A quoi ressemblera la vie dans la future base lunaire ?

Un séjour durable sur la Lune. Voilà le grand changement entre les visées lunaires actuelles et les missions Apollo, selon le responsable du centre d’entraînement des astronautes à l’Agence spatiale européenne, Frank De Winne. “C’était une course, et une fois que vous l’aviez gagnée, c’était bon. Ici, nous voulons rester, au final, de façon permanente à la surface lunaire”.

Mais comment ? A quoi ressemblerait un tel séjour permanent ? Dans quel habitat ?

“Ce n’est pas encore planifié en détail, que ce soit au sein de la Nasa, mais aussi avec les partenaires internationaux, et les partenaires commerciaux. On s’attend à ce que les partenaires commerciaux jouent un grand rôle pour les éléments à la surface lunaire”, indique Tim Tawney, de la Nasa. "Mais être sur la Lune pour une longue période, c’est ce qu’on envisage en effet. La Lune fait partie d’une architecture plus large car notre destination finale, c’est Mars.”

Même s’il n’y a pas de plan détaillé, les agences sont bien conscientes des défis que les séjours longue durée entraîneraient pour les astronautes et réfléchissent donc à comment y répondre. “Toutes ces technologies (pour faire face aux challenges), on est en train de les tester. Quand on verra ce qui marche mieux, on pourra les rassembler pour avoir une vraie base lunaire où on pourra travailler plus longtemps”, nous détaille Frank De Winne.

Le principal danger pour les astronautes à la surface lunaire ? Les radiations. Et les séjours lunaires de longue durée demanderont en particulier de s’en protéger. “Étant donné ces radiations, nous choisirons probablement de construire une structure recouverte de sol lunaire, le régolite, pour protéger les astronautes”, nous indique David Parker, responsable de l’exploration à l’ESA.

Sur la surface de la Lune, les radiations sont 3 à 400 fois plus importantes que sur Terre. “Comme sur la Lune, il n’y a pas de magnétosphère, pas d’atmosphère, pas de protection comme il y a sur notre Terre. On est dans le flux de différents types de rayonnements cosmiques, solaires, détaille Sarah Baatout, spécialiste de ces questions au centre d’études nucléaires à Mol (SCK-CEN). Le flux solaire, le flux continu n’est pas vraiment dangereux, mais il y a aussi les éruptions solaires, qui apportent un flux très dense et très énergétique d’électrons et de protons, qui peut induire des dommages très importants. Vivre à la surface de la Lune, ce sera difficile, donc il est vraisemblable que l’on creusera un trou et que l’on construira une station permanente qui serait en partie recouverte de régolite. Ça permettrait de bloquer déjà une grosse partie des rayonnements.

Le régolite est la fine poussière qui recouvre la Lune, créé par le bombardement de micrométéorites et des rayons solaires. “Amener toutes les structures du sol ici pour se protéger sur la Lune, ce n’est pas possible, reprend Frank De Winne. C’est pour cela qu’il faut utiliser le régolite qui est sur place pour construire des infrastructures. On peut faire cela avec de l’impression 3D, c’est aussi quelque chose que l’on est en train de tester au centre des astronautes.”

Une vue d'artiste d'un concept de base lunaire, par l'ESA, diffusé en juillet 2019. De l'énergie grâce à des panneaux solaires, de la production de nourriture dans des serres et de la construction grâce des des imprimantes 3D mobiles. © ESA.

Une vue d'artiste d'un concept de base lunaire, par l'ESA, diffusé en juillet 2019. De l'énergie grâce à des panneaux solaires, de la production de nourriture dans des serres et de la construction grâce des des imprimantes 3D mobiles. © ESA.

Au SCK-CEN, on mène aussi des recherches sur les blindages, qui seraient les plus légers possible. Certains matériaux qui contiennent de l’hydrogène, de l’hélium, du bore permettent de faire ricocher le flux de rayonnement. Pour les sorties en journée, il faudrait des blindages pour les véhicules, les matériaux, les vêtements… “Il y a aussi des initiatives pour les vestes, qui visent à développer la veste la plus protectrice, car la partie du corps qu’il faut plus protéger, ce ne sont pas les bras et les jambes, mais les organes vitaux. Les organes les plus radio sensibles sont les gonades et les ovules, et la moelle osseuse, en bas du dos et dans les os creux, puis le système gastro-intestinal”, continue Sarah Baatout. “C’est tout à fait différent du scénario d’il y a 50 ans, quelques jours en mission c’est beaucoup moins dangereux. Ici, on a comme but d’avoir une mission permanente. L’aspect médical est très important, parce qu’il y a des doses cumulées de radiations.” Outre les radiations, un autre défi pour la base lunaire est l’énergie. “Avec les missions Apollo, ils étaient seulement là pendant la journée lunaire, précise l’ancien astronaute belge. Mais la nuit lunaire dure 14 jours. Il n’y a pas de soleil, donc comment va-t-on survivre à cela ? La problématique énergétique est très importante. Sûrement qu’une partie de la base va servir à résoudre ce problème.”

