il s’agit d’un artiste connu, à la carrière internationale", déclare Dominiq Fournal. "Nous sommes obligés d’acheter des œuvres plus modestes à des artistes prometteurs ou qui ont trente ans de carrière mais sans être des stars", regrette-t-il.

"On essaye de faire de la qualité avec le peu de moyens qu’on a. Une année par exemple, on acheté une petite sculpture de Folon qui a pris les deux tiers du budget. Lors de mes débuts à la commission, on avait acheté une sculpture de Gilbert Decocq, et attribué le budget de deux années pour une toute petite sculpture. C’est ça qui est dommage", se désole-t-il.

Des achats à l’arrêt

Aujourd’hui, la commission achat est à l’arrêt, la faute au coronavirus. "L’année dernière, on nous a prévenus que la commission serait suspendue, je ne sais pas pour combien de temps", fait savoir Dominiq Fournal. Le budget sera redistribué aux communes pour l’après Covid.

Pour le peintre, il serait aussi temps "de refaire des expositions. Il y a des années que l’on n’en a plus organisées. Le jour où les choses redémarrent, c’est la première chose à faire", appuie-t-il. Ce que faisait la Province auparavant : la dernière, "D’Alechinsky à Wolfs", date d’il y a sept ans.

En attendant, la Province prévoit de monter un catalogue numérique de toutes ses œuvres afin de "réactiver les prêts auprès des musées", déclare Tanguy Stuckens, "Nous souhaitons les exposer au public au maximum, nous ne voulons pas qu’elles restent mortes". Un travail qui s’annonce de longue haleine.