Les solutions envisagées, par exemple à l’ESA, où l’on travaille sur le sujet ? “On peut stocker l’énergie. Si on trouve de l’eau pendant la journée lunaire, on peut décomposer l’eau en oxygène et hydrogène, et les stocker. Et après, pendant la nuit, on utilise des fuelcells (NdlR : piles à combustibles, qui produisent de l’électricité et de la chaleur), comme on en a déjà maintenant dans les bus ou les voitures à hydrogène. Ou stocker l’énergie dans le sol pour chauffer le sol, on a un très grand bloc de béton et de basalte. On chauffe à haute température et, pendant la nuit, on récolte cette chaleur pour en faire de l’énergie. Ce sont des technologies que l’on doit étudier.” On parle aussi d’utiliser, lors des journées "ensoleillées", des panneaux solaires et de stocker l’énergie dans des batteries pour l’utiliser pendant la nuit lunaire.

Le support vie constitue également un autre problème : “Aujourd’hui, on recycle déjà beaucoup l’eau à la Station spatiale internationale, continue Frank De Winne. Mais la nourriture, par exemple, on l’amène encore depuis la Terre. Sur la Lune, ce sera beaucoup trop cher de continuer à faire cela. Il faudra utiliser les ressources qui sont sur la Lune. L’oxygène, on en a parlé : l’eau qu’on pourrait retirer du sol… L’ISRU devient très important”. L'ISRU, l’Utilisation des Ressources In-Situ sur la Lune fait l’objet de recherches spécifiques à l’ESA, auxquelles participe d’ailleurs une entreprise belge. “À la suite d’un appel à projet, nous avons été choisis par l’ESA pour construire un démonstrateur, un appareil, qui doit produire de l’eau à partir du régolite, détaille ainsi Olivier Lamborelle, de la société bruxelloise Space Applications Services. L’idée, c’est de partir de cette poudre et, un peu comme dans l’industrie minière, la réduire, la faire réagir avec une autre substance comme de l’hydrogène, pour, à la fin, obtenir de l’eau. Le défi, c’est de convertir un processus, dont on sait qu’il fonctionne chimiquement en éprouvette, en une mini-usine qui peut marcher en continu.” Une mini-usine qu’on pourrait par exemple installer dans une base lunaire pour les astronautes, mais qui pourrait aussi être utilisée bien avant “pour séparer l’eau en oxygène et hydrogène et servir de carburant”.

Copyright: ESA

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"L'eau permet de pérenniser beaucoup plus facilement une présence humaine sur la Lune", résume Vladimir Pletser, ancien ingénieur-physicien à l'Esa et candidat astronaute belge.

Et pour la nourriture, peut-on s’attendre à un petit potager lunaire sous serres, et produire la nourriture sur place à l’instar de ce qu’on voit dans le film “Seul sur Mars” ? "Ce n'est plus de la science-fiction, répond l'ingénieur. On n’en est pas encore au stade de production massive, mais on arrive à faire pousser une salade, quelques légumes dans l’ISS… C'est encore au niveau expérimental, mais on est en bonne voie."

"Ce qu’on examine beaucoup actuellement, même dans l’ISS, où on a fait des expériences à ce sujet, c’est de voir si on peut avoir des systèmes qui produisent des protéines, car on en a besoin, répond Frank De Winne. De l’autre côté, si on a des ingrédients de base, il y a l’impression 3D pour la nourriture qu’on commence déjà à avoir aujourd’hui, il y a aussi la viande qu’on commence à cultiver dans les laboratoires. Toutes ces technologies qui sont nécessaires pour une économie circulaire au sol, pour réduire l’empreinte écologique d’une population qui continue à grandir, on en aura besoin sur la Lune.”

L'European Space Agency (ESA) explique sa vision de la vie sur la Lune.

Que feraient comme expériences les astronautes sur le sol lunaire, en fait ? “En matière scientifique, pour connaître l’histoire de la Lune, acquérir des échantillons provenant d’un environnement que nous n’avons pas eu avec Apollo sera sûrement très intéressant, évoque David Parker. Il s’est révélé que les sites des missions Apollo n’étaient pas typiques des environnements géologiques lunaires. Donc, en fait, on n’a pas échantillonné correctement l’environnement lunaire.”

A quoi d’autres passeront-ils leurs journée ?

Il y a une multitude de choses à faire sur la Lune, énumère Vladimir Pletser: d’une part des mesures géophysique, géologiques, sismiques, des observations astronomiques, du soleil (comme on est en dehors de l’atmosphère terrestre) mais aussi toutes les recherches médicales sur les astronautes dans un environnement de pesanteur réduite (un sixième de la pesanteur terrestre) d’autre part. Par ailleurs, toutes les activités techniques d’entretien, de maintenance, de réparations vont prendre également beaucoup de temps à l’équipage.

De manière générale, l'environnement sur la base lunaire mêlera l'humain et la robotique. "C'est certain, il y aura beaucoup de robotisation, indique Vladimir Pletser. On ne pourra pas se passer d'avoir des systèmes automatiques, robotisés, qui permettront ainsi de libérer les astronautes pour avoir du "crew time", comme on dit : faire de la recherche ou autre chose, plus fondamental."

Pour avoir une vraie base, il faudra attendre au moins une dizaine d’années après le (deuxième) premier pas sur la surface lunaire, estime Frank De Winne. “Mais entre-temps, on va avoir des systèmes de mobilité, on va rester de plus en plus longtemps ; ça va être progressif. Au début, ce qu’on va faire naturellement, ce sont des excursions, des petites sorties, à un endroit, puis à un autre. Va-t-on avoir un rover habité, avec lequel on peut se déplacer sur la Lune, ou un rover qui pourrait être automatique ? On pourrait atterrir à un seul endroit, se transférer le rover habité, pour faire des expériences pendant une semaine, puis l’équipage repartirait, et le rover irait de façon autonome vers le nouvel endroit où, un an plus tard, une équipe le retrouverait. Donc, ça aussi, c’est un concept. Ce n’est pas une base fixe, stationnée, c’est une base dynamique. Tout ça, on en est en train de l’étudier.”

Pour identifier la meilleure place pour la base, selon David Parker, il faudra d’ailleurs probablement utiliser des robots pressurisés dans lesquels les astronautes habitent pour pouvoir survivre au froid de la nuit lunaire et sur lesquels “ils peuvent se déplacer sur des centaines de kilomètres.”

Pour des séjours de combien de temps, au final ?

"C’est difficile de faire des prédictions, souligne Frank De Winne, qui estime que ce serait pour des durées d’un mois, peut-être plus longtemps, à plus long terme. “Dans la Gateway, vous pourriez potentiellement vivre des mois d’affilée, indique David Parker. Il y aura donc une combinaison de personnes qui travaillent dans la Gateway et sur la surface lunaire.”

La Gateway, est une mini-station en orbite lunaire qui attendra les astronautes et leur servira de point d’étape. En 2024, les astronautes en provenance de la Terre s’y amarreront. Puis ils descendront sur la Lune à bord d’un véhicule appelé atterrisseur, qui aura été livré à la station préalablement. Une partie de l’atterrisseur restera sur la Lune, et une autre leur permettra de redécoller afin de rejoindre la station, d’où les astronautes pourront remonter dans le vaisseau Orion et revenir sur Terre. Sur l'image animée, l'orbite probable de la Gateway autour de la Lune.

La Gateway, est une mini-station en orbite lunaire qui attendra les astronautes et leur servira de point d’étape. En 2024, les astronautes en provenance de la Terre s’y amarreront. Puis ils descendront sur la Lune à bord d’un véhicule appelé atterrisseur, qui aura été livré à la station préalablement. Une partie de l’atterrisseur restera sur la Lune, et une autre leur permettra de redécoller afin de rejoindre la station, d’où les astronautes pourront remonter dans le vaisseau Orion et revenir sur Terre. Sur l'image animée, l'orbite probable de la Gateway autour de la Lune.

Quoi qu’il en soit, cela ne restera pas facile psychologiquement, prédisent les astronautes. “Avec l’ISS, nous avons vécu l’âge d’or du vol spatial, dit Frank De Winne. Sur l’ISS, il y a un support psychologique : les astronautes peuvent contacter leurs familles, ils peuvent recevoir des paquets personnels (avec les modules de réapprovisionnement, NdlR)… Ça sera beaucoup plus difficile quand on ira dans l’espace profond. Pour des raisons économiques. Cela coûtera beaucoup plus cher d’amener des choses vers le Gateway et la surface de la lune. Aujourd’hui, un astronaute peut avoir un paquet de 5kg dans le cargo comme support psychologique, par exemple. C'est un coût marginal. Mais amener 5 kg de support psy vers la Gateway, sur la Lune, ce sera très difficile... c’est tout simplement trop cher.”

Et toujours au rayon confort psychologique, même si Internet sera disponible sur la Lune (la transmission se fait par ondes radio comme sur l’ISS), le délai sera un peu plus long (la Lune est à 380 000 km en moyenne, un peu plus d’une seconde-lumière), mais le problème sera la bande passante, c’est-à-dire la quantité que l’on peut envoyer par seconde, qui ne sera sans doute pas suffisante pour faire une discussion en temps réel ou alors avec du décalage. On pourra sans doute consulter une page web mais pas tenir une conférence par Internet. Egalement pour des raisons de bande passante, l’usage de la télévision sera aussi plus compliqué que sur l’ISS.

Textes: Sophie Devillers - Edition: Antonin Marsac

Textes: Sophie Devillers - Edition: Antonin Marsac